C. UNE STRUCTURATION À CONFIRMER, DES OUTILS À DÉPLOYER ET AMPLIFIER
Afin de répondre au constat d'une politique qui n'atteint pas ses objectifs, la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets dite « Climat et résilience » a instauré un certain nombre de nouveaux outils, qui restent en cours de déploiement, doivent encore être ajustés et prennent insuffisamment en compte les spécificités de certains types de logements.
1. Près de deux ans après la promulgation de la loi Climat et résilience, le déploiement des nouveaux outils reste partiel
De nombreux outils restent encore à déployer : comme l'illustre le tableau ci-dessous, un certain nombre de mesures et d'obligations créées par la loi du 22 août 2021 dite « Climat et résilience » relatives à la rénovation énergétique ont une date d'entrée en vigueur différée, prévue entre 2023 et 2034.
Cependant, certaines obligations différées ont d'ores et déjà des effets sectoriels notables. C'est ainsi le cas de l'interdiction progressive à la location des logements mal isolés, dits « passoires énergétiques », lors du renouvellement du bail ou d'un nouveau contrat de location. L'interdiction de mise en location des logements classés G est prévue pour 2025, l'interdiction pour les logements classés F est prévue pour 2028, et celle pour les logements classés E pour 2034. Ces obligations s'ajoutent à l'interdiction des logements classés G +, effective depuis le 1er janvier 2023 et prévue par la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat.
Les logements classés F et G représentent, selon l'Observatoire de la rénovation énergétique (ONRE), 17 % du parc résidentiel au 1er septembre 2022, soit 5,2 millions de logements. L'impact de l'interdiction programmée sur ces logements est déjà perceptible : selon une étude de l'entreprise Nexity, une décote de l'ordre de 6 à 10 % selon les territoires sur le prix des logements classés F ou G est aujourd'hui observée.
Le risque de cette interdiction est ainsi de créer un effet d'éviction sur les logements, en incitant le propriétaire à vendre plutôt qu'à rénover, et ainsi de réduire l'offre locative.
Pour d'autres instruments de la loi, il est bien évidemment trop tôt pour en mesurer l'impact.
Échéancier d'entrée en
vigueur des principales mesures
relatives à la rénovation
énergétique de la loi du 22 août 2021
dite
« Climat et résilience »
Mesure |
Article |
Date d'entrée en vigueur |
Gel du loyer |
Article 159 |
2023 |
Audit énergétique lors de la vente |
Article 158 |
2023 |
Création d'un réseau national d'accompagnement à la rénovation |
Article 164 |
2023 |
Création d'un carnet d'information |
Article 167 |
2023 |
Obligation pour les copropriétés d'adopter un
plan pluriannuel |
Article 171 |
2023 |
Obligation pour les copropriétés |
Article 158 |
202483(*) |
Interdiction de mettre en location |
Article 160 |
2025 |
Audit énergétique lors de la vente de logements classés E en monopropriété |
Article 158 |
2025 |
Interdiction de mettre en location |
Article 160 |
2028 |
Interdiction de mettre en location |
Article 160 |
2034 |
Audit énergétique lors de la vente de logements classés E en monopropriété |
Article 158 |
2034 |
2. Un DPE opposable avant d'être vraiment fiabilisé
Le diagnostic de performance (DPE) est également un outil en cours de fiabilisation. Ce diagnostic, créé par la loi du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique, permet d'estimer la consommation d'énergie d'un bâtiment ainsi que les gaz à effet de serre émis en répartissant les logements sur une échelle de A (logement le plus efficient) à G (logement le moins efficient).
La première génération de DPE était perfectible. Ces DPE, qui reposaient sur la consommation constatée, étaient indicatifs et peu remplis par les propriétaires.
La loi du 22 août 2021 dite « Climat et résilience » a rendu le DPE opposable et l'a placé au centre de la politique de rénovation : les nouvelles obligations (interdiction de locations de passoires énergétiques, obligation d'audit énergétique...) s'appuient ainsi sur cet instrument de mesure.
