B. L'OFAST : UN CHEF DE FILE DÉSARMÉ ?

Selon Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Ofast, le besoin de coordination des acteurs de la lutte contre le narcotrafic a inspiré « l'ambition, inscrite dans le plan national de lutte contre les stupéfiants du 17 septembre 2019, de mettre sur pied une structure centrale capable de porter cette politique publique »590(*).

Ainsi, poursuit Stéphanie Cherbonnier, « sur le modèle du chef de file en matière de lutte contre le terrorisme qu'est la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), l'Ofast est le chef de file de la lutte contre les trafics »591(*).

Institutionnellement, l'Ofast est un service à compétence nationale (SCN) rattaché à la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), elle-même relevant de la direction générale de la police nationale (DGPN). Au niveau central, l'Ofast emploie 220 personnes, issues de toutes les composantes de la lutte contre le narcotrafic : police, gendarmerie, douanes, renseignement pénitentiaire, DGFiP. Au niveau territorial, l'Ofast compte 24 implantations territoriales, dont 14 antennes et 10 détachements, mobilisant environ 550 personnels en métropole et dans les outre-mer. Enfin, l'Ofast anime les 104 Cross (voir supra) qui donnent corps à l'idée de décloisonnement des services.

Au niveau national, l'Ofast s'organise en trois pôles : stratégie, renseignement et opérationnel, correspondant au triptyque « comprendre, cibler et agir » :

· le pôle stratégie identifie la nature de la menace et élabore une stratégie de coopération internationale ;

· le pôle renseignement recueille notamment la remontée du renseignement opérée par les Cross, l'Ofast étant un service de renseignement du second cercle ;

· le pôle opérationnel conduit des enquêtes judiciaires sous l'autorité des magistrats des Jirs et surtout de la Junalco.

Au cours de ses auditions et surtout de ses déplacements, la commission d'enquête a pu constater la mobilisation de tous les instants des équipes de l'Ofast, à laquelle elle rend un hommage sincère. Mais elle a aussi observé que leur énergie et leur professionnalisme ne suffisaient pas toujours à éviter la survenue de certaines difficultés, au niveau local comme national, pas plus qu'elles ne suffisent à combler les angles morts du « chef de filat » confié à l'Office - statut qui semble parfois accueilli avec tiédeur par des partenaires eux-mêmes désireux de préserver leur autonomie et de se défaire des contraintes qu'impose toute coordination solide.

1. Au niveau local, une coordination qui peut laisser à désirer

Au cours de ses auditions des représentants des forces de l'ordre et des services judiciaires, la commission d'enquête a pris la mesure de l'importance du travail de l'Ofast au niveau local, que ce soit dans la coordination des services enquêteurs ou au niveau directement opérationnel. Toutefois, dans le cadre de ses déplacements, la commission a pu éprouver l'impression que les agents de l'Ofast se distinguaient finalement peu de leurs collègues de la police judiciaire, comme si l'Ofast était davantage un label qu'une fonction à part entière.

Plus préoccupant, des magistrats ont fait état de problèmes de coordination à la fois entre des antennes locales de l'Ofast et entre ces antennes et le siège. Clarisse Taron, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Fort-de-France, qui a fait part d'une certaine déception à la commission d'enquête : « En travaillant avec l'Office anti-stupéfiants (Ofast), nous nous attendions à un certain niveau et à une bonne coordination entre ses antennes de Guyane, de Martinique, de Guadeloupe et de Paris, mais il semble qu'il y ait eu quelques loupés dans ce domaine. Ainsi, nous rencontrons des problèmes de coordination entre les services d'enquête, avec l'Ofast, ainsi qu'entre les antennes de l'Ofast »592(*).

Sa collègue Maewenn Henaff, juge d'instruction au tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, corrobore pleinement ce constat593(*) : « au sein même de l'Office, alors que nous nous attendions à ce qu'il joue un rôle de coordination à l'échelle du territoire national dans son entier, nous sommes constamment obligés de jouer un rôle de coordination, aussi bien au niveau des opérations qu'en matière de partage et de recoupement des informations ». Un tel renversement des rôles est pour le moins préjudiciable à l'action policière et judiciaire dans cette zone clé de la lutte contre le narcotrafic.

