H. LA MONTAGNE : LE NOUVEL ELDORADO ?

1. Des dynamiques territoriales très contrastée sur les territoires de montagne
a) Importance et spécificités des territoires de montagne

Notre pays se caractérise par un relief marqué dans plusieurs régions avec les chaînes des Vosges, du Jura, des Alpes, du Massif central et des Pyrénées. On dénombre 5 659 communes classées en tout ou partie de leur territoire en zone de montagne. Elles couvrent environ 15 % du territoire (13 millions d'hectares) et représentent environ 10 % de la population (6,3 millions d'habitants). Les critères de classement en zone de montagne combinent altitude (600 m dans les Vosges, 800 m dans les Alpes du Sud) et pente. Les zones de massif, qui couvrent non seulement la zone de montagne à proprement parler mais également les villes et piémonts qui lui sont immédiatement adjacents regroupent un peu plus de 8 700 communes, représentent un tiers du territoire métropolitain (17 millions d'hectares) et un peu plus de 15 % de la population (10 millions d'habitants).

Les territoires de montagne présentent des caractéristiques communes. Les rendements agricoles y sont bien plus faibles qu'en plaine, ce qui conduit à une domination des activités d'élevage extensif, en particulier du pastoralisme pratiqué par des éleveurs d'ovins (chèvres et moutons).

L'enclavement constitue également une caractéristique des territoires de montagne. Le relief y rend les circulations bien plus difficiles et les aménagements plus coûteux. Les possibilités d'itinéraires alternatifs sont réduites, ce qui n'est pas sans poser des difficultés en cas d'incident. En 2015, un glissement de terrain avait ainsi conduit à la fermeture du tunnel du Chambon en Isère sur la route départementale 1091 reliant Grenoble à Briançon, isolant plusieurs villages de Haute Romanche. De lourds travaux ont été nécessaires pour réaménager le tunnel qui n'a rouvert que fin 2017.

D'une manière générale, même si cela peut être vu comme un atout ou du moins un facteur d'attractivité, l'immersion des communes de montagne dans la nature environnante est aussi un facteur de vulnérabilité, celles-ci étant très exposées aux phénomènes naturels et au cycle des saisons. L'enneigement important l'hiver peut bloquer tout déplacement. Les orages violents peuvent aussi entraîner des glissements de terrain et des pluies diluviennes.

Par ailleurs, la montagne apparaît « en première ligne face au changement climatique »155(*). Les montagnes se réchauffent plus vite que la moyenne : +2°C au cours du 20siècle dans les Alpes et les Pyrénées contre +1,4°C dans le reste de la France. L'enneigement se réduit, singulièrement en dessous de 2 000 mètres d'altitude et les glaciers sont appelés à disparaître quasiment totalement à l'horizon 2100. Les pluies pourraient se renforcer et font peser des risques accrus de ruissellement et de glissements de terrain. Parallèlement, les communes de montagne peuvent connaître des phénomènes de sécheresse des sols, qui pénalisent le pastoralisme estival et font remonter le risque incendie vers la moyenne montagne.

Au demeurant, les territoires de montagne ne sont pas exonérés des problèmes de pollution urbaine dans les vallées. La topographie conduit à des circulations d'air parfois insuffisantes pour évacuer les polluants atmosphériques. Ainsi, la vallée de l'Arve en Haute-Savoie connaît des taux élevés de concentration de dioxyde d'azote, de particules fines et métaux lourds, provenant du chauffage au bois, de la circulation routière et des activités industrielles, faisant peser un risque sanitaire sur les populations locales.

