II. RENFORCER LES CONTRÔLES ET LES SANCTIONS LIÉS À L'ARENH

En second lieu, les rapporteurs sont conscients du besoin de renforcer les contrôles et les sanctions liés à l'Arenh, qui ont été éprouvés par de possibles abus en 2022.

À cette fin, plusieurs évolutions sont nécessaires.

Tout d'abord, les rapporteurs appellent à faire évoluer la notion d'abus du droit d'Arenh, afin notamment de pouvoir réprimer dans ce cadre les comportements de fournisseurs intermittents.

Actuellement, l'article L. 134-26 du code de l'énergie définit l'abus du droit d'Arenh comme « tout achat d'électricité nucléaire historique dans le cadre du dispositif d'accès régulé à celle-ci sans intention de constituer un portefeuille de clients y ouvrant droit, en particulier tout achat de quantités d'électricité nucléaire historique excédant substantiellement celles nécessaires à l'approvisionnement de sa clientèle et sans rapport avec la réalité du développement de son activité et les moyens consacrés à celui-ci, et plus généralement toute action participant directement ou indirectement au détournement des capacités d'électricité nucléaire historique à prix régulé ».

Cette définition peut se révéler insuffisante pour réprimer les comportements abusifs des fournisseurs, dont les arbitrages saisonniers.

C'est pourquoi le CoRDiS a indiqué que « pour améliorer la répression des manquements liés à l'Arenh, il pourrait être intéressant d'élargir la notion d'abus du droit d'Arenh pour pouvoir y intégrer de nouveaux types de manquement ».

Dans le même esprit, EDF a suggéré « de préciser la notion d'abus du droit d'Arenh afin d'appréhender en particulier les comportements des fournisseurs alternatifs intermittents et ainsi permettre au régulateur de se saisir pleinement de son pouvoir de sanction ».

Plus encore, les rapporteurs estiment crucial de compléter les sanctions pouvant être appliquées en cas d'abus du droit d'Arenh, de manière notamment à en supprimer le bénéfice en cas d'abus avéré.

Selon le droit en vigueur, le CoRDiS dispose de pouvoirs de mise en demeure et de sanction des abus (article L. 134-26 du code de l'énergie), d'interruption de la fourniture (article L. 336-9 du même code), ainsi que d'interdiction de l'accès aux réseaux, pour une durée ne pouvant excéder un an, et de sanction, jusqu'à 8 % du chiffre d'affaires HT (article L. 134-27 du même code).

Dans ce contexte, le CoRDiS a estimé qu' « il pourrait être intéressant [...] aussi s'agissant des sanctions pouvant être prononcées, de supprimer le bénéfice de l'Arenh en cas d'abus de l'acteur reconnu coupable d'un manquement. »

Dans le même ordre d'idées, EDF a relevé que « des modifications pourraient être apportées [à l'article] 134-27 du code de l'énergie en vue notamment d'ajouter une sanction par le CoRDiS en cas d'abus avéré (interdiction temporaire de bénéficier de l'Arenh à l'instar de ce qui est prévu en cas de défaut de paiement). »

Au-delà de la définition de l'abus du droit d'Arenh et de sa répression, les rapporteurs considèrent prioritaire d'accélérer les procédures devant le CoRDiS et de formaliser les signalements reçus par la CRE.

Actuellement, le CoRDiS doit répondre en urgence à la saisine du président de la CRE portant sur l'interruption de la livraison d'Arenh (article L. 336-9 du code de l'énergie).

De plus, il tâche de réduire les délais d'instruction et d'appliquer les meilleures pratiques, comme il l'a indiqué aux rapporteurs : « Sa pratique générale est de respecter, lorsqu'ils existent, les délais légaux même lorsqu'ils ne sont pas fixés à peine de dessaisissement ou d'illégalité (cas du règlement des différends, le délai maximum de quatre mois est désormais respecté de manière systématique sauf demande des parties elles-mêmes) ; un même effort de compression des délais de procédure a été entrepris pour les différents types de sanction, sachant que la très grande complexité de certains dossiers et les exigences du procès équitable interdisent de réduire excessivement le temps de procédure. »

Pour autant, davantage de célérité peut être encore recherchée.

