N° 729

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 juin 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission d'information (1) sur l'impact des décisions réglementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales,

Président
M. Jérôme BASCHER,

Rapporteure
Mme Guylène PANTEL,

Sénateur et Sénatrice

(1) Cette mission d'information est composée de : M. Jérôme Bascher, président ; Mme Guylène Pantel, rapporteure ; Mme Viviane Artigalas, M. Daniel Breuiller, Mme Agnès Canayer, MM. Victorin Lurel, Georges Patient, Mme Denise Saint-Pé, MM. Pascal Savoldelli, Dany Wattebled, vice-présidents ; MM. François Bonneau, Stéphane Sautarel, secrétaires ; M. Arnaud Bazin, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Delahaye, Mme Nicole Duranton, MM. Daniel Gremillet, Olivier Henno, Stéphane Le Rudulier, Antoine Lefèvre, Stéphane Piednoir, André Reichardt, Lucien Stanzione.

L'ESSENTIEL

De nombreuses décisions unilatérales de l'État affectent, directement ou indirectement, le « pouvoir d'agir » des collectivités territoriales. Qu'elles augmentent leurs charges ou qu'elles en diminuent les ressources, ces décisions compromettent l'équilibre des finances locales, dans un contexte budgétaire déjà largement contraint en raison de la hausse du coût de l'énergie et des matières premières.

Ce constat, très largement partagé par les élus locaux, est à l'origine de la mission d'information, créée à l'initiative du groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), dans le cadre de l'article 6 bis du Règlement du Sénat, qui confère à chaque groupe un « droit de tirage » pour la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information par année parlementaire.

La mission avait pour objectif d'analyser l'impact des décisions règlementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités territoriales.

Les premières imposent aux collectivités locales des contraintes de plus en plus abondantes, au risque de submerger les élus, voire de les placer face à des « injonctions paradoxales » en présence de normes contradictoires. Il en résulte de nombreux coûts induits pour les collectivités.

Les décisions budgétaires de l'État, prises dans le cadre des diverses lois de finances, ont, quant à elles, généré un système de financement de plus en plus instable caractérisé par une imprévisibilité des ressources et une perte progressive de l'autonomie fiscale des collectivités.

Les décisions de l'État, qu'elles soient de nature budgétaire ou règlementaire, placent ainsi les collectivités, et singulièrement les plus petites d'entre elles, dans une situation difficilement soutenable financièrement et qui accentue le sentiment général de découragement et de « désenchantement » chez les élus locaux. Certains d'entre eux considèrent qu'ils sont devenus des « auxiliaires » ou des « opérateurs » de l'État et qu'ils se retrouvent de facto privés de marges de manoeuvres pour conduire les politiques publiques locales pour lesquelles ils ont été élus.

I. LES NORMES RÈGLEMENTAIRES : UNE PROLIFÉRATION QUI GÉNÈRE UN IMPACT TRÈS NÉGATIF POUR LES FINANCES DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

La mission confirme le diagnostic établi en janvier 2023 par la délégation du Sénat aux collectivités territoriales sur « l'addiction aux normes » applicables aux collectivités territoriales.

Il est cependant difficile d'objectiver la situation. À l'heure actuelle, aucun thermomètre ne permet de mesurer la fièvre normative et son évolution dans le temps. Le chiffre de 400 000 normes, parfois avancé, ne repose sur aucun recensement rigoureux. À défaut de disposer de chiffres incontestables, le rapport relève la progression inquiétante des codes qui régissent l'activité des collectivités. En particulier, le code général des collectivités territoriales (CGCT), qui a triplé de volume entre 2002 et 2023, approche aujourd'hui le million de mots.

Cette inflation normative a des répercussions financières, directes ou indirectes, sur la conduite des grandes politiques publiques locales.

Une consultation menée par le Sénat en janvier dernier a montré que 4 élus sur 5 déplorent les conséquences financières négatives du poids des normes. Ce dernier se traduit par :

- une augmentation directe des coûts de la collectivité (pour 30 % des élus répondants) ; selon le rapport d'activité du CNEN, les normes règlementaires représentent, en 2022, un coût net de 2,5 milliards d'euros pour les collectivités ;

- une augmentation indirecte des coûts pour 70 % des répondants. En effet, le poids des normes entraine la modification, le report, voire l'abandon des projets portés par les collectivités.

Le rapport de la mission se fait l'écho des mises en garde des élus :

- plus les normes sont nombreuses, plus elles risquent de générer des contradictions ;

- plus elles sont complexes, plus elles risquent d'être interprétées différemment selon le service en charge de leur respect.

Les élus ont donné à la mission de nombreux exemples concrets, tels que la règle du ZAN qui impose aux élus des contraintes disproportionnées ou encore le principe selon lequel « le silence vaut accord » qui a été assorti de quelque 3000 dérogations.... Certains cas paraissent même ubuesques, comme celui du poulailler mobile qu'un maire des Yvelines tente désespérément d'installer sur sa commune, se heurtant à la rigidité des règles d'urbanisme, ou encore celui d'un bénitier qu'un maire a dû abaisser pour le rendre accessible aux personnes à mobilité réduite.

Le poids des normes a également un impact en termes de ressources humaines. En effet, d'une part, certaines collectivités doivent recruter des juristes pour faire face à la complexité de la réglementation, d'où un coût pour la collectivité. D'autre part, de nombreux élus éprouvent des difficultés de recrutement dans certains secteurs où les normes sont trop complexes. Le cas des secrétaires de mairie est, de ce point de vue, emblématique.

Tous ces impacts sont aujourd'hui mal évalués par l'État, que ce soit en amont de la préparation des textes ou en aval. Cette situation tient, dans une large mesure, à une insuffisance concertation avec les collectivités qui sont pourtant les destinataires de ces décisions.

Pour l'ensemble de ces raisons, la mission recommande un suivi attentif de la charte d'engagements signée par le Sénat et le Gouvernement le 16 mars 2023, charte dont l'objectif est de promouvoir une culture collective de « sobriété » des normes imposées aux collectivités territoriales.

II. LES DÉCISIONS BUDGÉTAIRES DE L'ÉTAT : UNE COMPLEXIFICATION DU FINANCEMENT DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES CARACTÉRISÉ PAR UN EMPILEMENT DE MESURES PARFOIS CONTRADICTOIRES

Cette situation préoccupante ne résulte pas que des normes règlementaires. Elle est aussi la conséquence des décisions budgétaires de l'État. Ces décisions, qui concernent à la fois les ressources et les dépenses des collectivités, sont de plus en plus nombreuses et génèrent une complexification du financement des collectivités qui se caractérise aujourd'hui par une sédimentation des ressources et une perte de visibilité pour les élus. Ainsi, entre 2010 et 2023, plus de 70 décisions ont été prises concernant la fiscalité locale qui ont, pour certaines d'entre elles, dégradé sensiblement l'autonomie fiscale des collectivités par la suppression d'impôts locaux.

Concernant les ressources, un constat s'impose : les élus se perdent dans le maquis des règles applicables. À titre d'illustrations :

- l'usage des dotations d'investissement (DETR1(*)/ DSIL2(*)/ DSID3(*)) est de plus en plus contraint : en effet, aux critères nationaux s'ajoutent souvent des critères locaux fixés par les préfets ;

- les modalités de répartition de la DGF4(*) reposent sur de trop nombreux critères mal compris des élus locaux. Ainsi, 11 critères de ressources et 19 critères de charges sont utilisés pour calculer la DGF des communes ;

- les « filets de sécurité » (ou « boucliers tarifaires ») sont certes vertueux dans leur principe puisqu'ils permettent de soutenir les collectivités les plus en difficulté : ils sont toutefois complexes dans leur application et ne couvrent que très partiellement les dépenses nouvelles pour les collectivités.

Concernant les dépenses, nombre de décisions de l'État ont eu pour effet de les augmenter tout en tentant, paradoxalement, de les encadrer.

Ainsi, la revalorisation du point d'indice génère un surcoût estimé de 1,5 milliard d'euros en 2023 pour les seules communes et leurs groupements quand celle du Revenu de solidarité active (RSA) pèse à hauteur de 240 millions d'euros pour les départements.

Pour autant, l'État n'a de cesse de vouloir encadrer les dépenses de fonctionnement des collectivités depuis les contrats de Cahors alors même que celles-ci ont démontré leur esprit de responsabilité ainsi que la rigueur de leur gestion. Cette volonté apparaît de surcroit doublement contradictoire :

- avec la hausse des dotations d'investissement allouées aux collectivités dans le cadre du plan de relance et de la création du fonds vert ;

- avec la forte incitation du Gouvernement pour développer l'investissement local notamment à travers des programmes partenariaux lancés en 2018 et 2019 : action coeur de ville, territoires d'industrie ou petites villes de demain. Or, les dépenses d'investissement, même si certaines d'entre elles, liées à la rénovation thermique des bâtiments auront pour effet de diminuer la facture énergétique, généreront de facto une hausse des dépenses de fonctionnement pour la maintenance et l'entretien de ces nouveaux investissements (y compris des dépenses de personnel).

Il en est résulté un climat détérioré entre le Gouvernement et les collectivités territoriales ainsi qu'une perte de confiance de ces dernières d'autant que la plupart des réformes budgétaires et fiscales ont été prises sans consultation des élus et, quand des consultations ont été menées, sans tenir compte des nombreuses réserves émises par ceux-ci. Dès lors, au-delà de la contrainte budgétaire que les élus ont intégrée avec résilience, ce qui pèse aujourd'hui le plus fortement sur l'action locale est l'incertitude sur l'évolution des ressources, leur pérennité et leur dynamisme.

III. LES 10 RECOMMANDATIONS DU RAPPORT

La mission d'information formule 10 recommandations afin de mieux mesurer et limiter l'impact des décisions règlementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités.

Recommandation n° 1 : Renforcer le dialogue État / collectivités au plan national

La mission recommande un rapprochement, voire une fusion du Comité des finances locales (CFL) et du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN). Une telle évolution permettrait :

- de mieux évaluer, en amont et en aval, l'impact des décisions de l'État sur l'équilibre des finances locales ;

- de fournir un appui au Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, dans le cadre de la mise en place, en son sein, d'une fonction transversale de veille et d'alerte sur les textes ayant un impact sur les collectivités territoriales.

Ce nouvel organe devra nécessairement :

- renforcer le poids des élus locaux dans la gouvernance ;

- prévoir une section « outre-mer » ;

- être obligatoirement consulté sur les projets de loi de finances et les projets de loi de finances rectificative.

Recommandation n° 2 : Renforcer le dialogue État / collectivités dans les territoires

4 axes sont privilégiés :

1. mettre en place, à titre expérimental, dans certains départements, des conférences de dialogue, placées sous l'égide des préfets ou sous-préfets ;

2. donner au préfet autorité sur l'ensemble des services et agences de l'État ;

3. renforcer son rôle et celui du sous-préfet en matière de conseil et d'ingénierie auprès des petites communes ;

4. simplifier la procédure relative au droit de dérogation du préfet afin de faciliter l'exercice de cette compétence.

Recommandation n° 3 : Privilégier les expérimentations avant toute réforme impactant les collectivités

Il s'agit de recourir davantage au mécanisme pragmatique de l'expérimentation, dont le régime a été amélioré par la loi organique du 19 avril 2021. En effet, d'une part, cette loi a instauré une évaluation intermédiaire pour chacune des expérimentations engagées, d'autre part, elle a assoupli le régime de l'expérimentation locale : ainsi, cette dernière peut désormais aboutir au maintien des mesures prises à titre expérimental dans les collectivités territoriales ayant participé à l'expérimentation, ou dans certaines d'entre elles, et leur extension à d'autres collectivités territoriales, dans le respect du principe d'égalité.

Recommandation n° 4 : Prévoir que les décisions de l'État impactant les finances locales doivent entrer en vigueur avant le vote des budgets locaux, et non en cours d'exercice

Encore plus que la complexité des décisions de l'État, les élus dénoncent leur manque de prévisibilité.

Il s'agit de permettre aux collectivités, notamment de petite taille, d'anticiper les réformes de l'État afin qu'elles disposent du temps nécessaire pour tirer les conséquences de ces réformes dans leur budget de l'année n+1.

Recommandation n° 5 : Inscrire dans la Constitution que toute création ou extension de compétences ou toute modification des conditions d'exercice des compétences des collectivités territoriales résultant d'une décision de l'État et ayant pour effet d'augmenter les dépenses de celles-ci est accompagnée de ressources équivalentes au montant estimé de cette augmentation

Cette recommandation reprend une disposition votée par le Sénat le 20 octobre 2020 dans le cadre de la proposition de loi constitutionnelle présentée par nos collègues Philippe BAS et Jean-Marie BOCQUEL. En effet, dans sa rédaction actuelle, l'article 72-2 de la Constitution prévoit que toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est « accompagnée de ressources déterminées par la loi ». La Constitution ne prévoit donc pas une juste compensation financière des nouvelles compétences.

Recommandation n° 6 : Mettre en place un réexamen régulier, selon une récurrence à définir mais a minima tous les 5 ans, des droits à compensation pour tenir compte du dynamisme naturel des charges liées à un transfert, création, extension ou modification des conditions d'exercice d'une compétence résultant d'une décision de l'État induisant une hausse des charges des collectivités territoriales

Actuellement, les compensations sont calculées au coût historique en cas de transfert de compétences. Concernant les créations ou extensions de compétences, les textes prévoient uniquement qu'elles doivent s'accompagner de ressources déterminées par la loi. Mais dans les deux cas, il n'est pas prévu de réexamen régulier pourtant nécessaire quand les collectivités subissent des charges liées à ces compétences.

Recommandation n° 7 : Accélérer la révision des valeurs locatives cadastrales

Cette révision n'a de cesse d'être reportée depuis plusieurs années alors qu'elle permettrait de redynamiser les bases.

Recommandation n° 8 : Assouplir les règles de plafonnement et de liaison des taux des impôts locaux

Cette recommandation permettrait une plus grande liberté d'action aux élus locaux pour faire varier les taux des taxes foncières et d'habitation sur les résidences secondaires.

Recommandation n° 9 : Revoir les modalités de répartition de la DGF en profondeur, préalable nécessaire à une indexation de cette dernière sur l'inflation

Une réforme de la DGF est indispensable afin de simplifier et de rendre plus compréhensible ses modalités d'attribution aujourd'hui trop complexes.

Cette refonte doit être préalable à une indexation qui permettrait de couvrir partiellement les coûts générés par les décisions règlementaires (2,5 milliards en 2022) et qui répondrait, au moins en partie, à la demande de visibilité exprimée par les élus locaux.

Le coût estimé de cette recommandation serait de l'ordre de 1,3 milliard d'euros avec une inflation à 5 %.

Recommandation n° 10 : Mettre en place un dialogue entre l'État et les collectivités sur les modalités de compensation des exonérations fiscales et mettre fin à la pratique de minoration des variables d'ajustement

La pratique des variables d'ajustement est largement contestée chaque année par le Sénat dans la mesure où elle revient à minorer des dotations supposées compenser à l'euro près les collectivités territoriales des conséquences des réformes et des exonérations fiscales décidées par l'État.

LISTE DES 10 RECOMMANDATIONS

N° de la recommandation

Recommandations

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support/action

1

Rapprochement / fusion du Comité des finances locales (CFL) et du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN).

Ce nouvel organe devra :

- renforcer le poids des élus locaux dans la gouvernance ;

- prévoir une section « outre-mer » ;

- être consulté sur les projets de loi de finances et les projets de loi de finances rectificative.

Ministère en charge des collectivités territoriales

1 an

Loi ordinaire

2

Renforcer le dialogue État / collectivités dans les territoires

4 axes :

1. mettre en place, à titre expérimental, dans certains départements, des conférences de dialogue, placées sous l'égide des préfets ou sous-préfets ;

2. donner au préfet autorité sur l'ensemble des services et agences de l'État ;

3. renforcer son rôle et celui du sous-préfet en matière de conseil et d'ingénierie auprès des petites communes ;

4. simplifier la procédure relative au droit de dérogation du préfet afin de faciliter l'exercice de cette compétence.

Premier ministre / Ministère de l'intérieur /
Ministère en charge des collectivités territoriales

1 an

Règlements / circulaires

3

Privilégier les expérimentations avant toute réforme impactant les collectivités.

Ministère en charge des collectivités territoriales

Mise en oeuvre immédiate

Loi ordinaire

4

Prévoir que les décisions de l'État impactant les finances locales doivent entrer en vigueur avant le vote des budgets locaux, et non en cours d'exercice.

Gouvernement / Parlement

Mise en oeuvre immédiate

Dispositions d'entrée en vigueur des textes concernés (lois/règlements)

5

Inscrire dans la Constitution que toute création ou extension de compétences ou toute modification des conditions d'exercice des compétences des collectivités territoriales résultant d'une décision de l'État et ayant pour effet d'augmenter les dépenses de celles-ci est accompagnée de ressources équivalentes au montant estimé de cette augmentation.

Gouvernement / Parlement

1 an

Loi constitutionnelle

6

Mettre en place un réexamen régulier, selon une récurrence à définir mais a minima tous les 5 ans, des droits à compensation pour tenir compte du dynamisme naturel des charges liées à un transfert, création, extension ou modification des conditions d'exercice d'une compétence résultant d'une décision de l'État induisant une hausse des charges des collectivités territoriales.

Gouvernement / Parlement

1 an

Loi constitutionnelle

7

Accélérer la révision des valeurs locatives cadastrales.

Gouvernement / Parlement

PLF 2024

Loi de finances

8

Assouplir les règles de plafonnement et de liaison des taux des impôts locaux.

Gouvernement / Parlement

PLF 2024

Loi de finances

9

Revoir les modalités de répartition de la DGF en profondeur, préalable nécessaire à une indexation de cette dernière sur l'inflation.

Gouvernement / Parlement

PLF 2024

Loi de finances

10

Mettre fin à la pratique de minoration des variables d'ajustement.

Gouvernement / Parlement

PLF 2024

Loi de finances

AVANT-PROPOS

« État et collectivités territoriales : les bons comptes feront les bons amis ! »

De nombreuses décisions unilatérales de l'État viennent régulièrement affecter les conditions d'exercice des compétences des collectivités territoriales. Tantôt ces décisions augmentent les charges des collectivités, tantôt elles en diminuent les recettes. Dans tous les cas, elles compromettent fréquemment l'équilibre des finances locales, dans un contexte budgétaire contraint, marqué notamment par la hausse du coût de l'énergie et des matières premières.

