B. UN PHÉNOMÈNE NOUVEAU À ENDIGUER : L'UTILISATION DÉTOURNÉE DES MORTIERS D'ARTIFICE
1. Une priorité de l'action administrative de l'État qui se heurte à d'importantes difficultés opérationnelles
L'utilisation détournée des mortiers d''artifice à l'encontre des forces de l'ordre a fait l'objet de plusieurs tentatives de régulation et d'entrave administrative par l'État.
Ainsi, depuis la loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 dite « sécurité globale », de nouvelles obligations pesant sur les vendeurs agrées d'articles pyrotechniques ont été introduites dans le code de l'environnement. Ainsi :
· les opérateurs sont tenus d'enregistrer les transactions et l'identité des acquéreurs ;
· ils sont obligés de signaler toute transaction jugée suspecte ;
· la vente à des non-professionnels de mortiers d'artifice est passible de 7 500 euros d'amende et de six mois d'emprisonnement pour ces opérateurs. La peine étant portée à 15 000 euros d'amende et un an d'emprisonnement en cas de vente en ligne.
Complétées depuis par un décret du 17 décembre 2021, les « transactions suspectes » ont été définies comme les transactions pour lesquelles le client refuse de préciser l'usage qu'il envisage de faire des articles, souhaite l'acquisition d'articles dans des quantités inhabituelles, sollicite l'acquisition d'articles inhabituels pour l'usage envisagé, refuse de prouver son identité, ou insiste pour recourir à certaines méthodes de paiement, notamment, pour des achats importants, en numéraire. En pareils cas, le signalement doit être effectué immédiatement après la tentative de transaction, et au plus tard dans un délai de 72 heures à compter de la tentative. À défaut, le commerçant encourt une contravention de cinquième classe.
En complément de ces mesures, lors des émeutes urbaines de l'été 2023, le Gouvernement a interdit, sur tout le territoire national, du 9 juillet jusqu'au 15 juillet 2023 la vente aux particuliers, le port, le transport et l'utilisation par ces derniers de tout article pyrotechnique et notamment de tout artifice de divertissement. Ces interdictions n'étaient, toutefois, « pas applicables lorsque l'acquisition, le port, le transport et l'utilisation des matériels qu'il mentionne sont le fait de professionnels disposant des agréments et habilitations requis ou de collectivités publiques », compte tenu de l'organisation des festivités du 14 juillet.
Le juge des référés du Conseil d'État, saisi aux fins d'annulation du décret par des sociétés du secteur des feux d'artifice, a admis « au regard du risque que leur utilisation ferait courir aux forces de l'ordre engagées pour les festivités du 14 juillet comme aux passants, l'interdiction des articles pyrotechniques identifiés comme pouvant être détournés contre les forces de l'ordre depuis 2021 dans la règlementation ». En revanche, il a suspendu, « en l'absence de risque avéré pour la sécurité publique », l'interdiction générale et absolue pour les articles pyrotechniques les moins dangereux.
Pour autant, comme l'a indiqué au rapporteur le SCAE, « il peut être noté que la réglementation actuelle pèse uniquement sur les opérateurs respectueux de celle-ci, les clandestins - affranchis de cette réglementation - devenant paradoxalement plus concurrentiels ». Dès lors, malgré le respect par les opérateurs économiques officiels des nouvelles obligations légales et réglementaires, force est de constater que celles-ci n'ont pas permis d'endiguer l'utilisation détournée des mortiers d'artifices à l'encontre des forces de sécurité intérieure ou des bâtiments publics.
Au surplus, le rapporteur a pu constater que le système de signalement des transactions suspectes était, aujourd'hui, peu efficace compte tenu de son absence de dématérialisation. En l'occurrence, les commerçants transmettent, par voie postale, leurs registres de transactions, empêchant ainsi le recoupement automatisée et rapide des transactions et, de ce fait, la détection des achats multiples ou en grandes quantités réalisés en une courte période de temps par un même individu.
2. Au plan national, faciliter et renforcer les poursuites contre les auteurs d'utilisation détournée des mortiers ainsi que les intermédiaires
La mission suggère de s'inspirer du modèle espagnol, qui semble avoir produit des effets extrêmement positifs dans l'entrave à l'utilisation détournée des mortiers d'artifice. Elle préconise en conséquence un ensemble d'évolutions administratives et pénales destinées à faciliter et renforcer les poursuites contre les auteurs d'une telle utilisation des mortiers mais également les intermédiaires.
