III. MALGRÉ UN CHIFFRAGE TRÈS INCOMPLET DES COÛTS DES DÉCISIONS IMPOSÉES AUX COLLECTIVITÉS, LEUR IMPACT SUR LEUR ÉQUILIBRE FINANCIER EST DE PLUS EN PLUS CONTRAIGNANT
Contrairement à l'État, les collectivités territoriales ont un endettement mesuré. Elles doivent voter un budget en équilibre réel, tant financier que budgétaire19(*). Leur endettement pèse en effet aux alentours de 9 % environ de l'ensemble de la dette publique20(*).
C'est paradoxalement cette situation qui conduit l'État à considérer qu'elles pourraient constituer une variable d'ajustement intéressante pour contribuer davantage encore au redressement des comptes publics, entendus comme la situation financière cumulée de l'État, des administrations publiques, des collectivités territoriales et des organismes de sécurité sociale. En effet, il est tentant pour l'État qui ne parvient pas à réduire ses propres dépenses, tout en affichant officiellement sa volonté de respecter les critères européens de convergence, d'exiger des autres organismes publics qu'ils intensifient leur contribution à cet effort de redressement.
Depuis une dizaine d'années, les collectivités sont donc particulièrement mises à contribution. Cette « réduction de la voilure », appuyée par les Gouvernements successifs, s'est traduite par la suppression de la clause de compétence générale pour les départements et les régions, par une évaluation au plus bas du coût « historique » des compétences transférées et, désormais, par une tendance à privilégier des dotations ou le versement de fractions d'impôts nationaux plutôt qu'à laisser les collectivités déterminer le taux des impôts locaux. Ainsi, la décentralisation des compétences s'accompagne paradoxalement d'une recentralisation des moyens qui obère le « pouvoir d'agir », c'est-à-dire la capacité décisionnelle des exécutifs locaux.
Cette tendance se traduit par un sentiment accru des élus locaux d'être devenus davantage des représentants de l'État sur le territoire de leur collectivité que de véritables représentants locaux. Cette idée a été ainsi résumée par plusieurs des personnes auditionnées au cours de la mission : « Nous sommes devenus une annexe de la préfecture21(*). »
La rapporteure se fait l'écho des collectivités qui ont exprimé leur incompréhension d'être ainsi « sanctionnées du fait d'être de bonnes élèves ». Il serait en effet injuste de considérer que leur bonne gestion leur confèrerait une situation saine et enviable : elle est simplement le corolaire indispensable à la contraction des ressources qui leur est imposée et qui est de moins en moins tenable. C'est d'autant plus vrai qu'en parallèle l'inflation frappe de plein fouet les collectivités. La non-indexation des dotations en période d'inflation a ainsi conduit André LAIGNEL, au cours de son audition22(*), à rappeler que « [la] DGF n'est pourtant pas une gratification, ni une amabilité, c'est un dû ; il doit être en euro constant. Bercy nous nous dit que les montants sont stables depuis dix ans, c'est vrai ; mais ce qui peut s'entendre quand l'inflation est à 1 %, comme dans le quinquennat précédent, (...) ne l'est plus avec 7,1 % d'inflation pour l'an passé, et peut-être 5 % cette année : quand Bercy se félicite d'une augmentation de 1,76 %, nous voyons, nous, que nous perdons encore du « pouvoir d'action », c'est une évidence. On nous a promis une compensation intégrale des charges transférées, ce n'est pas le cas : la parole républicaine n'est pas respectée, nous avons largement documenté ce point avec toutes les charges mal compensées, je vous renvoie aux travaux de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales ».
Dans un tel contexte, bénéficier d'éléments prévisionnels fiables est décisif pour les collectivités. Or, l'État ne mesure pas suffisamment en amont l'impact financier sur les collectivités de ses propres décisions règlementaires.