Enfin, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a, lors de son audition, livré une information pour le moins surprenante à la commission d'enquête. « J'ai lancé moi-même, a-t-il expliqué, l'opération “place nette XXL” à Marseille, qui représentait six mois de travail. J'ai rencontré le procureur de la République, les équipes à Marseille, la préfète de police des Bouches-du-Rhône. Mon cabinet était parfaitement au courant. Lors d'une réunion avec tout le monde que j'organisais très discrètement à Paris, l'Ofast a découvert qu'il y aurait cette opération à Marseille ! Ce n'est pas normal. Si je n'avais pas tenu cette réunion, nous aurions organisé une très grande opération antidrogue sans l'Ofast »594(*). Ce n'est pas normal, en effet ; c'est même proprement sidérant. Comment imaginer que le chef de file de la lutte antidrogue ne soit pas tenu au courant d'une opération de cette ampleur ?

2. Au niveau national, une organisation et un positionnement incertains

Le président et le rapporteur de la commission d'enquête se sont rendus dans les locaux de l'Ofast, le 23 janvier 2024, afin de rencontrer les équipes de l'Office et de se rendre compte de l'organisation de ses services.

Cette visite a apporté de nombreux enseignements, complétés par des échanges écrits avec l'Ofast. De manière générale, l'Ofast se voit confier plusieurs rôles assez différents qui peuvent sembler difficiles à concilier : centralisation du renseignement, animation de la « communauté » de l'antidrogue, définition et application d'une stratégie de lutte contre le narcotrafic et action opérationnelle directe.

a) Un pôle « stratégie » accaparé par des tâches qui ne sont pas dans son coeur de métier

Chargé d'identifier la menace et d'élaborer une stratégie de coopération internationale, ce pôle s'acquitte notamment de missions de coopération technique - 12 en 2022 - avec des États peu coopératifs, dont Dubaï et le Maroc. Ces missions sont importantes, peut-être d'autant plus que la coopération judiciaire est difficile avec les États concernés (voir supra).

En revanche, l'activité du pôle est apparue au président et au rapporteur très accaparée par la rédaction de notes pour des destinataires divers à l'intérieur et à l'extérieur du ministère - 300 en 2022 et en 2023, soit près d'une par jour. L'Ofast l'a reconnu dans sa réponse écrite à une question de la commission d'enquête en invitant les services demandeurs à faire preuve de modération dans leurs sollicitations. Il convient que le pôle consacre l'essentiel de son activité à l'analyse stratégique, et non à la réponse à des commandes qui, pour beaucoup d'entre elles, pourraient être satisfaites par d'autres services.

b) Un pôle opérationnel très sollicité par la lutte contre les « mules », au détriment du haut du spectre

« L'activité des enquêteurs de la brigade des plateformes aéroportuaires de l'Ofast est aujourd'hui totalement orientée vers le traitement des passeurs interpellés à Orly et Roissy au détriment de cet objectif de démantèlement des réseaux qui constitue pourtant son coeur de métier » : c'est le constat établi par l'Ofast lui-même en réponse à un questionnaire écrit de la commission d'enquête. Ce n'est pas de son fait, la même réponse indiquant que « l'Ofast demeure systématiquement saisi des dossiers impliquant des passeurs in corpore (1 ou 2 kg de cocaïne en général) et des passeurs transportant extra corpore des quantités supérieures à 5 kg de cocaïne ».

Dans le même temps, faute de capacités pour les traiter, les informations judiciaires consécutives à des renseignements relatifs à des importations massives de produits stupéfiants par le fret aérien, par exemple, lui échappent au profit de services moins armés pour ce niveau. Cette situation aberrante révèle un véritable dysfonctionnement d'ordre judiciaire plutôt que policier.

c) Un pôle « renseignement » entre le marteau et l'enclume

Le positionnement du pôle « renseignement » pose, lui aussi, des questions sérieuses. Celles-ci sont de trois ordres.