En premier lieu, elle propose d'interdire la vente en ligne et par voie postale des mortiers d'artifice, de façon à contraindre le passage physique chez un revendeur agréé mieux à même de repérer une transaction suspecte et à obliger l'enregistrement et le traçage de toute transaction. Un tel enregistrement conduirait à l'édiction d'une déclaration de passage chez un revendeur permettant de faciliter la répression de l'achat clandestin de mortiers d'artifices. En effet, pourrait alors être délictualisé le non-respect de l'obligation de déclaration et de passage chez un revendeur pour créer un cadre de contrôle et d'interception uniforme pour les forces de sécurité intérieure.
De façon complémentaire, la mission recommande de délictualiser la non-dénonciation de transactions suspectes, aujourd'hui réprimée d'une contravention de la 5ème classe, considérant indispensable de renforcer la responsabilisation des différents intermédiaires contribuant à la propagation de mortiers d'artifice dont l'usage sera détourné à l'encontre des forces de l'ordre ou des bâtiments publics.
Le renforcement de la lutte contre l'utilisation détournée des mortiers d'artifice passe également, aux yeux du rapporteur, par une politique pénale affermie en la matière. À titre d'exemple, devrait être encouragée la systématisation de l'engagement de la responsabilité de la complicité de mise de moyens pour permettre l'acquisition indue.
Enfin, afin de parfaire l'arsenal administratif et pénal français pour mieux lutter contre l'utilisation détournée des mortiers d'artifice, la mission préconise le déploiement, dans les plus brefs délais, d'un système informatisé de déclaration et de contrôle des achats et des transactions de mortiers d'artifice. De façon générale, la mission est convaincue que seule une information centralisée et uniformisée permettra de renforcer l'efficacité des procédures administratives et outils judiciaires existants.
Proposition n° 9 : au plan national, entraver administrativement et pénalement l'utilisation détournée des mortiers d'artifice
· Sur le modèle espagnol, interdire la vente en ligne et par voie postale en obligeant le passage physique chez un revendeur pour se procurer des mortiers d'artifice. Délictualiser le non-respect de l'obligation de déclaration et de passage chez un revendeur pour créer un cadre de contrôle et d'interception uniforme ;
· Délictualiser la non-dénonciation de transactions suspectes, aujourd'hui réprimée d'une contravention de la 5ème classe ;
· Systématiser l'engagement de la responsabilité de la complicité de mise de moyens pour permettre l'acquisition indue ;
· Déployer un système informatisé de déclaration et de contrôle des achats et des transactions de mortiers d'artifice.
3. Au plan européen, assurer pleinement l'effectivité des normes d'homologation et de classement et lutter contre leur contournement
Comme l'a l'ont révélé les représentants du SCAE auditionnés par la mission, « si des règles européennes existent, celles-ci doivent être appliquées uniformément et tout comportement non-coopératif d'un État membre doit pouvoir être sanctionné ».
Or, d'après les informations transmises à la mission, force est de constater que l'application uniforme de la directive européenne 2013/29/UE sur les articles pyrotechniques s'agissant du classement et de l'homologation des produits avant leur autorisation de vente sur le marché européen n'est aujourd'hui pas effective. Plus précisément, certains États membres semblent aujourd'hui adopter des comportements susceptibles de caractériser des manquements à leur obligation de mettre en oeuvre la réglementation européenne en ce qu'ils homologuent des articles pyrotechniques en dépit de leur dangerosité et de leur technicité comme des articles de divertissement accessibles librement sur le marché européen. Un tel comportement aboutit à une application hétérogène de la réglementation européenne et permet, a fortiori, à des individus de se procurer, librement et sans commettre d'infraction, des articles pyrotechniques particulièrement dangereux, en les achetant sur le territoire de ces États membres ou au moyen de sites hébergés dans ces pays.
C'est pourquoi, la mission estime indispensable d'éviter les contournements par des choix d'homologation et de catégorisation des mortiers non-conformes à la réglementation européenne. Pour ce faire, elle propose deux axes d'amélioration, à réglementation européenne constante :
· d'une part, d'assurer l'application uniforme de la directive 2013/29/UE sur les articles pyrotechniques s'agissant du classement et de l'homologation des produits avant leur autorisation de vente sur le marché européen ;
· d'autre part, de sanctionner les États membres manquant à leurs obligations dans la mise en oeuvre de cette directive.
Proposition n° 10 : Au plan européen, éviter les contournements par des choix d'homologation et de catégorisation des mortiers non-conformes à la réglementation européenne
· Assurer l'application uniforme de la directive 2013/29/UE sur les articles pyrotechniques s'agissant du classement et de l'homologation des produits avant leur autorisation de vente sur le marché européen ;
· Sanctionner les États membres manquant à leurs obligations dans la mise en oeuvre de cette directive.