Cette opposabilité a nécessairement entraîné un travail de fiabilisation, mené en 2021. Le choix a été fait de faire reposer le DPE sur les caractéristiques physiques du logement, et non plus sur la consommation constatée : le DPE est défini par un calcul conventionnel, qui s'appuie sur la performance de l'enveloppe du bâtiment et des systèmes de chauffage. Par ailleurs, la réforme a posé le principe de justification par les diagnostiqueurs des données renseignées dans ce DPE.
La réforme a également permis d'harmoniser la méthode applicable à tous les bâtiments, quelle que soit l'année de construction et de comparer techniquement les logements, malgré une occupation qui peut être différente.
Cependant, les défauts qui se sont révélés lors du lancement du « nouveau DPE » au 1er juillet 2021, notamment une augmentation beaucoup trop importante du nombre de passoires thermiques, ont provoqué une suspension du processus dès l'automne 2021, une reprise de la concertation avec les diagnostiqueurs puis la création in fine d'une version corrigée du DPE.
Aujourd'hui, le DPE, dont la fiabilité a été renforcée fait encore l'objet de critiques de la part des acteurs de la rénovation énergétique. Tout d'abord, le mode de calcul utilisé (consommation par mètre carré) tend, selon l'ONRE, à favoriser une surreprésentation des petits logements parmi les passoires thermiques.
De plus, un problème d'homogénéité des DPE est constaté. De nombreux ménages constatent des écarts de DPE entre diagnostiqueurs pour un même logement en raison souvent de l'insuffisance des informations transmises ou pouvant l'être par les propriétaires en l'absence de carnet d'information du logement qui n'est entré en vigueur que depuis le 1er janvier 2023 (article 167 de la loi Climat et résilience). Cet écart entre les évaluations est susceptible d'entraîner en retour un manque de confiance des ménages, et contribue également à réduire l'acceptabilité sociale des politiques qui s'appuient sur cet outil.
La direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) a engagé à l'automne 2022 un travail avec les représentants des diagnostiqueurs autour d'une feuille de route, afin de répondre à ces critiques et d'assurer un DPE homogène et de meilleure qualité.
Le DPE reste donc, malgré les progrès apportés, une description conventionnelle du logement, une approximation de la réalité physique de la consommation d'énergie dont la fiabilité est encore contestée et qui peine à assumer son rôle attitré de pivot de la politique énergétique du logement.
3. RGE, un label contesté
Tout comme le DPE, le label « reconnu garant de l'environnement » (RGE) ne semble pas avoir pleinement trouvé son équilibre.
Cette mention vise à faciliter l'identification des entreprises bénéficiant d'une qualification professionnelle reconnue en matière de rénovation énergétique. Elle est octroyée par l'un des trois organismes certificateurs (Qualifelec, Qualibat, Qualit'EnR), eux-mêmes accrédités auprès du Comité français d'accréditation (Cofrac), qui s'assurent de la compétence de l'entreprise et effectuent des contrôles de qualité sur chantier.
Pour obtenir la labellisation, le demandeur constitue un dossier transmis à l'organisme de certification compétent afin de démontrer qu'il répond aux compétences techniques définies par l'organisme (formation probante ou d'expérience professionnelle avérée). La demande de qualification est ensuite examinée par un comité ou une commission d'experts, qui statue sur l'attribution ou le refus de la qualification professionnelle.
Le label RGE est également un outil porteur des politiques publiques de rénovation énergétique : un certain nombre d'aides à la rénovation énergétique, comme MaPrimeRénov' ou le dispositif CEE, sont conditionnées à la réalisation des travaux par une entreprise labellisée RGE.
Ce dispositif fait l'objet de deux critiques, qui remettent en cause l'efficacité de la labellisation. D'une part, un manque d'attractivité de la labellisation est constaté. Le nombre d'artisans labellisés stagne à 15 % de son niveau potentiel, soit un nombre sensiblement inférieur à l'objectif fixé par le Gouvernement de 250 000 entreprises labellisées RGE, qui paraît difficilement atteignable.
Ce manque d'attractivité s'explique par plusieurs facteurs : le processus de qualification, qui consiste à avoir un seul référent RGE, tend à ne pas prendre en compte la taille de l'entreprise, ce qui décourage les plus petites entreprises. Ainsi, la baisse observée des entreprises RGE s'observe particulièrement dans les entreprises de moins de cinq salariés, tandis que dans les entreprises de plus de 20 salariés, le nombre d'entreprises certifié est stable.
