TRAVAUX DE LA COMMISSION :
AUDITION POUR SUITE À DONNER

Réunie le mardi 12 mars 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la délivrance des titres d'identité et de circulation.

M. Claude Raynal, président. - Nous procédons cette après-midi à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes réalisée à la demande de notre commission, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), sur la délivrance des titres d'identité et de circulation.

Ce sujet intéresse tout particulièrement le Sénat, car la délivrance des titres d'identité fait intervenir conjointement les communes, pour le lien avec les usagers, les préfectures et le ministère de l'intérieur, pour l'instruction des demandes et le pilotage du processus. Or force est de constater que le pilotage a été défaillant au cours des dernières années, ce qui a conduit à une dérive sans précédent des délais de prise de rendez-vous et d'instruction des demandes.

Quelques chiffres parlent d'eux-mêmes : en mai 2022, le délai moyen pour obtenir un rendez-vous en mairie, indispensable pour demander un titre d'identité, était de 77 jours ouvrés. On ne repassera sous la barre des 30 jours en moyenne, cible du ministère de l'intérieur, qu'en août 2023. Avec l'allongement du délai moyen d'instruction des titres, qui a atteint 27 jours, nos concitoyens ont dû attendre en moyenne, au printemps 2022, près de 150 jours pour obtenir une carte nationale d'identité (CNI) ou un passeport.

Le rapport de la Cour se veut néanmoins rassurant. La crise serait en voie de règlement et il faudrait désormais être tourné vers l'avenir, avec deux grandes échéances : d'une part, le stock des permis de conduire roses et cartonnés doit être renouvelé avant le 19 janvier 2033 pour que ceux-ci soient rendus conformes au modèle européen de permis de conduire ; d'autre part, les CNI devront toutes être passées au nouveau format avant le 2 août 2031.

Nous recevons donc M. Christian Charpy, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera les principales conclusions de cette enquête. La rapporteure spéciale de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », Florence Blatrix Contat, qui a elle-même mené des travaux de contrôle sur ce sujet, nous indiquera ensuite ses principaux constats et recommandations et posera les premières questions.

Pour nous éclairer sur le sujet, répondre aux observations de la Cour et aux remarques de la rapporteure spéciale, je laisserai ensuite la parole successivement à M. Didier Martin, secrétaire général du ministère de l'intérieur, à Mme Anne-Gaëlle Baudoin, directrice de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) et à M. Guy Geoffroy, maire de Combs-la-Ville et vice-président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF).

Évidemment, nos collègues qui le souhaitent pourront poser des questions complémentaires. À l'issue des débats, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes, en annexe d'un rapport d'information de Mme  Florence Blatrix Contat, comportant lui-même des recommandations qui vous ont été distribuées.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

M. Christian Charpy, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. - Je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre invitation à venir présenter le rapport sur la délivrance des titres d'identité et de circulation que vous nous avez demandé il y a quelques mois en application de l'article 58 de la Lolf. C'est la quatrième chambre qui a été chargée de le préparer, et j'ai été entouré pour cela d'une équipe de qualité composée d'Emmanuel Glimet, président de section, du préfet Didier Lauga, contre-rapporteur, et de Rébecca Assouline-Béra, Laurent Maisonneuve et Gabriel Février, rapporteurs.

L'enquête que je vous présente aujourd'hui fournit une vision d'ensemble de la chaîne de délivrance des principaux titres sécurisés. Son champ est large, puisqu'il couvre les quatre principaux titres : la CNI et le passeport, qui sont des titres d'identité, le permis de conduire et le certificat d'immatriculation d'un véhicule, qui sont eux des titres de circulation. Ce rapport vient actualiser un chapitre du rapport public annuel de la Cour de 2020, consacré à ce sujet, qui dressait d'ailleurs un bilan plutôt favorable de la dématérialisation mise en place en 2017.

La chaîne de délivrance fait intervenir un grand nombre d'acteurs, au sein et en dehors du périmètre de l'État. Parmi ces acteurs figurent les mairies, pour l'accueil des usagers et l'enregistrement des demandes de titres d'identité, les tiers de confiance, comme les auto-écoles ou les garages automobiles, qui viennent en appui des usagers pour les demandes relatives aux titres de circulation, et les centres d'expertise et de ressources des titres (CERT), qui instruisent les demandes dans un certain nombre de départements. Il y a aussi IN Groupe, nouveau nom de l'Imprimerie nationale, qui produit les titres, et plusieurs prestataires, comme Chronopost et La Poste, qui les acheminent. Une agence spécifique, l'ANTS, est chargée de répondre aux besoins de tous ces acteurs tout au long de la chaîne de délivrance. C'est cette agence qui gère notamment les principaux systèmes d'information relatifs à la délivrance des titres.

Ce système est issu de la réforme de 2017, adoptée dans le cadre du plan Préfectures nouvelle génération (PPNG). Il a été mis à très rude épreuve en sortie de crise sanitaire. Sous l'effet d'un rattrapage soudain de la demande, notamment, les délais d'obtention de rendez-vous en mairie et d'instruction des demandes ont très fortement augmenté. Ainsi, les délais de délivrance des titres d'identité ont atteint jusqu'à six mois au pic de la crise, ce qui est énorme. Et la crise s'est prolongée durant plus d'un an, entre le printemps 2022 et l'été 2023. Notre rapport en rend compte, essaie d'identifier ses raisons, décrit les moyens mis en oeuvre pour y faire face et précise les enseignements à en tirer.

Pour réaliser ce travail, les rapporteurs ont effectué de nombreux déplacements, notamment à Charleville-Mézières, où est basée l'ANTS, sur le site de production d'IN Groupe à Douai, ainsi que dans l'Essonne, le Finistère, le Pas-de-Calais, la Seine-et-Marne, la Somme et le Vaucluse. Ils ont ainsi rencontré les agents des CERT couvrant l'ensemble des titres traités dans le rapport. À chaque fois, ils ont visité la mairie chef-lieu et une mairie de plus petite taille.

J'en viens aux trois constats principaux du rapport.

D'abord, face à l'explosion des délais de délivrance des titres, le Gouvernement a mis en place des plans d'urgence répétés et coûteux ; leurs résultats ont été lents à se manifester, mais ces plans ont permis d'endiguer la crise et la situation était meilleure à la fin de nos travaux qu'elle ne l'était lorsque nous les avons entamés. Des actions restent à mettre en oeuvre pour améliorer durablement une situation qui reste fragile. Cette crise a révélé des difficultés structurelles dans la chaîne de délivrance des titres, qui nous semblent demeurer et appelle à un pilotage plus proactif et unifié de l'ensemble de la chaîne, en particulier pour préparer les prochaines échéances de renouvellement des permis de conduire et de CNI, évoquées à l'instant par le président.