C'est une préoccupation identifiée par la CRE : « Une réflexion est en cours pour proposer une accélération des procédures du CoRDiS afin de sanctionner, le cas échéant, plus rapidement les acteurs. Ces modifications nécessiteraient des modifications législatives. »

C'est aussi une préoccupation intéressant le CoRDiS lui-même : « De manière générale, le CoRDiS estime, en accord sur ce point avec le collège de la CRE, qu'une refonte des procédures de sanction par le législateur pourrait utilement intervenir en réduisant les éléments redondants de contradictoire, permettant de diviser par deux, sans réduction de garantie, les délais séparant la décision de la CRE de rechercher une sanction et la date à laquelle le CoRDiS se prononce. »

Pour réaliser concrètement cette accélération, plusieurs procédures pourraient être instituées, telles qu'une procédure de référé, comme l'a suggéré le CoRDiS : « De même, la recherche de l'établissement de pouvoirs d'urgence, permettant (à l'instar de la procédure de référé devant les juridictions) à un membre du CoRDiS au terme d'une audience après une instruction accélérée de prononcer des mesures provisoires, jusqu'à l'intervention d'une décision de fond dans un délai inférieur à deux mois, pour les cas les plus manifestes pourrait utilement être mise à l'étude. »

Parmi les autres procédures, une possibilité de transaction ou de clémence est aussi évoquée par le CoRDiS : « Une révision de la procédure de sanction pouvant comporter l'introduction d'une possibilité de transaction (sanction négociée), ou encore de clémence (sur le modèle de l'autorité de la concurrence) permettrait à la CRE et à son comité de compléter utilement ses outils de régulation, de contrôle et de sanction. Ce moyen est largement employé par certaines autorités administratives indépendantes françaises (AMF, ADLC) ainsi que par des autorités nationales de régulation au niveau européen. »

Autre point, si le CoRDiS ne demande pas à disposer de pouvoirs et de moyens d'enquête et de contrôle, il souhaite que la CRE bénéficie à cette fin de moyens complémentaires, le cas échéant mutualisés : « Le CoRDiS ne souhaite pas, de manière à respecter la logique du choix opéré par le législateur de confier à un comité séparé du régulateur le pouvoir de sanction, disposer de pouvoirs d'enquête ou de contrôle. Il est en revanche éminemment souhaitable, dans le domaine de l'Arenh et plus généralement dans tous les domaines pour lesquels le CoRDiS dispose d'un pouvoir de sanction, que les moyens de contrôle et d'enquête et les moyens mis à la disposition des enquêteurs (tels que les systèmes d'intelligence artificielle pour la surveillance des comportements de marché), soit considérablement renforcés. De manière à ménager les ressources de l'État, et alors que les besoins peuvent être conjoncturels, une mutualisation de certaines compétences (informatiques économiques, juridiques) permettrait d'obtenir un renforcement collectif des autorités de contrôle de marchés de toute nature. Le modèle du PEReN (Pôle d'expertise de la régulation numérique, service à compétence nationale qui peut être mobilisé par les autorités de régulation sur une base conventionnelle respectant leur autonomie) est un bon exemple de renforcement fondé sur la synergie et la maitrise des couts. »

Une extension de la saisine du CoRDiS dans les différentes procédures prévues en matière d'Arenh pourrait aussi être étudiée, de manière à ce que le comité puisse être plus largement saisi, au-delà de la CRE, par le ministre chargé de l'énergie, les parties à l'accord-cadre, des associations agréées d'utilisateurs, des organisations professionnelles ou encore d'office, à l'instar des procédures applicables aux réseaux d'électricité notamment (article L. 134-25 du code de l'énergie).

Cependant, sans pouvoir d'enquête ou de contrôle, l'impact d'une telle réforme pourrait être limité, comme l'a indiqué le CoRDiS : « Si l'article L. 134-25 du code de l'énergie prévoit que le CoRDiS peut procéder d'office à des sanctions, le législateur n'a attribué pour autant aucun pouvoir de contrôle au comité, seule la CRE étant en mesure d'utiliser les moyens dont elle dispose et les pouvoirs d'enquête qui lui sont reconnus par la loi. Il est donc, dans les faits, impossible au CoRDiS de sanctionner d'office comme la loi le lui permet. »

Parmi les personnes auditionnées, certaines ont regretté l'absence de retour formel sur les saisines en matière d'Arenh.

