B. DES LACUNES JURIDIQUES NE PERMETTENT PAS UNE PROTECTION EFFECTIVE DES ZONES NE RELEVANT PAS DE LA JURIDICTION NATIONALE

1. Une gouvernance fragmentée régionalement et sectoriellement

Les zones ne relevant pas de la juridiction nationale, à savoir la haute mer et la Zone, sont soumises à des régimes très différents7(*) qu'a décrits Pascale Ricard.

La Zone, qui prend en compte uniquement les ressources minérales sur le plancher océanique, a le statut de « patrimoine commun de l'humanité ». Aucun État ne peut revendiquer ni exercer de souveraineté ou de droits souverains sur une partie quelconque de la Zone, ni s'approprier une partie quelconque de celle-ci. Les ressources minérales font donc l'objet d'une gestion commune et l'AIFM est l'organisation internationale autonome grâce à laquelle les États parties à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer organisent et contrôlent les activités dans la Zone.

La haute mer est, avant tout, une zone de libertés : liberté de navigation, de survol, de pose de câbles sous-marins, de pêche ou de recherche scientifique. Néanmoins, les activités en haute mer sont gérées par une multitude d'organisations et d'instruments sectoriels (Organisation maritime internationale, Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, Convention sur la diversité biologique, Commission baleinière internationale, etc.) et régionaux (les organisations régionales de gestion des pêches, l'OSPAR8(*), la CAMLR9(*), le programme pour les mers régionales du PNUE10(*), etc.) sans réelle consultation ni harmonisation entre ces différentes instances.

2. Une gouvernance lacunaire

Les espaces ne relevant pas de la juridiction nationale sont soumis à une pression croissante due aux activités humaines, à la pollution, à la surexploitation des ressources, au changement climatique et à la diminution de la biodiversité. Olivier Poivre d'Arvor a rappelé que l'article 192 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer dispose que les États ont l'obligation de protéger et de préserver le milieu marin, même dans les zones ne relevant pas de leur juridiction nationale. Néanmoins, cette obligation reste très générale et trop peu mise en oeuvre tandis que les contrôles s'avèrent difficiles et coûteux dans un espace si éloigné des côtes. Or, comme a insisté Virginie Tilot, les océans forment un tout, en dépit des frontières artificielles créées par le droit de la mer. Par conséquent, les mesures prises par les États pour sauvegarder la biodiversité dans les zones relevant de leur juridiction nationale perdent une partie de leur efficacité si les zones au-delà de leur juridiction nationale ne sont pas protégées. Ni la faune, ni les pollutions ne connaissent les frontières administratives mises en place par la communauté internationale.

3. Quatre champs thématiques « oubliés » par le droit de la mer

Pascale Ricard a expliqué que dès 2011, les États membres des Nations Unies avaient identifié quatre champs dans lesquels le droit de la mer était lacunaire : la création d'aires marines protégées, la réalisation d'études d'impact environnemental, l'utilisation des ressources génétiques marines, et le renforcement des capacités des États en développement.

Aucun régime juridique ne permet actuellement de créer des aires marines protégées dans les zones ne relevant pas de la juridiction nationale, alors même qu'elles sont indispensables pour atteindre l'objectif de protéger au moins 30 % des mers d'ici 2030, objectif qui figure dans l'accord de Kunming-Montréal de 202211(*).

Pascale Ricard a insisté sur le fait que les États sont soumis à une obligation générale de réaliser des études d'impact environnemental sur certaines des activités qu'ils pratiquent compte tenu des risques qu'elles font courir à la biodiversité12(*). Toutefois, aucune procédure spécifique n'a été prévue à ce jour pour garantir le respect de cette obligation.

Elle a fait remarquer que l'accès aux ressources génétiques marines et leur utilisation ne sont régis par aucune norme, si bien que le principe du « premier arrivé, premier servi » s'applique. De ce fait, compte tenu des différences de moyens mis en oeuvre, l'accès aux ressources génétiques marines apparaît très inégalitaire puisque 98 % de l'activité commerciale liée à ces ressources sont le fait de dix États seulement.

Elle a ajouté que face au constat partagé au sein de la communauté internationale selon lequel les États en développement peinent à protéger le milieu marin en raison de moyens financiers, humains et techniques insuffisants, aucune réponse concrète n'a été apportée.

Ces différentes raisons expliquent que les États membres des Nations Unies aient souhaité adopter un instrument international juridiquement contraignant afin de renforcer la gouvernance des zones au-delà de la juridiction nationale et établir les outils nécessaires à une protection effective de l'océan et à une utilisation durable de ses ressources.


* 7 Ces régimes sont définis dans la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982.

* 8 Oslo and Paris Convention for the Protection of the Marine Environment of the North-East-Atlantic.

* 9 Convention on the Conservation of Antarctic Marine Living Resources.

* 10 Programme des Nations Unies pour l'environnement.

* 11 Actuellement, seulement 1 % des espaces internationaux serait réellement protégé par le biais des aires marines protégées.

* 12 L'obligation de réaliser des études d'impact environnemental a été affirmée par la cour internationale de justice, qui dans l'affaire des usines de pâte à papier de 2010 (Argentine/Uruguay) a consacré son caractère coutumier pour toutes les activités susceptibles de causer un dommage significatif à l'environnement. L'obligation est aussi consacrée dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (article 206) ou encore la Convention sur la diversité biologique (article 15).

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