Les territoires de montagne, enfin, sont caractérisés par une dynamique de peuplement particulière : l'exode rural y a été particulièrement prononcé dans la première moitié du 20e siècle156(*). Fuyant des conditions de vie trop rudes et face aux perspectives de pauvreté chronique, de nombreux montagnards ont quitté les villages en altitude pour s'installer dans les vallées ou partir dans les grandes villes. Des villages entiers ont été rayés de la carte, vidés de la totalité de leurs habitants. Le dépeuplement de la montagne a été freiné dans la seconde moitié du 20siècle par le développement du tourisme ainsi que l'étalement urbain dans la périphérie montagneuse autour des grandes villes en pied de montagne. Mais ce mouvement de revitalisation de la montagne ne s'est pas manifesté partout : Massif central, Pyrénées et Alpes du Sud ont continué à perdre des habitants. Aujourd'hui encore, les communes de montagne suivent des trajectoires assez contrastées : certaines d'entre elles constituent une des modalités de l'espace rural profond, en déclin démographique. À l'inverse, les communes bien desservies, proches d'agglomérations dynamiques, en deviennent les banlieues chics, voire accueillent des résidences secondaires des urbains aisés.

Les communes de montagne bénéficiant d'un attrait touristique notamment lié au ski doivent alors faire face, comme les communes littorales, à l'enjeu de la gestion des flux saisonniers de population.

b) Une politique de la montagne entre protection et valorisation touristique.

Avec l'agriculture et la valorisation des ressources locales, le tourisme a été un axe majeur du développement économique de la montagne depuis l'après-guerre. Les plans neige mis en oeuvre en France dans les années 1960 et 1970 ont visé à faire de la France une destination de tourisme hivernal, pour les Français, comme pour la clientèle étrangère. Des stations ont été créées en altitude de toutes pièces, souvent à l'écart des villages existants, pour offrir un service axé sur les sports d'hiver pratiqués en masse. Les stations se sont dotées d'aménagements destinés aux touristes skieurs : routes d'accès depuis les vallées, remontées mécaniques. La France compte environ 350 stations de ski qui couvrent 300 000 hectares, aux deux tiers concentrés dans les Alpes du Nord (Haute-Savoie, Savoie et Isère). L'économie du ski représente de l'ordre de 120 000 emplois directs et indirects.

La politique touristique de développement du ski a sans doute conduit à renverser la tendance au déclin démographique des zones de montagne où cette stratégie a été mise en oeuvre. Elle a surtout redonné des perspectives de diversification d'une économie à dominante agricole et forestière. Mais le prix à payer en termes de dégradation du paysage a pu paraître excessif, si bien qu'une politique de la montagne davantage axée sur la préservation de l'environnement a été entreprise à partir des années 1980.

Cette politique s'est traduite par l'adoption en 1985 de la loi Montagne, qui a imposé un certain nombre de règles comme celle de l'extension de l'urbanisation seulement en continuité de l'urbanisation existante, afin d'éviter le mitage du territoire, ou encore la préservation des parties naturelles des rives des plans d'eau. De vastes zones ont en outre été intégrées dans des parcs naturels, assurant ainsi une protection accrue de la faune et de la flore. La loi a malgré tout permis de continuer à développer le tourisme à travers les unités touristiques nouvelles (UTN) pouvant être à distance des villages, mais en encadrant ces dispositifs. La loi Montagne a créé un Conseil national de la Montagne (CNM) et des Comités de massif pour mieux coordonner l'action des collectivités et de l'État dans les zones concernées.

La loi Montagne II de décembre 2016 a modernisé les dispositifs législatifs afin d'améliorer la gouvernance des territoires de montagne, mais aussi de faciliter le logement des travailleurs saisonniers, de rénover l'immobilier touristique qui a souvent mal vieilli, de diversifier le tourisme en montagne vers du tourisme vert hors saison hivernale, ou encore de mieux planifier l'implantation des UTN.

Si les territoires de montagne sont devenus des territoires touristiques, il ne faut pas oublier qu'ils restent aussi des espaces naturels à préserver, où l'on doit maintenir les activités productives en lien avec la nature, et où la protection de la faune et de la flore sauvages sont des enjeux essentiels.

c) Vallées dynamiques contre villages isolés.

Si l'altitude ou la pente, un climat plus rude et des distances plus longues à parcourir sont une caractéristique commune aux territoires de montagne, ceux-ci sont tout de même d'une très grande variété. La manière d'y occuper l'espace varie considérablement, selon les régions, mais aussi à l'intérieur d'un même massif. Les travaux de la Datar157(*) menés en 2011 mais encore d'actualité distinguaient trois grands ensembles : la montagne urbanisée, regroupant 63 % des habitants sur seulement 13 % de la surface des massifs ; la moyenne montagne industrielle et agricole, regroupant 25 % des habitants sur 58 % du territoire ; enfin la haute et moyenne montagne résidentielle et touristique, regroupant 11 % des habitants permanents sur 28 % de la surface des massifs.