Ce constat, largement partagé par les élus locaux, est à l'origine de la présente mission d'information, créée à l'initiative du groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), dans le cadre de l'article 6 bis du Règlement du Sénat, qui confère à chaque groupe un « droit de tirage » pour la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information par année parlementaire.

La mission s'est tout d'abord attachée à préciser le champ des décisions de l'État susceptibles de générer une incidence concrète sur les finances locales : il s'agit à la fois des décisions règlementaires et des décisions budgétaires. Les premières concernent les décrets et arrêtés dont chacun sait qu'ils imposent aux collectivités locales des normes de plus en plus abondantes, au risque de submerger les élus, voire de les placer face à des « injonctions paradoxales » en présence de normes contradictoires. La délégation aux collectivités territoriales du Sénat a ainsi souligné, à titre d'exemple, que le code général des collectivités territoriales a triplé de volume en 20 ans et approche aujourd'hui le million de mots5(*). Selon le rapport d'activité du CNEN, les normes règlementaires représentent, en 2022, un coût net de 2,5 milliards d'euros pour les collectivités.

Quant aux décisions budgétaires, elles découlent essentiellement des textes législatifs de nature financière, à savoir les lois de finances initiales, rectificatives et de programmation des finances publiques. Elles ont un impact à la fois sur les charges et les ressources des collectivités locales.

L'ensemble de ces dispositifs, règlementaires et budgétaires, se sont multipliés et complexifiés ces dernières années, au point de créer un sentiment d'insécurité chez les élus, contraints de s'adapter à un environnement budgétaire et fiscal instable, car en perpétuelle évolution. Certains élus dénoncent ainsi une boulimie normative, ressentie comme « une violence symbolique ».

Au-delà de cette première difficulté de principe, la prolifération des mesures unilatérales de l'État, trop souvent prises sans réelle concertation locale et sans « délai de prévenance », mettent régulièrement à mal les finances des collectivités territoriales, au point d'entraver leur libre administration et leur pouvoir d'agir. Ces difficultés sont accentuées pour les petites communes aux ressources techniques et financières limitées.

Le présent rapport fournit de nombreuses illustrations concrètes de ces difficultés et de leurs conséquences dans la conduite des politiques publiques locales. Il propose également 10 recommandations pour neutraliser le plus possible l'impact des décisions de l'État sur les finances locales et redonner enfin aux élus locaux le pouvoir d'agir.  

I. LA PROLIFÉRATION ET LA COMPLEXIFICATION DES NORMES RÈGLEMENTAIRES : UN IMPACT TRÈS NÉGATIF POUR LES FINANCES DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

A. UNE TENDANCE LOURDE, DES CAUSES NOMBREUSES ET ANCIENNES

Les décisions règlementaires s'imposant aux collectivités territoriales sont de plus en plus abondantes. Avant de présenter les conséquences financières de cette prolifération normative, il convient d'en analyser les causes, nombreuses et anciennes.

1. La nécessité d'assurer une conciliation équilibrée entre des impératifs souvent contradictoires

En premier lieu, notre ordre juridique doit concilier des objectifs aussi légitimes que potentiellement divergents, par exemple lorsqu'il s'agit de respecter des objectifs environnementaux sans nuire au développement des territoires. L'objectif du zéro artificialisation nette est de ce point de vue emblématique.

On peut également citer la nécessité de développer l'innovation dans les territoires mais dans le respect de la protection des données personnelles. La poursuite de politiques publiques aussi diverses dans leur finalité est, par essence, génératrice de normes.

2. Le rôle du droit communautaire

En deuxième lieu, le droit communautaire est également responsable de l'inflation normative et c'est pourquoi la mission préconise de lutter contre les surtranspositions des directives et contre le recours croissant aux règlements, directement applicables sur le territoire national.

3. Le besoin de protection des acteurs locaux

En troisième lieu, la prolifération des normes répond aussi à la judiciarisation de notre société. En effet, force est de reconnaitre que les élus et fonctionnaires locaux, destinataires de la norme, émettent parfois des souhaits antinomiques : d'un côté, ils réclament moins de règles ; de l'autre, ils sont nombreux à souhaiter des normes toujours plus détaillées pour se prémunir d'une mise en jeu de leur responsabilité, notamment au plan pénal. Tel est le cas, en particulier, dans le domaine de la sécurité ou de l'accessibilité. Le besoin de protection agit ainsi comme un « facteur inflationniste ».

Ainsi, lors des auditions, ont été relayées les demandes de certains maires de voir édicter des règles précises en matière d'éclairage public. En effet, des maires ont décidé, pour réaliser des économies d'énergie, de réduire l'amplitude d'éclairage. Mais ce faisant, ils ont dû faire face à des recours déposés sur le fondement d'un prétendu manquement à leurs obligations de préservation de l'ordre public. Même si l'équation économie d'énergie/sécurité se révèle difficile à résoudre pour certains élus locaux, est-il pour autant opportun de créer des normes dans ce domaine ?

D'une manière générale et au-delà des questions de responsabilité, de nombreuses personnes entendues par la mission ont souligné que les élus réclament des normes pour « couvrir » toutes les situations possibles, y compris les plus improbables. Notre collègue Muriel JOURDA a ainsi regretté ce paradigme, qu'elle a résumé ainsi : « En France, un espace de liberté s'appelle un vide juridique ! »6(*). Lors d'une récente audition au Sénat, M. Pascal BERTEAUD, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), a illustré ce besoin de protection des élus dans le domaine de l'eau : « le dispositif règlementaire est compliqué en France, car nous sommes dans un pays très cartésien dans lequel la loi traite tous les cas. Ainsi, derrière chacune des lignes du Code de l'environnement consacrée à l'eau, se cache une protection particulière. Toute simplification donne dès lors plus de pouvoir d'appréciation au maire et au juge. En effet, ces sujets quotidiens finissent tous en justice »7(*).

4. Le culte voué à la norme : un problème = une norme ? 

Comme l'a souligné le rapport précité de la délégation aux collectivités territoriales sur l'addiction aux normes, l'emballement normatif tient, plus généralement, à une croyance quasi-mystique dans les vertus « thérapeutiques » de la norme. Il s'agit là d'un mal français : quand ils ne savent pas répondre à une question, qu'ils veulent répondre à une « émotion » ou qu'ils manquent de moyens financiers, les pouvoirs publics cèdent volontiers à la création de la norme « médicament », afin de donner l'impression, voire l'illusion, qu'ils ont réglé la question dans l'intérêt général.

5. Les défauts qui affectent la « fabrique des normes »

La prolifération des normes résulte également des défauts qui affectent le processus de fabrication des normes applicables aux collectivités parmi lesquels un déficit de concertation avec les élus locaux, un recours trop fréquent aux procédures accélérées devant le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) et une dégradation de la qualité des études et fiches d'impact transmises au CNEN. La conjugaison de ces trois facteurs entraîne des normes trop nombreuses, souvent mal préparées et dont l'impact financier futur sur les collectivités a été peu, mal ou pas évalué.

a) L'insuffisante concertation entre les ministères porteurs et les élus locaux

Les associations d'élus locaux entendues par la mission ont toutes regretté un déficit de concertation, dans la préparation des normes, avec les élus locaux. Lors de son audition le 1er mars 2023, Alain Lambert, président du CNEN, a ainsi déclaré : « Avant la décentralisation, quand le Gouvernement envisageait une réforme, il interrogeait les préfectures et les services extérieurs de l'État pour examiner les moyens, pour la réforme, d'atteindre ses objectifs, chacun sait ici le rôle qu'ont eu les DDE dans la préparation de certaines lois. Je crois que, la décentralisation étant intervenue, il faut pareillement interroger les collectivités territoriales, les associer en amont, car ce sont elles qui auront à mettre en oeuvre les politiques publiques - c'est dans ce sens que nous parlons de droit « collaboratif ». La Gouvernement aura le dernier mot, c'est bien normal, mais la concertation doit avoir lieu en amont, plutôt qu'en aval de l'écriture de la loi ; or, quand nous interrogeons les collectivités territoriales, elles nous disent avec constance que ce n'est pas le cas ».

Au sein du CNEN, le collège des élus rappelle régulièrement au Gouvernement la nécessité d'être étroitement associé à l'élaboration des normes.

Extrait d'une délibération du CNEN
Séance du 15 décembre 2022 / délibération n° 22-12-15-03041

La mission invite donc le Gouvernement à davantage confronter les projets de normes à leurs destinataires que sont les élus locaux.

b) La banalisation du recours aux procédures d'urgence, voire d'extrême urgence devant le CNEN

Cette dégradation de la concertation se double d'une banalisation du recours aux procédures accélérées devant le CNEN. Rappelons que cet organe, créé en 2013, à l'initiative du Sénat, est chargé d'évaluer l'impact technique et financier des normes applicables aux collectivités territoriales. L'avis du CNEN a vocation à éclairer le Gouvernement et le Parlement sur les impacts financiers des projets de normes pour les collectivités territoriales sans pour autant ralentir le processus normatif. C'est pourquoi sa consultation est strictement encadrée par des délais différenciés en fonction de l'urgence du texte dont le Conseil est saisi.

Le CNEN dispose ainsi d'un délai de six semaines à compter de la transmission du projet de texte. Ce délai peut, à titre exceptionnel, être réduit :

- à deux semaines sur la demande de la Première ministre (« procédure d'urgence ») ;

- à 72 heures en cas de décision motivée de la Première ministre (« procédure d'extrême urgence »).

Si l'existence de procédures d'urgence est compréhensible, force est de constater que ces saisines accélérées se sont banalisées au cours des dernières années : en effet, près de 25 % des textes examinés par le CNEN en 2022 se sont inscrits dans le cadre d'une procédure d'urgence, voire d'extrême urgence, contre 9 % en 2019, alors même que certains d'entre eux ne sont publiés que plusieurs mois à la suite d'une saisine en urgence.

Cette situation s'est aggravée ces dernières années comme l'illustre le graphique ci-dessous.

La banalisation du recours aux procédures exceptionnelles
devant le CNEN

Source : Rapport d'activité du CNEN (2019-2022)

Cette situation a conduit Territoires Unis8(*) à saisir le 3 janvier 2023 la Première ministre : « nous vous demandons très solennellement d'encadrer et de limiter le recours à ces procédures. En effet, l'étude de textes juridiques requiert un temps incompressible pour être conduit avec toute l'exigence de sérieux et l'examen des textes en séance démontre que le caractère d'urgence se vérifie souvent assez peu. Or, l'utilisation de ces procédures restreint fortement la capacité des membres élus du CNEN à expertiser les projets de norme de façon satisfaisante, a fortiori lorsque la procédure d'extrême urgence est enclenchée puisque le délai est alors de 48 heures ».

Lors de son audition en date du 1er mars 2023, Alain LAMBERT, président du CNEN a regretté cette situation. Il a en effet déclaré, en réponse à notre collègue Rémy POINTEREAU : « Je vous rejoins également sur notre calendrier : dans notre rapport d'activité, nous nous plaignons de l'urgence dans laquelle nous sommes saisis, nous n'avons généralement pas plus de 48 heures pour nous prononcer, c'est insuffisant. Cet abus d'usage de l'urgence est un moyen détourné pour contourner le travail préparatoire et nous nous en plaignons parce qu'il appauvrit la chaine d'élaboration du droit ».

Nous verrons plus loin que le Gouvernement s'est engagé, dans une charte signée au Sénat le 16 mars 2023, à limiter le recours à ces procédures exceptionnelles. La mission s'en réjouit et insiste sur le fait que le CNEN ne peut sérieusement évaluer l'impact financier des textes que s'il dispose d'un temps suffisant.

c) L'insuffisante qualité des études et fiches d'impact transmises au CNEN

La multiplication et la complexité des normes résultent également d'un autre défaut affectant les mécanismes de fabrique de la norme : la défaillance des études et fiches d'impact.

Concernant les projets de loi, la loi organique du 15 avril 2009 a instauré l'obligation de joindre une étude d'impact. L'article 8 dispose ainsi que les documents rendant compte de l'étude d'impact « définissent les objectifs poursuivis par le projet de loi, recensent les options possibles en dehors de l'intervention de règles de droit nouvelles et exposent les motifs du recours à une nouvelle législation ».

S'agissant des textes règlementaires, une fiche d'impact doit être remplie afin d'évaluer l'impact financier du projet de norme pour les collectivités territoriales (circulaire du Premier ministre du 12 octobre 2015).

L'objectif des études et fiches d'impact est clair : éclairer le CNEN (via les études et fiches d'impact) et le Parlement (via les études d'impact) sur les conséquences des textes envisagés, et ce de façon aussi complète et rigoureuse que possible.

Or, trop souvent, ces documents ne remplissent pas la mission qui leur est assignée : au lieu de fournir une aide objective à la décision, ils apparaissent comme un outil d'autojustification ou de « plaidoyer pro domo ». Ainsi, selon le dernier rapport d'activité du CNEN, sur l'année 2020, 54 % des fiches d'impact « présentaient un impact financier mal renseigné ou non calculable ex ante ». « Cette dégradation significative de la qualité des études et fiches d'impact transmises à notre institution (...) s'explique le plus souvent par un calendrier politique contraignant les administrations centrales à produire de la norme dans l'urgence », déplore le rapport précité.

La rapporteure souhaite ici réaffirmer que le Conseil constitutionnel a, par sa jurisprudence, neutralisé la portée des études d'impact. En effet, lorsque la Conférence des présidents du Sénat, en juin 2014, a rejeté, conformément à la nouvelle possibilité ouverte par l'article 39 alinéa 4 de la Constitution, l'inscription à son ordre du jour d'un projet de loi (relatif à la délimitation des régions) au motif que son étude d'impact était insuffisante, le Conseil constitutionnel a débouté notre assemblée ( décision n° 2014-12 FNR du 1er juillet 2014). Dans cette décision, le Conseil s'est refusé à examiner la qualité de fond de l'étude d'impact contestée, en se bornant à vérifier la présence formelle des données qui devaient y figurer en application de la loi organique. En d'autres termes, le Conseil constitutionnel a simplement constaté que le Gouvernement avait rempli l'obligation formelle d'établir une étude d'impact, sans prendre en compte son contenu. Il n'a donc pas sanctionné l'indigence des éléments financiers qui étaient produits dans l'étude d'impact relatifs au découpage régional.

Au final, ces « défauts de fabrication » des normes expliquent, dans une large mesure, la typologie des avis défavorables rendus par le CNEN sur la période 2019-2022 : le tableau ci-dessous fait ainsi apparaître l'importance des motifs intitulés « manque ou absence de concertation avec les représentants des élus » et « qualité de l'évaluation préalable ». 

La typologie des avis défavorables rendus par le CNEN (2019-2022)

Source : rapport d'activité du CNEN

6. Une question au coeur d'enjeux de culture et de formation des acteurs

La prolifération des normes résulte aussi d'un manque de culture de sobriété normative, à la fois au sein des administrations centrales que des acteurs politiques.

a) les acteurs administratifs

Il est essentiel de renforcer la formation des producteurs de normes, d'une part, de manière générale à la simplification et à la qualité du droit, d'autre part, à la réalité du fonctionnement des collectivités territoriales.

Comme l'a déclaré notre collègue Jérôme BASCHER, président de notre mission : « le problème, ce n'est pas seulement le manque de culture décentralisatrice, c'est le manque de connaissance-même de ce que sont les collectivités, de ce qu'elles font et de la vie en province »9(*).

L'Institut national du service public (INSP), créé le 1?? janvier 2022 pour remplacer l'ENA, semble avoir pris la mesure de cette question puisque les enjeux relatifs à l'action des collectivités et à la dimension territoriale des politiques publiques sont travaillés dans un module mis en oeuvre conjointement avec l'INET. Les élèves travaillent à cette occasion sur des projets pouvant renforcer l'action publique dans « le dernier kilomètre ». Ces enjeux et ces compétences doivent continuer à être travaillés dans le cadre de la nouvelle scolarité de l'INSP, en cours de construction, qui sera mise en oeuvre à partir de janvier 2024.

La rapporteure se félicite de cet engagement et souhaite qu'il se traduise par des effets tangibles.

b) les acteurs politiques

Comme l'a relevé Alain LAMBERT aussi bien lors de son audition qu'à l'occasion des états généraux de la norme, organisés au Sénat le 16 mars 2023, les acteurs politiques, tels que les parlementaires, portent une part de responsabilité dans le poids des normes applicables aux collectivités territoriales, et donc dans les charges financières qu'elles génèrent. Les chiffres d'activité des sénateurs et députés au cours de la législature 2017-2022 soulignent la propension des parlementaires à légiférer, ce qui explique, en partie, la prolifération des normes règlementaires, beaucoup se bornant à appliquer les dispositions législatives adoptées au Parlement. C'est pourquoi Gérard LARCHER, président du Sénat, a déclaré lors des états généraux du 16 mars 2023 : « En tant que parlementaires, nous devons aussi nous freiner ».

Bilan des amendements déposés et adoptés
lors de la législature 2017-2022

 

Nombre d'amendements déposés10(*) durant la XVe législature (2017-2022)

Nombre d'amendements adoptés11(*) durant la XVe législature (2017-2022)

Assemblée nationale

Total : 200 082

Total : 16 018

dont Gouvernement :

3 358

dont Députés, groupes et commissions : 196 724

dont Gouvernement :

2 730

dont Députés, groupes et commissions : 13 288

Sénat

Total : 46 250

Total : 9 608

dont Gouvernement :

2 525

dont Sénateurs, groupes et commissions : 43 725

dont Gouvernement :

1 128

dont Sénateurs, groupes et commissions: 8 480

Source : Sénat

Bilan des propositions de loi déposées et adoptées
lors de la législature 2017-2022

 

Nombre de propositions de loi déposées durant la XVe législature (2017-2022)

Nombre de propositions de loi adoptées durant la XVe législature (2017-2022)

Assemblée nationale

Total : 2 259

Total Parlement : 115

Origine Assemblée nationale : 82

Sénat

Total : 884

Total Parlement : 115

Origine Sénat : 33

Source : Sénat

La mission souligne donc que la sobriété normative, gage d'allègement des dépenses pour les collectivités, repose sur des actions convergentes et coordonnées de tous les acteurs, qu'ils soient administratifs et politiques. C'est d'ailleurs le sens de la charte d'engagements qui a été signée entre le Sénat et Gouvernement le 16 mars 2023. Cette charte doit impulser un changement de culture et de pratique à tous les niveaux.

La rapporteure insiste sur le fait que cette charte doit permettre de rétablir un climat de confiance entre le Parlement et le Gouvernement s'agissant des réformes imposées aux collectivités territoriales. Bien souvent, les parlementaires encombrent les lois territoriales de dispositions qui relèvent du pouvoir règlementaire, par crainte de « trahison » ultérieure, par ce dernier, de la volonté du législateur. Il est donc essentiel de briser ce cercle vicieux.