Nous avons ainsi pu documenter l'augmentation des délais de délivrance des titres d'identité en sortie de crise sanitaire. Cette hausse a été rapide, soudaine, et a été source de vifs mécontentements pour les usagers. Entre mars 2022 et juin 2023, il fallait plus de deux mois, en moyenne, pour obtenir un rendez-vous en mairie et plus d'un mois supplémentaire pour que les titres soient instruits, fabriqués et acheminés. Ces indicateurs doivent toutefois être appréhendés avec précaution, car les délais d'obtention en mairie dépendent des plages d'ouverture des rendez-vous décidées librement par les mairies.

L'augmentation des délais s'explique principalement par une hausse de la demande de titres, à laquelle nous voyons des facteurs à la fois conjoncturels et structurels.

D'un point de vue conjoncturel, il y a eu le rattrapage de la crise sanitaire, durant laquelle de nombreux usagers n'ont pas pu déposer leur demande de titre. Cette situation concerne près de 2,5 millions de CNI et 3,7 millions de passeports. Les demandes de permis de conduire et de certificats d'immatriculation des véhicules ont également fortement augmenté, mais cette hausse a été largement absorbée par l'automatisation de certaines procédures. La Cour souligne également, parmi les raisons de la hausse des demandes de passeports, la vive reprise conjoncturelle de l'activité touristique en 2022 et, même s'il est difficile d'en évaluer l'impact précis, la nécessité de détenir un passeport pour se rendre au Royaume-Uni depuis octobre 2021.

Cette hausse de la demande s'explique également par des raisons structurelles. D'abord, il a été décidé fin 2013 de prolonger la durée de validité des CNI de 10 à 15 ans, sans que la nouvelle date de validité figure sur le titre. Par conséquent, de nombreux usagers ont rencontré des difficultés importantes dans leurs démarches avec un titre valide, mais dont la date faciale était dépassée. Ils ont donc fait renouveler leurs titres avant la durée limite de 15 ans. À l'inverse, l'hypothèse parfois avancée que l'arrivée de la nouvelle carte d'identité électronique aurait eu un effet d'appel et conduit les usagers à demander de manière anticipée cette nouvelle carte ne se reflète pas dans les chiffres.

Pour juguler cette crise, le Gouvernement a pris une série de mesures en 2022 et 2023, dont les effets, bien que tardifs, apparaissent positifs. La Cour évalue leur coût à environ 113 millions d'euros jusqu'à la fin 2023.

Une première mesure d'urgence qui, elle, n'a rien coûté a été de suspendre, au plus fort de la crise, le motif de renouvellement pour changement d'adresse, afin de réduire la demande de titres. Cette mesure a été efficace et la Cour préconise de supprimer définitivement la possibilité de renouveler la CNI pour le seul motif de changement d'adresse, voire de supprimer cette mention.

Au-delà de cette mesure ponctuelle, des mesures ont permis d'augmenter à la fois le potentiel de rendez-vous et le nombre de rendez-vous effectivement proposés par les mairies. Le ministère de l'intérieur a ainsi rompu avec la logique restrictive qui avait prévalu dans le déploiement des stations de recueil de demandes en mairie : leur nombre a été porté d'environ 4 200 fin 2021 à plus de 5 500 au printemps 2023. Des centres temporaires, dits « titrodromes », à l'image des vaccinodromes, ont également été ouverts dans certaines grandes villes pour faire face au pic de demande estival en 2022 et 2023.

Plusieurs actions ont visé à accroître l'efficience de chaque dispositif de recueil (DR). L'ANTS a développé des outils pour simplifier la prise de rendez-vous, privilégier la prédemande en ligne et ainsi réduire la durée des rendez-vous. Les services préfectoraux se sont également mobilisés auprès des mairies pour encourager l'élargissement des horaires d'ouverture au public et le raccordement à la plateforme nationale de prise de rendez-vous de l'ANTS, qui permet d'éviter la réservation de plusieurs créneaux de rendez-vous par une même personne.

En l'absence de leviers coercitifs, l'État a incité les mairies à adhérer à ces mesures par une hausse et une modulation de la dotation pour les titres sécurisés (DTS), dont le montant a été considérablement augmenté en 2022 et 2023, de manière durable. Cette dotation atteint 100 millions d'euros en 2023 et en loi de finances pour 2024, contre 46 millions d'euros en 2021. Cette hausse vise également à mieux compenser les dépenses des mairies pour le recueil de demandes de titres d'identité. La compensation partielle de ces coûts constitue un irritant de longue date entre l'État et les communes, à la fois parce que l'accueil des usagers était autrefois assuré par l'État et parce que les mairies reçoivent des usagers d'autres communes, avec la déterritorialisation des demandes. Si elles ont mieux couvert les frais des mairies, les mesures incitatives des plans d'urgence ont complexifié le calcul de la DTS. Pour simplifier celui-ci et le rendre plus lisible, nous recommandons d'allouer aux mairies un montant forfaitaire fixe pour ouvrir une station d'accueil, puis une somme pour chaque demande de titres traitée.

L'effort national a également porté sur les CERT, qui instruisent les demandes de titres. Pour renforcer leur capacité de traitement des dossiers, les préfectures ont recruté de nombreux contractuels sur de courtes durées et élargi les horaires de travail en soirée et le samedi. Le ministère a également diffusé de bonnes pratiques d'organisation et rehaussé les objectifs d'efficience, ce qui a permis d'accroître le nombre de dossiers traités par agent.

Au fond, le dispositif a été efficace : malgré les limites tenant à son mode de calcul, le délai moyen d'obtention d'un rendez-vous en mairie a fortement diminué : il était inférieur à 17 jours ouvrables début novembre 2023, contre 70 jours au mois de mars.

Deuxième constat, si les plans d'urgence successifs ont permis de rétablir la situation, il n'en demeure pas moins que des progrès importants restent à accomplir. En effet, les délais d'obtention du titre sont un déterminant essentiel, mais non suffisant, de satisfaction. Celle-ci implique aussi que chacun puisse accéder au service et réaliser ses démarches sans difficulté excessive et qu'il soit régulièrement informé de l'avancée de sa demande.

Pour les titres d'identité, il s'agit d'assurer que l'offre de rendez-vous en mairie soit équitablement répartie sur le territoire national. L'égal accès aux guichets de mairie doit ainsi être concilié avec la recherche d'efficience de chaque dispositif de recueil. Plus largement, il faut accompagner les usagers éloignés du numérique pour faciliter leurs démarches dématérialisées.

Des marges de progrès existent encore, tant pour le maillage territorial des dispositifs de recueil que pour l'accueil physique des usagers. Il reste 48 communes d'au moins 10 000 habitants non encore équipées en dispositifs de recueil. La Cour recommande donc de rendre fortement incitatif l'équipement en dispositif de recueil pour ces communes.

