N° 757
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023
Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 juin 2023
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur la politique de conventionnement avec les associations intervenant dans le champ de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances »,
Par MM. Arnaud BAZIN et Éric BOCQUET,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.
L'ESSENTIEL
Le renforcement de la place des associations dans l'action publique traduit-il un engagement ou un désengagement de l'État ? MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet ont présenté le mercredi 21 juin 2023 les conclusions de leur rapport sur le conventionnement des associations intervenant dans le champ de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », dont ils sont rapporteurs spéciaux.
I. LE SOUTIEN AUX ASSOCIATIONS CONVENTIONNÉES : L'ÉTAT FACE À SON (DÉS)ENGAGEMENT
A. LES CONVENTIONS SIGNÉES AVEC LES ASSOCIATIONS : SIGNE D'UN ÉTAT QUI S'ENGAGE ?
« Au coeur de la société civile, les associations occupent une place essentielle dans la vie collective de la Nation et le fonctionnement de notre modèle de société. Elles sont fréquemment amenées à anticiper, éclairer ou compléter l'action conduite par les pouvoirs publics, inspirant à l'État et aux collectivités territoriales de nouvelles formes d'intervention, aux avant-postes de l'innovation et de la créativité dans les territoires ».
Les premiers mots de la circulaire du Premier ministre du 29 septembre 2015 témoignent de l'importance prise par les associations dans la conduite de certaines politiques publiques.
D'une part, les associations sont consultées par l'État en tant qu'interlocuteurs représentatifs de la société civile pour comprendre les besoins des publics, concevoir les réponses collectives et individuelles et les évaluer. D'autre part, l'État, au niveau central comme au niveau déconcentré, s'appuie aussi parfois sur les associations en tant qu'auxiliaires pour la déclinaison opérationnelle des politiques publiques.
L'État verse alors des subventions à ses associations, le plus souvent au moyen d'une convention.
B. UNE TENDANCE HAUSSIÈRE DU SOUTIEN DE L'ÉTAT AUX ASSOCIATIONS AU TITRE DE LA MISSION, QUI MASQUE D'IMPORTANTES DISPARITÉS
Les associations subventionnées au titre de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » portent des actions en faveur de l'aide alimentaire, de la lutte pour les droits des femmes ou les droits des personnes handicapées. Des actions visant à lutter contre la précarité menstruelle ou dédiées à la protection juridique des majeurs, par exemple, sont également financées sur les crédits de la mission.
La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et le service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE) sont les administrations chargées, au niveau central, de l'attribution de ces subventions.
La mission subventionne des associations au titre de trois programmes : le programme 304 « inclusion sociale et protection des personnes », le programme 157 « Handicap et dépendance » et le programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes ».
Évolution des subventions versées
aux associations au titre de la mission
sur le dernier quinquennat
(en millions d'euros)
Le soutien de l'État à ces associations a crû sensiblement au cours du dernier quinquennat, au rythme des crises sanitaires et sociales en ce qui concerne le programme 304, au fur et à mesure de la montée en puissance de la politique de défense des droits des femmes, pour le programme 137 - le soutien aux associations représentant 93 % des crédits consacrés à cette politique sur la mission. Les crédits liés au handicap et à la dépendance sont stables, car principalement portés par la Sécurité sociale.
Il convient cependant de rappeler que les crédits dédiés au soutien aux associations représentent moins de 1 % des crédits d'une mission dotée d'environ 30 milliards d'euros, qui finance principalement des allocations de solidarité, comme la prime d'activité.
II. ENCORE INSATISFAISANT, LE CONVENTIONNEMENT PLACE DE NOMBREUSES ASSOCIATIONS EN DIFFICULTÉ
A. LA SUMMA DIVISIO : CONVENTIONS ANNUELLES ET PLURIANNUELLES
Aux termes de l'article 10 de la loi du 12 avril 2000, la conclusion d'une convention est obligatoire lorsque le montant de la subvention excède un seuil fixé par décret à 23 000 euros.
Lorsqu'il s'agit d'un projet ponctuel, cette convention est annuelle, ce qui permet d'attribuer et de verser les crédits selon le principe de l'annualité budgétaire. Cette option est souvent perçue peu favorablement par les associations : elles n'ont en effet, dans ce cas, aucune certitude quant à la pérennité du soutien financier de l'État.