B. L'IMPOSSIBLE INVENTAIRE DES NORMES IMPOSÉES AUX COLLECTIVITÉS LOCALES

Si la grande majorité des élus s'accordent à dire que la multiplication des normes de l'État emporte des conséquences importantes sur les finances locales, dans le contexte budgétaire contraint que chacun connaît, il est difficile d'objectiver la situation. A l'heure actuelle, aucun thermomètre ne permet de mesurer la fièvre normative.

1. 400.000 normes, mythe ou réalité ?

En premier lieu, la mission a constaté qu'il est impossible d'identifier le nombre de normes applicables aux collectivités locales et leur évolution dans le temps. Le nombre de 400 000 normes, parfois avancé, ne repose sur aucun recensement rigoureux. En effet, ni le Secrétariat général du Gouvernement ni la direction générale des collectivités locales ne disposent d'outils permettant de fournir le nombre de normes applicables, entendues comme des prescriptions que les collectivités doivent respecter.

2. L'évolution du volume des codes : un indicateur de suivi de l'inflation normative ?

À défaut de disposer d'un chiffre incontestable de normes applicables aux élus, l'évolution de certains codes fournit des indications pertinentes sur l'inflation normative.

S'agissant du code général des collectivités territoriales (CGCT), il a triplé de volume entre 2002 et 2023, même si cette évolution s'explique en partie par la mise en oeuvre des principes de différenciation territoriale et par le développement des transferts de compétences, comme l'a souligné, lors de son audition, Mme Dominique FAURE, ministre en charge des collectivités territoriales.

Quant au code de l'urbanisme, il est passé de près de 185 000 mots au 1er janvier 2012 à environ 265 000 mots au 1er janvier 2023, soit une progression de quelque 44 %.

Évolution du nombre de mots dans le CGCT et le code de l'urbanisme

Source : Sénat à partir des données fournies par le SGG

Si le CGCT et le code de l'urbanisme sont les plus couramment cités par les élus, d'autres codes régissent l'activité des collectivités territoriales, parmi lesquels le code de l'environnement, le code de l'action sociale et des familles et le code de la santé publique. Ces trois codes subissent également une progression inquiétante depuis 20 ans.

Évolution du nombre de mots dans le code de l'environnement

Date

1er janvier 2002

1er janvier 2022

Évolution

Nombre de mots

1 006

6 576

x 5,5


Évolution du nombre de mots dans le code de l'action sociale et des familles

Date

1er janvier 2002

1er janvier 2022

Évolution

Nombre de mots

590

3 571

x 6,1

Évolution du nombre de mots dans le code de la santé publique

Date

1er janvier 2002

1er janvier 2022

Évolution

Nombre de mots

4 931

12 380

x 2,5

Source : Sénat à partir des données fournies par le SGG

Lors des États généraux de la simplification, Claire DEMUNCK, rédactrice en chef de l'Actualité juridique des collectivités territoriales (AJCT), a souligné que même les juristes des collectivités étaient dans l'incapacité à maitriser ces codes devenus « obèses » au fil des ans.

3. Le ressenti des élus

Au-delà de la difficulté d'objectiver parfaitement la réalité de l'inflation normative, il est intéressant de rendre compte du ressenti des élus. Il s'avère qu'à l'occasion de la consultation menée par le Sénat auprès des élus locaux (janvier 2023), les répondants ont fait part d'un sentiment préoccupant : en effet, 80 % d'entre eux estiment que la complexité des normes s'est aggravée depuis 2020.

Source : consultation auprès des élus locaux (Sénat / janvier 2023)

Il faut relever que la moitié des élus qui ont répondu à la consultation appartient à des communes de moins de 1000 habitants. Le chiffre de 80 %, particulièrement élevé, confirme ce qui a été indiqué à la rapporteure lors des auditions : ce sont surtout les petites communes qui souffrent de la prolifération des normes.

C. UN IMPACT NÉGATIF SUR LA CONDUITE DES PROJETS LOCAUX

1. Des répercussions sur tous les grands champs de compétences des collectivités

Comme le souligne le rapport d'activité du CNEN, les normes s'imposant aux collectivités territoriales relèvent des grands domaines de compétences des collectivités. Ces normes ont donc des répercussions financières, directes ou indirectes, sur la conduite des grandes politiques publiques locales.

Source : Extrait du rapport d'activité du CNEN (2019-2022)

Dans le cadre de la consultation menée par le Sénat auprès des élus locaux en janvier 2023, les élus ont été interrogés sur les secteurs à simplifier en priorité selon eux. Un secteur ressort nettement : celui de l'urbanisme, cité par la moitié des répondants.

D'autres domaines ont également été identifiés dans la consultation : la répartition des compétences, la commande publique, l'assainissement ou encore l'environnement et les finances publiques.

Source : Résultats de la consultation en ligne auprès des élus locaux (janvier 2023)

2. Des conséquences négatives déplorées par les élus locaux

La complexité des normes règlementaires, en plus d'être source d'incertitudes et d'incompréhension pour les élus, entraîne des conséquences négatives pour les projets locaux pour 82% des répondants. Ces derniers estiment donc que leur action est entravée par le poids des normes.

Source : Résultats de la consultation en ligne auprès des élus locaux
(janvier 2023)

Lorsqu'on interroge les élus sur le détail de ces conséquences négatives, ceux-ci pointent :

- une augmentation directe des coûts de la collectivité (dans plus de 30 % des cas) ;

- une augmentation indirecte des coûts de la collectivité compte tenu de la modification, du report, voire de l'abandon des projets portés par les collectivités (près de 70 % des cas).

Source : Résultats de la consultation en ligne auprès des élus locaux (janvier 2023)

La consultation fait donc ressortir les conséquences financières, directes ou indirectes, de la prolifération normative sur les collectivités territoriales. Cette situation peut être difficilement soutenable financièrement, notamment pour les petites communes aux ressources limitées. Comme l'a récemment souligné Christophe BÉCHU, Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires : « plus vous êtes petit, plus vous avez de mal à suivre cette inflation normative. Nous créons ainsi une sorte de dégradation d'agir, notamment pour les plus petites collectivités »12(*).

Lors des États généraux de la simplification, de nombreux exemples ont été donnés pour illustrer les conséquences de cette complexité des normes. Christophe BOUILLON, Président de l'Association des petites villes de France, a ainsi cité un cas, qui, s'il n'était pas réel, pourrait prêter à sourire : « Exemple pris dans la commune de Villepreux (Yvelines) : celui du poulailler mobile. Nous devons aujourd'hui favoriser les filières courtes, respecter les programmes alimentaires territoriaux, mais le plan local d'urbanisme (PLU) percute le plans de préventions des risques inondation (PPRI). Les textes autorisent ainsi la construction d'équipements en dur, mais pas un poulailler qui est considéré comme un équipement éphémère. Le maire de Villepreux finit par trouver une solution, mais on lui demande alors que ce poulailler ne soit pas visible de Versailles. Après trois ans d'efforts, ce poulailler mobile n'est toujours pas installé ».

Citons également Marie-Claude JARROT, Maire de Montceau-les-Mines, lors de cette même manifestation : « Premier exemple avec la rénovation d'un complexe sportif où il faut appliquer des normes dans les domaines électrique, sanitaire, de la transition écologique et de l'accessibilité handicapé. Ce complexe doit ainsi être accessible partout, alors qu'il ne l'était pas du tout avant. Il a fallu casser toutes les tribunes, mettre obligatoirement deux ascenseurs quand un seul suffisait, ce qui a occasionné un surcoût important. Concernant l'électricité, les normes changent pratiquement tous les trois ans, soit moins que la durée de rénovation d'un grand complexe sportif. Autre contrainte : le confort thermique. Tous ces éléments créent des facteurs multiplicateurs et nuisent à la qualité du projet jusqu'à faire peser une menace sur lui. (...). Autre exemple avec une ferme photovoltaïque que j'espère installer sur une friche et un lac minier. Or, le fonds friche n'est pas ouvert à ce projet, car il est seulement destiné à la restauration d'un patrimoine. La norme a oublié ce cas qui n'est pourtant pas un cas rare sur les territoires industriels. Le paradoxe est que si nous avions détruit ce patrimoine, nous serions éligibles au fonds friche. »

3. Des normes contradictoires, des interprétations variables

Plus les normes sont nombreuses, plus elles risquent de générer des contradictions.

Plus elles sont complexes, plus elles risquent d'être interprétées différemment selon le service ou l'agent en charge de leur respect.

Dans les deux cas, les normes génèrent nécessairement, pour les collectivités, notamment les plus petites, des coûts de gestion interne, comme l'ont souligné de nombreuses personnes entendues par les membres de la mission.

En premier lieu, sur la question des normes contradictoires, la mission déplore la situation des collectivités trop souvent placées face à des « injonctions paradoxales ». A ainsi été cité le cas des normes d'accessibilité et de sécurité qui peuvent parfois s'avérer, en pratique, impossibles à concilier. Citons également les contradictions entre les impératifs de développement durable et de construction de logements sociaux, comme l'illustre l'exemple donné par Françoise GATEL lors des États généraux : « la maire du Croisic dispose de 8 000 m² de terrain. Elle ne peut les utiliser pour répondre à son obligation de construire des logements sociaux (loi SRU) mais la loi ZAN aujourd'hui ne lui permet pas de bénéficier d'une solution. Elle continue donc à payer des amendes car une autre loi l'empêche d'agir. »

La consultation des élus révèle l'ampleur du phénomène et le défaut de conseil des services de l'État pour résoudre ces difficultés de normes contradictoires.

Source : consultation du Sénat auprès des élus locaux (janvier 2023)

Source : consultation du Sénat auprès des élus locaux (janvier 2023)

En second lieu, sur la question des risques d'interprétations divergentes, 80 % des répondants affirment qu'ils sont confrontés à des interprétations variables. Autrement dit, ils constatent parfois qu'un même texte est appliqué de manière différente à l'arrivée d'un nouveau responsable administratif.

Source : consultation du Sénat auprès des élus locaux (janvier 2023)

Cette situation génère également des coûts indirects pour la collectivité, contrainte de s'adapter aux lectures successives d'un même texte.

4. Des conséquences sur le recrutement du personnel administratif

Autre conséquence du poids des normes : le recrutement du personnel. En effet, l'inflation normative a des répercussions précises en termes de ressources humaines, et donc de coût pour les collectivités.

En premier lieu, certaines collectivités doivent recruter des juristes pour faire face à la complexité de la réglementation. Tel est le cas d'Illkirch-Graffenstaden, commune de 26 000 habitants dans le Bas-Rhin, dont le maire a livré un témoignage sur Public Sénat en janvier 2023 sur le poids et l'impact des normes sur sa gestion locale13(*). Autre exemple cité par Martin MALVY lors de son audition : le décryptage des normes dans la commune de Figeac (10 000 habitants) occupe à mi-temps 10 cadres de catégorie A et 5 cadres de catégorie B.

En second lieu, 45 % des répondants à la consultation précitée disent éprouver des difficultés de recrutement dans certains secteurs où les normes sont jugées trop complexes.

Source : consultation du Sénat auprès des élus locaux (janvier 2023)

Là encore, cette situation est génératrice de coûts indirects pour la collectivité puisque les difficultés de recrutement conduisent nécessairement à des pertes de temps et d'efficacité au sein de la collectivité. Plus généralement, ces difficultés sont au coeur d'enjeux essentiels liés à la perte d'attractivité de la fonction publique territoriale.

Une question spécifique se pose concernant les secrétaires de mairie dont les fonctions sont de plus en plus exigeantes en raison du foisonnement normatif. Comme l'a récemment souligné la commission des lois : « un certain nombre d'évolutions récentes tendent à complexifier l'exercice par les secrétaires de mairie de leurs missions : tout d'abord, l'inflation normative que subissent les communes impose à ces agents d'actualiser en permanence leurs connaissances relatives au cadre législatif et règlementaire, qui tend à restreindre les marges de manoeuvre des collectivités »14(*).

II. DES DÉCISIONS BUDGÉTAIRES PLUS FACILES À INVENTORIER MAIS QUI SE MULTIPLIENT ET GÉNÈRENT UNE COMPLEXITÉ CROISSANTE, UNANIMEMENT RECONNUE, DU SYSTÈME DE FINANCEMENT DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

A. DES DÉCISIONS ESSENTIELLEMENT ISSUES DES LOIS DE FINANCES INITIALES, RECTIFICATIVES ET DE PROGRAMMATION DES FINANCES PUBLIQUES

Les décisions budgétaires concernant les collectivités territoriales sont essentiellement issues des lois de finances initiales, des lois de finances rectificatives et, dans une moindre mesure, des lois de programmation des finances publiques.

Ces décisions budgétaires portent essentiellement sur les ressources des collectivités et notamment :

- les dotations et les prélèvements sur recettes (PSR) qui leur sont alloués ;

- la mise en oeuvre de dispositifs de soutien exceptionnels ;

- la fiscalité locale.

Ces décisions budgétaires sont de plus en plus nombreuses et contribuent à l'absence de visibilité des collectivités territoriales sur leurs ressources.

Plus à la marge, certaines décisions de l'État peuvent également être prises en dehors des textes financiers susmentionnés et avoir un impact sur les dépenses des collectivités territoriales. Les plus récentes sont celles relatives à la revalorisation du point d'indice et du RSA.

1. Les décisions annuelles des PLF relatives aux prélèvements sur recettes et aux dotations de fonctionnement et d'investissement
a) L'évolution de la DGF depuis 2011

Depuis 2011, le montant de la dotation globale de fonctionnement (DGF), principal concours financier de l'État aux collectivités, ainsi que ses modalités de répartition sont fixés chaque année en loi de finances initiale.

Entre 2011 et 2018, la DGF a enregistré une baisse de 34,7 % soit 14,4 milliards d'euros avant de se stabiliser à 26,9 milliards d'euros à compter de 2018, les seules évolutions postérieures à 2018 relevant essentiellement de mesures de périmètre.

En 2023, le montant de la DGF a été majoré de 320 millions d'euros afin d'augmenter la dotation de solidarité urbaine et de cohésion (DSU) de 90 millions d'euros, la dotation de solidarité rurale (DSR) de 200 millions d'euros et la dotation d'intercommunalité de 30 millions d'euros. Cette majoration doit permettre à 90 % des communes de voir leur DGF augmenter.

Évolution du montant annuel de la DGF entre 2011 et 2023

Source : mission d'information à partir des lois de finances

b) La détermination, en loi de finances, du niveau des PSR et de variables d'ajustement contestables dans leur principe même

La loi de finances fixe également le montant des prélèvements sur recettes (PSR), autres que la DGF, pour l'année à venir. Entre 2020 et 2023, les PSR enregistrent une hausse de 10,5 % soit 4,3 milliards d'euros sous l'effet essentiellement de la hausse du fonds de compensation pour la TVA en raison du dynamisme de l'investissement local, de la hausse de la compensation de la réduction de 50 % des valeurs locatives en raison du dynamisme des bases et de la mise en place de filets15(*) de sécurité pour soutenir les collectivités face à l'inflation et à la revalorisation du point d'indice. Déduction faite de ces dispositifs de soutien exceptionnels, la hausse des PSR s'établit à 5,8 % entre 2021 et 2023 soit 2,4 milliards d'euros.

Cette hausse générale masque cependant des évolutions diverses entre les PSR, certains enregistrant des baisses notables.

Ainsi, la dotation pour transferts de compensations d'exonérations de fiscalité directe locale (DTCE) enregistre une baisse, entre 2020 et 2023, de 19,7 % soit 89 millions d'euros.

Parallèlement, la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) enregistre une baisse de 2 %, soit 57 millions d'euros.

Les diminutions de ces deux dotations de compensation s'expliquent par le fait qu'elles constituent des variables d'ajustement afin de maîtriser la hausse tendancielle des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales.

En effet, les différents concours financiers connaissent des évolutions indépendantes, telles que la progression des dotations de péréquation ou encore l'augmentation liée à l'évolution démographique.

Aussi, afin de rendre les évolutions des concours financiers aux collectivités territoriales compatibles avec les objectifs de maîtrise des dépenses publiques, ceux-ci ont fait l'objet de mesures de maîtrise dès la LFI 2008 qui prévoyait de réduire à la seule inflation la progression de l'ensemble des concours de l'État. Dès lors, les dotations dont les taux de croissance étaient supérieurs à l'inflation était compensée par la baisse corrélative d'autres dotations, dites « variables d'ajustement », dont le montant était ajusté en conséquence.

Dans le prolongement de cette logique, la LFI 2009 a étendu le nombre de ces variables de manière à répartir plus équitablement la charge entre les différentes dotations faisant l'objet d'une minoration.

Depuis, dès l'élaboration du projet de loi de finances, les évolutions tendancielles des prélèvements sur recettes au profit des collectivités ou des dotations budgétaires doivent être gagées au sein des concours financiers par la minoration de certains concours.

Évolution des variables d'ajustement entre 2020 et 2023

(en euros)

Source : mission d'information à partir des lois de finances

Sur les six dernières années, le total des minorations s'est élevé à 688 millions d'euros.

Dans une position constante, le Sénat rappelle chaque année que le mécanisme des variables d'ajustement est contestable en ce qu'il revient à minorer des dotations supposées compenser à l'euro près les collectivités territoriales des conséquences de précédentes réformes fiscales et des exonérations de fiscalité locale décidées par l'État. Ces minorations reviennent, dans le second cas, à faire supporter aux collectivités une part toujours plus importante des conséquences financières des exonérations décidées par l'État.

L'application de ce mécanisme était encore moins justifiable entre 2020 et 2022 dans un contexte où la trajectoire de concours financiers, fixée en 2017 pour la LPFP 2018/2022, était largement devenue caduque après la crise sanitaire.

En 2023, le maintien des minorations des variables pour les seuls départements à hauteur de 15 millions d'euros met encore en exergue l'absence de bien-fondé de cette pratique.

c) Une hausse du FCTVA qui ne doit pas masquer les biais générés par la réforme de l'automatisation du fonds

Le FCTVA a augmenté de 700 millions d'euros entre 2020 et 2023 sous l'effet de la hausse de l'investissement local.

Le fonctionnement du fonds a fait l'objet d'une réforme d'ampleur en 2020 concernant son automatisation afin notamment de simplifier et d'harmoniser les règles de gestion du FCTVA, d'alléger la procédure de déclaration pour les collectivités et d'optimiser les contrôles par les préfectures. L'automatisation du FCTVA permet également de réduire les délais de versement du FCTVA aux collectivités.