Surtout, l'orientation sociale prise durant ces dernières années par la politique d'aide à la rénovation énergétique décourage les entreprises : si la clientèle visée par l'entreprise n'est pas éligible aux aides à la rénovation énergétique, l'entreprise n'est que faiblement incitée à effectuer des démarches pour être qualifiée RGE.
D'autre part, les garanties offertes par la labellisation RGE en termes de qualité peuvent apparaître trop limitées. En 2022, sur plus de 16 000 audits effectués au sein de chantiers RGE par l'organisme de certification Qualifelec, 85 % des audits ne présentent aucun écart de non-conformité technique.
Cette statistique ne garantit pas cependant que les chantiers RGE répondent tous à des critères de qualité suffisants : l'organisme de qualification contrôle des chantiers désignés par l'entreprise. L'entreprise peut ainsi sélectionner les chantiers de meilleure qualité, qui ne sont pas forcément représentatifs de la qualité de l'ensemble des travaux de rénovation énergétique menés.
Par ailleurs, la délivrance de la qualification n'est conditionnée qu'à un contrôle conforme de deux chantiers minimum, dans la catégorie de travaux dont relève la qualification. Par la suite, et pendant la durée de qualification, l'entreprise doit fournir cinq références de chantiers réalisés il y a moins de vingt-quatre mois (ou moins de quarante-huit mois s'il n'y a pas de tel chantier) pour audit par le certificateur. Le président de Qualibat Gérard Sénior regrette cependant que le nombre de cinq références ne soit pas proportionné à la taille de l'entreprise réalisant les travaux84(*). C'est à la fois trop peu pour les grandes entreprises et trop pour les plus petites non spécialisées.
Le label RGE n'a donc pas encore pleinement trouvé sa place : le point d'équilibre entre réduction des exigences requises, qui permet d'augmenter le nombre d'entreprises RGE, et renforcement de la qualité, pour assurer la confiance des ménages dans le label est encore à trouver.
4. Mon Accompagnateur Rénov' : un nouvel outil aux contours incertains
La Convention citoyenne pour le climat avait en janvier 2021, déploré le manque d'accompagnement des ménages dans la rénovation énergétique des bâtiments : « ayant conscience de l'impact important que la rénovation globale aura, nous proposons des mesures d'accompagnement en particulier pour les classes moyennes et les ménages modestes85(*) ».
En parallèle, dans un rapport de 2021, France Stratégie considérait que l'une des raisons qui incitent les ménages à privilégier les rénovations monogeste est l'absence d'accompagnement dans leurs démarches de rénovation86(*).
En écho à cette préoccupation partagée, la loi du 22 août 2021 dite « Climat et résilience » prévoit la création au 1er janvier 2023 d'un réseau d'accompagnement à la rénovation énergétique des ménages qui doit accompagner les particuliers vers la rénovation globale. Néanmoins, à ce jour, la mission réelle de Mon Accompagnateur Rénov' reste floue : assistance administrative, conseil, maîtrise d'oeuvre avec suivi des travaux ? Pourtant, le montant de la prestation et les compétences nécessaires sont très différents.
Le Gouvernement a présenté en décembre 202287(*) les missions de l'accompagnateur à la rénovation ainsi que les conditions de délivrance de l'agrément et ses modalités de contrôle.
Conformément aux préconisations de la mission confiée à Olivier Sichel88(*), le nouveau dispositif Mon Accompagnateur Rénov' permet d'agréer à la fois des accompagnateurs du secteur public, du secteur privé à but non lucratif et du secteur privé à but lucratif pour démultiplier plus rapidement le nombre d'accompagnateurs.
L'enjeu principal de cet outil en cours de déploiement est son intégration dans l'écosystème existant. De nombreux acteurs de la rénovation énergétique du bâtiment, comme les syndics ou les artisans, ont ainsi exprimé le sentiment d'une dépossession, d'une absence de reconnaissance de la mission propre d'accompagnement accomplie au quotidien auprès des ménages, ainsi que d'une complexification de l'accompagnement des ménages par la multiplication des acteurs.
Cette question de l'articulation concerne aussi l'offre d'accompagnement existante : la question du doublon avec le réseau existant d'agences locales énergie-climat (Alec) dans les intercommunalités se pose. Ce nouveau dispositif pourrait ainsi mettre en concurrence un service public local avec une offre privée.