Premièrement, l'exercice concomitant de fonctions de renseignement et de fonctions judiciaires interroge dans un contexte où, comme l'a souligné la cheffe de l'Ofast à plusieurs reprises, ce cumul n'a de sens que si les fonctions sont « étanchéifiées » dans le but, notamment, de préserver la solidité des procédures pénales qui peuvent découler des actions faites par l'Office ou ses partenaires en renseignement. Dans ses réponses écrites à un questionnaire du rapporteur, qui méritent d'être extensivement citées, l'Office indique que :

« L'étanchéité entre les pôles repose sur les principes de spécialisation et de professionnalisation des missions. Le pôle opérationnel recrute des enquêteurs ayant une expérience judiciaire ayant vocation à traiter principalement des dossiers dans un cadre judiciaire et mettre en oeuvre les différentes techniques spéciales d'enquête prévues par la loi. Le pôle renseignement, quant à lui, recrute des agents pouvant avoir une expérience judiciaire mais également issus des domaines du renseignement ainsi que des analystes. Ces derniers sont soumis à une habilitation “secret”. Ils diligentent, quant à eux, des investigations ou des analyses dans un cadre administratif et mettent en oeuvre uniquement des techniques de renseignement prévues par la loi du 24 juillet 2015. Le pôle renseignement de l'Ofast n'est en charge d'aucun cadre judiciaire (enquêtes préliminaires), même s'il bénéficie de l'initiative des saisines.

« Les échanges d'information ou des productions entre les deux pôles sont soumis à la validation des chefs de pôle et répondent aux principes du besoin d'en connaître et à la règle du service tiers, comme les autres services de renseignement. [...] Par ailleurs, l'étanchéité est également renforcée par le contrôle des accès aux dossiers stockés sur le réseau informatique de l'Ofast. »

La réalité semble toutefois plus complexe que ce qui est décrit. La visite du président et du rapporteur dans les locaux de l'Ofast à Nanterre a ainsi montré que, au-delà même des questions de l'étanchéité des process, la séparation matérielle entre les locaux du pôle « renseignement » et ceux des autres pôles n'était pas assurée.

Deuxièmement, l'Ofast reste tributaire de services tiers pour la mise en oeuvre de « ses » techniques de renseignement. Certes, la mutualisation est largement pratiquée dans ce secteur et procède d'un besoin légitime d'économie et de spécialisation des services, indispensable dans des domaines d'une grande technicité. Pour autant, on peut s'étonner que :

· la pose concrète des dispositifs techniques de renseignement soit assurée par le service interministériel d'assistance technique (Siat), mettant de fait l'Office dans une position de dépendance technique et matérielle vis-à-vis des stocks de ce service ;

· plus encore, la faisabilité et la gestion des stocks virtuels soient placées sous l'égide du Siat, renforçant le sentiment que l'Ofast ne dispose pas de l'autonomie suffisante dans l'exercice de ses fonctions en renseignement595(*).

L'Office - comme au demeurant tous les services tiers - est également dépendant, pour la pose des key-loggers, des services de l'entité dédiée de la DGSI qui sont, comme le Siat pour ce qui le concerne, seuls responsables de la gestion des stocks et de l'évaluation de la faisabilité technique de la pose.

Au-delà de la question de l'entité en charge de mettre en oeuvre les techniques de renseignement, la question de la nature des techniques pouvant être mises en oeuvre par l'Ofast n'appelle pas des réponses plus rassurantes : l'Office n'a en effet pas la possibilité d'employer la captation de données informatiques à distance, l'article R. 853-2 du code de la sécurité intérieure ne l'ayant pas inclus dans la liste des services pouvant utiliser ce type de technique - au contraire, au sein de la DNPJ, et de l'office anti-cybercriminalité, y compris pour la finalité de lutte contre la criminalité organisée. « Cette limite est regrettable, déplore l'Ofast, car l'usage du numérique et les données informatiques constituent des renseignements fondamentaux dans la matérialisation du trafic ».

Troisièmement, l'Ofast doit, en tant que chef de file, interagir en matière de renseignement avec des services du premier cercle - et en particulier avec la DNRED et Tracfin. Or la différence de statut entre ces services et l'Office, qui dépend du second cercle du renseignement, ne va pas sans soulever des difficultés : si l'échange de renseignement du premier vers le second cercle est possible, il demeure « soumis à des règles plus contraignantes qu'entre les services du premier cercle »596(*).