Lorsque l'administration souhaite inscrire son soutien à une association dans la durée, soit qu'elle souhaite soutenir un projet structurant dont la mise en oeuvre s'étale sur plusieurs années, soit qu'elle finance des associations « têtes de réseaux », elle recourt à une convention pluriannuelle d'objectifs (CPO). Le recours aux CPO s'est développé, en particulier sous l'impulsion de la circulaire du 29 septembre 2015, pour favoriser « dans la durée le soutien public aux association concourant à l'intérêt général. » Contrairement aux conventions annuelles, les CPO assurent aux associations une certaine stabilité du soutien de l'État.
B. LE PROCESSUS DE CONVENTIONNEMENT EST SOURCE DE DIFFICULTÉS POUR LES ASSOCIATIONS, PRINCIPALEMENT DU FAIT DES DÉLAIS QU'IL ENGENDRE
La procédure d'instruction des demandes de subvention demeure marquée par une grande complexité. L'administration est en effet tenue par de nombreuses normes, nationales et européennes, législatives et réglementaires, de procéder à de nombreuses vérifications. En miroir, les associations sont soumises à d'importantes exigences, et doivent fournir un nombre croissant de documents justificatifs.
Il est bien sûr important que ces vérifications soient réalisées. Cependant, l'administration indique que « la décision d'attribution est suspendue le temps que les contrôles des obligations légales, réglementaires et la production des pièces soient réalisés », ce qui implique parfois des retards importants dans l'attribution des subventions, dommageable pour les associations.
Paroles d'associations
« Nous avons commencé à négocier notre prochaine CPO en septembre 2022. Aujourd'hui [en avril 2023], la procédure n'a toujours pas abouti. Nous n'avons pas de nouvelles à ce stade. »
« Si vous êtes financés par une convention annuelle, au mieux le premier versement tombe en juillet - au pire en décembre... »
A contrario, les conventions pluriannuelles d'objectifs, une fois signées, sont assez sécurisantes. Les associations bénéficient ainsi de visibilité sur leurs financements sur plusieurs années ; en outre, les charges administratives sont moins importantes durant la mise en oeuvre de la convention que lors de sa négociation ou au moment de son renouvellement.
Depuis la circulaire du 29 septembre 2015, l'acompte doit être versé au plus tard en mars et le solde au plus tard en août, ce qui tranche avec les retards importants subis lors de la négociation des conventions.
Pour remédier à ces retards, identifiés aussi bien par les associations que par l'administration, la DGCS a élaboré en 2022 un nouveau calendrier de programmation des subventions, applicable à partir de 2023, dont l'objectif est de parvenir à signer les conventions et à mettre en paiement les subventions entre avril et juin.
C. L'ASSOCIATION, UN MODÈLE PRÉCAIRE PAR NATURE ?
Les auditions menées par les rapporteurs spéciaux ont fait apparaître la grande précarité qui caractérise l'action de nombreuses associations entendues, en particulier pour les associations de défense des droits des femmes et les associations d'aide alimentaire.
Les premières sont confrontées, notamment à la suite du mouvement « #MeToo », à une augmentation de files actives. À titre d'exemple, le rapport annuel d'activité pour 2022 du Collectif féministe contre le viol (CFCV) fait État d'une augmentation d'environ 10 % des appels pour viols reçus par l'association entre 2021 et 2022 sur la seule ligne d'écoute « Viols femmes informations ».
Les secondes font face à un important effet ciseau lié à l'inflation. D'une part, les demandeurs sont plus nombreux : entendus par les rapporteurs spéciaux, les Restos du Coeur font État d'une hausse de 22 % en 2022 du nombre de personnes accueillies dans leurs centres par rapport à l'année précédente. D'autre part, les denrées sont plus chères : la DGCS a indiqué aux rapporteurs spéciaux que les coûts d'achat de denrées étaient passés en deux ans de 56 à 110 millions d'euros.
Toutes sont confrontées à la faible attractivité de leurs emplois. Comme la DGCS a pu le rappeler devant les rapporteurs spéciaux, le secteur des droits des femmes n'a été que partiellement concerné par l'application de la prime Ségur. En particulier, les juristes spécialisés en droit des femmes des centres d'informations sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), de même que les écoutantes des plateformes téléphoniques en demeurent exclus.
III. RÉÉQUILIBRER LES RAPPORTS ENTRE L'ÉTAT ET LES ASSOCIATIONS
Le conventionnement et ses modalités ont également des conséquences sur les relations entre l'État et les associations. Qualifiées par certains universitaires d'instruments d'un « gouvernement à distance », les conventions s'appuient sur des dispositifs tels que les appels à projets ou le dialogue de gestion pour orienter et contrôler l'activité des associations.