Cependant, subséquemment à l'automatisation du FCTVA, le décret n°2020-1791 du 30 décembre 2020 prévoit, à compter de l'exercice 2021, une éligibilité au fonds pour les seules dépenses régulièrement imputées sur les comptes limitativement définis. La liste des comptes retenus pour la mise en oeuvre de la procédure de traitement automatisé des données budgétaires et comptables du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée est fixée par arrêté conjoint des ministres chargés des collectivités territoriales et du budget.

Cet arrêté a été publié le 30 décembre 2020. Il liste les comptes servant à déterminer l'assiette éligible au FCTVA. Il en résulte que les acquisitions d'immobilisations imputables sur les comptes 211 (acquisitions) et 212 (agencements et aménagements de terrains) ne sont plus éligibles au FCTVA. Cette nouvelle inéligibilité grève de manière importante les budgets des collectivités notamment dans un contexte inflationniste générant une hausse globale des coûts de ces travaux. De surcroit, ces aménagements de terrains concernent essentiellement des opérations visant à développer des services publics (terrains de sport) ou à sécuriser une partie du territoire (clôtures, drainage, défrichement...). Cette perte de FCTVA est particulièrement problématique pour les petites communes pour lesquelles les remboursements de TVA représentaient une part significative des ressources d'investissement.

Dans ce contexte, le Sénat a adopté un amendement lors de l'examen du PLF 2023 visant à réintégrer au FCTVA les investissements relatifs aux « agencements et aménagements de terrains ». Cet amendement n'a toutefois pas été retenu par le Gouvernement dans le texte définitif soumis au vote selon la procédure de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution. En réponse à une question du sénateur Mizzon, la ministre chargée des collectivités territoriales et de la ruralité a cependant indiqué qu'une évaluation de cette réforme serait conduite en 2023. Gageons qu'elle puisse déboucher sur une réintégration de ces dépenses d'investissement dans le champ d'éligibilité du fonds.

d) Des dotations d'investissement en forte hausse dans le cadre du plan de relance mais dont l'usage est de plus en plus contraint

Enfin, la loi de finances permet de fixer les plafonds en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP) des crédits de la mission « relations avec les collectivités » qui porte l'essentiel des dotations d'investissement (DETR/DSIL/DSID) allouées aux collectivités territoriales.

Ces dotations d'investissement ont enregistré une légère baisse de 4 %, en AE, entre 2019 et 2023 passant 2,06 milliards d'euros à 1,98 milliard d'euros mais ont augmenté en CP de 12,5 %.

Dans le cadre du plan de relance, elles ont été complétées par des dotations exceptionnelles pour un montant total de 4,5 milliards d'euros en AE entre 2019 et 2023 et de 2,3 milliards d'euros en CP.

Évolution des dotations d'investissement entre 2019 et 2023

(en millions d'euros)

Source : mission d'information à partir des documents budgétaires (PAP et RAP)

L'usage de ces dotations d'investissement est cependant de plus en plus contraint et fléché, ce qui a pour effet de limiter l'action des élus locaux dans l'utilisation de ces dotations.

En effet, les actuelles dotations d'investissement de l'État ont en commun de fonctionner selon un système de projets sélectionnés, dans la majorité des cas sans consultation des élus, par les préfets. Il n'en a cependant pas toujours été ainsi : historiquement, le soutien financier de l'État à l'investissement public local passait également par l'attribution de dotations « libres d'emploi », telles que les dotations globales d'équipement (DGE).

Désormais, les projets d'investissement des collectivités doivent s'inscrire dans les priorités thématiques définies dans les différentes instructions ministérielles, priorités qui viennent s'ajouter aux critères définis par la loi pour la DSIL ou par la commission DETR.

Liste des priorités retenues par l'État

DETR

DSIL

DSIL exceptionnelle

soutien à la revitalisation des petites et moyennes villes

rénovation thermique, transition écologique, énergies renouvelables

transition écologique

soutien aux communes nouvelles

mise aux normes et sécurisation

résilience sanitaire

rénovation thermique et transition énergétique

développement des infrastructures de mobilités et construction de logements

préservation du patrimoine public historique et culturel

accessibilité

développement du numérique

 

implantations de gendarmeries

bâtiments scolaires

 
 

équipements rendus nécessaires par l'accroissement de la population

 

dédoublement des classes

démarches contractuelles

 

Source : mission d'information à partir des instructions ministérielles

Par ailleurs, les instructions annuelles précisent que les préfets doivent privilégier les projets présentant un degré de maturité important et donc susceptibles de démarrer très rapidement.

Aux critères susmentionnés peuvent également s'ajouter des critères locaux précisés dans les appels à projets lancés par les préfets ou lors de la répartition départementale des dotations. Ces critères peuvent porter tant sur les typologies des collectivités territoriales attributaires que sur les thématiques des projets.

Si cette souplesse au niveau local se justifie par la nécessité d'adaptation aux enjeux et spécificités de chaque territoire, il en résulte une multitude de critères plus ou moins formalisés qui se révèlent peu lisibles et souvent très restrictifs pour les collectivités.

Il en résulte également parfois une déconnexion entre les priorités de l'État et celles des collectivités qui souhaiteraient voir leurs besoins mieux pris en compte.

Enfin, la politique d'octroi des dotations d'investissement de l'État s'inscrit désormais dans le cadre des contrats et partenariats passés entre l'État et les collectivités territoriales qui constituent aujourd'hui un instrument majeur de l'action publique territoriale. On assiste ainsi à une multiplication des initiatives contractuelles et partenariales ayant chacune leurs objectifs, leurs modalités et leur temporalité, qui peuvent être déployées en parallèle les unes des autres, voire se faire concurrence.

À cet égard, le rapport des sénateurs RAYNAL et GUENÉ16(*) sur les dotations d'investissement souligne de manière précise les contraintes qui pèsent désormais sur l'investissement local caractérisé par des modalités de mise en oeuvre de plus en plus complexes.

2. Des décisions exceptionnelles de plus en plus nombreuses pour faire face aux récentes crises 

La crise sanitaire en 2020 et 2021 suivie de l'inflation générée par la guerre en Ukraine ont eu pour effet de multiplier, ces dernières années, la mise en oeuvre de dispositifs de soutien exceptionnels destinés aux collectivités territoriales.

a) Les mesures de soutien dans le cadre de la crise sanitaire

Les recettes de fonctionnement des collectivités ont enregistré une baisse de 0,8 % en 2020.

Les charges de fonctionnement ont, pour leur part, augmenté en 2020 à périmètre constant (+ 1,3 %), d'où un léger « effet ciseaux ». Cette hausse résulte du solde entre :

- des économies liées aux achats de biens et services (notamment en période de confinement) ;

- les surcoûts engendrés par les acquisitions d'équipements et de matériels de protection ;

- une forte hausse des subventions versées (aides aux entreprises versées par les régions, aides sociales versées par les départements et les communes).

Enfin, l'épargne brute, au cours de cette même année, a diminué de 10,3 % et les dépenses d'investissement de 7,1 % pour revenir à des niveaux similaires à ceux atteints en 2018. Au bilan, le coût pour les collectivités territoriales de la crise sanitaire a été estimé par le député Jean-René Cazeneuve à 3,8 milliards d'euros en 2020, dont 3,2 milliards d'euros seraient imputables à des dépenses supplémentaires17(*) (hors Ile-de-France Mobilités).

Les lois de finances initiales et rectificatives ont prévu des mesures de soutien en ajustant tout au long de la période les dispositifs, avec l'objectif de cibler les structures publiques locales les plus impactées.

Ainsi, le caractère relativement limité de l'impact de la crise sanitaire sur la situation financière des collectivités territoriales s'explique notamment par les mesures de soutien mises en place par l'État en 2020 et 2021 à hauteur de 754 millions d'euros sous forme de prélèvements sur recettes via :

- un filet de sécurité afin de garantir les recettes fiscales et domaniales du bloc communal ;

- un système de compensation des pertes de recettes tarifaires et de redevances au titre de l'exploitation de services publics administratifs ;

- un système de compensation des pertes d'épargne brute subies par les régies exploitant des services publics industriels et commerciaux.

De surcroit, un concours exceptionnel de l'État pour l'achat de masques (214 millions d'euros versés à environ 16 000 collectivités) a également été mis en place.

Enfin, des systèmes d'avances remboursables ont été instaurés pour les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) et pour les départements concernant les droits de mutation à titre onéreux (DMTO).

Si ces dispositifs ont été salutaires dans bien des cas, force est de constater qu'ils n'ont pas permis de couvrir l'intégralité des surcoûts et/ou des pertes des collectivités. D'autre part, ils ont été votés au fur et à mesure des lois de finances rectificatives notamment pour tenir compte de situations complexes (SPA et SPIC) qui n'étaient pas initialement intégrées dans ces dispositifs de soutien. Certains, enfin, ont été surestimés (avances sur DMTO) nécessitant un remboursement ex post de ces avances par les départements.

Le propos n'est pas de faire un procès à ces dispositifs qui, comme indiqué supra, ont été très appréciés des collectivités en ce qu'ils ont permis de limiter l'impact de la crise sanitaire sur leur situation financière mais de souligner que ces nombreuses décisions exceptionnelles, bien que nécessaires, ont participé à la multiplication des décisions budgétaires s'appliquant aux collectivités dans la période récente.

b) Les filets de sécurité pour faire face à la crise économique

Un premier filet de sécurité a été adopté dans la LFR de juillet 2022 afin de soutenir les collectivités les plus en difficulté face, d'une part, à la hausse de charges dans un contexte inflationniste et, d'autre part, à la revalorisation du point d'indice. L'article 14 de la loi n° 2022-1257 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 a ainsi prévu un nouveau prélèvement sur recettes visant à compenser partiellement les hausses générées, pour le bloc communal, par la revalorisation du point d'indice ainsi que la hausse des prix de l'énergie et de l'alimentation.

Cette compensation est égale à :

- 50 % de la hausse des dépenses en raison de la revalorisation du point d'indice ;

- 70 % des hausses de dépenses d'approvisionnement en énergie, électricité et chauffage urbain et d'achats de produits alimentaires.

Des acomptes ont été notifiés avant le 15 décembre 2022, à hauteur de 30 % de la dotation finale estimée et jusqu'à 50 % sur demande de la collectivité.

Les dotations définitives (ou le reversement des indus si les acomptes sont surestimés) seront versées en 2023, au plus tard le 31 octobre, sur la base des comptes clos 2022.

Un deuxième filet de sécurité a été adopté lors de la LFI 2023 (article 113). Il prévoit qu'au titre de l'année 2023 est institué, par prélèvement sur les recettes de l'État, une dotation au profit des communes et de leurs groupements, des départements, de la Ville de Paris, de la métropole de Lyon, de la collectivité de Corse, du Département de Mayotte, de la collectivité territoriale de Guyane, de la collectivité territoriale de Martinique et des régions.

Pour chaque collectivité territoriale ou groupement bénéficiaire, cette dotation est égale à 50 % de la différence entre l'augmentation des dépenses d'approvisionnement en énergie, électricité et chauffage urbain entre 2023 et 2022 et 50 % de celle des recettes réelles de fonctionnement entre 2023 et 2022.

Les dépenses d'approvisionnement en énergie, électricité et chauffage urbain s'entendent comme les dépenses consenties au titre du budget principal et des budgets annexes de chaque collectivité ou groupement, ainsi qu'au titre des subventions consenties aux fermiers et aux concessionnaires.

Cette dotation peut faire l'objet, à la demande des collectivités, avant le 30 novembre 2023, d'un acompte versé sur le fondement d'une estimation de leur situation financière.

Ces dispositifs sont cependant très ciblés et partiels puisqu'ils visent à ne soutenir que les collectivités les plus en difficultés.

Il sera vu infra que leur chiffrage précis et leur impact sur la situation financière des collectivités en bénéficiant est difficile à estimer.

3. Les récentes réformes de la fiscalité locale : des modalités de compensation complexes et une atteinte à l'autonomie fiscale des collectivités

Entre 2010 et 2023, plus de 70 décisions ont été prises concernant directement la fiscalité locale (cf. annexe 1).

Si certaines de ces décisions sont relativement mineures en ce qu'elles modifient le montant des ressources perçues par les collectivités (exemple : revalorisation des valeurs locatives cadastrales) sans pour autant modifier leur panier de ressources, d'autres décisions relèvent de réformes en profondeur qui ont substantiellement modifié l'autonomie fiscale des collectivités.

Ces réformes incessantes, parfois contradictoires, aboutissent désormais à un système peu satisfaisant et qui se caractérise par une grande complexité, marquée par une multiplicité d'impôts et de taxes, des règles d'affectation peu lisibles, un enchevêtrement des compétences et la multiplication des dispositifs correctifs (péréquations, compensations, etc.), avec, in fine, une baisse regrettable de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales.

Le présent rapport détaille les réformes récentes ayant eu l'impact le plus important sur le panier de ressources des collectivités :

- la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales ;

- la réforme des impôts de production ;

- la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

a) La suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales

La loi de finances initiale pour 2018 a introduit un dégrèvement progressif, à la charge de l'État, de la taxe d'habitation pour 80 % des ménages les moins favorisés

Afin d'éviter que les collectivités ou leurs groupements augmentent leur taux de taxe d'habitation au détriment de l'État qui assure, à sa charge, ces dégrèvements nouveaux, les dégrèvements de 30 et 65 % en 2018 et 2019 ont été appliqués à la taxe d'habitation due aux collectivités en retenant les taux votés en 2017.

L'article 16 de la loi de finances pour 2020 est venu modifier l'ampleur et la nature de cet allègement tout en induisant plusieurs conséquences tant pour les collectivités territoriales que pour la dynamique budgétaire du programme.

En effet, en 2020, pour les 80 % de ménages concernés par la première étape de sa disparition, la taxe d'habitation a fait l'objet d'un dégrèvement de 100 % sur la cotisation due en appliquant les taux d'imposition de 2017. Le montant restant dû en raison de la hausse des taux de 2017 à 2019 donnera lieu à un autre dégrèvement, celui-ci à la charge des collectivités locales. Les taux de taxe d'habitation sont figés et ne peuvent plus augmenter au-delà de 2019.

En 2021, les dégrèvements sont transformés en exonérations. Cette exonération est totale pour les 80 % de ménages les moins aisés et elle est de 30 % pour les autres. À compter de cette même année, l'État reçoit l'intégralité du produit de la taxe d'habitation qui subsiste et attribue une dotation globale de compensation aux collectivités.

En 2022, l'exonération sera de 65 % pour les 20 % les plus aisés.

En 2023, la taxe d'habitation sur les résidences principales est définitivement supprimée. Ne subsiste que la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et autres locaux meublés non affectés à l'habitation principale (THRS) pour lesquels communes et groupements peuvent fixer librement les taux.

Les collectivités locales qui percevaient la taxe d'habitation sont compensées de la perte de ce produit fiscal :

- pour les communes : par le transfert de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) (15 milliards d'euros) ainsi que par une dotation de compensation de l'État de 0,4 milliard d'euros ;

- pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) : par l'affectation d'une fraction dynamique de TVA pour un montant équivalent au produit des bases 2020 et du taux de taxe d'habitation applicable en 2017 ;

- pour les départements : par l'affectation d'une fraction dynamique de TVA en compensation des recettes de la taxe foncière sur les propriétés bâties désormais affectées aux communes ;

- pour la Ville de Paris : par l'affectation d'une autre fraction de TVA.

Le transfert aux communes de la taxe foncière antérieurement perçue par les départements n'est cependant pas sans poser de difficultés dans certains cas particuliers. En effet, dans la mesure où le montant de la part départementale de TFPB redescendue ne coïncide pas nécessairement avec la THRP perdue par la commune, un mécanisme de coefficient correcteur a été institué pour éviter les sur-compensations ou les sous-compensations, conformément à l'objectif affiché par le Gouvernement de « compensation à l'euro près ».

Cependant, le montant de THRP à compenser utilisé pour le calcul du coefficient correcteur ne prenait pas en compte les éventuels transferts de TH de la commune à un syndicat intercommunal. Cette absence de prise en compte de la THRP versée aux syndicats intercommunaux par les communes ayant fait le choix d'un financement par contribution fiscalisée dans le calcul du coefficient correcteur a été contestée devant le Conseil constitutionnel, au motif que la sous-compensation qu'elle implique méconnaîtrait notamment les principes constitutionnels d'égalité des collectivités territoriales devant la loi fiscale et de libre administration des collectivités territoriales.

Par sa décision n°2021-982 QPC du 17 mars 2022, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions prévoyant le calcul du coefficient correcteur, donnant raison à la commune requérante. À cet égard, il convient de préciser que la décision ne porte pas sur la méthode globale de calcul du coefficient correcteur dans son principe mais spécifiquement sur la formule de calcul dudit coefficient applicable aux syndicats intercommunaux à contributions fiscalisées dans la mesure où, dans ce cas, la TH versée aux syndicats est exclue de la compensation nécessitant alors une augmentation de la pression fiscale sur les contribuables locaux redevables des taxes maintenues.

Dans ce contexte, la loi de finances rectificative de juillet 2022 a tiré les conséquences de la décision précitée du Conseil constitutionnel en modifiant les modalités de prise en compte de la perte de taxe d'habitation à compenser dans la formule de calcul du coefficient correcteur, de façon à prévoir que le taux communal de taxe d'habitation de 2017 soit majoré, le cas échéant, du taux syndical de taxe d'habitation appliqué en 2017 sur le territoire de la commune.

Par ailleurs, dans la mesure où la taxe additionnelle pour la gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) présente un fonctionnement analogue aux contributions versées aux syndicats intercommunaux, la même LFR a prévu d'instaurer une dotation de compensation correspondant à la part supportée par les contribuables de la taxe d'habitation dans la répartition du produit de cette taxe.

Malgré ces corrections, d'autres effets de bord pourraient se faire jour comme en attestent les récentes demandes reçues par la commission des finances concernant notamment le cas d'EPCI à fiscalité additionnelle ayant fusionné.

b) La réforme des impôts de production et la suppression de la CVAE

En premier lieu, l'article 3 de la loi de finances initiale pour 2021 a abaissé, à compter de 2021, le taux de CVAE (division par deux de ce taux qui passe de 1,5 % à 0,75 %) en supprimant la part de CVAE (50 %) affectée à l'échelon régional. Corrélativement, le schéma de financement des régions a été revu en substituant à la CVAE une fraction de la taxe sur la valeur ajoutée.

