III. LES DIFFICULTÉS LIÉES AU RELÈVEMENT EXCEPTIONNEL DU PLAFOND DE L'ARENH

Pour les acteurs institutionnels comme pour ceux économiques, le relèvement à titre exceptionnel du plafond de l'Arenh en 2022 est ambivalent ; si ce relèvement a maintenu des prix faibles, il a engendré des abus possibles et des coûts avérés.

A. LE POINT DE VUE DES ACTEURS INSTITUTIONNELS

Interrogée par les rapporteurs, la CRE a rappelé que le relèvement exceptionnel de l'Arenh a eu des effets balancés : il a contenu la hausse du prix de l'électricité, du point de vue des consommateurs, mais a généré de possibles abus, de la part de fournisseurs alternatifs, ainsi que des coûts importants, pour le groupe EDF. Ainsi, les consommateurs éligibles aux TRVE n'ont connu qu'une hausse de 4 % TTC du prix de l'électricité52(*) et seuls 6 % des autres (professionnels comme particuliers) ont vu leurs factures alourdies53(*). De plus, le régulateur a estimé que « la quasi-totalité des fournisseurs ont correctement appliqué les principes de répercussions de l'Arenh + et respecté le concept de répercussion dans les limites de l'effet d'aubaine ». Pour autant, au titre de 2022, la CRE a échangé avec la moitié des fournisseurs alternatifs et a procédé à 11 relances54(*),55(*) et 4 enquêtes56(*),57(*), dont 3 pourraient conduire à la saisine du CoRDiS et 1 à celle du procureur de la République. Les fournisseurs concernés par ces enquêtes représentent 0,5 % du marché de détail. De plus, au titre de 2023, la CRE a demandé 14 corrections58(*) aux fournisseurs alternatifs et 3 suspensions auprès du CoRDiS. Enfin, le relèvement tardif de l'Arenh, qui est passé de 100 à 120 TWh, de 2011 à 2022, couplé au net affaiblissement de la production d'électricité nucléaire, qui a diminué de 361 à 279 TWh sur la même période59(*), sous l'effet notamment du phénomène de corrosion sous contrainte (CSC), a obligé le groupe EDF à acquérir des volumes d'électricité onéreux sur le marché de gros de l'électricité.

Aussi la CRE a-t-elle précisé que : « La mise en oeuvre de l'Arenh en 2022, du fait du relèvement tardif du volume maximal à 120 TWh et du faible niveau de production du parc électronucléaire, a conduit EDF à devoir racheter des volumes à prix élevés afin de les revendre à ses concurrents (ou répercuter à ses propres clients) au prix régulé, entrainant des coûts importants pour la société. »

Si des pratiques frauduleuses étaient avérées, leur impact serait le suivant, pour la CRE. S'agissant des consommateurs, ceux des fournisseurs en cause seraient lésés au premier chef, en l'absence de répercussion vers eux des droits à l'Arenh ; l'ensemble des consommateurs seraient également lésés, en cas de déclarations artificielles ayant conduit à une surévaluation de la demande globale d'Arenh et à une augmentation du taux d'écrêtement. Concernant le groupe EDF60(*), en tant que vendeur d'Arenh, l'impact direct pourrait être nul, car les volumes et les prix de vente sont définis à l'avance, quelles que soient les pratiques des fournisseurs alternatifs. De plus, l'impact indirect pourrait être positif, dès lors que le plafond de l'Arenh est atteint et si le taux d'écrêtement était surévalué : en effet, plus le taux d'écrêtement est élevé, plus le prix facturé aux consommateurs finals est fort61(*), plus la part d'Arenh dans les offres du groupe est faible et plus le volume de production d'électricité nucléaire valorisable au prix de marché est important.

Depuis son audition par les rapporteurs, la CRE, dans sa délibération du 29 juin 202362(*), a relevé que la demande d'Arenh au titre de 2022 à excédé de 5,8 TWh, soit 5,6 %, le niveau de droits constatés ex-post, cet excédant étant de 4,9 % après retraitement63(*). À titre de comparaison, la demande d'Arenh au titre de 2021 avait été inférieure de 4 % au niveau des droits constatés ex-post.

Pour l'autorité de régulation, cette surestimation résulte d'un contexte de marché fortement perturbé, avec une inversion des dynamiques concurrentielles, qui n'étaient pas prévisibles au moment du guichet de novembre 2021, telles que le lancement par la Russie de la guerre contre l'Ukraine ou la découverte par le groupe EDF du phénomène de CSC. Preuve de cette dégradation du marché, elle a observé, en 2022, une baisse de la consommation nationale d'électricité brute de 4 %, par rapport à celle de 2021 ou encore une perte de 374 000 clients, sur un total de 10,3 M, chez les fournisseurs alternatifs.

De plus, dans la délibération précitée, la CRE a confirmé que certains comportements individuels sont susceptibles de constituer un abus d'Arenh, et pourront donner lieu à la saisine du CoRDiS et au prononcé d'une sanction financière.

En revanche, l'autorité de régulation a précisé que les écarts entre la consommation demi-horaire déclarée au moment du guichet et celle réalisée excluent l'hypothèse d'un comportement d'arbitrage saisonnier généralisé, comme l'illustre le tableau ci-après, tiré de sa délibération :

Au total, la CRE a estimé que « l'excédent de demande d'Arenh de 5,6 % constaté par rapport au droit final constaté ne résulte donc ni d'une surdemande volontaire de la part des fournisseurs, ni d'un comportement général d'arbitrage saisonnier de l'Arenh ».