A. LES APPELS À PROJETS : COMMENT L'ÉTAT ORIENTE L'INITIATIVE ASSOCIATIVE
En principe, et même lorsque les associations participent pleinement à la conduite d'une politique publique promue par l'État, l'initiative du projet revient toujours à l'association. Mais le développement des appels à projets brouille quelque peu les lignes. Cette pratique consiste à « réserver une partie limitée des crédits versés sous forme de subventions à des appels à projets innovants et ponctuels, pour favoriser l'émergence de pratiques et d'acteurs nouveaux, en se fondant sur une liste de critères prédéfinis. »
Le recours aux appels à projets (AAP) conduit à un certain alignement des projets associatifs sur les commandes de l'administration. Celles qui se plient à ces incitations bénéficient d'un renforcement de leurs moyens par un accès à des financements supplémentaires. L'intérêt des associations est dès lors de se conformer aux attentes de l'État. Par le biais des appels à projets, la capacité des pouvoirs publics à diriger l'offre associative va croissant.
La logique des projets innovants est d'ailleurs discutable dans certains cas : d'une part, parce que certaines activités d'intérêt général ne se prêtent pas de manière systématique à l'innovation, d'autre part car il apparaît peu cohérent de financer des associations innovantes alors que certaines actions « socles » sont mal financées, enfin parce que les AAP peuvent paradoxalement contribuer à générer des besoins de financement pérennes.
Paroles d'associations
« À quoi bon financer de nouveaux dispositifs innovants quand l'existant est si mal financé ? »
B. DANS LE CADRE DU DIALOGUE DE GESTION, UNE ÉVALUATION QUI DOIT ÊTRE PLUS PARTENARIALE ET RENFORCÉE
Le contrôle et l'évaluation des actions menées dans le cadre des conventions sont parfois décevants, en particulier s'agissant des projets ponctuels. En particulier, le reporting constitue une charge importante pour les petites associations, et l'évaluation arrive trop tard dans l'année, lorsqu'elle n'est pas impossible du fait des retards pris en amont pour signer la convention.
À l'inverse, dans le cadre des conventions pluriannuelles, le dialogue de gestion consiste en un rendez-vous annuel entre l'administration et l'association, sur la base des documents justificatifs de l'année (compte-rendu quantitatif et qualitatif, rapport d'activité, etc.). D'une qualité satisfaisante dans ce cas, le dialogue de gestion permet également de faire face à certains imprévus : c'est dans ce cadre, par exemple, que le financement des marchés infructueux a été redirigé de l'établissement FranceAgriMer directement vers les associations.
Quelques points d'amélioration sont néanmoins identifiables :
D'une part, l'administration ne recourt que timidement à la notion « d'excédent raisonnable », qui permet à l'association de conserver un excédent dû à une bonne gestion plutôt que de le voir reversé à l'administration. Cette notion pourrait cependant permettre d'encourager la bonne gestion des deniers publics et consolider la trésorerie des associations. La frilosité de l'administration est d'autant plus dommageable que la loi n° 2021-875 du 1er juillet 2021 a fait de cette notion un item obligatoire de la négociation des conventions.
D'autre part, la pertinence de certains indicateurs de suivi de l'action des associations est parfois mise en question. Certains sont même potentiellement porteurs d'effets pervers.
C. ÉMANCIPER LES ASSOCIATIONS DE L'ÉTAT : DÉVELOPPER LES CO-FINANCEMENTS DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
Les associations moins dépendantes des financements de l'État sont évidemment moins durement affectées par les difficultés liées au conventionnement. Trouver d'autres sources de financement pour leurs actions permettrait ainsi aux associations de conserver leur initiative et leur indépendance vis-à-vis de l'administration.
La subvention attribuée par la DGCS ou les services déconcentrés de l'État ne dépasse jamais 80 % du coût du projet présenté. Cette règle « coutumière » permet d'imposer, projet par projet, la recherche de co-financements. Or le développement des co-financements peut s'accompagner d'effets pervers, en particulier s'il s'agit de financements privés : les associations doivent consacrer des ressources à la recherche de telles sources alternatives de financement, elles sont parfois amenées à faire participer les usagers, ce qui exclut les plus précaires, et elles s'exposent au « départ » de leurs mécènes, dont la charité n'est jamais acquise.
Pour fournir des co-financements aux associations, les collectivités locales, qui constituent des partenaires privilégiés et sûrs, sont incontournables.