La conséquence de cette mesure est ainsi une division par deux du montant de l'imposition due par les entreprises au titre de la CVAE soit une diminution d'environ 7,2 milliards d'euros.

En second lieu, l'article 4 de cette même loi de finances a procédé à une réforme des modalités d'établissement de la valeur locative cadastrale des locaux industriels qui intervient dans l'établissement de la taxe foncière sur les propriétés bâties et sur la cotisation foncière des entreprises. L'allègement d'impôt est estimé à 1,75 milliard d'euros pour la taxe foncière sur les propriétés bâties et à 1,54 milliard d'euros pour la cotisation foncière soit un total de 3,3 milliards d'euros. Elle correspond à une diminution des taux applicables de 8 % à 4 % pour les sols et terrains et de 12 % à 6 % pour les constructions et installations foncières.

La baisse de recettes pour les communes et EPCI impactés par cette réforme a été compensée par l'institution d'un prélèvement sur recettes de l'État.

Le risque, à terme, est de voir ce prélèvement sur recettes constituer une variable d'ajustement d'autant qu'en raison du dynamisme des bases de ces dernières années, ce PSR a augmenté de 16,3 % entre 2021 et 2023 passant de 3,3 milliards d'euros à 3,8 milliards d'euros.

Après la suppression de la part de CVAE affectée aux régions en loi de finances initiale pour 2021, l'article 55 de la loi de finances pour 2023 prévoit la suppression de la CVAE sur deux ans (2023 et 2024).

Cet impôt local a généré 9,7 milliards de produit fiscal en 2021 pour les collectivités, soit 11 % de leurs recettes fiscales. Il est perçu par l'État. Cette suppression partielle en 2023 puis totale en 2024 sera compensée à l'euro près par une fraction de TVA.

Cette fraction de TVA sera divisée chaque année en deux parts :

- une part fixe correspondant à la moyenne de leurs recettes de CVAE des années 2020, 2021 et 2022 ;

- une seconde part correspondant à la dynamique, si elle est positive, de la fraction de TVA calculée au niveau national. Cette fraction sera affectée à un fonds national d'attractivité économique des territoires dont les modalités de répartition seront arrêtées à l'issue d'une concertation avec les collectivités. Ce mécanisme doit permettre de maintenir l'incitation pour ces collectivités et groupements de communes à attirer de nouvelles activités économiques sur leur territoire. Si cette territorialisation de la dynamique est une demande de nombreux élus, il existe des risques de complexité des critères qui seront définis à cette fin. Il est donc nécessaire d'associer les élus aux réflexions qui seront menées pour mettre en place cette part territorialisée.

Ainsi, pour les collectivités bénéficiant en 2022 de recettes de CVAE, une compensation correspondant à la moyenne de leurs recettes de CVAE des années 2020 à 2023 leur sera attribuée. La CVAE étant variable d'une année sur l'autre, il était effectivement nécessaire de se baser sur une moyenne pluriannuelle.

Si le présent rapport se borne à présenter les principales récentes réformes fiscales, il convient cependant de souligner que nombre de réformes ont ou auront également un impact sur les ressources des collectivités.

À titre, d'exemple, l'article 121 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 a abrogé l'article L. 2223-22 du code général des collectivités territoriales qui autorisait la perception de taxes pour les convois, les inhumations et les crémations. Si cette taxe n'était mise en oeuvre que par 437 communes et 2 EPCI, il n'en demeure pas moins que sa suppression n'a pas été compensée, générant ainsi une perte de ressources pour les collectivités qui l'avaient instaurée. C'est notamment le cas de la ville de Caen qui perd 130 000 euros.

Par ailleurs, la loi "climat et résilience" du 22 août 2021 impose désormais aux collectivités un double objectif : réduire de moitié le rythme d'artificialisation nouvelle entre 2021 et 2031 par rapport à la décennie précédente et atteindre d'ici à 2050 une artificialisation nette de 0 % (ZAN), c'est-à-dire au moins autant de surfaces "renaturées" que de surfaces artificialisées. Ces objectifs auront nécessairement des conséquences sur les recettes fiscales foncières des collectivités sans qu'il soit possible, à ce stade, de les estimer mais qui viendront limiter les marges de manoeuvre des élus locaux sur leur assiette fiscale.

c) Des réformes menées sans consultation préalable des collectivités alors même qu'elles limitent fortement leur autonomie fiscale

Ces réformes, lourdes de conséquences pour les finances locales, ont été mises en oeuvre avec une faible consultation des élus locaux et, quand cette consultation a eu lieu, sans tenir compte des positions des associations d'élus qui étaient très réservées sur la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales et de la CVAE, notamment en raison de la baisse d'autonomie fiscale que ces réformes ont générée.

Les modalités de compensation ont également été définies sans consultation et de manière trop précipitée pour anticiper l'intégralité des effets de bord, comme l'illustrent les ajustements nécessaires des modalités de calcul du coefficient correcteur de la taxe d'habitation sur les résidences principales suite à la décision du Conseil constitutionnel (cf. supra) et de l'absence de définition, à ce jour, des modalités de répartition de la part territorialisée de la compensation de la CVAE.

Ces réformes ont, par ailleurs, affecté le ratio d'autonomie fiscale des collectivités.

Après remplacement de la CVAE par une part d'impôt national partagé (TVA), le ratio d'autonomie fiscale au sens large s'élève aujourd'hui à 40,7 % pour le bloc communal, 24,8 % pour les départements et 31,8 % pour les régions.

4. Les mesures budgétaires hors loi de finances

Afin de protéger le pouvoir d'achat des Français dans un contexte inflationniste important, le Gouvernement a pris plusieurs mesures actées par la loi pouvoir d'achat et la loi de finances rectificative pour 2022. Cependant, bien que nécessaires, ces mesures ont affecté les finances des collectivités d'autant qu'elles ne sont compensées que partiellement et/ou temporairement (cf. supra).

a) La hausse de 3,5 % du point d'indice pour la fonction publique

Par décret du 7 juillet 2022, le Gouvernement a revalorisé de 3,5 % la valeur de l'indice applicable aux fonctions publiques d'État, territoriale et hospitalière à compter du 1er juillet 2022. Cette revalorisation est intervenue après une période de douze ans de gel du point18(*) et avait donc pour objectif de contribuer à l'amélioration du pouvoir d'achat de près de 5,7 millions de fonctionnaires.

b) La revalorisation anticipée du RSA

L'article 9 de la loi n°2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat prévoit une revalorisation anticipée au 1er juillet 2022 de certaines prestations sociales, dont le revenu de solidarité active (RSA), afin de soutenir le revenu de ses bénéficiaires et d'augmenter leur pouvoir d'achat. Le montant plafond du RSA pour une personne seule sera ainsi porté de 576 à 599 euros.

Cette revalorisation de 4 %, qui s'ajoute à celle déjà intervenue au 1er avril 2022, permet de tenir compte de la forte accélération de l'inflation au premier semestre de l'année 2022 (+ 5,3% en glissement annuel à fin mai), par anticipation de celle qui n'aurait dû intervenir qu'au 1er avril 2023.

Les départements sont les principales collectivités territoriales concernées par cette revalorisation des prestations sociales, du fait de la revalorisation du RSA et du revenu de solidarité (RSO), dont ils ont la charge (hors les cas où ces prestations sont prises en charge par l'État).

B. UNE COMPLEXIFICATION DU SYSTÈME DE FINANCEMENT DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES CARACTÉRISÉ PAR UN EMPILEMENT DE MESURES PARFOIS CONTRADICTOIRES

L'ensemble des décisions budgétaires concernant les collectivités territoriales ont eu pour conséquence une complexification du système de financement des collectivités créant un ensemble de ressources hétérogènes et empilées sans réel lien avec l'évolution réelle des charges.

Cette sédimentation historique a pour effet une perte de visibilité sur l'évolution de leurs ressources par les collectivités et une absence de cohérence pour les citoyens. Or, cette perte de visibilité des collectivités sur leurs ressources représente un frein à la mise en oeuvre de certains projets ou au développement de services publics.

1. Une complexité qui caractérise tous les niveaux de financement

a) Une fiscalité locale réduite et émiettée

À partir de 2010, les réformes successives ont conduit à la diminution progressive de la fiscalité locale. En effet, la transformation de la taxe professionnelle, la suppression de la taxe d'habitation puis la suppression de la CVAE ont très fortement réduit la fiscalité locale directe.

Il en résulte que le pouvoir de taux des collectivités est désormais essentiellement concentré sur la valeur locative et s'applique quasi exclusivement sur les taxes foncières et sur les taxes sur les résidences secondaires et logements vacants.

Certains élus auditionnés parlent, quant à eux, d'un « démantèlement de la fiscalité locale »

Malgré ces vagues de suppression, en 2022, la fiscalité locale était composée d'une cinquantaine d'impôts directs et indirects, pesant sur les ménages ou les entreprises, destinés à un ou plusieurs niveaux de collectivités.

En effet, en sus des impôts locaux directs, les autres recettes fiscales locales et nationales transférées sont constituées d'une mosaïque d'impôts et taxes, d'un rendement parfois faible, avec des assiettes différentes et des systèmes de dégrèvements et compensations qui leur sont propres.

Les quatre taxes les plus importantes sont la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et la taxe spéciale sur les contrats d'assurance (TSCA).

Un foisonnement d'autres impôts et taxes concerne également l'aménagement du territoire, les droits de mutation et un ensemble hétéroclite d'autres prélèvements (prélèvement communal sur le produit des jeux dans les casinos, surtaxe communale sur les eaux minérales, droits de licence sur les débits de boissons, taxe sur les cartes grises, etc.).

De surcroit, les taux peuvent être fixés par les communes et les EPCI, notamment par le biais de taux additionnels et/ou par les départements (DMTO) et les régions (certificats d'immatriculation). Enfin, certaines taxes reposent sur des taux forfaitaires nationaux (CVAE, imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER)).

Il en résulte une impression avérée d'empilement sans cohérence même si ces prélèvements locaux sont concentrés sur six impôts principaux (taxe foncière sur les propriétés bâties, CVAE, DMTO, TVA, TICPE et TSCA) qui représentent 82 % des ressources fiscales (locales et nationales transférées) des collectivités.

La conséquence de cette complexité est un système composite et opaque, peu lisible par les élus et les citoyens. Cette multiplicité des règles et des acteurs rend difficile la lecture du financement des collectivités locales et de la réalité de la pression fiscale exercée sur les contribuables.

b) Une fiscalité nationale partagée sans vision d'ensemble qui génère des ambiguïtés sur le financement des transferts de compétences

Les réformes successives de la fiscalité locale et la suppression ou la diminution de plusieurs impôts locaux se sont accompagnées d'une part croissante d'impôts nationaux affectés aux collectivités.

Cette fiscalité nationale partagée présente plusieurs objectifs.

Historiquement, les premiers impôts nationaux partagés ont permis de financer des transferts de compétences (fiscalité « transférée »). Ainsi, depuis 2004 et l'affectation de la première part de TIPP aux collectivités territoriales, la fiscalité nationale partagée n'a cessé de croître avec les transferts de compétences. Par ailleurs, les impôts nationaux partagés permettent désormais également de compenser les réformes ayant réduit les leviers fiscaux locaux.

Dans ce cas, la mise en place de TVA transférée en compensation de la perte de fiscalité locale a été opérée au niveau des recettes en 2020. Il en résulte que cette compensation ne permet pas de prendre en compte l'évolution différenciée des charges entre collectivités : un département qui verrait sa population augmenter deux fois plus vite qu'un autre bénéficiera alors du même dynamisme de la TVA. Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport sur le financement des collectivités territoriales, un tel mécanisme, sans clause de revoyure ou critères fondés sur des charges, pourrait générer une hausse des inégalités entre départements et régions.

c) Une multi-affectation des impôts qui nuit à la lisibilité d'ensemble du système de financement

Les principaux impôts multi-affectataires sont les DMTO (19,8 milliards d'euros), la TICPE (11 milliards d'euros), la CVAE (10 milliards d'euros qui ont été supprimés par la loi de finances initiale pour 2023), les IFER (1 milliard d'euros), la TCFE et la taxe de séjour.

En effet, les IFER, qui comptent 11 composantes, sont répartis entre trois niveaux de collectivités (bloc communal, départements et régions) selon des pourcentages différents en fonction de la composante.

Par ailleurs, les DMTO sont aujourd'hui affectés au bloc communal pour un quart et aux départements pour trois quarts. La Cour des comptes préconise pour sa part une affectation totale au bloc communal après renationalisation de son produit. Cette renationalisation du produit des DMTO génèrerait cependant une perte du pouvoir de taux au niveau local (bloc communal et départements).

Les fractions de TICPE sont également aujourd'hui réparties entre les régions et les départements.

Au-delà de la multi-affectation de certains impôts, la superposition de pouvoir de taux concurrent sur une même fiscalité avec la pratique des taux additionnels participent également à la complexité du système et à sa difficile compréhension pour le redevable qui peine à identifier le responsable du choix d'une augmentation d'un impôt.

Enfin, cette superposition diffère en fonction de la forme juridique des EPCI entre les EPCI à fiscalité additionnelle et les EPCI à fiscalité professionnelle unique.

d) Des modalités de répartition de la DGF reposant sur de trop nombreux critères mal compris des élus locaux

La DGF comporte actuellement 12 dotations : 4 pour les communes, 2 pour les EPCI, 4 pour les départements et 2 pour les régions qui se déclinent elles-mêmes en plusieurs parts ou fractions.

Pour chaque catégorie de collectivité, on peut la diviser en deux parts :

- la part forfaitaire qui correspond à un tronc commun perçu par toutes les collectivités bénéficiaires ;

- la part péréquation dont les composantes sont reversées aux collectivités les plus défavorisées.

Structure de la DGF en LFI 2022

Source : DGCL

Les modalités de répartition de la DGF sont définies en fonction de différents critères, voire d'une combinaison de plusieurs données pondérées, notamment pour les dotations de péréquation. Au total, onze critères de ressources et dix-neuf critères de charges sont utilisés pour calculer la DGF des communes et EPCI, six critères de ressources et neuf critères de charges pour celle des départements.

Ces critères peuvent être regroupés en deux grandes catégories : des critères de ressources et des critères de charges et sont de nature variée : démographique (population, nombre d'enfants, etc.), sociale (nombre de logements sociaux, quartiers prioritaires de la politique de la ville, etc.), financière (potentiel financier, effort fiscal, etc.), physique ou géographique (superficie, classement en zone de montagne, longueur de voirie, etc.) ou encore administrative (qualité de chef-lieu de canton ou d'arrondissement, classement en zone de revitalisation rurale, etc.).

Certains sont utilisés de manière transversale, pour toutes les dotations, comme la population ou les indicateurs financiers. D'autres sont utilisés de manière plus spécifique pour une dotation, pour traduire la situation particulière d'une catégorie de collectivités (par exemple, le classement en zone de revitalisation rurale, la superficie pour la dotation de solidarité rurale ou le nombre de logements sociaux pour la dotation de solidarité urbaine).

Si cette diversité des critères et des parts de DGF est garante d'une prise en compte aussi fine que possible des spécificités de chaque type de territoire, elle est également source de complexité et d'un phénomène de « saupoudrage » notamment pour la fraction « péréquation » de la DSR qui bénéficie à plus de 33 000 communes.

2. Une évolution du panier de ressources qui génère une absence de cohérence sur les indicateurs financiers

a) Des modifications apportées pour tenir compte de l'évolution du panier de ressources....

Les produits, réels ou potentiels, perçus par les collectivités au titre de la taxe d'habitation (TH) et de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) entrent dans la composition des indicateurs financiers utilisés de manière transversale dans le calcul de la plupart des dotations et fonds de péréquation. Ces indicateurs sont le potentiel fiscal, l'effort fiscal et le coefficient d'intégration fiscale (CIF). Les collectivités perçoivent, depuis 2021, un nouveau panier de ressources liées aux réformes fiscales suivantes :

- la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, qui conduit les communes à percevoir la TFPB départementale et les départements et les EPCI à fiscalité propre à percevoir de la TVA en substitution ;

- la réforme de l'assiette des locaux industriels dans le cadre du « pacte productif », qui fait l'objet d'une compensation des pertes de cotisation foncière des entreprises (CFE) et TFPB des collectivités du bloc communal sous la forme d'un prélèvement sur recettes institué par la loi de finances initiale pour 2021.

Le nouveau panier de ressources perçu par les collectivités depuis 2021 a donc impliqué une refonte de ces indicateurs.

L'ensemble des évolutions issues des lois de finances pour 2021 et 2022, pour le potentiel financier comme pour l'effort fiscal des communes, sont couvertes par une fraction de correction afin d'éviter que ces réformes ne déstabilisent la répartition des dotations. La neutralisation des effets des réformes est complète en 2022 ; la fraction décroîtra ensuite de manière très progressive pour s'éteindre en 2028.

Toutefois, la refonte de la fiscalité locale et la baisse des impôts de production n'ont eu aucun impact sur la répartition de la DGF en 2022.

Cependant, si cette fraction de correction a l'avantage de neutraliser les variations liées aux réformes fiscales tout en conservant un caractère dynamique au potentiel financier, elle contribue néanmoins à éloigner le potentiel financier de son objectif de refléter la situation financière des collectivités en intégrant de manière pérenne dans le potentiel financier un montant financier ne correspondant pas à une richesse effective de la collectivité.

Son caractère figé doit, à terme, être interrogé, au regard de l'exigence constitutionnelle de critères de péréquation objectifs et rationnels et d'égalité devant les charges publiques puisque le Conseil constitutionnel censure en effet les dispositifs instaurant de manière pérenne une inégalité qui ne trouve qu'une justification transitoire.

b) ...mais des travaux qui doivent se poursuivre pour lisser les effets des réformes sur la fiscalité locale

Malgré les modifications intervenues en LFI 2021 et LFI 2022, la suppression des produits fiscaux levés par les EPCI à fiscalité propre pourrait produire des effets indésirables sur le calcul de l'effort fiscal sur le territoire d'une commune.

De surcroit, les simulations présentées, notamment au comité des finances locales, relatives à la suppression de l'effort fiscal ou à sa substitution par le revenu par habitant ne sont pas pleinement satisfaisantes.

Par ailleurs, concernant les départements, si les adaptations du potentiel financier sur les dotations et fonds de péréquation sont neutralisées par une fraction de correction pérenne, cette dernière fragilise cependant la capacité, à terme, de cet indicateur de donner une image fidèle de la richesse relative des départements.

Enfin, à la suite de la suppression de la CVAE, le panier de ressources des départements comme celui des communes va connaitre des évolutions dont il faudra également tenir compte dans les modalités de calcul des indicateurs financiers.

