C. UNE RÉPONSE IMPROVISÉE, QUI NE RÈGLE QUE PARTIELLEMENT LES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES EN 2022

La réponse apportée par le Gouvernement ne s'est pas faite immédiatement. Les différentes mesures d'urgence ont été égrenées pendant près d'un an, n'aboutissant à un retour à une situation normale que près de deux ans plus tard, à l'automne 2023. Les moyens mis en oeuvre par le Gouvernement ont permis, d'une part, d'augmenter le potentiel de rendez-vous des mairies en déployant massivement des dispositifs de recueil et, d'autre part, d'inciter celles-ci à maximiser l'utilisation des dispositifs en augmentant et en densifiant leurs plages de rendez-vous.

Comme le relève la Cour des comptes, le ministère de l'intérieur a dû rompre avec une « logique malthusienne » quant au déploiement des dispositifs de recueil, de sorte que ceux-ci ne constituent plus un frein à la proposition par les mairies de rendez-vous. Cette évolution marque un progrès majeur et durable. De plus, pour inciter les communes à augmenter le nombre de rendez-vous, plusieurs enveloppes exceptionnelles ont été mobilisées à leur profit sur la dotation titres sécurisés (DTS), et des évolutions ont été apportées pour rendre le soutien plus progressif. La dotation titres sécurisés a ainsi été portée, en 2023, à 100 millions d'euros et pérennisé à ce niveau.

L'article 244 de la loi de finances initiale pour 20246(*) a prévu une évolution de la répartition de la dotation. Lors de la lecture du texte par le Sénat, la commission des finances avait supprimé cette évolution, alors que le dispositif proposé n'offrait aucune garantie sur le maintien d'une part forfaitaire de la DTS. Comme l'a relevé notre collègue Isabelle Briquet, rapporteure spéciale de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », « le dispositif ne donne donc que peu de visibilité aux communes sur l'évolution du soutien qui leur serait apporté et la suppression de toute référence à une part forfaitaire n'offre aucune garantie à cet égard. »7(*)

L'article ayant néanmoins été rétabli par le Gouvernement dans le texte final, l'évolution des modalités de répartition de la DTS est désormais actée pour aller vers un « dispositif le plus incitatif possible ». La rapporteure spéciale recommande que ces nouvelles modalités ne se focalisent pas uniquement sur cette dimension incitative mais visent bien à couvrir les coûts complets pour les communes de cette procédure, et qu'une part forfaitaire significative soit maintenue.

La Cour des comptes relève en effet qu'outre sa complexité, la DTS « ne couvre que partiellement les coûts engagés par les mairies pour recevoir et traiter les demandes ». S'agissant d'une mission régalienne transférée par l'État aux collectivités, la dotation doit pourtant avoir pour objectif principal de couvrir l'intégralité des coûts engagés.

S'il a pu être opposé à la rapporteure spéciale qu'une partie des dépenses des communes liées au recueil des demandes étaient compensées par la dotation globale de fonctionnement (DGF), il n'en paraît pas moins indispensable de clarifier les modalités de financement de cette mission et de s'assurer que les communes sont bien intégralement compensées. Par ailleurs, la rapporteure spéciale considère qu'il pourrait être utile que les préfectures disposent d'un levier financier pour réagir rapidement en cas d'allongement des délais dans un territoire et puissent ainsi inciter les communes qui le peuvent à ouvrir davantage de créneaux de rendez-vous.

Recommandation n° 2 : dans le cadre de la refonte des règles applicables à la dotation titres sécurisés (DTS), veiller à couvrir l'intégralité des coûts supportés par les communes, maintenir une part forfaitaire significative et prévoir un levier d'incitation ponctuelle à destination des communes qui sont en capacité d'ouvrir des rendez-vous, en cas d'allongement des délais (direction générale des collectivités territoriales - secrétariat général du ministère de l'intérieur).

La hausse des délais d'obtention des titres d'identité n'a pas résulté uniquement de l'allongement des délais de rendez-vous : l'encombrement des services instructeurs au sein des préfectures a également contribué à cette situation. Pour y répondre, le nombre d'agents contractuels dans les CERT titres d'identité a été multiplié par 11,7 entre 2021 et 2023. Comme le relève la Cour des comptes, 90 % des recrutements dans les CERT ont concerné des contractuels en 2022, et, à Melun, plus de la moitié des effectifs sont des contractuels de courte durée (trois mois).