En parallèle de l'enjeu de la concurrence, la question de l'indépendance et de la neutralité de ces futurs accompagnateurs se pose également. Dans un contexte de défiance des citoyens envers certains acteurs de la rénovation énergétique, les possibilités de collusion entre accompagnateurs du secteur privé lucratif et d'autres acteurs privés de la rénovation sont un risque qui a été souligné lors des auditions de la commission d'enquête.
Le président du bureau de contrôle Spekty a ainsi insisté sur les risques associés à ce nouveau dispositif : « j'attire votre attention sur le risque de dérive similaire [au dispositif CEE] dans le processus qui confie un rôle central à l'Accompagnateur Rénov' : si aucun dispositif de contrôle n'est mis en place, des pratiques équivalentes pourraient demain se reproduire », c'est-à-dire un écosystème entièrement frauduleux de l'accompagnateur au contrôleur en passant par l'entreprise réalisant les travaux et le délégataire des aides.
5. Les contraintes des copropriétés insuffisamment prises en compte
La participation des copropriétés à la rénovation énergétique est cruciale : les copropriétés représentent plus de la moitié des résidences principales, 31 % des émissions de gaz à effet de serre des résidences principales89(*) et, selon l'entreprise Nexity, 70 % des passoires énergétiques du parc locatif, qui seront progressivement interdites à la location.
a) MaPrimeRénov' Copropriétés monte en puissance
Un dispositif d'aide à la rénovation spécifiquement adapté aux copropriétés a été créé au 1er janvier 2021 : MaPrimeRénov' Copropriétés. Cette aide, qui simplifie les dispositifs existants, permet de financer des travaux sur les parties communes des copropriétés de rénovation globale, qui doivent garantir une amélioration significative du confort et de la performance énergétique.
Au total, selon les acteurs interrogés, les subventions à la rénovation énergétique dans les copropriétés peuvent ainsi représenter jusqu'à 30 à 35 % du coût de la rénovation.
Le recours à cette aide est à la fois particulièrement faible et en progression. Le nombre de bénéficiaires a, selon l'Anah, doublé de 2021 à 2022, passant d'environ 12 000 bénéficiaires à environ 25 000 bénéficiaires.
Le rehaussement, au 1er janvier 2023, du plafond de travaux apparaît de nature à améliorer l'attractivité du dispositif : au 1er janvier 2023, le plafond de travaux est passé de 15 000 à 25 000 euros, tandis que la prime aux ménages modestes est passée de 750 à 1 500 et, pour les très modestes, de 1 500 à 3 000 euros.
Cette réforme, couplée à la prise de conscience environnementale, à la hausse du prix de l'énergie, à l'interdiction progressive des passoires énergétiques et à la sortie de la période Covid-19, préjudiciable aux prises de décision dans les copropriétés, pourrait entraîner une accélération de la progression de l'aide. Ainsi, l'Anah anticipe 40 000 bénéficiaires de MaPrimeRénov' Copropriétés pour 2023.
b) Des obstacles extrafinanciers demeurent
Au-delà de la question du financement de la rénovation énergétique en copropriété, cinq obstacles liés au mode de décision particulier des copropriétés expliquent le faible nombre de rénovations énergétiques en copropriétés.
Premièrement, l'horizon temporel constitue un obstacle extrafinancier à la rénovation énergétique. En copropriété, une durée de trois à cinq ans est nécessaire pour parvenir à réaliser des travaux : une analyse est produite, qui est présentée lors d'une première assemblée générale. La décision d'engager des travaux est votée lors d'une deuxième assemblée générale, qui enclenche la demande de subventions : les travaux débutent ensuite lorsque les subventions sont obtenues.
Deuxièmement, l'instabilité normative des politiques publiques de rénovation énergétique apparaît incompatible avec le temps long des copropriétés, qui ne s'engagent pas dans une longue démarche de travaux 'si elles n'estiment pas que le dispositif d'aide associé soit stabilisé. De fait, ces changements incitent le copropriétaire à faire preuve d'attentisme, en anticipant les prochains changements.