La montagne urbanisée constitue un pôle moteur, qui explique en grande partie le dynamisme démographique des départements de montagne. Les départements alpins en sont un parfait exemple. Entre 1970 et aujourd'hui, la Savoie est passée de 290 000 à 440 000 habitants, la Haute-Savoie de 400 000 à 835 000, l'Isère de 800 000 à 1,3 million. Mais il existe des contrastes locaux significatifs. Dans une étude de 2019, l'INSEE notait ainsi que l'Est de la Savoie, correspondant aux zones de forte altitude, voyait sa démographie stagner, voire régresser, tandis que l'essentiel de la croissance démographique se fait dans les villes de l'Ouest : Chambéry et Aix-les-Bains158(*).

En Auvergne, où vivent un quart des habitants des zones de montagne de France, une dynamique démographique positive pour les communes de montagne est aussi constatée, mais elle est moins forte que dans les Alpes ou le Jura. Tirée là aussi par l'étalement urbain autour de villes-centres comme Clermont-Ferrand, Le-Puy-en-Velay ou Aurillac, la croissance de la population ne s'étend pas aux villages ruraux plus isolés159(*). Il existe ainsi de forts contrastes au sein même des communes de montagne et la pression foncière y est donc très variable.

Typologie des zones de montagne (Datar 2011)

2. Un renouveau montagnard largement dépendant de stratégies locales
a) Une diversification qui s'appuie sur les initiatives locales

Les activités dominantes des territoires de montagne sont liées à l'économie présentielle, à l'exploitation des ressources locales principalement forestières et agricoles et au tourisme.

La crise du Covid-19 a fortement touché les activités touristiques, en particulier les stations de ski. Un plan « Avenir Montagne », déclinaison du Plan de relance, doté de 331 millions d'euros, a été lancé en 2021 pour différencier l'offre touristique et renforcer la dimension « tourisme nature » des territoires de montagne.

La mise en oeuvre de ce plan repose sur des porteurs de projets locaux, autour des collectivités territoriales. S'agissant principalement de petites communes et de petites intercommunalités, il est nécessaire de prévoir un accompagnement en termes d'ingénierie. Une enveloppe est donc prévue sur ce volet. Présenté aux membres du Conseil national de la Montagne (CNM)160(*) en février 2023, ce plan vise à créer un effet de levier vers une diversification plus grande des activités dans les communes de montagne. En particulier, le tourisme est appelé à évoluer pour ne plus se concentrer sur les mois d'hiver. Il s'agit d'aller vers ce que le rapport du sénateur Cyril Pellevat publié en 2020 appelait une montagne « quatre saisons »161(*).

Des investissements sont ainsi programmés pour permettre aux randonneurs de sillonner les massifs, en remettant en état 1 000 km de sentiers de randonnée. Moderniser les stations de ski n'est plus la principale dimension à prendre en compte. La diversification des hébergements touristiques est ainsi recherchée et le lien à la nature est renforcé, y compris par la promotion des classes vertes pour les établissements scolaires.

Mais le soutien aux territoires de montagne ne peut se résumer à l'encouragement du tourisme et à la multiplication d'appels à projets. Il convient aussi de répondre aux besoins quotidiens des habitants, à travers des services publics qui fonctionnent. À l'instar des territoires ruraux, la question de la couverture numérique du territoire y est sensible, et l'accès à la fibre optique ou encore aux réseaux mobiles de nouvelle génération y est globalement plus lent qu'ailleurs.