A. LE DIFFICILE CHIFFRAGE DES COÛTS COMPLETS DÉCOULANT DES DÉCISIONS RÈGLEMENTAIRES
L'un des rares outils permettant d'évaluer, ex ante et ex post, l'impact financier des décisions règlementaires sur les collectivités est l'évaluation opérée par le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), lequel est « chargé d'évaluer les normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics23(*) ». Toutefois, dans la mesure où le CNEN n'est pas saisi de l'intégralité des textes ayant un impact sur les collectivités (cf. infra), le chiffrage qu'il effectue ne prétend nullement à l'exhaustivité. En revanche, il donne une indication claire sur le caractère exponentiel de l'impact financier des normes règlementaires sur les collectivités. La rapporteure souligne à quel point ce double effet d'assèchement des ressources et d'accroissement des coûts n'est pas durablement tenable.
En effet, le CNEN fait part d'une hausse importante de l'impact financier sur les collectivités des quelque 300 textes qu'il examine en séance chaque année. Son dernier rapport d'activité24(*) fait état, pour la seule année 2022, de charges nettes supplémentaires pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics de 2,5 milliards d'euros, soit 30 % de plus que le total cumulé sur la période 2017-2021 (ce total était alors de quelque 1,9 milliard d'euros). Ce montant résulte du différentiel entre les coûts supplémentaires générés pour les collectivités (3,9 milliards d'euros en 2022) par les nouvelles mesures et les économies (1,4 milliard d'euro) que ces mêmes mesures permettent.
Bilan de l'activité du CNEN sur la période 2017-2022
Année |
Nombre de textes examinés en séance par le CNEN |
Nombre d'avis défavorables |
% d'avis défavorables/ensemble des avis |
Impact net en année N+1 pour les collectivités (montants arrondis) |
2017 |
355 |
32 |
9 % |
184 millions d'euros |
2018 |
264 |
20 |
7,6 % |
162 millions d'euros |
2019 |
287 |
13 |
4,5 % |
792 millions d'euros |
2020 |
258 |
14 |
5,4 % |
80 millions d'euros |
2021 |
287 |
27 |
9,4 % |
723 millions d'euros |
2022 |
325 |
36 |
11,1 % |
2,5 milliards d'euros |
Source : Mission d'information sur le fondement de données fournies par le CNEN et la DGCL
Si la pandémie de covid-19, et le ralentissement très net de l'édiction de mesures nouvelles, autres que celles liées à la situation sanitaire, qui en a résulté, expliquent le caractère exceptionnel de l'année 2020, cet impact suit une tendance globale à la hausse. Plusieurs textes destinés à assurer la transition énergétique dans les bâtiments pèsent lourd dans ce bilan. Le décret n° 2023-444 du 7 juin 2023 sur la régulation de la température des systèmes de chauffage et de refroidissement devrait générer 1,1 milliard d'euros nets en 2023. Il en est de même du décret n° 2023-259 du 7 avril 2023 sur les systèmes d'automatisation et de contrôle des bâtiments tertiaires (1,5 milliard d'euros « bruts »).
Les chiffrages sont, de surcroît, largement sous-évalués puisque le CNEN se fonde sur les évaluations fournies par les Gouvernements successifs, au sein des différentes études et fiches d'impact, pour parvenir à ce montant. Or, la fiabilité de ces évaluations initiales (cf. infra), couplée à l'imprécision dans la méthodologie retenue, rend les chiffrages transmis au CNEN particulièrement incertain. À ce stade, ce dernier ne dispose pas, et c'est une réalité dont s'accommodent parfaitement le Gouvernement, des moyens d'exercer un contrôle poussé des chiffrages transmis.
1. Les difficultés d'évaluation ex ante par les ministères et d'expertise par le CNEN
L'évaluation par le Gouvernement de l'impact des mesures qu'il propose passe par des études d'impact, pour les projets de loi, ou des fiches d'impact, pour les ordonnances, les décrets et les arrêtés. Force est de constater que l'impact financier des mesures formulée ex ante dans ces études et fiches d'impact est presque systématiquement en deçà de la réalité. Plusieurs facteurs expliquent cette situation.