3. Des angles morts qui empêchent l'exercice d'un vrai chef de filat

Insuffisamment armé juridiquement et techniquement, l'Ofast pâtit d'un périmètre d'action qui n'est pas exempt d'angles morts et qui ne lui permet pas d'affirmer sa prééminence - fût-ce seulement à des fins de coordination, mais cette mission essentielle n'implique-t-elle pas une forme d'autorité directe ? - sur les services concourants.

a) Une absence de pouvoir d'évocation

L'Ofast a, selon les données transmises au président et au rapporteur lors de leur visite, 80 enquêtes en portefeuille, confiées par les Jirs ou la Junalco. Il ne dispose pas de pouvoir d'évocation des enquêtes, mais il doit être informé de toute enquête menée par un service de police judiciaire lorsqu'elle relève d'une série de critères fixés en 2023 :

· implication d'une cible d'intérêt prioritaire ;

· compromission d'un agent public ou privé ;

· sortie portuaire ou aéroportuaire ;

· trafic international de stupéfiants ;

· affaire d'envergure dans laquelle l'appui du Siat est recherché pour la mise en oeuvre de techniques spéciales d'enquête complexes (infiltration, substitution, repenti...) ;

· toute affaire susceptible d'avoir un retentissement médiatique relayé au niveau national.

Un échange a lieu ensuite avec le premier service saisi, mais c'est le magistrat qui décide de l'opportunité d'une co-saisine.

Symétriquement, la Junalco demande à l'Ofast un « criblage » des dossiers d'une ampleur particulière qui lui sont remontés par les Jirs. Celles-ci ne saisissent pas systématiquement l'Ofast mais peuvent saisir le réseau des antennes et détachements de l'Office pour des dossiers de trafics de stupéfiants d'envergure.

Ce système permet à l'Ofast d'être saisi des affaires d'une ampleur particulière, mais il repose en partie sur la confiance que se font les différents acteurs, et notamment les services de police ou de douane. Comme pour les Jirs (voir supra), on peut craindre que certains des critères précités soient délibérément « oubliés » par les services pour éviter l'information - et donc potentiellement la saisine - de l'Ofast, et l'absence de pouvoir d'évocation de ce dernier fait que de tels « loupés » ne sont plus rattrapables dans la suite de l'enquête.

b) Des relations qui semblent distantes avec l'administration des douanes
(1) La forte autonomie de la DNRED

Comme indiqué supra, le fait que l'Ofast, service du second cercle, ait des relations avec des services du premier cercle dont la DNRED fragilise son rôle de chef de file. De plus, selon l'Ofast lui-même, « Au cours de l'année 2022, le pôle renseignement de l'Ofast a transmis à la DNRED 93 notes de renseignements opérationnels. [...] Sur la même période, l'Ofast n'a été rendu destinataire d'aucun renseignement émanant de la douane »597(*). Cela suggère, à tout le moins, une certaine autonomie de la DNRED.

À l'appui de ce constat, dans sa réponse à une question écrite du rapporteur sur la coordination des services en charge de la lutte, l'Ofast, abordant la coordination des services de renseignement, détaille ses échanges avec la DGSE, Tracfin, le service national de renseignement pénitentiaire (SNRP), la direction nationale du renseignement territorial (DNRT), mais, de manière révélatrice, ne fournit aucun élément sur sa coopération avec la DNRED.

Pour autant, la collaboration sur le terrain peut fonctionner de manière très satisfaisante, comme la commission a pu le constater lors, notamment, de son déplacement au Havre où la Cross portuaire est copilotée par l'Ofast et la DNRED, ou encore lors de son déplacement à Lyon, les membres de l'antenne locale de l'Ofast ayant vanté la qualité de la coopération avec leurs collègues des douanes en dépit de certains « croisements » involontaires et déjà évoqués ci-avant. Toutefois, le fait que les douanes disposent de leurs propres services de renseignement leur confère un contrôle de bout en bout de la chaîne opérationnelle, jusqu'au judiciaire, qui peut se traduire par une autonomie qui, elle-même, s'acclimate difficilement du rôle de chef de file confié à un acteur tiers.

Cette autonomie se traduit également par la conduite de livraisons surveillées (LS) dont l'Ofast n'est pas toujours informée : si, en théorie, toutes les livraisons, douanières et judiciaires, sont portées à la connaissance de l'Office, la mise en relation des statistiques transmises au rapporteur d'une part, par les douanes et, d'autre part, par l'Ofast, donne des résultats surprenants. Ainsi, entre 2021 et 2023, le « delta » entre le nombre de livraisons surveillées douanières évoquées par l'Ofast et le nombre des mêmes livraisons côté DNRED s'élève à plusieurs dizaines d'unités - ce qui n'est pas négligeable à l'échelle du réel.