Par ailleurs, le portail et le centre d'appels de l'ANTS doivent contribuer à améliorer la qualité du service rendu, en rendant plus accessibles les démarches en ligne et en se donnant les moyens de répondre aux sollicitations des usagers, quel qu'en soit le canal. Certaines évolutions technologiques permettraient de traiter plus rapidement les cas simples de demandes de CNI et de passeport, en suivant l'exemple adopté pour d'autres titres.

Enfin, les usagers manifestent une forte attente en matière de simplification des procédures. Les difficultés d'instruction résultant de photos non conformes étant à l'origine du rejet de près de 200 000 dossiers en 2022, nous recommandons d'équiper les mairies, dans le cadre du dispositif de recueil, d'un dispositif de prise de photographies. Nous préconisons également la mise en place d'un système d'information, afin que les demandeurs de titres puissent suivre au jour le jour l'avancement de leur dossier.

Nous sommes quelque peu surpris, au terme de cette enquête, du manque d'anticipation dont cette crise a fait l'objet. Des signaux précurseurs ont probablement été insuffisamment examinés, ce qui interroge plus généralement sur la capacité du ministère à répondre aux défis à venir, en particulier à un nouveau choc de demande. Le besoin de pilotage est d'autant plus fort que la chaîne de délivrance des titres est répartie entre différents acteurs.

Enfin, nous avons pu constater que la chaine de délivrance des titres devait aujourd'hui relever cinq défis structurels, à commencer par celui des effectifs. La Cour relève ainsi que les difficultés déjà présentes dans les CERT ont été aggravées par la crise sanitaire et que l'on a tardé à reconstituer leurs effectifs. La faible attractivité du métier a suscité des débats importants. Elle est liée notamment au fait que le télétravail, auquel les gens s'étaient habitués durant la crise, n'est pas possible dans les CERT instruisant les demandes de titres d'identité. Il convient donc d'expertiser les modalités du recours au télétravail, dans le strict respect des conditions de sécurité informatique, et pour des cas d'usage limitativement définis.

Le deuxième défi est celui de l'amélioration des systèmes d'information. La tâche est certes difficile, mais les dysfonctionnements dans cette matière - des mises à jour non anticipées et des pannes à répétition nous ont été rapportées - peuvent avoir des conséquences catastrophiques.

Le troisième défi est celui de l'anticipation de la demande de titres et du pilotage de l'ensemble de la chaîne de délivrance. De fait, la crise de l'augmentation des délais n'a pas été suffisamment anticipée. Dès lors que le droit de l'Union européenne impose que les cartes d'identité et les permis de conduire roses et cartonnés soient remplacés respectivement avant 2031 et 2033, il est indispensable de prendre, dès maintenant, les mesures nécessaires. À cet égard, la mise en place d'un outil plus précis de prévision des demandes nous paraît souhaitable, de même que l'allocation des moyens correspondant aux prévisions. Nous recommandons également de renforcer le rôle de la direction du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur du ministère de l'intérieur, qui dispose de la tutelle de l'ANTS et qui fait déjà le lien avec les préfectures, dans le pilotage du dispositif.

Le quatrième défi est celui de la sécurité et de la lutte contre la fraude. L'obligation de faire vite ne doit pas conduire à une baisse du niveau de vigilance. La fraude à l'identité reste importante, notamment en ce qui concerne le permis de conduire. Le découplage constaté pendant la crise entre, d'une part, le quasi-doublement de la demande de cartes d'identité et de passeports et, d'autre part, l'augmentation de 8 % seulement de la fraude détectée doit nous interroger. Il convient de mieux former les agents, à chaque étape de la chaîne, à ce travail de détection de la fraude.

Le cinquième défi est celui du financement de la délivrance des titres. Nous avons estimé à 43 euros le coût complet d'une carte d'identité, à 60 euros celui d'un passeport, à 52 euros le coût d'un permis de conduire et à 13 euros celui d'une carte grise. Ces coûts sont à mettre en regard des prix acquittés par les usagers. En l'occurrence, à l'exception des passeports, le droit de timbre ne couvre pas le coût du service rendu.

Par ailleurs, dans un rapport spécifique, la Cour propose de transformer le mode de financement actuel de l'ANTS, qui repose sur une taxe affectée plafonnée, en lui accordant une subvention pour charges de service public. Cette mesure se justifie d'autant plus qu'aucun parallélisme n'existe entre le nombre de titres émis et les dépenses de l'ANTS. Cette recommandation n'est pas contenue dans le présent rapport mais dans un rapport spécifique sur l'ANTS. Enfin, un dernier point du rapport traite du projet France identité numérique. Il s'agit d'un élément important pour sécuriser l'ensemble du dispositif.

Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les résultats de l'enquête que vous avez bien voulu nous confier. J'en rappelle les principaux messages. La crise, insuffisamment anticipée, a conduit à un allongement considérable des délais. Les mesures qui ont été prises ont permis de faire face à la situation, mais elles révèlent des difficultés structurelles et, plus largement, les limites de l'État dans sa capacité à fournir aux usagers un service public répondant à leurs attentes. Le sujet de la délivrance des titres a été fortement médiatisé. Évitons de le raviver.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale. - L'enquête de la Cour des comptes tend à montrer que certaines des problématiques rencontrées depuis deux ans en matière de délivrance des titres ont été résolues. Après avoir atteint des niveaux extrêmement élevés, les délais de prise de rendez-vous sont notamment revenus sous la barre des 20 jours en moyenne, après avoir atteint des niveaux extrêmement élevés, y compris en phase d'instruction Néanmoins, si le plus dur de la crise est aujourd'hui derrière nous, je considère, au regard des travaux que j'ai pu mener, que plusieurs sujets restent largement ouverts et que la résolution structurelle de ces difficultés suppose encore selon moi des évolutions de grande ampleur.

La situation des CERT, par exemple, est loin d'être normalisée. Ces services recourent encore très largement à des contrats courts de trois mois qui précarisent fortement leurs titulaires. On ne saurait se satisfaire d'une telle situation : ainsi, par exemple, à Melun, près de la moitié des effectifs sont des contractuels embauchés pour une durée de moins de trois mois. Cette situation me semble problématique pour les préfectures, qui représentent pourtant l'État dans les territoires. Il est donc urgent de renforcer les CERT en effectifs pérennes et de prévoir le nombre d'emplois nécessaire pour tenir compte à la fois des erreurs de calibrage initiales lors de la création des CERT et de l'évolution structurelle de la demande de titres d'identité, à laquelle nous avons été confrontés ces deux dernières années.

Par ailleurs, la carte que nous avons produite sur le nombre de dispositifs de recueil en fonction de la population montre une distribution entre départements qui peut paraître assez obscure. Entre des départements aux caractéristiques similaires - la Creuse et les départements voisins par exemple -, le nombre de dispositifs peut ainsi varier du simple au double. Ce constat pourrait conduire à une réflexion sur la répartition de ces dispositifs sur le territoire, qui ne se focaliserait pas uniquement sur leur taux d'utilisation.