En premier lieu, soulignons les conditions difficiles dans lesquelles elles sont réalisées. Les arbitrages politiques tardifs et fluctuants opérés par le Gouvernement restreignent fortement leurs délais de réalisation. De plus, ces fiches sont portées et réalisées par le ministère qui pilote le texte alors même que la plupart des textes ont des implications interministérielles.
Certes, le Secrétariat général du Gouvernement (SGG) a diffusé, en 2017, un « guide méthodologique pour calculer l'impact financier de la réglementation nouvelle25(*) » lequel comprend une série de référentiels pour aider chaque ministère référent à évaluer l'impact d'une mesure sur une administration comme celle d'une collectivité. Malgré leur objet fort louable, la rapporteure considère que ces quelques pages se caractérisent par une série de généralités ou de situations-types qui semblent éloignées de la réalité et ne constituent pas un appui suffisamment solide pour aider les ministères à anticiper le coût de certaines mesures.
Ce guide « méthodologique » comprend par exemple une évaluation de la durée nécessaire à l'accomplissement de certaines tâches administratives, durée qui semble donc être retenue par défaut :
Source : Légifrance
À défaut du recours à un autre référentiel, les agents de l'État sont donc amenés à considérer que la formation à une tâche complexe s'effectue en seulement 480 minutes, soit une seule journée de formation, ou encore qu'un agent peut effectuer un paiement simple en à peine deux minutes. La sous-évaluation manifeste de ces durées pourrait sembler anecdotique si elle ne servait pas de fondement à l'évaluation du coût des compétences conférées. Ajoutons que le référentiel précité, sur la durée nécessaire pour accomplir des tâches administratives, est directement issu de données fournies par l'office fédéral allemand de la statistique dans son propre guide26(*) à l'objet identique mais plus complet et surtout plus concret grâce à de nombreux exemples. Il est regrettable que le Secrétariat général du Gouvernement, pourtant impliqué dans le lent travail d'amélioration des études et des fiches d'impact, n'ait pas établi lui-même une telle nomenclature.
Pourtant, le cadre précis exigé pour les fiches d'impact pourrait laisser croire que les évaluations sont réalisées avec attention. Toute fiche d'impact comprend en effet une rubrique consacrée à « l'évaluation quantitative des impacts » comprenant une évaluation des « impacts financiers globaux » pour les entreprises, les particuliers, les associations, les collectivités territoriales, les établissements publics nationaux ou locaux ainsi que pour les services déconcentrés de l'État. Cette évaluation doit également comprendre une « répartition dans le temps des impacts financiers globaux ». Le cas échéant, elle comprend également une « cartographie et le nombre des collectivités concernées » ainsi que le « détail des impacts sur les collectivités territoriales ». En théorie, les fiches d'impact semblent donc particulièrement complètes. C'est d'avantage l'appréciation effective de ces impacts qui demeure inefficiente au regard des coûts constatés, à terme, par les collectivités.
Enfin, la rapporteure s'interroge sur l'objectivité de l'État dans le calcul ex ante du coût de certaines charges. Deux pratiques en particulier ont été dénoncées par les collectivités. Les départements de France, au cours de l'audition de leur président, M. Jean-Léonce DUPONT, ont indiqué que l'État avait tendance à sous-investir dans les années qui précèdent un transfert de compétence pour diminuer le montant des compensations calculées. Il a rappelé que l'État avait diminué ses investissements en matière d'entretien des collèges préalablement au transfert de cette compétence aux départements. Par ailleurs, l'État inclut aisément des années pourtant jugées exceptionnelles dans le calcul lissé de certaines dépenses sur plusieurs exercices consécutifs. Les années 2020 et 2021, exceptionnelles à bien des titres en raison de la pandémie de Covid-19, ont été prises en compte dans le calcul de plusieurs compétences transférées, minimisant les coûts du fait de la baisse d'activité.
