C. RÉFORMER LE FINANCEMENT DES INFRASTRUCTURES FERROVIAIRES POUR DIMINUER LES PÉAGES ET COUVRIR AINSI LE BESOIN DE FINANCEMENT EN FONCTIONNEMENT DES RÉGIONS
Les rapporteurs avaient déjà eu l'occasion de dresser ce constat dans leur rapport précité de mars 2022 consacré aux perspectives financières de la SNCF, le modèle de financement du réseau ferroviaire français suppose que le gestionnaire d'infrastructures, c'est-à-dire SNCF Réseau, couvre lui-même le coût complet du réseau au moyen des ressources qu'il tire des péages ferroviaires. Cette situation induit un niveau de péages élevé qui handicape particulièrement la compétitivité des services ferroviaires conventionnés tels que les TER ou les Transiliens. Le niveau élevé des péages en France est un frein au développement pourtant nécessaire de la mobilité ferroviaire du quotidien et devient proprement insoutenable pour les AOM régionales, d'autant plus du fait des hausses considérables de redevances sur les services conventionnés prévues entre 2024 et 2026 et au-delà même jusqu'en 2030 (voir supra).
Le modèle français se distingue de celui d'un grand nombre de nos voisins dans lesquels la part de subventions de l'État dans le financement du réseau est beaucoup plus forte et, par conséquent, le niveau des péages ferroviaires nettement moins élevé. D'après les dernières données de comparaisons européennes mises à dispositions par l'IRG-Rail103(*), et sur un périmètre qui ne tient pas compte des redevances d'accès qui sont acquittées par l'État pour les services TER et par IDFM pour l'activité Transilien, les redevances au train-kilomètre sont en France 3 fois plus élevées qu'aux Pays-Bas, 2,5 fois plus élevées qu'en Italie ou en Autriche, etc. Et compte-tenu des hausses prévues dans les années à venir destinées notamment à rétablir la situation financière de SNCF Réseau, ce différentiel ne va faire que s'aggraver.
Le système français de péages élevés sollicite de plus en plus lourdement les régions. Les perspectives d'augmentation des redevances sur l'activité TER d'ici 2030 apparaissent difficilement soutenables pour les budgets régionaux qui n'ont pas vocation à financer le rétablissement comptable de SNCF Réseau, dont les difficultés résultent des décisions passées et des sous-investissements caractérisés de l'État dans les infrastructures ferroviaires.
Les rapporteurs considèrent que le modèle français de financement des infrastructures se traduit par une pression financière exagérément élevée sur les régions qui pourraient en conséquence être amenées à faire des arbitrages budgétaires au détriment du nécessaire accroissement du niveau d'offre qu'elles proposent à ce jour.
Il nous faut nous inspirer des modèles en vigueur ailleurs en Europe. La seule obligation fixée par la réglementation européenne104(*) consiste à fixer des péages à hauteur du coût directement imputable aux circulations ferroviaires, c'est-à-dire leur coût marginal. Cette obligation est remplie en France par la redevance dite de circulation. En revanche, les redevances de marché comme les redevances d'accès sont des majorations décidées nationalement en dehors de toute contrainte européenne.
Les recettes que génèrent en France ces majorations, qui servent à couvrir le coût complet du réseau, sont, dans de nombreux pays européens, versées par l'État au gestionnaire d'infrastructure sous forme de subventions d'investissements. Dans ces modèles, l'État finance par des subventions les investissements consistants dans les infrastructures, dont les dépenses de renouvellement et de développement, tandis que les redevances versées par les opérateurs, calculées sur le seul coût marginal des circulations, ne servent à couvrir que les coûts d'exploitation de celles-ci. La Suisse, la Suède, l'Italie, l'Allemagne ou encore les Pays-Bas appliquent notamment ce modèle de financement. Il en va de même de l'Autriche, pays réputé pour la qualité de son système ferroviaire.
Le système de financement français est incompatible avec l'objectif d'un choc d'offre des mobilités ferroviaires du quotidien, et tout particulièrement des TER. Il est aujourd'hui indispensable d'en finir avec ce modèle aux conséquences malthusiennes pour le transport ferroviaire de passagers.
Il est nécessaire de s'inspirer des expériences de nos partenaires européens pour renverser la logique du modèle français en substituant des subventions de l'État aux majorations de péages105(*) qui conduisent aujourd'hui à ce que les investissements lourds sur les infrastructures ferroviaires soient financièrement assumés par les opérateurs de transport et donc, in fine, par les passagers ou par les AOM régionales.
Recommandation n° 9 : aligner notre modèle de financement du réseau ferré sur celui de nos principaux partenaires européens en limitant les péages ferroviaires à la seule redevance de circulation, l'État devant prendre en charge les efforts de régénération et de modernisation des infrastructures.
Compte-tenu des évolutions de péages très significatives prévues dans les prochaines années et de leurs conséquences potentielles sur les budgets régionaux, une telle réforme aurait un impact considérable sur les perspectives financières des AOM régionales. Le gain cumulé pour elles d'ici 2030 pourrait dépasser les 7,5 milliards d'euros et couvrirait à lui seul 70 % de leur besoin prévisionnel en fonctionnement. Le différentiel, soit 3,4 milliards d'euros, pourrait être couvert par une partie des recettes nouvelles perçues par les régions au titre du dynamisme attendu de leurs ressources de fonctionnement sur la période, essentiellement porté par celles de la TVA. Il convient de préciser que les régions ne disposant pas de ressources dédiées à la mobilité, ces recettes additionnelles attendues ont vocation à couvrir les dépenses de fonctionnement de l'intégralité des politiques régionales.
Couverture des besoins de fonctionnement prévisionnels des AOM régionales
Besoin de financement prévisionnel en fonctionnement jusqu'en 2030 |
Solutions de financement à mobiliser |
Montants cumulés prévisionnels de financement à prévoir jusqu'en 2030 |
Besoin de financement : 11 milliards d'euros Hypothèses retenues : - Augmentation des dépenses de fonctionnement de transports collectifs interurbains et scolaires de 20 % ; - Augmentation en volume de 20 % de l'offre TER à coût constant en raison des gains de performance liés à l'ouverture à la concurrence ; - Augmentation des péages ferroviaires tels qu'ils ont été validé par l'Autorité de régulation des transports (ART) pour 2023-2026 puis selon la trajectoire prévue au contrat de performance de SNCF Réseau ; - Taux d'inflation prévus par le programme de stabilité 2023-2027. |
Diminution des péages ferroviaires |
7,6 milliards d'euros |
Dynamique des recettes de fonctionnement des régions |
3,4 milliards d'euros |
Source : commission des finances du Sénat
* 103 Dans son dixième rapport annuel publié en avril 2022.
* 104 Conformément aux dispositions de la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen.
* 105 Les redevances de marché et d'accès.