Nos travaux montrent également que les communes rurales font, en proportion de leur population, un effort beaucoup plus important que les communes urbaines pour accueillir des demandeurs issus d'autres communes. Ainsi, les grands centres urbains ouvrent 59 rendez-vous hebdomadaires pour 10 000 habitants, alors que les communes rurales en ouvrent près de cinq fois plus. Cette dimension doit être pleinement prise en compte dans la réforme de la dotation « titres sécurisés » (DTS), qui ne doit pas être centrée exclusivement sur la dimension incitative. J'insiste sur la nécessité de parvenir à un équilibre, les communes rurales peuvent avoir un taux d'utilisation moindre, mais ce sont elles qui orientent le plus leurs efforts vers des demandeurs issus d'autres communes. Il faut donc maintenir une dotation forfaitaire qui reflète réellement les coûts supportés par les communes.

Par ailleurs, je partage les recommandations de la Cour des comptes quant à la nécessité de confier explicitement la mission de pilotage du processus à la direction du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur et d'améliorer les outils de prévision. Il convient également de renforcer l'attractivité des postes occupés dans les CERT, notamment en étudiant la possibilité de mettre en place du télétravail, ou encore de développer de nouveaux outils informatiques pour faciliter le traitement des dossiers les plus simples.

La proposition de la Cour des comptes consistant à équiper les mairies en appareils photo pour permettre aux agents de prendre directement les photos lors du dépôt des demandes présente un intérêt indéniable - simplicité pour les usagers, garantie de respect des critères de validité des photos, lutte contre la fraude -, mais une telle évolution soulève des difficultés pratiques. Cette évolution risquerait de rallonger la durée de rendez-vous et rendrait nécessaire la formation des agents des communes. Un contrôle automatique et immédiat de la validité de la photo par un logiciel serait nécessaire, afin que les agents de mairie ne soient pas considérés comme responsables en cas de rejet pour non-conformité par le CERT. En effet, une telle situation conduirait à une nouvelle convocation et à un retard dans l'obtention du titre, que l'administré pourrait reprocher à l'agent de mairie. En tout état de cause, une telle évolution ne pourra être engagée, dans un premier temps, que sous la forme d'expérimentations menées par des communes volontaires. J'invite M. Guy Geoffroy à réagir, au nom de l'Association des maires de France, à cette proposition.

Sur la question cruciale de la fraude, le rapport de la Cour des comptes met en évidence les carences actuelles de la coopération entre le ministère de la justice et le ministère de l'intérieur. Monsieur le secrétaire général, un renforcement de cette coopération est-il envisagé ?

Par ailleurs, l'enquête de l'institut Paul Delouvrier citée dans le rapport de la Cour révèle une amélioration notable de la satisfaction des usagers à l'égard de la plateforme ANTS. Madame la directrice, disposez-vous de mesures régulières en la matière et comment tenez-vous compte des retours de ces derniers ?

M. Didier Martin, secrétaire général du ministère de l'intérieur. - Les équipes du ministère de l'intérieur ont eu des échanges fructueux avec les rapporteurs de la Cour des comptes à l'occasion de ce rapport. Aussi, nous partageons largement les conclusions présentées aujourd'hui.

Comme l'avait montré la Cour dans son rapport public annuel de 2020, la réforme mise en place entre 2014 et 2020 n'avait pas soulevé de difficultés particulières, avant de se heurter, comme bien d'autres sujets, à la crise sanitaire de 2020-2021. Les confinements successifs ayant empêché nos concitoyens d'effectuer un certain nombre de déplacements, notamment à l'étranger, nous avions alors assisté à l'effondrement de la demande et de la production de titres d'identité. Ainsi, sans la crise, pas moins de 2,5 millions de cartes d'identité et 3,7 millions de passeports supplémentaires auraient dû être produits en 2020, 2021 et début 2022. Par la suite, un effet report a fait peser une demande accrue, d'abord sur les mairies, ce qui a conduit à des délais pour obtenir un rendez-vous pouvant parfois dépasser deux à trois mois.

Dès lors que nous avons actionné ensuite les différents leviers qu'a rappelés le président Charpy - augmentation du nombre de dispositifs de recueil, extension des plages d'accueil des usagers, mise en place de plateformes téléphoniques renseignant sur les créneaux disponibles -, nous avons constaté une réduction des délais et un déplacement de la situation de « surdemande » vers les CERT, gérés par les préfectures.

Nous avons donc renforcé les moyens de ces centres de manière à ce qu'ils puissent à leur tour absorber cet afflux de demandes. Notons que l'Imprimerie nationale, troisième composante dans la production des titres, a pu, au prix d'efforts importants, assurer la production dans des quantités supérieures à celles qu'elle connaissait préalablement.

Du point de vue du ministère de l'intérieur, la crise est terminée. Ainsi, le délai moyen d'obtention d'un rendez-vous en mairie n'est plus que de quinze jours, contre soixante-neuf jours il y a un an ; le délai moyen d'instruction dans les CERT rattachés aux préfectures est de 11 jours, contre 30 ; enfin, le délai moyen de mise à disposition est de 19 jours, là encore bien en-dessous des records de l'an dernier. Surtout, ces délais moyens sont désormais tous inférieurs à ceux qui étaient couramment observés avant la crise sanitaire. Le déploiement d'importants moyens a permis de sortir de la crise subie par les usagers en 2022 et 2023.

Pour l'avenir, nous avons pris connaissance avec intérêt des alertes de la Cour sur certains sujets structurels ; nous les prendrons évidemment en considération. Je pense notamment à la suppression du changement de résidence comme motif de renouvellement de la carte d'identité : le ministère est prêt à la pérenniser. Nous sommes également favorables à ce que des dispositifs de recueil soient confiés à un nombre accru de communes d'au moins 10 000 habitants, si des volontaires se manifestent parmi les quarante-huit qui ne sont pas encore équipées ; le partenariat que nous avons avec l'AMF depuis dix ans sur ce sujet pourra nous y aider. Enfin, les modalités de calcul de la DTS versée aux communes s'inspirent largement des préconisations rappelées par M. Charpy et Mme Blatrix Contat.

La lutte contre la fraude est un objectif prioritaire du ministère de l'intérieur. Des organismes internationaux jugent que les titres d'identité français comptent parmi les plus sécurisés au monde ; nous souhaitons garder ce très haut niveau de sécurité. Cette lutte se traduit par la présence dans chaque CERT de référents fraude, qui reçoivent régulièrement des formations permettant de les tenir au courant des dernières trouvailles des fraudeurs. Les préfets n'hésitent pas à saisir les parquets territorialement compétents chaque fois qu'un dossier leur paraît suspect, les moyens d'investigation de la justice étant mieux à même de permettre la neutralisation de ces fraudeurs. Des filières de fraude sont ainsi démantelées.