L'enjeu est ici de permettre un calcul des indicateurs financiers le plus représentatif possible de la richesse d'une collectivité afin de ne pas biaiser les dispositifs de péréquation et donc les ressources des collectivités.

Ce nouvel exemple démontre une fois encore le caractère parfois précipité de certaines réformes fiscales sans tenir compte de l'ensemble des impacts qu'elles pourraient avoir sur les finances des collectivités, y compris indirectement.

3. Limiter les dépenses de fonctionnement tout en incitant à des investissements : l'impossible équation pour les collectivités territoriales

Certaines décisions de l'État concernant les ressources des collectivités territoriales sont contradictoires et à même de créer des tensions financières.

Il s'agit notamment des contrats de Cahors. Cette démarche de contractualisation entre l'État et les collectivités, initiée lors de la conférence nationale des territoires (CNT) tenue en 2017 à Cahors, visait à développer une approche partenariale pour la régulation de la dépense locale. En contrepartie de l'effort demandé aux collectivités, l'État garantissait la prévisibilité et la stabilité de ses concours financiers, renonçant ainsi aux baisses successives de la DGF mises en oeuvre entre 2014 et 2018.

Ces contrats concernaient les 322 collectivités (régions, départements, EPCI et communes) dont le budget principal dépassait 60 millions d'euros. Les contrats conclus entre ces dernières et l'État fixaient un objectif d'évolution des dépenses de fonctionnement compris entre + 0,75 % et + 1,65 %, tenant compte des spécificités locales. Celles qui dépassaient cet objectif en dépenses se voyaient appliquer une reprise financière de dotations dont le montant était égal à 75 % de l'écart constaté ou à 100 % de l'écart pour les collectivités ayant refusé de signer un contrat. Le montant de la reprise ne pouvait toutefois pas excéder 2 % des recettes réelles de fonctionnement du budget principal de l'année considérée.

Pour les 322 collectivités concernées par la contractualisation, l'évolution des dépenses a été négative (- 0,2 %) entre 2018 et 2020, année au cours de laquelle les contrats ont été interrompus dans un contexte de crise sanitaire. Pour l'ensemble des collectivités, les dépenses ont progressé de seulement + 0,3 % en 2018. Cette hausse inférieure à l'objectif fixé dans les contrats tend d'ailleurs à démontrer que les collectivités étaient tout à fait en mesure de limiter leurs dépenses de fonctionnement en dehors de toute contractualisation.

Cette volonté de limiter la hausse tendancielle des dépenses de fonctionnement des collectivités était cependant contradictoire avec la hausse des dotations d'investissement dans le cadre du plan de relance et de la création du fonds vert et une incitation forte du Gouvernement pour développer l'investissement local, notamment à travers des programmes partenariaux lancés en 2018 et 2019 : action coeur de ville, territoires d'industrie ou petites villes de demain.

Cette objectif de limitation des dépenses de fonctionnement est, par ailleurs, réapparu lors de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour la période 2023/2027 sous la forme de contrats dits « de confiance ». En effet, l'article 23 de la LPFP visait à assurer un suivi de l'objectif d'évolution de la dépense locale (Odedel) en volume (- 0,5 % par an) sur l'ensemble de la période de programmation pour :

- les régions, la collectivité de Corse, la collectivité territoriale de Guyane, la collectivité territoriale de Martinique et le département de Mayotte ;

- les départements ainsi que la métropole de Lyon ;

- les communes, les EPCI à fiscalité propre et les établissements publics territoriaux dont les dépenses réelles de fonctionnement constatées dans le compte de gestion du budget principal au titre de l'année 2022 sont supérieures à 40 millions d'euros, et la Ville de Paris.

Au total, selon l'évaluation préalable, 488 collectivités territoriales et groupements seraient concernés, représentant 65 % des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités territoriales et groupements.

Dans le cas où les dépenses réelles de fonctionnement d'une catégorie dans son ensemble dépasseraient l'objectif pour une année donnée, l'application d'un mécanisme de correction était prévue consistant en l'exclusion de l'octroi de certaines dotations d'investissement (DPV, DSIL, DSID, fonds vert).

La LPFP n'ayant pas été adoptée par le Parlement, le Gouvernement a réintroduit ce dispositif dans un article du projet de loi de finances pour 2023, article qui a également été rejeté par le Parlement.

Si ce mécanisme ne trouvera donc pas à s'appliquer, il convient de noter que, comme pour les contrats de Cahors, il réinstaurait une contrainte sur l'évolution des dépenses de fonctionnement des collectivités alors que parallèlement, les dotations d'investissement enregistraient une nouvelle hausse de 2 milliards sous l'effet de la création du fonds vert et de l'ouverture de CP au titre de la DSIL exceptionnelle, de la rénovation énergétique et de la dotation régionale d'investissement (DRI).

Or, les dépenses d'investissement des collectivités, même si certaines d'entre elles, liées à la rénovation thermique des bâtiments auront pour effet de diminuer les dépenses pour l'achat des matières énergétiques (électricité, gaz...), généreront de facto une hausse des dépenses de fonctionnement pour la maintenance et l'entretien de ces nouveaux investissements (y compris des dépenses de personnel).

Cette hausse mécanique des charges générée par les investissements nouveaux apparait alors difficilement compatible avec les contraintes mises sur les charges de fonctionnement.

Cette tentative d'encadrement des dépenses de fonctionnement était également en contradiction avec la revalorisation du point d'indice (cf. supra) d'un coût estimé à 2 milliards d'euros en année pleine pour les collectivités.

Enfin, et surtout, ces mécanismes de limitation des dépenses de fonctionnement des collectivités avec un système de sanction va à l'encontre des chiffres constatés puisqu'entre 2017 et 2021, ces dépenses ont enregistré une hausse de 1 % en moyenne annuelle démontrant le sérieux de gestion des élus locaux.

Il en est résulté un climat détérioré entre le Gouvernement et les collectivités territoriales et une perte de confiance de ces dernières qui ont pourtant démontré leur esprit de responsabilité ainsi que la rigueur de leur gestion.

III. MALGRÉ UN CHIFFRAGE TRÈS INCOMPLET DES COÛTS DES DÉCISIONS IMPOSÉES AUX COLLECTIVITÉS, LEUR IMPACT SUR LEUR ÉQUILIBRE FINANCIER EST DE PLUS EN PLUS CONTRAIGNANT

Contrairement à l'État, les collectivités territoriales ont un endettement mesuré. Elles doivent voter un budget en équilibre réel, tant financier que budgétaire19(*). Leur endettement pèse en effet aux alentours de 9 % environ de l'ensemble de la dette publique20(*).

C'est paradoxalement cette situation qui conduit l'État à considérer qu'elles pourraient constituer une variable d'ajustement intéressante pour contribuer davantage encore au redressement des comptes publics, entendus comme la situation financière cumulée de l'État, des administrations publiques, des collectivités territoriales et des organismes de sécurité sociale. En effet, il est tentant pour l'État qui ne parvient pas à réduire ses propres dépenses, tout en affichant officiellement sa volonté de respecter les critères européens de convergence, d'exiger des autres organismes publics qu'ils intensifient leur contribution à cet effort de redressement.

Depuis une dizaine d'années, les collectivités sont donc particulièrement mises à contribution. Cette « réduction de la voilure », appuyée par les Gouvernements successifs, s'est traduite par la suppression de la clause de compétence générale pour les départements et les régions, par une évaluation au plus bas du coût « historique » des compétences transférées et, désormais, par une tendance à privilégier des dotations ou le versement de fractions d'impôts nationaux plutôt qu'à laisser les collectivités déterminer le taux des impôts locaux. Ainsi, la décentralisation des compétences s'accompagne paradoxalement d'une recentralisation des moyens qui obère le « pouvoir d'agir », c'est-à-dire la capacité décisionnelle des exécutifs locaux.

Cette tendance se traduit par un sentiment accru des élus locaux d'être devenus davantage des représentants de l'État sur le territoire de leur collectivité que de véritables représentants locaux. Cette idée a été ainsi résumée par plusieurs des personnes auditionnées au cours de la mission : « Nous sommes devenus une annexe de la préfecture21(*). »

La rapporteure se fait l'écho des collectivités qui ont exprimé leur incompréhension d'être ainsi « sanctionnées du fait d'être de bonnes élèves ». Il serait en effet injuste de considérer que leur bonne gestion leur confèrerait une situation saine et enviable : elle est simplement le corolaire indispensable à la contraction des ressources qui leur est imposée et qui est de moins en moins tenable. C'est d'autant plus vrai qu'en parallèle l'inflation frappe de plein fouet les collectivités. La non-indexation des dotations en période d'inflation a ainsi conduit André LAIGNEL, au cours de son audition22(*), à rappeler que « [la] DGF n'est pourtant pas une gratification, ni une amabilité, c'est un dû ; il doit être en euro constant. Bercy nous nous dit que les montants sont stables depuis dix ans, c'est vrai ; mais ce qui peut s'entendre quand l'inflation est à 1 %, comme dans le quinquennat précédent, (...) ne l'est plus avec 7,1 % d'inflation pour l'an passé, et peut-être 5 % cette année : quand Bercy se félicite d'une augmentation de 1,76 %, nous voyons, nous, que nous perdons encore du « pouvoir d'action », c'est une évidence. On nous a promis une compensation intégrale des charges transférées, ce n'est pas le cas : la parole républicaine n'est pas respectée, nous avons largement documenté ce point avec toutes les charges mal compensées, je vous renvoie aux travaux de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales ».

Dans un tel contexte, bénéficier d'éléments prévisionnels fiables est décisif pour les collectivités. Or, l'État ne mesure pas suffisamment en amont l'impact financier sur les collectivités de ses propres décisions règlementaires.

A. LE DIFFICILE CHIFFRAGE DES COÛTS COMPLETS DÉCOULANT DES DÉCISIONS RÈGLEMENTAIRES

L'un des rares outils permettant d'évaluer, ex ante et ex post, l'impact financier des décisions règlementaires sur les collectivités est l'évaluation opérée par le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), lequel est « chargé d'évaluer les normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics23(*) ». Toutefois, dans la mesure où le CNEN n'est pas saisi de l'intégralité des textes ayant un impact sur les collectivités (cf. infra), le chiffrage qu'il effectue ne prétend nullement à l'exhaustivité. En revanche, il donne une indication claire sur le caractère exponentiel de l'impact financier des normes règlementaires sur les collectivités. La rapporteure souligne à quel point ce double effet d'assèchement des ressources et d'accroissement des coûts n'est pas durablement tenable.

En effet, le CNEN fait part d'une hausse importante de l'impact financier sur les collectivités des quelque 300 textes qu'il examine en séance chaque année. Son dernier rapport d'activité24(*) fait état, pour la seule année 2022, de charges nettes supplémentaires pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics de 2,5 milliards d'euros, soit 30 % de plus que le total cumulé sur la période 2017-2021 (ce total était alors de quelque 1,9 milliard d'euros). Ce montant résulte du différentiel entre les coûts supplémentaires générés pour les collectivités (3,9 milliards d'euros en 2022) par les nouvelles mesures et les économies (1,4 milliard d'euro) que ces mêmes mesures permettent.

Bilan de l'activité du CNEN sur la période 2017-2022

Année

Nombre de textes examinés en séance par le CNEN

Nombre d'avis défavorables

% d'avis défavorables/ensemble des avis

Impact net en année N+1 pour les collectivités (montants arrondis)

2017

355

32

9 %

184 millions d'euros

2018

264

20

7,6 %

162 millions d'euros

2019

287

13

4,5 %

792 millions d'euros

2020

258

14

5,4 %

80 millions d'euros

2021

287

27

9,4 %

723 millions d'euros

2022

325

36

11,1 %

2,5 milliards d'euros

Source : Mission d'information sur le fondement de données fournies par le CNEN et la DGCL

Si la pandémie de covid-19, et le ralentissement très net de l'édiction de mesures nouvelles, autres que celles liées à la situation sanitaire, qui en a résulté, expliquent le caractère exceptionnel de l'année 2020, cet impact suit une tendance globale à la hausse. Plusieurs textes destinés à assurer la transition énergétique dans les bâtiments pèsent lourd dans ce bilan. Le  décret n° 2023-444 du 7 juin 2023 sur la régulation de la température des systèmes de chauffage et de refroidissement devrait générer 1,1 milliard d'euros nets en 2023. Il en est de même du décret n° 2023-259 du 7 avril 2023 sur les systèmes d'automatisation et de contrôle des bâtiments tertiaires (1,5 milliard d'euros « bruts »).

Les chiffrages sont, de surcroît, largement sous-évalués puisque le CNEN se fonde sur les évaluations fournies par les Gouvernements successifs, au sein des différentes études et fiches d'impact, pour parvenir à ce montant. Or, la fiabilité de ces évaluations initiales (cf. infra), couplée à l'imprécision dans la méthodologie retenue, rend les chiffrages transmis au CNEN particulièrement incertain. À ce stade, ce dernier ne dispose pas, et c'est une réalité dont s'accommodent parfaitement le Gouvernement, des moyens d'exercer un contrôle poussé des chiffrages transmis.

1. Les difficultés d'évaluation ex ante par les ministères et d'expertise par le CNEN

L'évaluation par le Gouvernement de l'impact des mesures qu'il propose passe par des études d'impact, pour les projets de loi, ou des fiches d'impact, pour les ordonnances, les décrets et les arrêtés. Force est de constater que l'impact financier des mesures formulée ex ante dans ces études et fiches d'impact est presque systématiquement en deçà de la réalité. Plusieurs facteurs expliquent cette situation.

En premier lieu, soulignons les conditions difficiles dans lesquelles elles sont réalisées. Les arbitrages politiques tardifs et fluctuants opérés par le Gouvernement restreignent fortement leurs délais de réalisation. De plus, ces fiches sont portées et réalisées par le ministère qui pilote le texte alors même que la plupart des textes ont des implications interministérielles.

Certes, le Secrétariat général du Gouvernement (SGG) a diffusé, en 2017, un « guide méthodologique pour calculer l'impact financier de la réglementation nouvelle25(*) » lequel comprend une série de référentiels pour aider chaque ministère référent à évaluer l'impact d'une mesure sur une administration comme celle d'une collectivité. Malgré leur objet fort louable, la rapporteure considère que ces quelques pages se caractérisent par une série de généralités ou de situations-types qui semblent éloignées de la réalité et ne constituent pas un appui suffisamment solide pour aider les ministères à anticiper le coût de certaines mesures.

Ce guide « méthodologique » comprend par exemple une évaluation de la durée nécessaire à l'accomplissement de certaines tâches administratives, durée qui semble donc être retenue par défaut :

Source : Légifrance

À défaut du recours à un autre référentiel, les agents de l'État sont donc amenés à considérer que la formation à une tâche complexe s'effectue en seulement 480 minutes, soit une seule journée de formation, ou encore qu'un agent peut effectuer un paiement simple en à peine deux minutes. La sous-évaluation manifeste de ces durées pourrait sembler anecdotique si elle ne servait pas de fondement à l'évaluation du coût des compétences conférées. Ajoutons que le référentiel précité, sur la durée nécessaire pour accomplir des tâches administratives, est directement issu de données fournies par l'office fédéral allemand de la statistique dans son propre guide26(*) à l'objet identique mais plus complet et surtout plus concret grâce à de nombreux exemples. Il est regrettable que le Secrétariat général du Gouvernement, pourtant impliqué dans le lent travail d'amélioration des études et des fiches d'impact, n'ait pas établi lui-même une telle nomenclature.

Pourtant, le cadre précis exigé pour les fiches d'impact pourrait laisser croire que les évaluations sont réalisées avec attention. Toute fiche d'impact comprend en effet une rubrique consacrée à « l'évaluation quantitative des impacts » comprenant une évaluation des « impacts financiers globaux » pour les entreprises, les particuliers, les associations, les collectivités territoriales, les établissements publics nationaux ou locaux ainsi que pour les services déconcentrés de l'État. Cette évaluation doit également comprendre une « répartition dans le temps des impacts financiers globaux ». Le cas échéant, elle comprend également une « cartographie et le nombre des collectivités concernées » ainsi que le « détail des impacts sur les collectivités territoriales ». En théorie, les fiches d'impact semblent donc particulièrement complètes. C'est d'avantage l'appréciation effective de ces impacts qui demeure inefficiente au regard des coûts constatés, à terme, par les collectivités.

Enfin, la rapporteure s'interroge sur l'objectivité de l'État dans le calcul ex ante du coût de certaines charges. Deux pratiques en particulier ont été dénoncées par les collectivités. Les départements de France, au cours de l'audition de leur président, M. Jean-Léonce DUPONT, ont indiqué que l'État avait tendance à sous-investir dans les années qui précèdent un transfert de compétence pour diminuer le montant des compensations calculées. Il a rappelé que l'État avait diminué ses investissements en matière d'entretien des collèges préalablement au transfert de cette compétence aux départements. Par ailleurs, l'État inclut aisément des années pourtant jugées exceptionnelles dans le calcul lissé de certaines dépenses sur plusieurs exercices consécutifs. Les années 2020 et 2021, exceptionnelles à bien des titres en raison de la pandémie de Covid-19, ont été prises en compte dans le calcul de plusieurs compétences transférées, minimisant les coûts du fait de la baisse d'activité.

Outre la méthodologie initiale, ce différentiel peut aussi s'expliquer par le périmètre pris en compte. En effet, selon que l'on va ou pas au-delà des préconisations minimales, le coût définitif d'une mesure varie particulièrement. C'est vrai lors d'une mise aux normes, en premier lieu parce que les collectivités peuvent aller au-delà des préconisations (toutes les communes ne s'en tiennent, par exemple, pas aux dispositions de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte lorsqu'elles mettent leurs bâtiments aux normes) mais aussi parce que ces collectivités disposent d'installations très hétérogènes lorsqu'une évolution des normes techniques est décidée.

Lors du déplacement effectué dans le Calvados, les membres de la mission ont par exemple interrogé plusieurs collectivités sur les conséquences financières du décret sur la régulation de la température des systèmes de chauffage et de refroidissement. Ce décret27(*) vise à installer des systèmes de contrôle de la consommation énergétique des bâtiments tertiaires28(*) (systèmes GTB/GTC). Or, il existe des disparités importantes entre les communes, certaines ayant installé des GTB/GTC dès les années 1990. La ville centre de Caen ainsi que les installations relevant de la Communauté Urbaine « Caen La Mer » disposent ainsi d'un parc globalement en avance sur la règlementation, tandis que les autres communes de la communauté urbaine devront procéder à l'installation de GTB/GTC, dont le coût unitaire, en fonction de l'état initial des bâtiments peut varier de 10 à 30 000 euros. Sur le territoire de la communauté urbaine de Caen, qu'elles relèvent de l'intercommunalité ou d'une commune, ce sont donc plusieurs millions d'euros d'investissement à prévoir avant 2025, pour la plupart sur des sites relevant de petites communes qui ne procèdent aux mises à jour qu'au fil de l'évolution de la règlementation. Or, comme le souligne, la direction de la transition énergétique de la ville de Caen, « il n'est pas certain que tous les élus du territoire aient conscience du coût et de l'enjeu de ce décret ».