Il convient cependant de ne pas dresser un tableau trop négatif. Les territoires de montagne constituent le terrain d'innovations visant à adapter les services publics aux spécificités montagnardes. Par exemple, les services de transport y sont certes moins développés, compte tenu de la faible densité de population, mais le covoiturage, l'auto-partage et le transport solidaire s'y déploient. Dans son rapport de prospective consacré aux mobilités dans les espaces peu denses162(*), le sénateur Olivier Jacquin soulignait fort justement que la densité du lien social dans les espaces peu denses pouvait apporter des solutions à travers des initiatives locales d'habitants, qui souvent, créaient de toutes pièces des services en s'auto-organisant. La puissance publique est appelée ensuite à labelliser les initiatives et éventuellement à en assurer la pérennité dans le temps, en relayant après quelques années les porteurs initiaux des projets.

b) Comment soutenir la montagne ?

Les territoires de montagne présentent des handicaps agronomiques, en termes de mobilités ou encore d'exposition aux évènements météorologiques extrêmes, mais ils ont aussi d'immenses atouts. Leur cadre de vie paraît davantage préservé qu'ailleurs et nourrit leur attractivité, tant pour des touristes que pour de nouveaux résidents qui peuvent s'y connecter à la nature. Probablement parce qu'ils sont habitués à être soumis aux phénomènes météorologiques extrêmes (tempêtes, orages) et aux importantes variations saisonnières de leur climat, les habitants des montagnes ont aussi développé précocement des stratégies d'adaptation dans leur mode de vie et dans leur organisation collective. À l'heure où toutes les administrations, toutes les collectivités, mais aussi les entreprises et grandes organisations doivent élaborer leur plan d'adaptation au changement climatique afin de devenir plus résilientes, cette résilience est mise en place concrètement dans les territoires de montagne.

Pour autant, l'occupation de l'espace y est toujours plus difficile, parfois plus coûteuse. Les trajets sont plus longs, même sur de faibles distances, ce qui justifie des soutiens spécifiques. Ainsi, le ramassage du lait en montagne est plus cher163(*) qu'en plaine. La loi Montagne II de 2016 avait prévu un soutien fiscal à travers une exonération de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour les véhicules de collecte en montagne, mais n'est pas entrée en vigueur, faute de décret d'application. Les soutiens publics destinés au monde rural bénéficient largement aux territoires de montagne. Il en va ainsi des ICHN dans le cadre de la politique agricole commune ou encore de la dotation de solidarité rurale (DSR). Réunis au sein de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM), les représentants des habitants des zones de montagne rappellent régulièrement la nécessité de compenser les charges spécifiques supportées par la montagne, comme les charges de déneigement. La solidarité forte envers les communes de montagne se justifie d'autant plus que ces territoires rendent des services à la plaine, par exemple en matière d'approvisionnement en eau ou de stockage de celle-ci dans des retenues d'altitude qui permettent ensuite, non seulement de produire de l'hydroélectricité, mais aussi de soutenir les étiages pour l'irrigation ou pour alimenter les villes en eau potable.

Reconnaître les services rendus par la montagne et soutenir les habitants de ces espaces passe en réalité par une bonne connexion de ces territoires avec leur voisinage. Assurer des services de transport, assurer la couverture numérique sont des attentes fortes et légitimes. Les villages les plus reculés ne peuvent pas disposer d'école, encore moins de collège ou lycée à proximité. Les enfants des territoires de montagne n'ont souvent d'autre choix que de faire de longs trajets en bus ou d'entrer très jeunes dans des internats. Préserver un maillage serré des services à la population constitue donc l'enjeu majeur pour l'avenir de la montagne.


* 155  https://www.adaptation-changement-climatique.gouv.fr/thematiques/montagne

* 156  https://www.persee.fr/doc/rga_0035-1121_1989_num_77_4_2757

* 157  https://hal.science/hal-00911232/PDF/TRAVAUX_en_L_12_22032012_bd.pdf

* 158  https://www.insee.fr/fr/statistiques/4196675

* 159  https://www.insee.fr/fr/statistiques/1285503

* 160  https://www.ecologie.gouv.fr/bilan-du-plan-avenir-montagnes

* 161  https://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-635-notice.html

* 162  https://www.senat.fr/notice-rapport/2020/r20-313-notice.html

* 163 Les coûts de la collecte du lait en montagne vont de 25 à 60 euros/1 000 litres, contre 10 à 15 euros/1 000 litres en plaine, selon une étude de FranceAgrimer de 2018