B. LES AVANTAGES DE L'UTILISATION DE L'IA EN SANTÉ

L'IA représente un saut technologique susceptible d'améliorer le service public de la santé par une meilleure organisation des soins, faisant gagner à la fois en qualité des soins pour les patients et en temps de travail pour les professionnels. L'IA constitue ainsi un levier d'amélioration du système de santé. D'importants gains de productivité sont en particulier attendus avec le déploiement de l'IA mais le chiffrage des gains est très approximatif et la manière dont le temps gagné sera redéployé est encore très incertain.

1. Des soins de meilleure qualité

S'appuyant sur les travaux de l'OMS, qui estime que les erreurs médicales causent environ 1 décès pour 1 million d'habitants. L'Alliance européenne pour un accès à des médicaments sûrs avance une estimation pour l'Union européenne à 163 000 décès en Europe suite à une erreur médicale. La moitié des erreurs seraient liées à des médicaments2(*). Ce chiffre est fortement contesté, car il résulte d'une extrapolation à partir d'études dont certaines sont très anciennes et donnent des fourchettes très larges.

Le dernier bilan des « événements indésirables graves associés aux soins » (EIGS)3(*) publié par la Haute Autorité de santé (HAS) fait état de 2 385 EIGS en 2022, dont la moitié sont considérés comme évitables. Ces chiffres doivent être examinés avec précaution car, d'une part, tous ces événements n'ont pas causé des décès de patients (pour les incidents liés aux médicaments, le décès du patient a été constaté dans environ 30 % des cas), d'autre part, en sens inverse, les disparités régionales de déclaration suggèrent que le dispositif de signalement ne couvre pas le phénomène de manière exhaustive.

Si l'IA n'est pas une solution miracle, le déploiement d'outils l'utilisant pourrait permettre de limiter les pertes d'information, de mieux guider le déroulement d'un protocole de soins, de déclencher des alertes quand des anomalies sont repérées, et donc d'éviter les erreurs ou les mauvais choix. Lors de son audition, la société Doctolib, éditeur de logiciel d'aide à la prescription à destination des médecins, indiquait que le signalement des interactions médicamenteuses inadéquates était déjà intégré à son offre logicielle.

Par sa capacité de traitement de données nombreuses et variées, l'IA effectue des contrôles, propose des pistes diagnostiques et thérapeutiques qui enrichissent le travail médical. Le déploiement d'outils d'IA est ainsi susceptible d'harmoniser vers le haut les pratiques médicales et d'appliquer pour tous les meilleurs protocoles.

Dans une synthèse intitulée « L'IA dans le domaine de la santé, un immense potentiel, d'énormes risques », les experts de l'OCDE estiment qu'« utilisée de manière sûre et adaptée, l'IA serait en mesure d'entraîner une croissance exponentielle de la médecine fondée sur des preuves, avec à la clé de meilleurs résultats en matière de santé et des soins davantage centrés sur la personne »4(*).

L'adoption de solutions d'IA pourrait ainsi non seulement améliorer les soins, mais aussi homogénéiser les pratiques. Même s'il existe un certain tabou sur le sujet, il est évident qu'il existe des disparités de compétences entre professionnels de santé. Certains praticiens sont ainsi davantage à la pointe de leur discipline que d'autres. Il existe certes une obligation de formation continue des médecins (21 heures par an) mais sa mise en place est récente et progressive. En outre, il est évident qu'aucun praticien ne peut prétendre être omniscient. L'IA, en guidant la pratique clinique, et à condition que les logiciels d'IA soient régulièrement actualisés, constitue un instrument de standardisation des soins en s'alignant sur les meilleures pratiques.

2. Un potentiel de gain de temps pour les soignants, impossible à réellement chiffrer

Le système de santé est confronté depuis plusieurs années à un manque de temps médical et soignant, qui trouve sa traduction dans d'importants délais de rendez-vous, des fermetures de cabinets ou de services hospitaliers, et potentiellement le renoncement aux soins. Avec le vieillissement de la population et le développement inévitable de maladies chroniques, les besoins en matière de santé devraient toutefois être orientés à la hausse.

Une étude de l'OMS de 2016 estimait qu'il pourrait manquer en 2030 en Europe (UE28) 4,1 millions de travailleurs dans le secteur de la santé : 0,6 million de médecins, 2,3 millions d'infirmiers et aides-soignants et 1,3 million d'autres personnels de soins. Devant cette pénurie préoccupante de personnels qualifiés, l'enjeu de la libération du temps médical et plus largement du temps soignant est devenu majeur.