En d'autres termes, l'Ofast n'est pas informée d'un nombre important d'opérations menées par la DNRED en matière de lutte contre les stupéfiants.

(2) Des différences de culture

Les problèmes de coopération, là où ils sont constatés, procèdent en partie d'une différence de logique : la douane est orientée vers les flux de marchandises, là où la police - ou la gendarmerie - s'intéresse d'abord aux personnes, et donc à celles et ceux qui organisent ces flux. Ainsi Clarisse Taron, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Fort-de-France, observe-t-elle, tout en se félicitant de la bonne coopération avec la DNRED, que celle-ci « reste un service qui a une culture du renseignement et qui manque de culture judiciaire, ce qui entraîne d'importantes erreurs sur le plan judiciaire »598(*). Ce « manque de culture judiciaire » se traduit notamment par une préférence pour les saisies, au détriment du démantèlement des trafics.

« À Fort-de-France, ajoute Clarisse Taron, nous avons obtenu du responsable local de la DNRED qu'il nous saisisse en cas de difficulté. Cependant, encore récemment, j'ai dû arbitrer et décider qui, de l'Ofast ou de la DNRED, devait prendre une affaire, sachant qu'ils n'arrivaient pas à se mettre d'accord et qu'ils ne s'étaient pas tout dit ».

La DGDDI, dans sa réponse au questionnaire du rapporteur en vue de l'audition du 25 mars 2024, a néanmoins annoncé un renforcement de la « culture de l'enquête », à travers le plan national de lutte contre les stupéfiants visant à « améliorer le chaînage entre les procédures douanières administratives et les procédures judiciaires ». Il s'agit cependant d'une annonce très générale, qui demande à se traduire dans les faits.

(3) Une vision minimale du chef de filat de l'Ofast

Interrogée par le rapporteur sur sa vision du chef de filat de l'Ofast599(*), Isabelle Braun-Lemaire, alors directrice générale des douanes et des droits indirects, a livré une réponse pour le moins réservée. Tout en assurant que cette vision est « positive », elle ajoute : « Il convient surtout de s'assurer que ce rôle de chef de filat s'accompagne de garanties dans la préservation de l'autonomie d'action des différentes administrations dont la complémentarité d'action doit être favorisée », avant de s'inquiéter que, l'Ofast étant identifié comme un service du ministère de l'intérieur, « le crédit des saisies, des démantèlements des organisations criminelles, du renseignement échangé en matière de stupéfiants soit porté au seul bénéfice de ce ministère et par voie de conséquence, des services de police et de gendarmerie ». Enfin, la directrice avertit : « La négation du rôle et des résultats de la douane, outre les effets induits sur la communication interne et le ressenti des douaniers, ne peut qu'aboutir à affaiblir sa capacité d'action au détriment de l'objectif recherché »600(*).

Cette réponse est celle d'une administration bien davantage désireuse de conserver son indépendance et sa liberté d'action que de s'intégrer dans une communauté de l'antidrogue animée par l'Ofast.

La volonté de « faire travailler ensemble » est globalement reconnue à l'Ofast par les acteurs de la lutte contre le narcotrafic ; en témoigne notamment l'action en commun dans les Cross. En revanche, la position institutionnelle de l'Office, simplement rattaché à la Direction nationale de la police judiciaire, et service de renseignement du second cercle, alors qu'il doit dialoguer avec des services d'autres ministères et des services de renseignement du premier cercle, le fragilise considérablement en tant que tête de file.


* 590 Audition du 27 novembre 2023.

* 591 Idem.

* 592 Table ronde des magistrats de Guadeloupe et de Martinique, 17 décembre 2023.

* 593 Ibid.

* 594 Audition du 10 avril 2024.

* 595 Source : réponse écrite du Siat au questionnaire du rapporteur.

* 596 Réponses écrites de l'Ofast à un questionnaire du rapporteur.

* 597 Réponse de l'Ofast à un questionnaire écrit du rapporteur.

* 598 Table ronde du 18 décembre 2024.

* 599 Réponse au questionnaire du rapporteur en vue de l'audition de la DGDDI et de la DNRED du 25 mars 2024.

* 600 Audition du 27 novembre 2023.

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