Le coût de certaines politiques publiques est évidemment aussi conditionné par la qualité du service et par le choix d'exercer des compétences optionnelles. Ce choix est parfois très relatif : juridiquement un service public de restauration scolaire n'a rien d'obligatoire pour les communes, mais dans la pratique, il est assez peu réaliste de ne proposer aucun service de restauration au cours de la pause prandiale des élèves. Dès lors que ce service est proposé, le véritable choix réside dans le type d'offre de restauration : recours à l'alimentation « bio », menus de substitution, quantité de viande, tarification dégressive, etc. Or, la rapporteure ne peut que constater que la situation financière de plus en plus contrainte des communes conduit ces dernières à revaloriser la tarification appliquée pour ces services dits facultatifs et pourtant indispensables.

2. L'absence de chiffrage ex post

L'évaluation des politiques publiques n'est pas dans l'ADN de notre pays. Certes, l'objectif s'est progressivement affirmé : il a d'abord été institué, en 1990, un « Comité interministériel de l'évaluation chargé de développer et de coordonner les initiatives gouvernementales en matière d'évaluation des politiques publiques29(*) », remplacé par un « Conseil national de l'évaluation30(*) » lui-même supprimé31(*) en 2008, concomitamment à la constitutionnalisation de la fonction d'évaluation des politiques publiques du Parlement32(*). Cette consécration juridique ne s'est jamais traduite concrètement par un réflexe consistant à évaluer en permanence les politiques publiques. Les alternances politiques, bien plus que les résultats obtenus, demeurent en France le critère fondamental pour poursuivre une politique menée ou y mettre un terme : le suffrage lors des élections politiques apparait étrangement comme la seule forme d'évaluation des politiques publiques.

Cette absence de volonté politique réelle explique le fait que les ministères et organismes de contrôle ne sont toujours pas suffisamment dotés en moyens humains et en compétences pour réaliser des évaluations ex post ciblées sur la mesure des coûts réels des politiques publiques. Une forme d'effet cliquet se produit : on poursuit l'application de politiques publiques dès lors qu'elles sont initiées, alors même que les retours sont parfois loin d'être positifs. La France apparait donc comme l'un des pays développés les plus en retard dans l'évaluation de ses politiques publiques, ce qui explique sans doute en partie la situation de ses finances publiques.

Plutôt que d'internaliser l'évaluation au sein de chaque ministère, la France a toujours fait le choix du recours à un organisme unique censé piloter cette fonction, et rattaché au Gouvernement, ce qui ne facilite pas la diffusion de la « culture évaluative » dans chaque administration. Succédant au Commissariat général au plan33(*), puis au Centre d'analyse stratégique, France stratégie exerce aujourd'hui cette mission. Toutefois, ces évaluations se font ponctuellement, sur un texte donné, à la demande du Gouvernement et ne sont donc pas systématiques. De surcroit, le rattachement au Premier ministre n'aide pas à objectiver l'évaluation ainsi menée. Il s'agit donc davantage d'entériner un point de vue à l'égard d'une politique publique que de l'évaluer réellement.

3. Des illustrations concrètes du coût de certaines décisions unilatérales de l'État

Au cours des auditions et du déplacement, ont été cités plusieurs exemples, parfois ubuesques, d'application absurde de la norme, voire de normes elles-mêmes contreproductives.

Tout d'abord, les conséquences de la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens constituent un exemple récurent parmi les interlocuteurs entendus par la mission. Cette loi a renversé un principe et une exception bien établis en prévoyant désormais que le silence gardé par l'administration sur une demande emporte l'accord. Ce principe est désormais codifié à l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration. Il s'applique depuis le 12 novembre 2014 aux demandes adressées aux administrations de l'État et de ses établissements publics et, depuis le 12 novembre 2015, aux demandes adressées aux collectivités territoriales, aux organismes de sécurité sociale et aux organismes chargés d'un service public administratif. De prime abord, cette loi engendre un net progrès de l'État de droit mais elle a dû être assortie d'exceptions, destinées à préserver l'administration du flot de demandes dont elle peut faire l'objet. Toutefois, avec plusieurs milliers d'exceptions, sa mise en oeuvre implique soit de dédier du personnel spécifiquement chargé de vérifier qu'une autorisation implicite n'est pas accordée par mégarde, soit de continuer à répondre à toutes les demandes, positivement ou négativement, dans le délai imparti. Les associations d'élus auditionnées ont toutes confirmé que les collectivités avaient globalement renoncé à embaucher du personnel pour trier les demandes selon qu'elles relèvent du principe ou de l'exception. Au final, ce dispositif s'est révélé kafkaïen et n'a pas facilité les demandes des usagers tout en complexifiant le travail de l'administration. David LISNARD, lors de son intervention au Sénat pendant les états généraux de la simplification, avait ainsi résumé cette « avancée » :

« Le nombre de dérogations est de 3 000. Pour savoir s'il fallait répondre ou pas, il fallait recruter quelqu'un dans ma commune. Nous avons donc décidé de répondre à tout le monde, ce que nous faisions déjà avant. Il s'agit en effet d'un excellent exemple de l'absurdité ubuesque de ces normes. » Or, il s'agit d'un exemple, parmi d'autres, de coût indirect lié à une mesure très technique : fixer 3 000 exceptions à un principe nouveau entraine mécaniquement des coûts.

Il ne s'agit que d'un exemple parmi d'autres des coûts induits par certaines règles : l'appropriation des règles, par le temps de formation des personnels ou le recours à des organismes extérieurs qu'elles impliquent, suppose des coûts importants, d'autant plus élevés que ces règles sont, dans certains pans du droit, très mouvantes.

Parmi les autres exemples cités par les représentants auditionnés des collectivités figurent le coût des normes liées aux phénomènes naturels comme les anticyclones ou les séismes. Sans minimiser l'importance de la prévention, les élus concernés s'interrogent sur le coût parfois démesuré de ces mesures, alors que le principe de précaution, ainsi que l'amélioration des connaissances scientifiques, conduisent à l'application de règles toujours plus strictes, sur des territoires toujours plus étendus.

Le risque sismique, loin d'être homogène sur le territoire national, est pris en compte par un zonage qui classifie les communes selon cinq niveaux de sismicité34(*), de très faible à forte. Une cartographie de l'aléa sismique a ainsi été réalisée à l'échelle nationale, ce qui permet de différencier les règles sur le territoire en fonction de la probabilité qu'un séisme se produise. Ce zonage est applicable aux bâtiments abritant des établissements recevant du public, pour remplir des fonctions socio-économiques ou pour maintenir le fonctionnement de l'État.

Toutefois, cette cartographie a évolué, en 1991 puis en 2011, ce qui a entraîné le surclassement de certaines communes dans une classification plus élevée et l'application pour les nouvelles constructions de règles antisismiques plus strictes.

Zonage sismique en France (avant et après 2011)

Source : Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire

Cohabitent donc, sur certaines communes, des constructions nouvelles avec des règles antisismiques plus strictes que pour les constructions avoisinantes plus anciennes, ce qui ne manque pas de susciter une certaine incompréhension. Certains sites à risque, comme les installations nucléaires, bénéficient d'une attention particulière afin de tenir compte de tous les paramètres géologiques et sismiques qui les caractérisent.

Les élus auditionnés ont également mis en avant le coût très élevé des normes d'accessibilité aux personnes à mobilité réduite. Tout en défendant le caractère inclusif de ces mesures, ils ont souligné que les petites collectivités n'avaient pas les moyens de mettre en oeuvre ces mesures de manière généralisée et devait, dans la pratique, opérer des choix. Les élus locaux entendus sont donc nombreux à plaider pour des ambitions plus mesurées en la matière. Au cours de l'audition de l`association des maires ruraux de France, la rapporteure a par exemple été informée de la suggestion, formulée par un cabinet de conseil, à l'attention d'une petite commune à laquelle il a été recommandé de profiter de travaux d'entretien d'un édifice religieux relevant de son patrimoine pour abaisser un bénitier et le rendre ainsi accessible aux personnes à mobilité réduite. Bien qu'il ne s'agisse nullement d'une obligation juridique, et sans évidemment dénier le droit de quiconque à une pratique cultuelle libre, la rapporteure demeure particulièrement circonspecte, au regard du contexte budgétaire, sur le caractère prioritaire de telles réalisations.

L'objectif Zéro artérialisation nette (ZAN) a aussi été régulièrement cité comme potentiellement très coûteux. La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « climat et résilience » enjoint en effet les collectivités à ne plus « s'étaler ». La part de sols aménagés, estimée à 9,1 % en France métropolitaine, ne cesse de progresser au détriment des terres agricoles qui perdraient, chaque année, environ 0,2 % de leur superficie. Dans les dix années qui ont précédé la promulgation de la loi, la France a « artificialisé» 243 136 hectares d'espaces naturels, agricoles et forestiers. La loi vise donc à plafonner la superficie artificialisée de son sol d'ici 2050, en deux étapes, en divisant l'artificialisation annuelle des sols, une première fois par deux, au plus tard en 2031, puis une nouvelle fois par deux avant  2041, avant d'atteindre le fameux ZAN neuf ans plus tard. Pour conduire de nouveaux projets nécessitant une emprise au sol, les collectivités ne disposeront donc plus que de deux leviers : lutter contre les logements vacants d'une part et reconquérir les friches, en particulier les friches industrielles. Or, ces deux voies sont particulièrement coûteuses et donc inaccessibles aux collectivités les moins riches, en particulier les petites communes car la réhabilitation, c'est un état de fait, est globalement plus onéreuse que la construction à neuf qui peut intégrer le coût des normes au projet initial. Outre leur coût, d'autres difficultés impacteront les collectivités : la difficulté à identifier des friches d'une part, et les inévitables obstacles en termes d'ingénierie dans ces projets de transformation.

Certes, la rapporteure partage le constat ayant entrainé cette évolution législative et, là encore, ne met pas en doute le caractère louable de ces objectifs mais elle pose la question de la capacité des petites communes à insérer leur projet dans le faible interstice ainsi laissé. Pour les petites communes, le respect de cette loi ne pourra passer que par l'inertie et l'absence de projets.

La rapporteure pourrait malheureusement multiplier les exemples de ces normes qui imposent aux collectivités des contraintes disproportionnées, et donc coûteuses.

B. UN CHIFFRAGE DES DÉCISIONS BUDGÉTAIRES A PRIORI PLUS AISÉ MAIS POURTANT CONFRONTÉ À DE NOMBREUX OBSTACLES

1. L'impact des réformes de la fiscalité locale : des incertitudes à moyen terme concernant la compensation

Comme vu supra, la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales et de la CVAE a été compensée par des fractions de TVA allouées aux collectivités ainsi que, pour les communes, par un transfert de la taxe foncière sur les propriétés bâties antérieurement allouée aux départements.

Si le Gouvernement s'est engagé sur une compensation à l'euro près à un instant T, des incertitudes pèsent cependant sur les modalités de compensation et leur évolution dans le temps de sorte qu'il est difficile, à ce stade, de chiffrer l'impact de ces réformes sur l'équilibre financier des collectivités territoriales à moyen terme.

En effet, l'évolution de la TVA enregistre une forte dynamique dans un contexte inflationniste. Cependant, elle est également très sensible aux variations conjoncturelles et pourrait diminuer dans les années à venir sans que les collectivités puissent agir pour maintenir cette ressource. Il convient cependant de noter que cette affectation de TVA est accompagnée d'un dispositif garantissant un plancher de recettes aux collectivités affectataires. Ainsi, il est prévu que si le produit de TVA affecté à une collectivité est inférieur au montant des recettes en 2020 qu'elle venait compenser, la différence ferait l'objet d'une attribution à son profit d'un montant équivalent et prélevé sur les recettes de TVA de l'État.

Par ailleurs, la part territorialisée de la CVAE n'a toujours pas été définie et suscite de nombreuses questions de la part des élus locaux.

La part prépondérante de la compensation (un peu plus de 10 milliards d'euros) correspond à un « socle garanti », calculé sur la base de la moyenne des recettes de CVAE sur la période 2020-2023. S'y ajoute une part de TVA d'un montant d'environ 650 millions d'euros, réparti, pour 2023, selon les critères de répartition employés pour la CVAE : un tiers pour la valeur locative foncière et deux tiers pour les effectifs salariés. Ce point a été précisé par le projet de décret soumis le 21 mars 2023 à l'avis du CFL.

En revanche, les modalités de répartition de cette part variable territorialisée, dépendant du dynamisme de la TVA, n'ont pas encore été définies pour les prochaines années. Une mission conjointe de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale de l'administration doit remettre prochainement des préconisations au Gouvernement sur les critères de répartition de la croissance de la part de la TVA qui compensera à partir de 2024 la suppression de la CVAE.

Sur les 11,265 milliards d'euros devant être compensés, les collectivités et leurs groupements vont donc percevoir, en 2023, un total de 10,6 milliards d'euros sous forme de TVA.

Le solde de 650 millions d'euros sera compensé comme suit pour 2023 :

- 500 millions d'euros de compensation dédiés au fonds vert ;

- 150 millions d'euros pour les services d'incendie et de secours (Sdis).

Cependant, à ce jour, le Gouvernement n'a pas apporté de garanties concernant la pérennité de cet engagement après 2023. De surcroit, les élus locaux s'estiment lésés dans la mesure où dans l'hypothèse où la CVAE aurait été maintenue, l'État aurait de toute façon soutenu les Sdis, au vu des très forts incendies de l'été dernier. De surcroit, les recettes abondant le fonds vert sont destinées à la section d'investissement et non à la section de fonctionnement et sont, de fait, fléchées dans leur utilisation contrairement aux recettes précédentes issues de la CVAE.

Des incertitudes demeurent donc sur le maintien du montant de cette compensation et ses modalités d'attribution puisque la part territorialisée de cette compensation, partiellement basée sur les valeurs foncières, devra être calculée dans un contexte de mise en oeuvre du principe du « zéro artificialisation nette » (ZAN), qui tend à limiter l'extension urbaine.

Ces incertitudes sont prégnantes pour les départements dont les charges (prestations sociales) et les recettes (fraction de TVA qui est désormais la première recette des départements) sont inversement proportionnelles à la conjoncture.

2. La difficile estimation des taux de consommation des filets de sécurité

Les filets de sécurité votés à l'été et à l'automne 2022 sont des PSR et donc, par définition, estimatifs.

Concernant le premier filet de sécurité, visant la compensation partielle de la revalorisation du point d'indice et de la hausse des dépenses d'approvisionnement en énergie, électricité et chauffage urbain et d'achats de produits alimentaires, les communes et EPCI éligibles à ce dispositif sont ceux qui satisfont les critères suivants :

- épargne brute au 31 décembre 2021 représentait moins de 22 % de leurs recettes réelles de fonctionnement ;

- épargne brute en baisse de plus de 25 % entre 2021 et 2022, principalement du fait, d'une part, de la revalorisation du point d'indice et, d'autre part, des effets de l'inflation sur les dépenses d'approvisionnement en énergie et sur les achats de produits alimentaires ;

- pour les communes, potentiel financier par habitant inférieur au double du potentiel financier moyen par habitant de l'ensemble des communes de même strate et pour les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, potentiel fiscal par habitant inférieur au double du potentiel fiscal par habitant moyen des établissements de même strate.

Les crédits ouverts au titre de ce dispositif s'élèvent à 430 millions d'euros.

Au regard des données 2021, 53 % des communes et 75 % des groupements à fiscalité propre (GFP) seraient éligibles au filet de sécurité 2022.

Les critères relatifs à l'année 2021 permettent de cibler les collectivités les plus fragiles, en particulier les communes d'outre-mer dont 90 % sont potentiellement éligibles, et les communes bénéficiant de la dotation de solidarité urbaine (DSU) dont 87 % seraient éligibles.

Le taux d'éligibilité des collectivités bénéficiant de la dotation de solidarité rurale (DSR) est, quant à lui, égal au taux d'éligibilité global du filet de sécurité. Cela s'explique par le poids des communes DSR dans le paysage local français (94 % des communes perçoivent la DSR).

Enfin, le taux d'éligibilité au regard des critères 2021 des communes augmente selon leur taille, jusqu'à atteindre 100 % des communes de plus de 100 000 habitants du fait notamment de la prépondérance des charges de centralité dans leurs budgets.

Éligibilité des collectivités au filet de sécurité de la LFR de juillet 2022
au regard des premier et troisième critères

Source : Ministère des comptes publics

Pour autant, en l'absence de données définitives sur les comptes de gestion et administratifs des communes en 2022, il est difficile à ce stade de connaitre le nombre de communes et d'EPCI qui seront réellement éligibles et pour quel montant. En tout état de cause, sur les 430 millions d'euros prévus lors de la LFR de juillet 2022, 106 millions ont été exécutés en 2022 afin de financer les acomptes. Ces derniers ont été versés sur la base d'une prévision d'exécution en 2022, établie plus tôt dans l'année.

Il est donc possible que certaines collectivités ne remplissent, in fine, pas les critères d'éligibilité, tandis que d'autres, n'ayant pas demandé d'acomptes, seront effectivement éligibles au regard des résultats de leur gestion.

Sur la base de l'examen de 80% des comptes de gestion, Bercy a recensé plus de 4.800 communes et groupements de communes bénéficiaires du dispositif de soutien face à l'inflation et la revalorisation du point d'indice, mis en place pour 2022 comme l'a indiqué le ministre délégué aux Comptes publics le 2 mai dernier aux sénateurs.

Il en résulte qu'on passe d'une éligibilité potentielle au regard des critères 1 et 3 de près de 20 000 communes et EPCI à une éligibilité réelle en tenant compte du deuxième critère de 4 800 collectivités soit 4 fois moins.

