N° 2443

 

N° 511

ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2023 - 2024

Enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 4 avril 2024

 

le 4 avril 2024

RAPPORT

au nom de

L'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

sur

La protection de la biodiversité marine en haute mer

Compte rendu de l'audition publique du 29 février 2024
et de la présentation des conclusions du 4 avril 2024

par

Mme Mereana REID ARBELOT, députée

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale

par M. Pierre HENRIET,

Premier vice-président de l'Office

 

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Stéphane PIEDNOIR,

Président de l'Office

Composition de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques
et technologiques

Président

M. Stéphane PIEDNOIR, sénateur

Premier vice-président

M. Pierre HENRIET, député

Vice-présidents

M. Jean-Luc FUGIT, député

M. Victor HABERT-DASSAULT, député

M. Gérard LESEUL député

Mme Florence LASSARADE, sénatrice

Mme Anne-Catherine LOISIER, sénatrice

M. David ROS, sénateur

DÉPUTÉS

SÉNATEURS

Mme Christine ARRIGHI

M. Philippe BERTA

M. Philippe BOLO

Mme Maud BREGEON

M. Hendrik DAVI

Mme Olga GIVERNET

M. Maxime LAISNEY

M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI

M. Yannick NEUDER

M. Jean-François PORTARRIEU

Mme Mereana REID ARBELOT

M. Alexandre SABATOU

M. Jean-Philippe TANGUY

Mme Huguette TIEGNA

M. Arnaud BAZIN

Mme Martine BERTHET

Mme Alexandra BORCHIO FONTIMP

M. Patrick CHAIZE

M. André GUIOL

M. Ludovic HAYE

M. Olivier HENNO

Mme Sonia de LA PROVÔTÉ

M. Pierre MÉDEVIELLE

Mme Corinne NARASSIGUIN

M. Pierre OUZOULIAS

M. Daniel SALMON

M. Bruno SIDO

M. Michaël WEBER

CONCLUSIONS DE L'AUDITION PUBLIQUE DU 29 FÉVRIER 2024 SUR LA PROTECTION DE LA BIODIVERSITÉ MARINE EN HAUTE MER

La haute mer représente plus de 60 % de la surface de l'océan et près de la moitié de la surface du globe. Elle se caractérise par une biodiversité encore mal connue mais vitale pour l'humanité, qui attise les convoitises et subit une pression croissante due aux activités humaines.

Dès le début des années 2000, les États se sont interrogés, au sein de l'Assemblée générale de l'ONU, sur la nécessité de protéger la biodiversité en haute mer. Il a néanmoins fallu attendre le 19 juin 2023 pour que l'Accord se rapportant à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (connu sous le sigle anglais BBNJ, Biodiversity Beyond National Jurisdiction) soit adopté par consensus.

Alors que la France se mobilise pour que cet accord entre en vigueur avant la Conférence des Nations Unies sur les océans qui se tiendra à Nice en 2025, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a organisé le 29 février 2024 une audition publique sur les enjeux liés à la protection de la biodiversité en haute mer.

Cette audition avait deux objectifs :

- expliquer les raisons qui ont poussé à l'élaboration de cet accord ;

- rappeler les conditions à réunir pour assurer l'efficacité du BBNJ.

Les intervenants étaient :

Pascale Ricard, chargée de recherche CNRS au Centre d'études et de recherches internationales et communautaires (CERIC) ;

Denis Duclos, directeur des relations européennes et internationales au Muséum national d'histoire naturelle ;

Robert Blasiak, professeur associé au Stockholm Resilience Centre, Stockholm University (Suède) ;

Pierre-Marie Sarradin, chercheur à l'Ifremer ;

Mariana Travassos Tolotti, chercheuse IRD (Institut de recherche pour le développement) à l'UMR Marbec (MARine Biodiversity, Exploitation and Conservation) ;

Rodolphe Devillers, directeur de recherche IRD à l'UMR Espace-Dev ;

Denis Bailly, économiste de l'environnement, maître de conférences à l'Université de Bretagne ;

Klaudija Cremers, chercheuse, gouvernance internationale de l'océan, à l'Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) ;

Sophie Arnaud-Haond, chercheuse Ifremer à l'UMR Marbec ;

Virginie Tilot, océanologue biologiste, membre de l'Académie des sciences d'outre-mer et de l'Académie royale belge des sciences d'outre-mer.

I. UN NOUVEL ACCORD (LE BBNJ) VISE À COMBLER LES LACUNES DU DROIT INTERNATIONAL CONCERNANT LA CONSERVATION ET L'UTILISATION DURABLE DE LA BIODIVERSITÉ MARINE EN HAUTE MER

A. LES ÉCOSYSTÈMES EN MILIEU MARIN PROFOND RESTENT MAL CONNUS MAIS SONT PARTICULIÈREMENT VULNÉRABLES

1. Des écosystèmes encore mal connus mais particulièrement vulnérables

Pascale Ricard a rappelé que les zones marines ne relevant pas de la juridiction nationale sont constituées, d'une part, de la haute mer, c'est-à-dire de la colonne d'eau située au-delà de la zone économique exclusive des États, soit 200 milles nautiques1(*), d'autre part, de la zone internationale des fonds marins au-delà du plateau continental, appelée « la Zone ».