Mme Anne-Gaëlle Baudouin, directrice de l'Agence nationale des titres sécurisés. - Je veux souligner à mon tour le caractère inédit, brutal et grave de la situation à laquelle a été confrontée l'ensemble de la chaîne, des mairies à l'imprimerie nationale en passant par les préfectures, mais aussi la réactivité avec laquelle tous ses éléments, y compris l'ANTS, y ont fait face.

En 2023, nous avons produit 15 millions de cartes d'identité et de passeports. Avant la crise sanitaire, en 2019, ce chiffre n'était que de 9 millions. Cela donne une idée de l'ampleur du défi. Nos prévisions - nous convenons qu'elles doivent encore être améliorées - laissent à penser que la demande s'établira en 2024 autour de 14 millions de titres. Nous nous satisfaisons du retour actuel à une situation normale, mais le système reste sous tension.

Nous tirons de cette crise plusieurs enseignements essentiels, en premier lieu l'importance de l'accompagnement du réseau, d'abord à l'échelle locale. Le rôle des préfectures, en lien avec les communes, est crucial en la matière ; c'est aussi une préoccupation permanente de l'ANTS. Nous avons lancé une newsletter bimensuelle pour partager certains indicateurs avec les acteurs de terrain.

Nous retenons aussi de cette crise l'augmentation exceptionnelle des moyens offerts aux mairies via la DTS, très bienvenue pour les communes. C'était un sujet de friction ancien entre les mairies et l'État. On a su faire en sorte que l'État accompagne davantage l'exercice de cette mission ; il est important de le relever, au-delà des échanges que nous aurons sur la répartition de cette dotation et l'articulation entre part fixe et part variable.

La plateforme de rendez-vous que nous avons mise en place, dans des conditions de forte réactivité, entre l'automne 2022 et l'été 2023, a constitué un autre atout pour la sortie de crise. Aujourd'hui, 80 % des communes s'y sont volontairement inscrites, avec une incitation financière de l'État. Cette plateforme offre à nos concitoyens une vision plus transparente des délais de rendez-vous.

Nous relevons aussi le renforcement du réseau accompli entre 2022 et 2024 : le nombre de dispositifs de recueil a augmenté de 40 %, tant par le renfort de communes déjà dotées que par la dotation de nouvelles communes. C'est un autre motif d'irritation auquel nous avons su répondre.

Nous mettons désormais en place des moyens supplémentaires pour mieux anticiper la demande, au-delà de l'échéance de douze mois que nous permettaient nos anciens outils de prévision. Cet effort implique aussi de recruter des experts afin de mieux utiliser les données disponibles pour nous projeter dans l'avenir. Des défis importants nous attendent ; je pense notamment au renouvellement des permis de conduire d'ici à 2033, pour lequel un plan d'action, en lien avec la délégation à la sécurité routière, est en train d'être défini. Le droit de l'Union européenne a également fixé le mois d'août 2031 comme échéance pour le remplacement de toutes les anciennes cartes d'identité par des titres au format « carte bancaire » dotés de puces électroniques ; nous définissons actuellement des orientations pour anticiper cette échéance et lisser la demande.

Concernant la façon dont l'ANTS prend en compte les attentes de nos concitoyens, le rapport de la Cour des comptes pointe avec une certaine sévérité le manque de disponibilité de l'application « Titres électroniques sécurisés » (TES). Sur l'ensemble de la période de crise, cette disponibilité s'établit à 98,6 %, toutes interruptions confondues, ce qui n'est pas si mal. On a connu davantage de difficultés sur l'infocentre : son indisponibilité pendant une période a pénalisé les mairies et les préfectures.

La Cour a entendu les doléances des acteurs de terrain ; nous voulons également être à leur écoute, notamment via nos échanges réguliers avec l'AMF. Nous réalisons aussi chaque année un sondage auprès de 2 500 personnes, qui permet d'apprécier dans la durée la perception de nos services par les usagers. On avait vu leur satisfaction bondir après la crise sanitaire, l'État ayant été jugé suffisamment présent pendant cette période, puis s'éroder avec la hausse des délais constatée en 2022 ; le dernier sondage, réalisé en décembre 2023, montre que la satisfaction remonte, notamment en matière de délivrance des titres d'identité.

M. Guy Geoffroy, maire de Combs-la-Ville et vice-président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF). - Il est rare que, sur un sujet aussi délicat, qui aurait pu se montrer très problématique à bien des égards, pour toutes les communes concernées, nous soyons d'accord tant sur le point de départ que sur le point d'arrivée. Or tel est bien le cas ici, d'abord parce que, pour une fois, les réformes relatives aux titres sécurisés ont été menées, dès 2009, avec concertation. C'est pourquoi les difficultés qui sont apparues en matière de délivrance des titres sécurisés ont pu être surmontées. Il est important de le relever, au vu du nombre des politiques publiques que les communes doivent mener, dans le cadre de leurs compétences ou de celles qu'elles exercent au nom de l'État, où tout est imposé à l'échelon national et où chacun rejette la responsabilité sur l'autre, rompant la chaîne de solidarité qui doit exister entre tous les acteurs de la vie publique, et ce au détriment du citoyen.

En l'occurrence, le dialogue mené ab initio entre l'État et les collectivités locales s'est fondé sur un principe auquel nous sommes très attachés, celui du volontariat. Ce principe a pu occasionner des tensions ; chaque commune engagée dans ce processus en était comptable, nulle de ses voisines n'était contrainte d'y adhérer avec elle. Ainsi, comme ma commune de Combs-la-Ville a la réputation de bien faire son travail, elle a été sollicitée par nombre de citoyens d'autres communes, parfois très lointaines, désireuses de disposer de nouveaux titres sécurisés dans des délais moins longs qu'ailleurs...

Cette situation a été aggravée par la réglementation nationale aux termes de laquelle tout citoyen pouvait en la matière s'adresser aux services de toute commune, même en dehors de son département de résidence. En 2023, au pic de la demande, on pouvait se poser beaucoup de questions sur cette réglementation, comme sur les méthodes retenues dans certains départements limitrophes, mais au moins nous avons toujours pu en parler ensemble : fort de cet enseignement, je considère que le dialogue permettra de nous prémunir de nouvelles crises ou, à tout le moins, de les traiter.

La leçon, c'est bien celle-là. On ne pouvait pas tout prévoir, notamment la crise sanitaire et ses fortes conséquences sur les demandes de titres ; mais on a su entretenir un dialogue permanent grâce auquel ce dispositif de rattrapage extrêmement puissant a été mis en oeuvre avec un succès indéniable, ce qui fut en partie une heureuse surprise. Dans son rapport, la Cour des comptes écrit que les effets des mesures se sont fait attendre. Sur le terrain, bien au contraire, nous avons été frappés par leur rapidité.