Ainsi, le MNE a relevé le retard avec lequel la CRE a été répondu à ses signalements : « Olivier Challan Belval, le médiateur national de l'énergie, a immédiatement adressé un courrier le 13 décembre 2021 à l'ancien président de la CRE, Jean-François Carenco, pour lui signaler cette affaire. Le médiateur national de l'énergie n'a pas été tenu informé par la CRE des suites qui auraient été données à son courrier de signalement ; elle n'en a même pas accusé réception... De nouveau alerté en août 2022 par des pratiques suspectes du même fournisseur [...] le médiateur national de l'énergie a pris contact avec Emmanuelle Wargon, la nouvelle présidente de la CRE, qui s'est immédiatement saisie du sujet ; elle a notamment mandaté un représentant de la CRE à la réunion organisée par le médiateur national de l'énergie [...] le 25 août 2022. ».

Plus largement, le MNE a rappelé ne pas toujours avoir de retour sur ces alertes de la part des différents services : « Le MNE ne dispose pas de pouvoir contraignant, d'enquête ou de sanction. Lorsqu'il identifie qu'une pratique d'un opérateur lui semble être en infraction avec la réglementation en vigueur, il effectue un signalement auprès des autorités compétentes : DGCCRF principalement, pour les infractions au code de la consommation (plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines d'infractions par mois), DGEC en cas d'infraction au code de l'énergie, ou CRE en cas de manquement aux règles de fonctionnement du marchés. Le MNE n'est généralement pas informé des suites données par les autorités compétentes à ses signalements, qui alimentent des enquêtes, lesquelles peuvent durer plusieurs mois, voire plusieurs années. »

Si l'Anode a estimé utile de centraliser le suivi et le contrôle de l'Arenh autour de la CRE, elle a relevé le rôle des signalements complémentaires du MNE : « Il nous paraît préférable de centraliser cette activité au sein d'une seule autorité pour garantir l'efficacité du dispositif de suivi et de contrôle. De plus, la CRE dispose de prérogatives larges au titre de la surveillance du marché de détail et, depuis 2022 au titre du mécanisme Arenh, pour enquêter et, le cas échéant, demander l'application de sanctions au CoRDiS. Le MNE, pourra compléter ce travail de surveillance en signalant à la CRE les cas qu'il juge " anormaux ” ou “ suspicieux ”, comme il le fait déjà avec la CRE ou la DGCCRF sur d'autres sujets. »

De son côté la CLCV a regretté, à l'instar du MNE, le délai avec lequel il lui a été répondu : « Notre association avait publiquement prévenu dès janvier 2022 (communiqué de presse et lors des auditions TRV par la CRE) du risque de faille spéculative sur l'Arenh. Il a fallu attendre septembre pour avoir un début de réaction publique. [...] Notez que la CRE n'a jamais répondu à nos courriels qui détaillent nos calculs. [...] Le guichet Arenh de 2022 a été complément dysfonctionnel et la CRE fait preuve d'une passivité très problématique et son attribution 2022 pose de nombreuses questions sur les objectifs du régulateur : [Pourquoi] attribuer 20 TWh de plus alors que le besoin réel était surestimé de 24 TWH ? Le problème s'est reposé sur le guichet Arenh 2023 dans une moindre mesure (plutôt 10/12 TWh de surestimation) [...] L'inaction de la DGCCRF sur le marché de détail énergie est un sujet important mais tout autre. »

S'il est nécessaire d'accélérer les procédures et d'élargir leur sanction, les rapporteurs estiment utile une plus grande reddition des comptes au profit des consommateurs.

Selon la législation applicable, la CRE rend compte de son activité via un rapport trimestriel sur le marché de détail, un rapport annuel sur l'évolution des contrats à tarification dynamique (article L. 134-15-1 du code de l'énergie), un rapport annuel sur les gestionnaires des réseaux, un rapport bisannuel sur les réseaux électriques intelligents (article L. 134-15 du même code) ou encore un bilan de sa mission de surveillance des PPA (II de l'article 86 de la loi « EnR », de 2023107(*)).

De son côté, le MNE gère le comparateurs des offres de fourniture de gaz naturel et d'électricité (article L. 122-3 du même code).

