C. LES FINANCEMENTS COMPLÉMENTAIRES : UN POTENTIEL LEVIER D'ÉMANCIPATION DES ASSOCIATIONS ?

1. Des modèles de financement très différents, qui impliquent des degrés variables de dépendance envers l'État

La DGCS ne dispose pas des outils permettant de connaître la place qu'occupent les financements de l'État par rapport aux autres financements publics ou privés. Connaître la part des financements de l'État dans les ressources des associations s'avère donc difficile.

Empiriquement, il est néanmoins possible d'affirmer que les modèles de financement des associations sont très variables selon la taille de la structure, son objet ou encore sa qualité ou non de tête de réseau. Certaines associations, notamment des têtes de réseaux dans le domaine de l'aide alimentaire, bénéficient de financements privés importants (dons, legs, donations, vente de produits, organisations d'événements...). D'autres sont au contraire très dépendantes des financements de l'État.

Par exemple, les Restos du Coeur sont relativement peu dépendants des financements de l'État : le budget présenté dans la CPO 2022-2024 atteint plus de 92 millions d'euros, pour un financement FranceAgriMer valorisé à presque 6 millions d'euros et une subvention DGCS de seulement 225 000 euros. A l'inverse, pour le Collectif féministe contre le viol, 88 % des financements proviennent de l'État, seulement 8 % des collectivités territoriales, et 4 % de financeurs privés.

Paroles d'associations
Des difficultés de rechercher des co-financements

« Chercher de nouvelles sources de financement est difficile. Les indicateurs et les dossiers à constituer varient selon les collectivités territoriales par exemple... Dans ces conditions, rechercher des co-financements représente une charge importante. »

Collectif féministe contre le viol

« C'est plus souple au niveau local, la proximité permet souvent de surmonter certaines difficultés. Le principal problème reste l'absence d'harmonisation entre collectivités pour les formalités administratives. Plus on a de co-financements, plus cela pèse lourd en constitution de dossier et en reporting... »

Mouvement français pour le planning familial

« Depuis le Covid, nous développons les dons financiers auprès du grand public, pour environ 2 millions d'euros en 2022, mais ça reste encore marginal. »

Fédération française des banques alimentaires

2. Le développement des co-financements, synonyme non de « moins d'argent public », mais « d'argent public autrement32(*) »
a) Des financements qui doivent s'ajouter, et non se substituer, aux financements de l'État

La subvention attribuée par la DGCS ou les services déconcentrés de l'État ne dépasse jamais 80 % du coût du projet présenté. Entendue par les rapporteurs spéciaux, l'administration a indiqué s'astreindre à cette discipline pour éviter la requalification de subventions en marchés publics par des juges tatillons. Cette règle « coutumière » permet en outre d'imposer, projet par projet, la recherche de co-financements.

L'État conçoit en effet de plus en plus ses financements comme un « levier » pour susciter des financements complémentaires. Dans ses réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux, la DGCS a par exemple souligné que « le tissu associatif soutenu par le programme 137 [Égalité entre les femmes et les hommes] est divers mais fragile sachant que nos financements sont des crédits à effet levier avec des montants relativement faibles. » Le co-financement est ainsi l'un des critères de l'attribution d'une subvention.

Les rapporteurs spéciaux considèrent cette logique comme porteuse d'une ambivalence. D'une part, le développement de co-financements peut permettre aux associations, dans un contexte de financements publics contraints, de s'émanciper partiellement de l'influence de l'État en trouvant d'autres partenaires disposés à financer des projets pour lesquels l'État ne montre pas d'intérêt. Les associations de défense des personnes handicapées, dont les financements proviennent principalement de la Sécurité sociale, ont ainsi été bien moins affectées par les difficultés dues aux limites du conventionnement.

Cependant, le développement des co-financements peut s'accompagner d'effets pervers, en particulier s'il s'agit de financements privés. D'abord, comme l'ont relevé des universitaires, le développement des co-financements privés peut se traduire par l'augmentation de la participation financière des usagers, et présente le risque « d'une sélection des clientèles [par l'argent] et d'une transformation des finalités de l'action associative.33(*) »

Enfin, la charité privée ne créant aucun droit au profit de celui qui la reçoit, les financements privés constituent par nature des sources de revenus très instables, alors que les associations répondent à des besoins qui ne disparaissent pas. Ainsi, du fait de la baisse des dons durant la pandémie, l'État a dû soutenir les associations dont les ressources en provenance de financements privés s'étaient trouvées amenuisées : dans certaines situations, la DGCS a ainsi été sollicitée par des associations telles que le Centre Primo Levi, qui ont subi un désengagement financier de certains de leurs co-financeurs.