Outre la méthodologie initiale, ce différentiel peut aussi s'expliquer par le périmètre pris en compte. En effet, selon que l'on va ou pas au-delà des préconisations minimales, le coût définitif d'une mesure varie particulièrement. C'est vrai lors d'une mise aux normes, en premier lieu parce que les collectivités peuvent aller au-delà des préconisations (toutes les communes ne s'en tiennent, par exemple, pas aux dispositions de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte lorsqu'elles mettent leurs bâtiments aux normes) mais aussi parce que ces collectivités disposent d'installations très hétérogènes lorsqu'une évolution des normes techniques est décidée.
Lors du déplacement effectué dans le Calvados, les membres de la mission ont par exemple interrogé plusieurs collectivités sur les conséquences financières du décret sur la régulation de la température des systèmes de chauffage et de refroidissement. Ce décret27(*) vise à installer des systèmes de contrôle de la consommation énergétique des bâtiments tertiaires28(*) (systèmes GTB/GTC). Or, il existe des disparités importantes entre les communes, certaines ayant installé des GTB/GTC dès les années 1990. La ville centre de Caen ainsi que les installations relevant de la Communauté Urbaine « Caen La Mer » disposent ainsi d'un parc globalement en avance sur la règlementation, tandis que les autres communes de la communauté urbaine devront procéder à l'installation de GTB/GTC, dont le coût unitaire, en fonction de l'état initial des bâtiments peut varier de 10 à 30 000 euros. Sur le territoire de la communauté urbaine de Caen, qu'elles relèvent de l'intercommunalité ou d'une commune, ce sont donc plusieurs millions d'euros d'investissement à prévoir avant 2025, pour la plupart sur des sites relevant de petites communes qui ne procèdent aux mises à jour qu'au fil de l'évolution de la règlementation. Or, comme le souligne, la direction de la transition énergétique de la ville de Caen, « il n'est pas certain que tous les élus du territoire aient conscience du coût et de l'enjeu de ce décret ».
Le coût de certaines politiques publiques est évidemment aussi conditionné par la qualité du service et par le choix d'exercer des compétences optionnelles. Ce choix est parfois très relatif : juridiquement un service public de restauration scolaire n'a rien d'obligatoire pour les communes, mais dans la pratique, il est assez peu réaliste de ne proposer aucun service de restauration au cours de la pause prandiale des élèves. Dès lors que ce service est proposé, le véritable choix réside dans le type d'offre de restauration : recours à l'alimentation « bio », menus de substitution, quantité de viande, tarification dégressive, etc. Or, la rapporteure ne peut que constater que la situation financière de plus en plus contrainte des communes conduit ces dernières à revaloriser la tarification appliquée pour ces services dits facultatifs et pourtant indispensables.
2. L'absence de chiffrage ex post
L'évaluation des politiques publiques n'est pas dans l'ADN de notre pays. Certes, l'objectif s'est progressivement affirmé : il a d'abord été institué, en 1990, un « Comité interministériel de l'évaluation chargé de développer et de coordonner les initiatives gouvernementales en matière d'évaluation des politiques publiques29(*) », remplacé par un « Conseil national de l'évaluation30(*) » lui-même supprimé31(*) en 2008, concomitamment à la constitutionnalisation de la fonction d'évaluation des politiques publiques du Parlement32(*). Cette consécration juridique ne s'est jamais traduite concrètement par un réflexe consistant à évaluer en permanence les politiques publiques. Les alternances politiques, bien plus que les résultats obtenus, demeurent en France le critère fondamental pour poursuivre une politique menée ou y mettre un terme : le suffrage lors des élections politiques apparait étrangement comme la seule forme d'évaluation des politiques publiques.