C'est là un deuxième apport de l'IA, qui pourrait intervenir pour réaliser certaines tâches chronophages et facilement automatisables. Les tâches administratives représentent une part non négligeable de l'activité des médecins et des infirmières. L'OCDE estime que 25 % du temps de travail des infirmières est consacré à saisir des données. Le temps administratif des médecins libéraux représenterait au moins 10 % de leur temps de travail5(*), certaines estimations étant encore bien plus élevées.

La priorité pourrait être donnée aux tâches pénibles et répétitives, mais pas seulement. L'IA générative est ainsi mobilisée pour automatiser la rédaction de comptes rendus médicaux ou encore pour réaliser le codage des actes (notamment le codage dans le cadre hospitalier).

Les évaluations du temps gagné sont encore assez imprécises mais ces gains de temps pourraient être très importants, tout en assurant une grande fiabilité des processus automatisés. L'OCDE, s'appuyant sur une étude de 2020, indique que « jusqu'à 36 % de l'activité des services de santé et des services sociaux pourraient être automatisés » grâce à l'IA6(*).

Un autre aspect réside dans l'accélération de la prise en charge et la réduction des délais d'attente en mettant en place des organisations plus performantes. L'installation d'un logiciel de lecture automatique des radios en cas de suspicion de fracture aux urgences du CHU de Rennes a ainsi conduit à une baisse de 30 % du délai d'attente des patients7(*).

3. Un système de santé plus efficient ?

La prise en charge de la santé représente un coût significatif dans les pays développés, en grande partie socialisé. Au sein de l'OCDE, les dépenses de santé représentaient 9,2 % du PIB en 2022, chiffre qui atteint 12,1 % en France (dont 80 % sont pris en charge par la collectivité) et 12,7 % en Allemagne8(*).

À ce coût élevé s'ajoute une certaine désorganisation de notre système de soins, dénoncée régulièrement par les professionnels, qui conduit à ne pas toujours utiliser au mieux les ressources disponibles. Gestion des effectifs, programmation des soins, enchaînement des traitements, suppression des examens redondants : l'IA est susceptible de permettre une meilleure organisation générale du processus de soins. En outre, elle peut aider à lutter contre les phénomènes de fraude (voir rapport thématique n° 1).

Rien ne dit cependant comment ces gains de temps et d'argent pourraient être utilisés : sous forme d'économies dans les dépenses de santé, sous forme d'une hausse du temps relationnel passé auprès des patients, sous forme de temps supplémentaire pour la recherche clinique, ou tout simplement pour alléger la charge de travail globale des équipes soignantes.


* 2 European Alliance for access to Safe Medicines, « Medication Errors - the Most Common Adverse Event in Hospitals Threatens Patient Safety and Causes 160,000 Deaths per Year », 13 septembre 2022 ; https://eaasm.eu/fr/2022/09/13/press-release-medication-errors-the-most-common-adverse-event-in-hospitals-threatens-patient-safety-and-causes-160000-deaths-per-year-4/.

* 3 Haute Autorité de santé, Évènements indésirables graves associés aux soins (EIGS) : bilan annuel 2022, novembre 2023 ; https://www.has-sante.fr/jcms/p_3472509/fr/evenements-indesirables-graves-associes-aux-soins-eigs-bilan-annuel-2022.

* 4 OCDE, L'IA dans le domaine de la santé, un immense potentiel, d'énormes risques, 2024 ; https://www.oecd.org/fr/sante/IA-en-sante-immense-potentiel-enormes-risques.pdf (consulté le 04/04/2024).

* 5 Drees, « Deux tiers des médecins généralistes libéraux déclarent travailler au moins 50 heures par semaine », Études et résultats, n° 1113, 7 mai 2019 ; https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/etudes-et-resultats/deux-tiers-des-medecins-generalistes-liberaux-declarent-travailler.

* 6 Étude de l'OCDE précitée.

* 7 France 3 Bretagne, « Santé, comment l'intelligence artificielle réduit le temps de prise en charge aux urgences du CHU de Rennes », 26 septembre 2023 ; https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/ille-et-vilaine/rennes/sante-comment-l-intelligence-articifielle-reduit-le-temps-de-prise-en-charge-aux-urgences-du-chu-de-rennes-2846378.html.

* 8 OCDE, rapport annuel, Health at a Glance 2023, 7 novembre 2023 ; https://www.oecd.org/health/health-at-a-glance/.

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