Les rapporteurs spéciaux mettent donc en garde contre le développement indiscriminé des co-financements et insistent sur la nécessité que ces derniers ne se substituent pas aux financements de l'État.

Paroles d'associations
La précarité des financements privés

« Nous sommes assez dépendants des financements Étatiques. Les financements privés ont tendance à augmenter, mais ils sont source de précarité car le financeur privé peut « s'en aller » du jour au lendemain. »

ANDES

« Le mécénat reste un financement marginal et très volatile. Il faut en effet constamment solliciter de nouveaux partenariats, construire des relations de confiance pour des financements qui restent très ponctuels. Pour être efficace, la recherche de mécénat nécessite des compétences spécifiques et un travail à temps plein d'une personne. »

FNCIDFF

« Les financements privés ne sont pas pérennes ; les besoins auxquels nous répondons le sont. »

Mouvement du Nid

b) Privilégier les co-financements publics, particulièrement avec les collectivités territoriales, qui apparaissent comme l'échelon le plus adapté

Comme le relève la recherche universitaire sur le sujet, sous l'effet « de la poursuite de la décentralisation, le poids de l'État dans les financements du secteur associatif n'a cessé de baisser tandis que le poids des collectivités locales augmentait.34(*) ».

Certaines associations entendues par les rapporteurs spéciaux ont indiqué développer de tels co-financements locaux : c'est notamment le cas du Secours populaire français, dont la recherche de financement est largement axée sur les départements et les communes, mais aussi de nombreuses associations locales : en 2021, le réseau des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) a perçu 5 589 887 euros de subventions en provenance des conseils départementaux.

C'est là, selon les rapporteurs spéciaux, que réside la solution pour dépasser l'ambivalence inhérente aux co-financements : dans la mobilisation des collectivités territoriales. Il convient néanmoins de faciliter la recherche de co-financements locaux pour les associations les plus fragiles et les plus en difficulté. Ainsi, les rapporteurs spéciaux recommandent d'associer les collectivités territoriales, dans le respect de leur libre d'administration, aux travaux d'harmonisation des formalités administratives, des indicateurs et des documents justificatifs là où ils existent. Une telle uniformisation permettra aux associations de diversifier les sources de financement sans multiplier les exigences de reporting et les charges administratives.

Enfin, les rapporteurs spéciaux ont eu connaissance d'une pratique qui leur a semblé intéressante et qu'ils souhaiteraient voir se développer. La direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) de Corse, a mobilisé son « dispositif local d'accompagnement » (DLA) pour accompagner des associations repérées en situation de fragilité par les services instructeurs. Le DLA, créé en 2002, propose aux associations employeuses de bénéficier gratuitement d'un accompagnement pour « consolider leur modèle économique et pérenniser leurs emplois35(*) ». Dans ce cadre, les services déconcentrés de l'État pourraient accompagner les associations locales en difficulté dans la recherche de co-financements venant des collectivités territoriales.

Les rapporteurs spéciaux expriment le souhait que de telles initiatives soient de nature à renforcer les partenariats entre l'État, les collectivités territoriales et le monde associatif.

Recommandation n° 6 : Développer les sources de financement complémentaires, sans toutefois qu'elles ne se substituent au soutien de l'État.

- associer les collectivités territoriales, dans le respect de leur autonomie, aux travaux d'harmonisation des formalités administratives, des indicateurs et des documents justificatifs là où ils existent ;

- mobiliser le dispositif local d'accompagnement (DLA) pour accompagner au niveau local les associations qui cherchent à consolider leur modèle économique par la diversification de leurs sources de financement, en privilégiant les financements publics des collectivités territoriales.


* 32 Simon Cottin-Marx, Matthieu Hély, Gilles Jeannot et Maud Simonet, « La recomposition des relations entre l'État et les associations : désengagements et réengagements », Revue française d'administration publique, n° 163, 2017.

* 33 Lionel Prouteau et Viviane Tchernonog, « Évolutions et transformations des financements publics des associations », Revue française d'administration publique, n° 163, 2017.

* 34 Ibid.

* 35 Simon Cottin-Marx, Les associations au service des politiques de l'emploi, genèse du dispositif local d'accompagnement Revue française d'administration publique, n° 163, 2017.