Enfin, dans cette même délibération, la CRE a considéré que, sur la centaine de fournisseurs alternatifs, 58 sont redevables du CP1 - et même 74 avant redistribution - et 14 du CP2. Parmi ces fournisseurs, 40 ont effectué une demande 20 % trop élevée par rapport à leurs droits et 14 une demande supérieure au double. Le montant du CP1 au titre de 2022 atteint 1,6 Md€ et celui du CP2 21,9 M€.

Pour l'autorité de régulation, ce différentiel résulte d'un « effet volume » - l'inversion précitée des dynamiques concurrentielles de marché - et d'un « effet prix » - un prix sur le marché de gros de l'électricité64(*) 3 fois supérieur à celui de 2021.

En définitive, la CRE a indiqué que « la combinaison de ces deux effets “ prix ” et “ volume ” a généré un montant global de CP1 exceptionnellement élevé ».

Compte tenu du montant exceptionnel de CP1 au titre de 2022, la CRE a admis que les modalités contractuelles liant les fournisseurs aux consommateurs ne sont pas toujours adaptées pour permettre une bonne répercussion du CP1 vers ces derniers : « Les clauses contractuelles entre les fournisseurs et leurs clients relatives à la gestion du complément de prix CP1 ne sont pas nécessairement adaptées à la situation exceptionnelle rencontrée en 2022. »

Outre la CRE, le CoRDiS a indiqué aux rapporteurs avoir été saisi en mai dernier par cette dernière de 3 demandes d'interruption de la livraison au titre de 2023, devant être instruites d'ici mi-juillet ; il n'a pas été saisi de demande portant sur la répercussion vers les consommateurs finals du volume de 20 TWh au titre de 2022.

Depuis son audition par les rapporteurs, la CRE, par voie de presse le 29 juin 2023, a fait savoir que le CoRDiS a procédé à l'interruption de la livraison d'Arenh pour 3 fournisseurs au titre de 2023 : Blanka, ComparElec et Hellio Solutions65(*).

De son côté, le MNE a indiqué aux rapporteurs avoir procédé au signalement de 2 fournisseurs, dont 1 a prospéré ; 16 % des litiges portés devant lui sont liés à une interprétation abusive de l'article L. 224-10 du code de la consommation, par laquelle certains fournisseurs modifient les contrats en cours.

À la demande des rapporteurs, la DGEC a dressé le bilan du relèvement exceptionnel du plafond de l'Arenh en 2022. 145,9 TWh ont été attribués en 2022, dont 19,5 TWh de manière supplémentaire, à compter du 1er avril. C'est davantage que les précédentes années (126,2 TWh en 2020, 126,3 en 2021 et 126,6 en 2023). Certains fournisseurs ont effectivement eu une stratégie de maximisation des portefeuilles pendant l'été puis de désincitation pendant l'hiver, afin de revendre l'Arenh sur le marché de gros de l'électricité à des prix élevés, et sans que les compléments de prix ne puissent opérer. Cette stratégie n'a pas eu d'impact direct sur le groupe EDF car le plafond de l'Arenh était de toute façon atteint. 14 fournisseurs ont fait l'objet d'une correction pour le guichet de 2023, ce qui représente 0,56 TWh sur un total de 148,9 TWh. De plus, pour le guichet de 2021, le droit à l'Arenh a été supérieur de 2,5 TWh et les montants de CP1 de 161,7 M€ et de CP2 de 18,6 M€66(*). Enfin, 4 enquêtes ont été lancées pour le guichet de 2022, sans mise en évidence de pratique frauduleuse à ce stade.


* 52 Contre 35 % en l'absence du « bouclier tarifaire ».

* 53 Par rapport aux prix atteints en mai 2021.

* 54 Dont 8 entreprises locales de distribution (ELD).

* 55 92 % des fournisseurs alternatifs, dont les plus importants, ont répondu.

* 56 Dont 1 contre Ohm Énergie.

* 57 Dont 1 pour des faits antérieurs.

* 58 Qui ont donné lieu à 3 recours d'Ohm Énergie, Sagiterre et Elmy.

* 59 Réseau de transport d'électricité (RTE), Bilan électrique 2022, 2023 ; Bilan électrique 2021, 2022.

* 60 Ce constat est partagé par la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC).

* 61 Car EDF réplique cet écrêtement dans ses offres.

* 62 Délibération n°2023-176 de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) du 29 juin 2023 portant décision sur le calcul du complément de prix Arenh sur l'année 2022.

* 63 Soit la prise en compte de l'écrêtement, des volumes additionnels d'Arenh et des interruptions de livraison en cours d'année.

* 64 Indice SPOT.

* 65 Erwan BENEZET, « Électricité d'EDF revendue au prix fort : trois fournisseurs rappelés à l'ordre », Le Parisien, 29 juin 2023.

* 66  Délibération n°2022-187 de Commission de régulation de l'énergie (CRE) du 30 juin 2022 portant décision sur le calcul du complément de prix Arenh sur l'année 2021.

Les thèmes associés à ce dossier