Cette absence de volonté politique réelle explique le fait que les ministères et organismes de contrôle ne sont toujours pas suffisamment dotés en moyens humains et en compétences pour réaliser des évaluations ex post ciblées sur la mesure des coûts réels des politiques publiques. Une forme d'effet cliquet se produit : on poursuit l'application de politiques publiques dès lors qu'elles sont initiées, alors même que les retours sont parfois loin d'être positifs. La France apparait donc comme l'un des pays développés les plus en retard dans l'évaluation de ses politiques publiques, ce qui explique sans doute en partie la situation de ses finances publiques.
Plutôt que d'internaliser l'évaluation au sein de chaque ministère, la France a toujours fait le choix du recours à un organisme unique censé piloter cette fonction, et rattaché au Gouvernement, ce qui ne facilite pas la diffusion de la « culture évaluative » dans chaque administration. Succédant au Commissariat général au plan33(*), puis au Centre d'analyse stratégique, France stratégie exerce aujourd'hui cette mission. Toutefois, ces évaluations se font ponctuellement, sur un texte donné, à la demande du Gouvernement et ne sont donc pas systématiques. De surcroit, le rattachement au Premier ministre n'aide pas à objectiver l'évaluation ainsi menée. Il s'agit donc davantage d'entériner un point de vue à l'égard d'une politique publique que de l'évaluer réellement.
3. Des illustrations concrètes du coût de certaines décisions unilatérales de l'État
Au cours des auditions et du déplacement, ont été cités plusieurs exemples, parfois ubuesques, d'application absurde de la norme, voire de normes elles-mêmes contreproductives.
Tout d'abord, les conséquences de la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens constituent un exemple récurent parmi les interlocuteurs entendus par la mission. Cette loi a renversé un principe et une exception bien établis en prévoyant désormais que le silence gardé par l'administration sur une demande emporte l'accord. Ce principe est désormais codifié à l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration. Il s'applique depuis le 12 novembre 2014 aux demandes adressées aux administrations de l'État et de ses établissements publics et, depuis le 12 novembre 2015, aux demandes adressées aux collectivités territoriales, aux organismes de sécurité sociale et aux organismes chargés d'un service public administratif. De prime abord, cette loi engendre un net progrès de l'État de droit mais elle a dû être assortie d'exceptions, destinées à préserver l'administration du flot de demandes dont elle peut faire l'objet. Toutefois, avec plusieurs milliers d'exceptions, sa mise en oeuvre implique soit de dédier du personnel spécifiquement chargé de vérifier qu'une autorisation implicite n'est pas accordée par mégarde, soit de continuer à répondre à toutes les demandes, positivement ou négativement, dans le délai imparti. Les associations d'élus auditionnées ont toutes confirmé que les collectivités avaient globalement renoncé à embaucher du personnel pour trier les demandes selon qu'elles relèvent du principe ou de l'exception. Au final, ce dispositif s'est révélé kafkaïen et n'a pas facilité les demandes des usagers tout en complexifiant le travail de l'administration. David LISNARD, lors de son intervention au Sénat pendant les états généraux de la simplification, avait ainsi résumé cette « avancée » :
« Le nombre de dérogations est de 3 000. Pour savoir s'il fallait répondre ou pas, il fallait recruter quelqu'un dans ma commune. Nous avons donc décidé de répondre à tout le monde, ce que nous faisions déjà avant. Il s'agit en effet d'un excellent exemple de l'absurdité ubuesque de ces normes. » Or, il s'agit d'un exemple, parmi d'autres, de coût indirect lié à une mesure très technique : fixer 3 000 exceptions à un principe nouveau entraine mécaniquement des coûts.
Il ne s'agit que d'un exemple parmi d'autres des coûts induits par certaines règles : l'appropriation des règles, par le temps de formation des personnels ou le recours à des organismes extérieurs qu'elles impliquent, suppose des coûts importants, d'autant plus élevés que ces règles sont, dans certains pans du droit, très mouvantes.