J'en viens au poids qui a pesé, non pas sur les maires - nous avons le cuir tanné -, mais sur les agents communaux chargés des dispositifs de recueil. Nos concitoyens se sont montrés surpris que les mairies ne soient pas en mesure de mettre en oeuvre immédiatement les mesures fortes prises par l'État pour satisfaire les demandes en dix jours. Je tiens à saluer le travail de ces agents, qui ont travaillé sous un feu ardent et qui ont su tenir bon alors qu'ils étaient confrontés à l'insatisfaction des usagers. Je tiens également à relever une difficulté potentielle pour l'avenir.

Les diverses politiques assumées par les communes au nom de l'État sont extrêmement techniques, qu'il s'agisse de la gestion du cimetière ou de l'état civil. La préfecture nous a demandé de trouver des moyens supplémentaires pour les titres sécurisés, et c'est normal. Elle nous a ainsi suggéré de recruter des contractuels ; mais la formation de ces personnes aurait été trop longue, compte tenu de la brièveté de leur mission. Cette solution n'aurait probablement pas été efficiente. Dans ma commune et dans beaucoup d'autres, nous avons préféré demander un surcroît de travail aux fonctionnaires territoriaux qui possédaient déjà cette compétence technique, et dont je tiens à saluer le sens aigu du service public. On aurait pu craindre leurs réticences ; chez les six agents de ma commune à qui cet effort supplémentaire a été demandé, j'ai, à l'inverse, ressenti une fierté réelle.

Toujours est-il que, pour l'avenir, il faut sécuriser l'ensemble du dispositif en assurant une stabilité des moyens. Les moyens financiers doivent être maintenus et peut-être même accrus, pour être portés à la hauteur de la dépense réelle. L'AMF, vous le savez, plaide pour l'indexation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) ; elle peine à faire comprendre à l'État que cette enveloppe n'est pas un cadeau fait aux collectivités territoriales, mais un dû résultant de la décentralisation. Cela étant, les titres sécurisés ne relèvent même pas de la DGF : nous parlons d'une action menée par la commune au nom de l'État et qui devrait être couverte à 100 % par lui. L'augmentation consentie est bienvenue. Elle était indispensable. Est-elle suffisante ? J'ai déjà donné une partie de la réponse...

J'en viens aux enjeux de répartition. De fait, quarante-huit communes de plus de 10 000 habitants ne se sont pas portées volontaires. Mais, pour notre part, nous souhaitons que le volontariat reste la règle - c'est l'esprit du dispositif. Nous sommes évidemment prêts à poursuivre les échanges pour développer le volontariat. C'est le sens des relations constantes entre l'ANTS et l'AMF. Par exemple, pour une commune de 22 000 habitants comme la mienne, il est important de savoir qu'à dix kilomètres alentour telle ou telle commune de 10 000 ou 12 000 habitants aurait tout intérêt à se porter volontaire, pour elle, comme pour les autres.

La question des photos a également été abordée. Un certain nombre d'hôtels de ville sont déjà équipés d'un photomaton. De plus - j'ai encore pu le constater ce matin même -, les agents peuvent apporter leur aide pour que les photos prises soient conformes : leur travail va jusque-là.

Certains suggèrent à présent que les dispositifs de recueil eux-mêmes soient équipés d'appareils photo. L'AMF ne s'y oppose pas sur le fond ; mais la profession des photographes de ville voit cette perspective d'un fort mauvais oeil et nous ne pouvons pas y être insensibles. Elle a déjà beaucoup protesté quand nous avons pris l'initiative d'installer des photomatons dans les mairies. Prenons garde à ces effets collatéraux : il reviendrait aux maires de les traiter, alors qu'ils doivent déjà faire face à toutes sortes de mécontentements.

En résumé, nous approuvons très largement les conclusions de la Cour des comptes et nous adhérons, sous la réserve que je viens d'évoquer, aux remarques complémentaires du Sénat. Les maires de France ont toujours été disponibles pour un partenariat équilibré, fondé sur de vraies valeurs communes. En la matière, ils continueront évidemment à l'être.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je tiens à remercier M. le président Charpy et ses équipes.

Je souscris pour partie aux éléments qui nous ont été livrés. Cela étant - un opérateur qui a été à l'initiative de la mise en oeuvre des titres sécurisés me le rappelait récemment -, en 2010, on recevait sa carte d'identité en une semaine. Pouvez-vous me confirmer que tels étaient les délais à l'origine ? Le cas échéant, il y a peut-être encore des progrès à faire. Parler de simplification, c'est bien ; la faire, c'est mieux.

Lorsqu'on délivre un titre d'identité, est-il possible de prévoir une forme de rappel automatique, par exemple à l'aide de l'intelligence artificielle, un an avant expiration ? Ce rappel permettrait aux particuliers d'anticiper le renouvellement ; mais encore faut-il pouvoir tenir les fichiers à jour.

Monsieur Martin, la lutte contre la fraude dont font l'objet les titres émis par le ministère de l'intérieur demeure-t-elle une priorité, nonobstant le recul relatif du phénomène au regard de l'augmentation du nombre de demandes ? Pouvez-vous nous préciser les méthodes employées à ce titre, ainsi que les moyens financiers et humains mobilisés ?

Enfin, monsieur Geoffroy, pourriez-vous revenir sur le projet France identité, qui devrait être activé en mairie et qui, en vertu de la loi de finances pour 2024, sera pris en compte pour le calcul de la DTS pour les communes ? En l'occurrence, les communes agissent bel et bien pour le compte de l'État et elles font oeuvre utile. Il faut leur éviter toute mauvaise surprise.

Je conclus par un constat : la procédure d'attribution des titres d'identité s'est sensiblement complexifiée. Fut un temps où, dans chaque commune de France, vous pouviez déposer votre demande en mairie et dans des délais très courts, vous receviez votre titre. En l'espace de quelques décennies, la qualité de service a baissé : il faut aussi l'entendre, car c'est ce que vivent un certain nombre de nos concitoyens, notamment dans les territoires ruraux.

Mme Isabelle Briquet. - À mon tour, je tiens à saluer la qualité du rapport de la Cour des comptes, dont les préconisations vont dans le bon sens. Il s'agit là d'un véritable enjeu de service public et, en la matière, les usagers étaient très loin de ce qu'ils étaient en droit d'attendre.

Faute de personnel en nombre suffisant, les CERT ont dû recourir massivement à l'emploi contractuel ; l'effort de formation et d'encadrement a reposé sur le personnel titulaire. Or la Cour des comptes relève le manque d'attractivité de ces centres où, par le passé, j'ai déjà eu l'occasion d'observer un fort turn-over. Ce dernier a-t-il tendance aujourd'hui à diminuer ? Surtout, les moyens dédiés aux CERT sont-ils désormais suffisants, en particulier pour assurer la lutte contre la fraude ? Les personnels affectés à ces structures de manière pérenne leur permettront-elles de faire face aux enjeux de demain ?