Cette situation n'est pas acceptable et n'est conforme ni à la lettre ni à l'esprit de l'article L. 311-1 du code général de la fonction publique, qui prévoit que les emplois civils permanents de la fonction publique ont vocation à être confiés à des fonctionnaires.

S'agissant d'une mission régalienne et permanente de l'État, rien ne justifie une telle situation, si ce n'est une logique comptable contre-productive. Il est urgent de prévoir les emplois de fonctionnaires nécessaires pour assurer les missions d'instruction des demandes de titres. En effet, de nombreuses préfectures recourent structurellement à des contrats courts, avec des exemples de ruptures temporaires de contrat en fin d'année pour ne pas avoir à comptabiliser les agents dans leurs effectifs au 1er janvier.

Cet artifice comptable, et plus généralement le recours récurrent à des contrats de trois ou six mois sans lien avec les fluctuations d'activité, conduisent le ministère de l'intérieur à créer des situations de précarité injustifiées et inacceptables.

De telles pratiques ne favorisent en rien le bon fonctionnement des services : elles limitent la capacité à fidéliser les agents et démultiplient le temps dédié aux recrutements et à la formation. Il est donc urgent de recalibrer les CERT pour tenir compte à la fois des erreurs de calibrage initial et de l'évolution structurelle de la demande de titres, alors que les prévisions de l'ANTS font état d'une stabilisation de la demande dans les années à venir. On ne saurait voir perdurer de telles situations au sein de nos préfectures, représentant l'État dans les territoires.

Recommandation n° 3 : cesser de recourir à des contrats courts pour répondre à des besoins dont la pérennité n'est plus à démontrer (direction du budget - secrétariat général du ministère de l'intérieur).

Il est également impératif de renforcer l'attractivité des CERT, et par conséquent que le ministère de l'intérieur ait une ambition beaucoup plus forte à ce sujet. S'il est apparu lors de déplacements que certains agents pouvaient trouver un équilibre personnel satisfaisant dans les tâches d'instruction, il semble néanmoins indispensable d'actionner tous les leviers permettant de rendre plus attractif le métier des instructeurs de demandes de titres. La revalorisation doit ainsi passer par une série de mesures :

- déployer des outils pour faciliter les contrôles routiniers en automatisant certaines vérifications (reconnaissance faciale des photos, traitement des dossiers les plus simples). En effet, la situation actuelle impose aux agents de contrôler un très grand nombre de dossiers par jour (jusqu'à 80 dans certaines préfectures), ce qui peut contribuer à rendre ce métier redondant et peu motivant pour les agents. Recentrer les tâches des agents sur des contrôles de deuxième niveau pourrait constituer une occasion de mieux valoriser ces derniers ;

- rendre les postes plus attractifs en mettant en place le télétravail pour l'ensemble des agents, y compris pour les demandes de titres d'identité. Il apparait en effet que les exigences de sécurité informatique ne sauraient justifier à elles seules le refus du ministère de l'intérieur de permettre le télétravail sur l'application TES8(*), utilisée pour l'instruction des demandes de titres d'identité. Sans avoir expertisé le niveau de sécurité des postes Noémi, utilisés par le ministère de l'intérieur pour mettre en place le télétravail via un VPN, il apparaît néanmoins que la nature des données ne suffise pas à elle seule à justifier l'impossibilité de la mise en place du télétravail ;

- veiller à assurer un traitement non différencié des agents des CERT qui doivent, au même titre que leurs collègues de la préfecture, bénéficier des campagnes d'avancement.

Recommandation n° 4 : confier à la DMATES le rôle de définir une feuille de route visant à garantir l'attractivité des postes au sein des CERT, intégrant la possibilité du télétravail pour les agents des CERT titres d'identité (secrétariat général du ministère de l'intérieur - agence nationale des titres sécurisés).


* 6 « À compter de 2024, cette dotation est répartie entre les communes en fonction du nombre de stations d'enregistrement des demandes de passeports et de cartes nationales d'identité électroniques en fonctionnement dans la commune au 1er janvier de l'année en cours, du nombre de demandes enregistrées au cours de l'année précédente, du nombre de mises à disposition d'un moyen d'identification électronique [...] et de l'inscription de ces stations à un module dématérialisé et interopérable de prise de rendez-vous. »

* 7 Rapport général n° 128 (2023-2024), sur le projet de loi de finances pour 2024, tome III, annexe 26, Relations avec les collectivités territoriales déposé le 23 novembre 2023. Compte rendu de commission.

* 8 Fichier des titres électroniques sécurisés.

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