Troisièmement, les règles de vote en assemblée générale, caractérisées par le principe de la majorité absolue des copropriétaires, en considérant également les copropriétaires absents à l'assemblée générale, constituent également un obstacle à la rénovation en copropriété.
Quatrièmement, les divergences entre copropriétaires sont un frein à la rénovation des bâtiments. Cette opposition peut être liée à la dichotomie entre copropriétaires bailleurs, soumis à l'interdiction progressive des passoires thermiques, et copropriétaires occupants, qui ne sont pas soumis aux mêmes obligations.
Une dichotomie existe également entre le diagnostic de performance énergétique opposable, qui est individuel, et la décision de rénovation énergétique qui, en copropriété, est par essence collective. L'opposition aux travaux de rénovation de copropriétaires dont le logement présente une meilleure performance énergétique peut ainsi également empêcher le lancement de travaux de rénovation.
Cinquièmement, même si une décision d'engager des travaux de rénovation énergétique est prise, une minorité agissante de copropriétaires réticents peut freiner l'application de la décision de l'assemblée générale, même si ces copropriétaires n'ont pas participé à l'assemblée générale. Les gestionnaires d'immobilier évoquent ainsi la pratique courante, par des copropriétaires refusant les travaux, de recours juridiques qui suspendent le paiement des subventions et retardent le déroulement des travaux.
6. Le bâti ancien, impensé de la politique de rénovation
Les politiques publiques de rénovation énergétique ne prennent pas suffisamment en compte les spécificités du bâti ancien non protégé.
Il convient de distinguer le bâti patrimonial du bâti ancien : le bâti patrimonial a une valeur particulière, en ce qu'il caractérise une époque, un style architectural ou un style régional. Le bâti patrimonial intègre des bâtiments au statut légal divers : monuments historiques, secteurs sauvegardés, zones de protection, bâtiments non classés... Des bâtiments récents, comme le bâti d'intérêt architectural du 20e siècle, sont intégrés à ce concept. Le bâti ancien désigne lui les bâtiments construits avant 1948, qui peuvent être d'intérêt patrimonial, sans que cela soit systématique.
En l'absence de considération patrimoniale, la politique de rénovation énergétique risque de causer des dommages irrémédiables au bâti patrimonial, qui doit faire l'objet d'un traitement technique spécifique.
L'articulation entre protection du patrimoine et rénovation énergétique est d'abord liée à la question du pilotage. Il apparaît ainsi regrettable que le ministère de la culture, compétent pour les questions relatives au patrimoine n'ait pas été associé à la révision en 2021 du DPE. Plus largement, la coordination entre le ministère de la culture, le ministère du logement et le ministère de la transition écologique sur ces questions de patrimoine apparaît défaillante.
L'absence de formation appropriée des acteurs empêche également de prendre en compte le patrimoine dans la rénovation. Dans le cadre de la mention RGE, aucun guide de bonnes pratiques relatives aux patrimoines architecturaux adossé au RGE n'est ainsi prévu. La diffusion de bonnes pratiques auprès des artisans, mission dévolue notamment au centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien (Creba) est un enjeu central pour assurer la conciliation entre rénovation et protection du patrimoine.
Le problème de la conciliation entre bâti ancien et rénovation se pose de manière croissante : l'interdiction de louer des passoires thermiques pourrait pousser des propriétaires bailleurs à rénover rapidement des logements anciens durant les prochaines années, sans pour autant que le respect des règles de l'art soit assuré.
7. Un pilotage national trop morcelé malgré des tentatives de coordination
La politique de rénovation énergétique étant à la croisée de plusieurs champs, le pilotage de ses outils en cours de déploiement ou d'amplification fait l'objet d'un pilotage interministériel complexe, qui est cependant en cours de clarification.
a) Un pilotage multiple, aux niveaux politique et administratif
Au niveau ministériel, le pilotage public de la politique de la rénovation énergétique est essentiellement partagé entre trois ministres : le ministre de la transition écologique, le ministre délégué au logement et la ministre de la transition énergétique.
Ce morcellement apparaît particulièrement marqué pendant les périodes durant lesquelles le ministre chargé du logement n'est pas rattaché au ministre de la transition écologique. C'était le cas de 2012 à 2017, puis de nouveau de 2018 à 2020.