Parmi les autres exemples cités par les représentants auditionnés des collectivités figurent le coût des normes liées aux phénomènes naturels comme les anticyclones ou les séismes. Sans minimiser l'importance de la prévention, les élus concernés s'interrogent sur le coût parfois démesuré de ces mesures, alors que le principe de précaution, ainsi que l'amélioration des connaissances scientifiques, conduisent à l'application de règles toujours plus strictes, sur des territoires toujours plus étendus.
Le risque sismique, loin d'être homogène sur le territoire national, est pris en compte par un zonage qui classifie les communes selon cinq niveaux de sismicité34(*), de très faible à forte. Une cartographie de l'aléa sismique a ainsi été réalisée à l'échelle nationale, ce qui permet de différencier les règles sur le territoire en fonction de la probabilité qu'un séisme se produise. Ce zonage est applicable aux bâtiments abritant des établissements recevant du public, pour remplir des fonctions socio-économiques ou pour maintenir le fonctionnement de l'État.
Toutefois, cette cartographie a évolué, en 1991 puis en 2011, ce qui a entraîné le surclassement de certaines communes dans une classification plus élevée et l'application pour les nouvelles constructions de règles antisismiques plus strictes.
Zonage sismique en France (avant et après 2011)
Source : Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire
Cohabitent donc, sur certaines communes, des constructions nouvelles avec des règles antisismiques plus strictes que pour les constructions avoisinantes plus anciennes, ce qui ne manque pas de susciter une certaine incompréhension. Certains sites à risque, comme les installations nucléaires, bénéficient d'une attention particulière afin de tenir compte de tous les paramètres géologiques et sismiques qui les caractérisent.
Les élus auditionnés ont également mis en avant le coût très élevé des normes d'accessibilité aux personnes à mobilité réduite. Tout en défendant le caractère inclusif de ces mesures, ils ont souligné que les petites collectivités n'avaient pas les moyens de mettre en oeuvre ces mesures de manière généralisée et devait, dans la pratique, opérer des choix. Les élus locaux entendus sont donc nombreux à plaider pour des ambitions plus mesurées en la matière. Au cours de l'audition de l`association des maires ruraux de France, la rapporteure a par exemple été informée de la suggestion, formulée par un cabinet de conseil, à l'attention d'une petite commune à laquelle il a été recommandé de profiter de travaux d'entretien d'un édifice religieux relevant de son patrimoine pour abaisser un bénitier et le rendre ainsi accessible aux personnes à mobilité réduite. Bien qu'il ne s'agisse nullement d'une obligation juridique, et sans évidemment dénier le droit de quiconque à une pratique cultuelle libre, la rapporteure demeure particulièrement circonspecte, au regard du contexte budgétaire, sur le caractère prioritaire de telles réalisations.
L'objectif Zéro artérialisation nette (ZAN) a aussi été régulièrement cité comme potentiellement très coûteux. La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « climat et résilience » enjoint en effet les collectivités à ne plus « s'étaler ». La part de sols aménagés, estimée à 9,1 % en France métropolitaine, ne cesse de progresser au détriment des terres agricoles qui perdraient, chaque année, environ 0,2 % de leur superficie. Dans les dix années qui ont précédé la promulgation de la loi, la France a « artificialisé» 243 136 hectares d'espaces naturels, agricoles et forestiers. La loi vise donc à plafonner la superficie artificialisée de son sol d'ici 2050, en deux étapes, en divisant l'artificialisation annuelle des sols, une première fois par deux, au plus tard en 2031, puis une nouvelle fois par deux avant 2041, avant d'atteindre le fameux ZAN neuf ans plus tard. Pour conduire de nouveaux projets nécessitant une emprise au sol, les collectivités ne disposeront donc plus que de deux leviers : lutter contre les logements vacants d'une part et reconquérir les friches, en particulier les friches industrielles. Or, ces deux voies sont particulièrement coûteuses et donc inaccessibles aux collectivités les moins riches, en particulier les petites communes car la réhabilitation, c'est un état de fait, est globalement plus onéreuse que la construction à neuf qui peut intégrer le coût des normes au projet initial. Outre leur coût, d'autres difficultés impacteront les collectivités : la difficulté à identifier des friches d'une part, et les inévitables obstacles en termes d'ingénierie dans ces projets de transformation.