En haute mer, la zone abyssale située sous le seuil des 3 500 mètres représente environ 70 % de l'environnement marin. La compréhension du fonctionnement de ces écosystèmes et de leur implication dans les grands cycles biogéochimiques constitue donc un enjeu majeur. Pourtant, moins de 10 % des observations d'espèces marines ont lieu dans cette zone, tandis que sur les 200 000 publications concernant la biodiversité recensées dans la base de données Web of Science, seules 3 000 concernent la biodiversité en milieu marin profond.

Sophie Arnaud-Haond a présenté les raisons qui expliquent cette connaissance très partielle des écosystèmes. Ceux-ci sont d'abord difficiles d'accès et la recherche sur ces écosystèmes, fortement dépendante des avancées technologiques en matière d'exploration des fonds marins, est relativement récente. Ensuite, leur biomasse est souvent très faible et leur distribution hétérogène, ce qui ne permet pas de prédire l'endroit précis de ce vaste espace qui doit être exploré pour étudier des phénomènes concernant la vie et la biodiversité.

Elle a également insisté sur les capacités d'adaptation exceptionnelles des écosystèmes en milieu marin profond face à des habitats hostiles (absence de lumière, températures extrêmes, etc.). Ils s'avèrent néanmoins vulnérables en raison de leur faible dynamique liée à la présence d'espèces très longévives2(*) ou à faible renouvellement.

2. Des écosystèmes fortement convoités

Les zones marines ne relevant pas de la juridiction nationale sont riches en ressources qui attirent les convoitises. Mariana Travassos Tolotti a rappelé que la pêche en haute mer est exercée depuis de nombreuses décennies, essentiellement au travers de la pêche industrielle. Celle-ci, par exemple, prélève 5 millions de tonnes de thon par an depuis 2018.

Olivier Poivre d'Arvor a insisté sur les risques que la découverte de gisements de minéraux marins3(*) fait peser sur la biodiversité s'ils venaient à être exploités. Jusqu'à présent, l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) n'a attribué que des permis d'exploration4(*), l'exploitation minière étant conditionnée à l'élaboration d'un code minier à laquelle se consacre l'AIFM depuis plus de dix ans. Si la France et 23 autres États défendent l'idée d'un moratoire sur l'exploitation minière en eaux profondes, d'autres États font pression sur l'AIFM afin qu'elle autorise cette exploitation5(*).

Enfin, comme l'a expliqué Robert Blasiak, l'utilisation des ressources génétiques marines en haute mer offre des opportunités particulièrement prometteuses dans des domaines aussi variés que le développement d'enzymes permettant la synthèse de biocarburants, le marquage et le découpage de fragments d'ADN, la bioremédiation ou encore la fabrication de cosmétiques, de peintures ou de revêtements antisalissures, d'adhésifs, d'antibiotiques et d'antiviraux. Actuellement, on compte 15 médicaments à base de ressources génétiques marines qui ont été approuvés ; 43 autres sont en cours de tests cliniques.

Le potentiel est énorme : seules 250 000 espèces marines ont été recensées à ce jour, tandis qu'entre un et dix millions de nouvelles espèces resteraient à découvrir. Cette recherche reste pour l'instant très concentrée puisque dix pays6(*) sont à l'origine de 90 % des demandes de brevet liées aux gènes d'organismes marins, dont certains proviennent de zones ne relevant pas de la juridiction nationale.


* 1 Soit 370 kilomètres.

* 2 Qui vivent très longtemps.

* 3 Les nodules polymétalliques, les minéralisations hydrothermales à sulfures polymétalliques et les encroûtements cobaltifères.

* 4 28 permis d'exploration ont été accordés dans les océans Pacifique, Indien et Atlantique, pour une superficie de fonds marins supérieure à 1,3 million de km2.

* 5 En 2021, le Nauru a activé la « règle des deux ans » afin que l'AIFM autorise l'exploitation minière en eaux profondes avant juillet 2023. Cette demande a été faite en vertu du paragraphe 15 de la section 1 de l'annexe de l'Accord relatif à l'application de la partie XI de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, qui stipule que si un pays membre notifie à l'AIFM qu'il souhaite commencer l'exploitation minière en eaux profondes, l'organisation dispose de deux ans pour adopter une réglementation complète. Si celle-ci n'est pas établie, l'AIFM devra examiner une demande d'exploitation minière. Lors de l'Assemblée générale de l'AIFM qui s'est tenue du 10 au 29 juillet 2023, et alors que le délai pour élaborer le code minier était expiré, les États sont parvenus à se mettre d'accord sur le fait de ne pas délivrer de permis d'exploitation tant que le code minier n'a pas été finalisé. Il a été ordonné, à cet effet, d'établir une feuille de route afin qu'il soit adopté d'ici à 2025.

* 6 L'Allemagne, les États-Unis, le Japon, Israël, la Grande-Bretagne, la Norvège, la France, le Danemark, le Canada et les Pays-Bas.

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