Au niveau administratif, une division entre deux pôles reproduit la division politique : la politique de rénovation énergétique relève essentiellement de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), qui dépend de la direction générale de l'aménagement et de la nature (DGALN) et qui pilote notamment le dispositif MaPrimeRénov' et de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), qui pilote le dispositif CEE.
Emmanuelle Wargon, ministre déléguée chargée du logement de 2020 à 2022, relève ainsi des difficultés de coordination entre la DHUP et la DGEC sur cette politique publique : les conflits entre directions obligent à recourir fréquemment à un arbitrage interministériel.
Ce morcellement, à la fois administratif et politique, interroge sur la capacité de l'État à apporter une impulsion claire et une stabilité à la politique de rénovation énergétique.
b) La coordination interministérielle et le secrétariat général à la planification, un début de réponse à ce morcellement
Des réponses ont cependant été apportées à ce défaut de pilotage.
Tout d'abord, au niveau de l'accompagnement des particuliers et des collectivités, la dichotomie entre l'Anah et l'Ademe, deux agences présentes localement et impliquées dans la rénovation énergétique, était source de complexité.
La ministre Emmanuelle Wargon a désigné l'Anah comme interlocuteur de proximité pour la politique de rénovation énergétique, en raison du caractère social des aides à la rénovation énergétique ainsi que d'un maillage local plus important. Ainsi, en janvier 2022, c'est à l'Anah qu'a été confiée la mise en oeuvre du service France Rénov', qui vise à accréditer les différents guichets publics de rénovation énergétique. Cette clarification de l'articulation entre agences de l'État répond en partie aux incohérences générées par un double pilotage.
De plus, au niveau de l'administration centrale, une délégation interministérielle chargée du pilotage de la rénovation énergétique du bâtiment a été créée au 1er octobre 2019, par une lettre de mission cosignée par Emmanuelle Wargon et Julien Denormandie.
Cette coordination, doublement rattachée à la DGALN et à la DGEC, a vocation à porter un regard d'ensemblier sur cette politique publique et à assurer que les objectifs de la politique de rénovation énergétique restent pris en compte.
Cependant, l'adéquation entre la mission de pilotage confiée à la délégation et les moyens attribués interroge. En 2023, seuls sept équivalents temps plein sont consacrés à ce service.
Le secrétariat général à la planification écologique (SGPE), créé en octobre 2022 pour coordonner l'élaboration et la mise en oeuvre des stratégies nationales en matière de climat, d'énergie, de biodiversité et d'économie circulaire, répond également à ce morcellement. Le rattachement de cet organisme interministériel directement auprès de la Première ministre lui permet d'avoir une vision d'ensemble sur les politiques en matière de transition environnementale.
Le rôle du SGPE est cependant limité en matière de rénovation énergétique des bâtiments : aucun équivalent temps plein n'est spécifiquement dédié à la rénovation énergétique.
La création de la coordination interministérielle répond à un problème de pilotage identifié, mais elle apparaît donc insuffisamment dotée pour assurer pleinement son rôle tandis qu'au sein du SGPE, les moyens consacrés à la rénovation énergétique sont limités.
* 82 Cette obligation est applicable aux syndicats de copropriétaires comprenant plus de 200 lots à usage de logements, de bureaux ou de commerces.
* 83 Entrée en vigueur différée à 2025 pour les copropriétés de moins de 200 lots et à 2026 pour les copropriétés de moins de 50 lots.
* 84 Article 1, Arrêté du 3 juin 2020 modifiant l'arrêté du 1er décembre 2015 relatif aux critères de qualifications requis pour le bénéfice du crédit d'impôt pour la transition énergétique et des avances remboursables sans intérêt destinées au financement de travaux de rénovation afin d'améliorer la performance énergétique des logements anciens.
* 85 Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, janvier 2021, p. 272.
* 86 France Stratégie, Quelle rentabilité économique pour les rénovations énergétiques des logements ? 2021.
* 87 Arrêté du 21 décembre 2022 relatif à la mission d'accompagnement du service public de la performance énergétique de l'habitat.
* 88 Olivier Sichel, Rapport pour une réhabilitation énergétique massive, simple et inclusive des logements privés, 2022.
* 89 Réunion de travail sur la rénovation énergétique du 12 juin 2023, Secrétariat général à la planification écologique.