Certes, la rapporteure partage le constat ayant entrainé cette évolution législative et, là encore, ne met pas en doute le caractère louable de ces objectifs mais elle pose la question de la capacité des petites communes à insérer leur projet dans le faible interstice ainsi laissé. Pour les petites communes, le respect de cette loi ne pourra passer que par l'inertie et l'absence de projets.
La rapporteure pourrait malheureusement multiplier les exemples de ces normes qui imposent aux collectivités des contraintes disproportionnées, et donc coûteuses.
* 19 L'article L. 1612-4 du Code général des collectivités territoriales prévoit les modalités de cet équilibre : « Le budget de la collectivité territoriale est en équilibre réel lorsque la section de fonctionnement et la section d'investissement sont respectivement votées en équilibre, les recettes et les dépenses ayant été évaluées de façon sincère, et lorsque le prélèvement sur les recettes de la section de fonctionnement au profit de la section d'investissement, ajouté aux recettes propres de cette section, à l'exclusion du produit des emprunts, et éventuellement aux dotations des comptes d'amortissements et de provisions, fournit des ressources suffisantes pour couvrir le remboursement en capital des annuités d'emprunt à échoir au cours de l'exercice. »
* 20 Les comptes agrégés des collectivités locales et de leurs groupements à fiscalité propre présentés par l'observatoire des finances et de la gestion locales font état d'un endettement total des administrations publiques locales (APUL), au sens du traité de Maastricht, de 245 milliards d'euros à fin 2022. Pour davantage de détail sur les modalités de calcul de l'endettement des APUL, le rapport de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales sur les finances locales pour 2022 peut être consulté à l'adresse : https://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/Accueil/DESL/2022/OFGL_Rapport_2022_17janv2023.pdf
* 21 Cf., par exemple, le compte rendu de l'audition consacrée au principe de qui décide paie : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230501/mi_fin_loc.html#toc2
* 22 La vidéo de l'audition peut être consultée à l'adresse https://videos.senat.fr/video.3303591_640526c967144.finances-locales---audition-d-alain-lambert
* 23 Article L. 1212-1 du Code général des collectivités territoriales.
* 24 Consultable à l'adresse :
* 25 Ce guide est consultable à l'adresse :
* 26 Cf. page 41 du « Guideline on the Identification and Presentation of Compliance Costs in Legislative Proposals by the Federal Government ».
* 27 Il s'agit du décret n° 2020-887 du 20 juillet 2020 relatif au système d'automatisation et de contrôle des bâtiments non résidentiels et à la régulation automatique de la chaleur.
* 28 Il s'agit des dispositifs dits « BACS » pour Building Automation & Control Systems.
* 29 Décret n°90-82 du 22 janvier 1990 relatif à l'évaluation des politiques publiques.
* 30 Décret n°98-1048 du 18 novembre 1998 relatif à l'évaluation des politiques publiques, abrogeant le décret précité.
* 31 Décret n° 2008-663 du 4 juillet 2008 portant abrogation du décret n° 98-1048 du 18 novembre 1998 relatif à l'évaluation des politiques publiques.
* 32 Article 24 de la Constitution : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l'action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. »
* 33 Le commissariat général au plan, créé en 1946, définissait, à titre indicatif, la planification économique du pays, via des plans quinquennaux. Il a été remplacé en 2006 par le Centre d'analyse stratégique.
* 34 Article D. 563-8-1 du Code de l'environnement, la zone 5 concernant les Antilles françaises.