M. Michel Canévet. - Je remercie moi aussi la Cour des comptes de ce travail approfondi et de ses diverses recommandations. En tant qu'élu du Finistère, je suis attentivement la situation du CERT de Quimper, qui a su s'adapter tout au long de cette période extrêmement difficile.

Pour le renouvellement des permis de conduire, l'accès au site internet est si compliqué que les particuliers doivent recourir à des centres prestataires, en puisant sur leurs propres deniers : ce n'est pas normal.

Pour la délivrance des permis de conduire internationaux, les délais au CERT de Cherbourg sont de l'ordre de six mois. Bien des personnes reçoivent donc leur permis après leur départ pour l'étranger : cela n'a pas de sens et je ne comprends pas que nous en soyons toujours à ce point.

Des efforts ont été consentis au titre des financements. Il est logique de prévoir, en complément de la subvention fixe couvrant les dépenses des mairies, une incitation financière selon le nombre de titres émis. J'observe à ce propos que les communes les plus mobilisées seraient les communes rurales à habitat très dispersé, et que les moins mobilisées pour accueillir des demandeurs au-delà de leur seule population se trouveraient à l'inverse dans les centres urbains, ce qui pourrait sembler contre-intuitif.

Pour ce qui concerne l'ANTS, la Cour propose de transformer le financement en une subvention pour charges de service public. Toutefois, il faut veiller à préserver une incitation.

En matière de simplification administrative, le dispositif Justif'Adresse donne globalement satisfaction, mais il présente tout de même quelques faiblesses, notamment lorsque telle ou telle adresse est erronée - j'ai pu le constater personnellement.

Enfin, les coûts d'émission des titres sécurisés s'élèvent au total à quelque 800 millions d'euros : dans l'état actuel de nos finances publiques, ne pourraient-ils pas être couverts par les usagers bénéficiant concrètement des prestations ? La Cour l'envisage-t-elle ?

Mme Marie-Claire Carrère-Gée- Je présente à mon tour mes félicitations à la Cour des comptes pour cet excellent travail.

Le programme interministériel France identité numérique a été lancé en 2018 : pourquoi ce chantier est-il si long ? La Poste permet de se connecter à France Connect sans aucun problème : si cette identification n'est pas suffisamment sécurisée, il ne semble pas impossible d'améliorer les choses.

J'ajoute que ma carte d'identité, pourtant valable jusqu'en 2033, ne me permet pas d'accéder au site officiel de l'identité numérique - je viens d'en faire la vérification. J'en déduis qu'il me faudrait procéder au renouvellement de ce titre ; je ne suis bien sûr pas spécialiste des questions techniques, mais certains dispositifs semblent inutilement compliqués.

M. Stéphane Sautarel. - Tous nos concitoyens n'ont pas les mêmes facilités d'accès aux dispositifs de recueil. Face à cette situation, je n'ai entendu qu'une seule proposition : solliciter les communes de plus de 10 000 habitants qui ne se sont pas encore portées volontaires. Mais, dans le département du Cantal, dont je suis l'élu, toutes les communes de plus de 10 000 habitants sont déjà engagées alors que ce département figure parmi les moins bien dotés en dispositifs. À l'évidence, il faut aller plus loin que cette seule recommandation.

M. Rémi Féraud. - Les difficultés d'accès aux dispositifs de recueil ont sans doute été encore plus grandes à Paris qu'ailleurs : on a ainsi pu reprocher aux Parisiens de monopoliser les créneaux de rendez-vous dans les mairies de banlieue. Mais, en parallèle, beaucoup de personnes qui travaillent à Paris sans y résider souhaitent sans doute déposer leur demande dans la capitale. La carte qui nous a été distribuée montre que Paris fait partie des territoires les moins bien dotés en nombre de dispositifs de recueil rapportés au nombre d'habitants. Peut-on renforcer le réseau des dispositifs de recueil à Paris ?

M. Guy Geoffroy. - Monsieur le rapporteur général, le message de rappel que vous proposez me semble tout à fait bienvenu.

En parallèle, j'adresse une suggestion aux représentants de l'État : prévoir à l'échelle nationale une campagne annuelle d'information et de sensibilisation, peut-être au mois de septembre, après les grandes vacances, ou encore au mois de janvier. L'AMF ne manquerait pas de relayer l'information dans ses publications. Je suis persuadé qu'un grand nombre de communes de France en feraient autant.

Mme Anne-Gaëlle Baudouin. - Monsieur le rapporteur général, nous nous efforçons d'ores et déjà de mieux informer nos concitoyens, non pas via l'intelligence artificielle, mais par des SMS, dans le cadre d'une expérimentation menée depuis trois mois dans trois départements : la Guadeloupe, le Cantal et le Calvados. Nous envoyons cette information six mois avant la date théorique d'expiration du document. Pour l'heure, je dois avouer que l'on n'en voit pas beaucoup d'effet.

Nous misons davantage sur des campagnes d'information plus systématiques. Nous avons mené de telles campagnes en décembre 2022, puis en 2023, en passant par les réseaux sociaux : peut-être faut-il accentuer l'effort. Un pic de demandes subsiste certes au printemps, mais, globalement, la demande tend à se lisser tout au long de l'année.

Nous avons renforcé de 40 % le réseau des dispositifs de recueil. À ce jour, il semble suffisant pour absorber la demande, qui est de 14 à 15 millions de titres par an. La moyenne nationale est passée de 16 000 habitants pour un DR, avant la crise, à 11 000 habitants par DR aujourd'hui.

Bien sûr, cette moyenne recouvre de nombreuses nuances territoriales, qui ont toute leur importance. Les réalités ne sont pas les mêmes en ville et à la campagne, en plaine et en montagne, en métropole et outre-mer, dans la Creuse et dans le Cantal. Toujours est-il que le taux d'équipement moyen a augmenté.

Monsieur Féraud, la capitale dispose très précisément de 136 dispositifs de recueil ; ces guichets sont tenus par des agents de la ville de Paris. À ma connaissance, nous avons toujours répondu favorablement à la mairie lorsqu'elle a demandé des dispositifs de recueil supplémentaires.

Madame Carrère-Gée, le programme France identité numérique ne date pas vraiment de 2018 ; il a plutôt une quinzaine d'années et c'est une fierté pour nous d'avoir réussi à en faire une réalité. Le 14 février dernier, M. le ministre de l'intérieur, accompagné de Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, a officiellement lancé sa généralisation. Seule la nouvelle carte d'identité est concernée, car elle est équipée d'une puce.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - La Poste atteint le même résultat autrement...

Mme Anne-Gaëlle Baudouin. - Le but, c'est de développer une application numérique pour différents usages.