Ensemble, la CRE et le MNE doivent organiser des campagnes d'information sur l'introduction des offres à tarification dynamique (B du VI de l'article 96 de la loi « Climat-Résilience », de 2021108(*)) ou l'extinction des tarifs réglementés de vente du gaz (VIII de l'article 63 de la loi « Énergie-Climat », de 2019109(*)).

Il faut appliquer effectivement le régime de contrôle et de sanction.

À cette fin, une meilleure reddition des comptes sur l'application du dispositif de l'Arenh, dans le cadre des rapports annuels de la CRE et du MNE serait nécessaire.

Quant aux ministres chargés de l'énergie et de l'économie, ils devraient organiser une présentation sur le même sujet, et notamment de l'activité de la DGEC et de la DGCCRF dans ce cadre, devant le Parlement.

EDF a ainsi proposé une plus grande reddition des comptes de la CRE et du MNE : « EDF n'identifie pas, à date, de nécessité de renforcement des attributions ou des moyens de la CRE ou du MNE. Ces deux organismes pourraient, en revanche, faire évoluer leur pratique, afin de faire davantage de publicité aux comportements dévoyés de certains fournisseurs, notamment concernant ceux suspendant leur développement commercial ou encourageant leurs clients à rejoindre le fournisseur historique pendant les périodes hivernales. »

Autre sujet, les rapporteurs considèrent nécessaire de tirer les conclusions des difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre du relèvement exceptionnel du plafond de l'Arenh en 2022, dans le but d'appliquer les meilleures pratiques en termes de contrôle et de sanction ou encore d'information.

Ce bilan pourrait être établi par la CRE, avec le cas échéant, l'appui du MTE. Il devrait faire l'objet d'une publication sur le site du régulateur et du Gouvernement et d'une transmission au Parlement.

Ce besoin d'évaluation a notamment été signalé par Vattenfall : « Il serait utile que la mission d'information sénatoriale demande un retour d'expérience à la CRE sur l'application de l'Arenh+ pour étudier la manière dont les fournisseurs ont agi et comment cela a aidé l'industrie à faire face à la crise des prix de l'énergie. »

Enfin, à l'heure de la réforme du marché européen de l'électricité, les rapporteurs jugent essentiel de conserver les compétences des autorités de régulation ou juridictions nationales dans la recherche ou la répression des comportements frauduleux dans le secteur de l'électricité.

C'est une nécessité au regard des principes de subsidiarité mais aussi d'indépendance et d'impartialité.

Dans ce contexte, l'analyse faite par la DGEC leur semble appropriée : « La réforme européenne du marché de l'électricité envisage également d'améliorer le fonctionnement de la régulation des acteurs et, si les autorités françaises ne sont pas convaincues de la pertinence des solutions envisagées par la Commission - elles passeraient par un renforcement des pouvoirs du régulateur européen, l'ACER, au détriment des pouvoirs des régulateurs nationaux -, cela montre que cet enjeu est actuellement discuté au niveau européen. La France porte dans les négociations une amélioration de ces dispositions. »

Recommandation n° 2 : Renforcer les contrôles et les sanctions liés à l'Arenh, en :

- Élargissant la notion d'abus d'Arenh, pour réprimer les comportements intermittents des fournisseurs (article L. 134-26 du code de l'énergie) ;

- Ajoutant une sanction auprès du CoRDiS, pour supprimer le bénéfice de l'Arenh en cas d'abus avéré (article L. 134-27 du code de l'énergie) ;

- Accélérant les procédures devant le CoRDiS (référé, transaction, clémence, saisine) et formaliser les signalements du MNE vers la CRE, la DGEC ou la DGCCRF ;

- Rendant compte, auprès des consommateurs, de l'activité de contrôle et de sanction de la CRE, du MNE, de la DGEC et de la DGCCRF ;

- Faisant établir, par la CRE et le MTE, un retour d'expérience sur les contrôles et les sanctions mis en oeuvre dans le cadre de l' « Arenh + » ;

- Refusant le transfert de compétences des autorités ou juridictions nationales vers l'ACER, dans le cadre de la réforme du marché européen de l'électricité.


* 107 Loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables (Article 86).

* 108 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (Article 96).

* 109 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat (Article 63).

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