Après la crise du covid, nos concitoyens ont multiplié leurs démarches en ligne, mais ils ont dû faire face à de nombreuses manoeuvres d'usurpation d'identité ou d'hameçonnage. À cet égard, France identité numérique leur apporte une réponse : grâce à la solution proposée par l'État, ils ne peuvent plus être victimes de tentatives d'hameçonnage - ce n'est pas le cas avec l'identité numérique de La Poste -, non seulement dans le monde numérique, mais aussi dans le monde physique.

Nos concitoyens pourront présenter leur carte d'identité sur leur téléphone portable. La première étape sera la mise à disposition du permis de conduire, annoncée par M. le ministre de l'intérieur le 14 février dernier, qu'il s'agisse de l'ancien format, à trois volets, lequel reste dans les poches de 32 millions de Français, ou du format carte bancaire. On peut désormais importer son permis de conduire sur son téléphone portable et le présenter de manière sécurisée aux forces de l'ordre en cas de contrôle.

C'est un moyen pour l'État de protéger les Français en développant les usages sécurisés. En quelques semaines seulement, 365 000 identités numériques ont d'ores et déjà été créées. C'est le début d'un long chemin, car l'objectif est évidemment d'étendre le nombre d'usagers concernés.

L'État a visé le plus haut niveau de sécurité possible, dit élevé, en vertu du règlement européen applicable en la matière. C'est l'objectif qui a été fixé au programme mis en oeuvre par l'Agence et qui, en vérité, ne peut être atteint que par l'État. La certification est délivrée par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) et ce niveau a été atteint il y a quelques semaines.

Pour ce niveau de sécurité, qui est réservé aux démarches les plus sensibles, un passage en mairie est effectivement exigé, par exemple pour dématérialiser entièrement votre procuration de vote : c'est, à ce jour, le seul usage qui existe. La certification de l'identité numérique est assurée par comparaison d'empreintes.

Ce travail s'inscrit dans la continuité des missions de service public assurées au quotidien par les agents des mairies pour la délivrance des titres d'identité. Elle a fait l'objet d'une expérimentation, menée pendant quelques mois à la fin de l'année 2023, et elle est désormais en cours de déploiement ; nous devons rencontrer les représentants de l'AMF dans quelques jours pour évoquer cette nouvelle mission, qui ne concerne que les communes volontaires et qui est prise en compte de manière pérenne au titre de la DTS pour l'année 2024.

M. Didier Martin. - Monsieur le rapporteur général, permettez-moi d'évoquer un souvenir personnel. Quand j'ai rejoint le monde des préfectures, en 1998, il fallait moins de deux heures à un usager pour récupérer sa carte d'identité ; mais ladite carte d'identité était un simple morceau de carton. Les agents utilisaient des trouilloteuses et fixaient eux-mêmes les photographies d'identité à l'aide d'oeillets métalliques. Ces cartes d'identité étaient peut-être les moins sécurisées qui soient ; les titres actuels sont, à l'inverse, parmi les plus sécurisés au monde - ce sont des organismes internationaux qui l'affirment.

J'ajoute qu'à l'époque seules les préfectures et les sous-préfectures étaient habilitées à délivrer les cartes d'identité, ce qui entraînait des déplacements pour les usagers. Aujourd'hui, quel que soit leur département de résidence, nos concitoyens peuvent se rendre dans l'une des 5 500 mairies disposant d'un DR pour obtenir leur carte d'identité ou leur passeport : ils peuvent, qui plus est, préparer leur rendez-vous à la maison, en préenregistrant leur dossier de demande. En parallèle, pour les personnes qui sont victimes de la fracture numérique, l'on a créé des espaces numériques dans les préfectures, les sous-préfectures et les maisons France Services. On peut ainsi les accompagner dans l'accomplissement de leurs tâches administratives ; elles gagnent ensuite du temps lors de l'établissement des titres en mairie. Bref, je ne crois pas qu'il faille être nostalgique.

Je vous confirme que la lutte contre la fraude est une absolue priorité ; elle fait l'objet d'un dispositif national extrêmement complet. Au sein de la direction du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur, une mission y est dédiée. Elle anime un réseau de référents départementaux et organise régulièrement des séminaires. Les référents fraude des préfectures et des CERT sont également parties prenantes des comités opérationnels départementaux anti-fraude (Codaf). Coprésidées par les préfets et les procureurs de la République, ces structures réunissent les caisses d'allocations familiales (CAF), les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), le fisc et, plus largement, tous les services publics confrontés aux problématiques de fraude. Elles permettent d'échanger et de mutualiser les bonnes pratiques pour lutter encore plus efficacement contre ce fléau.

M. Christian Charpy. - Quand on a voulu accélérer le dédouanement des marchandises dans les ports, on a eu tendance à alléger les contrôles : c'est ce qu'ont fait les Belges et les Néerlandais. Aujourd'hui, de nouvelles difficultés s'imposent à eux. Certes, comparaison n'est pas raison ; mais on peut retenir qu'en la matière il faut trouver le bon équilibre entre contrôle et rapidité.

Monsieur Canévet, il me semble compliqué de faire payer l'usager pour une première délivrance ou pour un renouvellement : si elle n'est pas obligatoire, la carte d'identité est un élément important de la vie sociale. Il pourrait, en revanche, être envisageable que le prix soit un peu plus élevé lorsqu'il faut émettre un nouveau titre à la suite d'une perte.

Enfin, je tiens à formuler une mise en garde : on ne nous pardonnerait pas une seconde crise des titres dans quelques années. C'est pourquoi j'insiste sur l'importance de l'anticipation et du pilotage.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale. - Les services de l'État doivent garantir à nos compatriotes l'accès à des titres d'identité et de voyage dans des délais décents. La défaillance constatée lors des deux dernières années a été d'une particulière gravité et nous devons en tirer tous les enseignements : on ne saurait laisser entendre qu'aujourd'hui tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Sur ce point, je rejoins le président Charpy.

Nous devons dès à présent préparer les grandes échéances qui nous attendent : 2031 pour les cartes d'identité et 2033 pour les permis de conduire. Ces vagues de renouvellement doivent être pleinement anticipées, ce qui passe par la fluidification des échanges avec les mairies, la consolidation des services d'instruction et l'anticipation des capacités de production de l'Imprimerie nationale. Or, au regard de la grande improvisation à laquelle nous avons assisté au cours des deux dernières années, nous restons particulièrement inquiets.

M. le ministre de l'intérieur a pris des engagements en vue du « réarmement » de l'État territorial. Le dossier des titres sécurisés nous le rappelle : si nous ne réarmons pas l'État dans nos territoires, nous courrons de crise en crise.

M. Claude Raynal, président. - Merci à vous, madame la rapporteure spéciale, ainsi qu'aux différents intervenants.

La commission a adopté les recommandations de la rapporteure spéciale, Mme Florence Blatrix Contat, et a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes, ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de la rapporteure spéciale.

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