Concernant le filet de sécurité adopté lors de la LFI 2023 et visant à compenser partiellement la hausse de l'augmentation des dépenses d'approvisionnement en énergie, électricité et chauffage urbain, les collectivités éligibles sont celles qui répondent aux critères suivants :

- une épargne brute en 2023 en baisse de plus de 15 % par rapport à 2022 ;

- pour les communes, avoir un potentiel financier par habitant inférieur à deux fois le potentiel financier moyen par habitant de l'ensemble des communes appartenant au même groupe démographique ;

- pour les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité, avoir un potentiel fiscal par habitant inférieur à deux fois le potentiel fiscal par habitant moyen des établissements appartenant à la même catégorie ;

- pour les départements, avoir un potentiel financier par habitant inférieur à deux fois le potentiel financier moyen par habitant constaté au niveau national.

Les crédits inscrits en LFI 2023 au titre de ce deuxième filet de sécurité s'élèvent à 1,5 milliard d'euros.

D'après les estimations du Gouvernement réalisées lors de l'examen de la LFI, sans l'amortisseur électricité, 75 % des collectivités pourraient être couvertes par ce dispositif. En tout état de cause, certaines des plus petites collectivités qui bénéficieront déjà des tarifs réglementés, pourraient ne pas être concernées.

Cette estimation doit cependant être considérée avec beaucoup de précaution puisque l'impact de l'amortisseur électricité n'est pas pris en compte, faute de données.

Dans ce contexte, les montants évalués en loi de finances semblent surestimés dans la mesure où le nombre de communes effectivement éligibles, compte tenu de l'ensemble des critères appliqués, de l'amortisseur électricité et d'un chiffrage des communes bénéficiant des tarifs règlementés sera très inférieur aux estimations réalisées.

3. L'absence de respect de la précédente LPFP : une trajectoire peu fiable

La LPFP 2023/2027 n'a pas été adoptée par le Parlement mais les écarts sur la précédente LPFP (2018/2022) sont importants rendant, d'une part, inopérant l'argument visant à maintenir des variables d'ajustement afin de respecter la trajectoire et dégradant, d'autre part, la visibilité des collectivités territoriales sur la trajectoire des concours qui leur seront alloués au cours d'une période.

En effet, à l'issue de la période 2018-2022, la trajectoire a été dépassée en raison de programmations en LFI supérieures à la programmation de la LPFP d'une part, et en raison d'une sur-exécution des crédits inscrits en LFI d'autre part.

Les crédits exécutés sont supérieurs à ceux inscrits en LPFP de 11,26 milliards d'euros en AE entre 2018 et 2022. Les écarts entre les crédits inscrits en LFI et ceux exécutés sont moindres, atteignant un total de 2,15 milliards d'euros en AE et entre 2018 et 2022.

Crédits exécutés au titre des concours financiers entre 2018 et 2021

(en milliards d'euros)

Source : mission d'information à partir des documents budgétaires

Ces dépassements interviennent malgré le mécanisme des variables d'ajustement mis en place dès la LFI 2018 à hauteur de 293 millions d'euros en 2018, 159 millions d'euros en 2019, 120 millions d'euros en 2020 et 50 millions d'euros en 2021 et 2022 soit un total de 674 millions d'euros.

Concernant la trajectoire 2023/2027, en l'absence de vote à ce jour, il existe un flou pour les collectivités sur les concours qui leur seront versés. Les montants retenus dans le texte déposé étaient les suivants :

Évolution des concours financiers inscrits en LPFP 2023/2027

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat à partir de la LPFP 2023-2027

Cette trajectoire prévoit une hausse de 2,67 % des concours sur la période 2023-2027 soit 1,42 milliard.

Cette hausse est également répartie entre la hausse du FCTVA qui passerait, sur la période 2023-2027, de 6,7 milliards d'euros à 7,4 milliards d'euros soit une augmentation de 700 millions et les autres concours35(*) qui augmentent de 720 millions d'euros. L'évolution du FCTVA s'explique en partie par le dynamisme de l'investissement local avec un pic attendu à 7,5 milliards d'euros en 2026, année des prochaines élections municipales.

Cependant, cette hausse s'inscrit dans un contexte inflationniste. En effet, pour la période 2023-2027, le Gouvernement prévoit une évolution de l'indice des prix à la consommation hors tabac (IPCHT) de 4,3 % en 2023, 3 % en 2024, 2,1 % en 2025 et 1,75 % en 2026 et 2027, soit son niveau de long terme dans la cible de la banque centrale européenne.

Il en résulte que cette hausse des concours financiers de l'État à hauteur de 1,42 milliard d'euros, certes plus importante que celle de la précédente LPFP (380 millions), revient cependant, en euros constants, à une contraction des concours financiers alloués aux collectivités territoriales qui passeraient de 52,8 milliards en 2022 à 48,1 milliards en 2027 soit 4,7 milliards d'euros de moins, contraction qui pourrait s'avérer plus importante encore en cas d'inflation supérieure au niveau retenu par le Gouvernement dans ses prévisions. Sur la période de la LPFP, 2023-2027, la baisse serait de 2,9 milliards d'euros.

Évolution des concours financiers inscrits en LFPF 2023-2027 retraités de l'inflation

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat à partir de la LPFP 2023-2027

Dans ce contexte, une grande incertitude résulte donc de cette absence de trajectoire et les collectivités territoriales ne disposent pas des données leur permettant de connaitre la trajectoire de concours financiers qui leur sera appliqué pour les quatre prochaines années.

Si une LPFP était cependant adoptée pour la fin du quinquennat, elle ne garantirait cependant pas une meilleure visibilité pour les collectivités au regard des dépassements constatés lors de la précédente période, dépassements qui s'expliquent cependant largement par les dispositifs de soutien mis en place pour faire face à la crise sanitaire.

4. Le coût identifié de certaines mesures récentes 

À l'inverse des décisions budgétaires susmentionnées, certaines mesures sont beaucoup plus aisément chiffrables. C'est notamment le cas, pour les mesures les plus récentes, de la revalorisation du point d'indice ou celle du RSA.

Concernant la première, son coût est estimé à 7,2 milliards d'euros en année pleine pour les trois versants de la fonction publique dont 2,1 milliards d'euros pour la seule fonction publique territoriale, soit 1,05 milliard pour le second semestre 202236(*). Pour les seules communes et leurs groupements, cette revalorisation devrait engendrer une hausse estimée des dépenses de personnel de l'ordre de 792,4 millions d'euros37(*) en 2022 et de plus de 1,5 milliard d'euros en 2023.

À ce jour, la compensation mise en oeuvre est très limitée puisqu'elle ne concerne que le bloc communal, uniquement pour l'année 2022, seulement à hauteur de 50 % et pour les seuls communes et EPCI répondant aux 3 critères cumulatifs du filet de sécurité de la LFR de juillet 2022 susmentionnés.

La dépense supplémentaire de 2,1 milliards d'euros pour la fonction publique territoriale sera donc totalement à la charge des collectivités en 2023.

Concernant la revalorisation du RSA, son coût est estimé à environ 120 millions d'euros en 2022, soit 240 millions en 2023 en année pleine.

La loi de finances rectificative pour 2022 du 16 août 2022 a prévu la création d'un nouveau prélèvement sur recettes (PSR) afin de compenser cette hausse des charges pour les départements mais uniquement pour l'année 2022. Aucun des amendements présentés lors de l'examen de la LFI pour 2023 prévoyant le maintien de ce PSR n'a été adopté. Il en résulte que le surcoût généré par cette revalorisation sera, en 2023, entièrement à la charge des départements.

5. Ces surcoûts et incertitudes concernant les finances des collectivités interviennent, par ailleurs, dans un contexte inflationniste et de hausse des taux d'intérêt

Le discours ambiant, notamment porté par les différents rapports de la Cour des comptes est celui d'une bonne santé financière des collectivités. Cependant, depuis début 2022, elles sont confrontées à une hausse de l'inflation et, plus récemment, à celle des taux d'intérêt qui aura nécessairement un impact sur leur situation financière d'autant que le niveau d'endettement des collectivités (essentiellement le bloc communal) a fortement augmenté depuis 2018.

À cet égard, André LAIGNEL, président du CFL et maire d'Issoudun, a indiqué lors de son audition : « Je n'ai jamais connu de situation comme aujourd'hui, une année non pas difficile, mais impossible - et pourtant, nous passerons le cap puisque nous sommes tenus à l'équilibre budgétaire. Nous tiendrons, mais à quel prix pour le service local ? Dans mon intercommunalité, j'ai fermé ma piscine, ma patinoire, provisoirement, car je dois d'abord rééquilibrer mes budgets ».

a) La hausse des prix de l'énergie

Les prix des combustibles liquides ou « fiouls domestiques livrés au domicile pour remplissage d'une cuve » ont augmenté de 70 % en un an, le gaz a augmenté de 30 %, le bois de 25 % et l'électricité de plus de 10 %.

En effet, d'une moyenne inférieure à 100 euros le MWh entre janvier 2020 et septembre 2021, les prix de l'électricité sont passés, en moyenne, à 230 euros le MWh entre octobre 2021 et avril 2023 atteignant un pic à plus de 740 euros le MWh en aout 2022.

Or, les collectivités territoriales ne sont pas épargnées par cette inflation énergétique qui a des répercussions tant sur leurs charges de fonctionnement que sur leurs dépenses d'investissement, certains travaux voyant leurs coûts définitifs augmenter en raison de la hausse des prix de matériaux et des transports.

À cet égard, l'Association des petites villes de France (APVF) considère que dans certaines de ses communes-membres les dépenses énergétiques ont bondi de 50 %. Pour l'Association des maires de France (AMF) et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), ces hausses oscilleraient entre 30 % et 300 %. Dans une étude réalisée auprès des intercommunalités en janvier 2023, Intercommunalités de France a mis en lumière un doublement ou plus du montant de la facture énergétique pour les trois quarts des intercommunalités. Une intercommunalité sur deux rapporte un impact supérieur à 5 % sur ses charges de fonctionnement.

De surcroit, comme l'indique le rapport d'information fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur « la hausse du coût des énergies et son impact pour les collectivités territoriales », cette augmentation des prix de l'énergie devrait se poursuivre dans un contexte d'installation dans le temps de la guerre russo-ukrainienne et de renouvellement du parc nucléaire français.

b) La hausse attendue des taux d'intérêt

La charge de la dette devrait augmenter en raison de la hausse prévisible des taux variables généralement indexés sur les indices du Livret A ou de l'Euribor 3 mois. Or, le taux d'intérêt du Livret A, est passé de 1 à 3 % entre février 2022 et février 2023 et celui de l'Euribor de 0,712 % et 2,783 % entre septembre 2022 et mars 2023.

Les nouveaux emprunts devraient également coûter plus cher aux communes en particulier et aux collectivités en général en raison de la hausse des taux d'usure.

Ce contexte rend encore plus nécessaire une réforme de leur modalité de financement (cf. rapport de la cour des comptes sur le financement des collectivités) et, à tout le moins, à brève échéance, un dialogue renoué et renforcé avec l'État (cf. infra : partie IV B).

Le chiffrage précis des décisions budgétaires de l'État ayant un impact sur la situation financière des collectivités rencontre donc de nombreux obstacles. Force est cependant de constater que la contrainte budgétaire qui pèse sur elles est de plus en plus importante et est renforcée par le contexte économique actuel.

Cette situation, source d'incertitude pour les collectivités, pourrait peser à terme sur le niveau de l'investissement local dans une période où celui-ci doit pourtant se maintenir et s'accroitre afin de répondre aux enjeux de la transition énergétique.

IV. MIEUX MESURER ET LIMITER L'IMPACT DES DÉCISIONS RÈGLEMENTAIRES ET BUDGÉTAIRES DE L'ÉTAT SUR L'ÉQUILIBRE FINANCIER DES COLLECTIVITÉS

A. ÉTENDRE LES MOYENS ET LES MISSIONS DU CNEN ET DU CLF POUR QU'ILS EXERCENT PLEINEMENT LEURS MISSIONS

Comme indiqué plus haut, le CNEN, créé en 2013, à l'initiative du Sénat, est chargé d'évaluer l'impact technique et financier des normes applicables aux collectivités territoriales. L'avis du CNEN a vocation à éclairer le Gouvernement et le Parlement sur les impacts financiers des projets de normes pour les collectivités territoriales. La rapporteure estime indispensable d'étendre les moyens et les missions de cet organe afin qu'il puisse pleinement jouer son rôle d'évaluation financière des normes applicables aux collectivités, que ce soit en amont et en aval de leur production.

1. Suivre la mise en oeuvre de la charte d'engagements signée par le Sénat et le Gouvernement le 16 mars 2023

Le Sénat et le Gouvernement ont signé, le 16 mars 2023, une charte inédite d'engagements, à l'occasion des États généraux de la simplification. Cette charte contient certains engagements importants qui vont dans le sens du renforcement du CNEN dans sa mission d'évaluation financière. La rapporteure se réjouit d'une telle signature et espère que les engagements seront suivis d'effet.

a) Limiter le recours à l'urgence

Comme indiqué plus haut, les élus demandent une stricte limitation du recours aux procédures d'urgence et d'extrême urgence devant le CNEN. En effet, l'utilisation de ces procédures restreint fortement la capacité des élus locaux du CNEN à apprécier de façon satisfaisante l'impact financier des projets de normes qui lui sont présentés.

Conscient de cette situation, le Gouvernement s'est engagé, dans la charte précitée, à « limiter le recours aux procédures d'urgence pour les saisines du CNEN et assurera le suivi régulier de cet engagement ».

Cet engagement mérite d'être salué. La rapporteure estime toutefois nécessaire que le Gouvernement se fixe, à l'avenir, des objectifs plus ambitieux, tels que celui de ne pas dépasser 10 % de textes soumis en procédure d'urgence et 5 % en extrême urgence, étant rappelé que près de 25 % des textes examinés par le CNEN en 2022 ont fait l'objet d'une procédure d'urgence, voire d'extrême urgence.

b) Augmenter les moyens humains du CNEN

Autre engagement pris par le Gouvernement : veiller à l'adéquation entre les capacités du CNEN et ses missions. La rapporteure souhaite que cet engagement se traduise concrètement par un renforcement des moyens humains du CNEN.

En effet, le Conseil comprend au total 5,8 ETP38(*) qui se décomposent ainsi :

- 5 ETP (incluant trois chargés d'études juridiques, un conseiller juridique auprès du président du CNEN et une cheffe de section) ;

- 0,8 ETP (incluant le chef de bureau qui assure également d'autres missions et une apprentie à temps partiel).

Ces effectifs paraissent très limités au regard du nombre important de textes examinés par le CNEN chaque année :

Année

Nombre de textes examinés en séance par le CNEN

Nombre d'avis défavorables

% des avis défavorables

2017

355

32

9 %

2018

264

20

7,6 %

2019

287

13

4,5 %

2020

258

14

5,4 %

2021

287

27

9,4 %

2022

325

36

11,1 %

Source : rapport d'activité du CNEN (2017-2022)

Lors des auditions, de nombreuses personnes ont souligné l'insuffisance des moyens alloués au CNEN. À titre de comparaison, le NKR (Nationaler Normenkontrollrat), homologue allemand du CNEN, dispose de 23 ETP, dont une majorité de hauts fonctionnaires. S'il est toujours délicat d'effectuer des comparaisons pertinentes en droit international, surtout avec un État fédéral, la rapporteure estime que le NKR allemand pourrait inspirer utilement le renforcement du CNEN.

Des moyens renforcés permettraient au CNEN :

- d'exercer des missions d'évaluation financière a posteriori. La Direction générale des collectivités territoriale a en effet reconnu que « les moyens humains actuels du secrétariat du CNEN ne lui permettent pas de consacrer le temps nécessaire à la mise en oeuvre de l'évaluation ex post ». La compétence du CNEN s'exerce donc, en pratique, exclusivement sur le flux des textes, et non sur le stock ;

- de mieux vérifier la complétude, la rigueur et l'objectivité des évaluations financières préalables, cette fonction pouvant aller jusqu'à un rôle de certification des études et fiches d'impact.

c) Renforcer les liens entre le CNEN et le Sénat

La charte précitée comporte certaines dispositions permettant de resserrer les liens entre le CNEN et le Sénat. Sont ainsi prévus :

- la transmission systématique par le CNEN à la délégation aux collectivités territoriales du Sénat de l'ordre du jour des séances et du relevé de décisions à la suite de ses réunions ;

- la diffusion par le Gouvernement des avis publics du CNEN, lequel, par le développement d'une motivation détaillée, éclaire la Représentation nationale ;

- le recours au pouvoir d'audition de toute personne pouvant éclairer les débats du CNEN, et notamment des rapporteurs des projets de loi sur les projets d'actes règlementaires d'application qui lui sont soumis.

La mission préconise d'assurer un suivi rigoureux de ces dispositions afin de vérifier si elles permettent au Sénat d'exercer un rôle de veille et d'alerte sur les textes susceptibles d'avoir une incidence financière sur les collectivités territoriales.

2. Saisir le CNEN sur les lois de programmation des finances publiques

Les lois de programmation des finances publiques (LPFP) définissent les orientations pluriannuelles des finances publiques en s'inscrivant dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques. Ces orientations veillent à encadrer la préparation et le vote des budgets au cours de la période considérée.

Ces lois, dès lors qu'elles comportent des dispositions créant ou modifiant des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, doivent être soumises à l'examen du CNEN afin qu'il en évalue l'impact technique et financiers en application de l'article L. 1212-2 du CGCT. Pour autant, les deux dernières LPFP (2018-2022 et 2023-2027) n'ont fait l'objet d'aucune transmission au conseil.

Lors de son audition, Alain Lambert, président du CNEN, a regretté cette situation, même si la dernière LPFP n'est pas parvenue au terme de son examen parlementaire : « Les lois de programmation nous intéressent. Pourtant, nous n'en sommes pas saisis et j'ai dit mon embarras au Gouvernement, car la dernière loi de programmation énonce la stratégie financière de notre pays pour les années 2023-2027. Cela dit, cette loi n'est pas parvenue au terme de son examen parlementaire, la CMP du 15 décembre dernier n'étant pas parvenue à un accord ».

La rapporteure regrette également de telles pratiques contra legem et rappelle que dans son avis public n° 393579 en date du 25 septembre 2017 portant sur la loi de programmation des finances publiques 2018-2022, le Conseil d'État a explicitement rappelé cette obligation de consultation du CNEN : « les dispositions, qui créent des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics au sens de l'article L. 1212-2 du code général des collectivités territoriales, auraient dû en effet être soumises au Conseil national d'évaluation des normes. »

Par ailleurs, la rapporteure note avec intérêt la remarque d'Alain Lambert lors de son audition concernant le programme de stabilité (PSTAB). Ce dernier est trop pauvre concernant les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales : « Je vous recommande (...) d'examiner de près le programme de stabilité qui, lui, engage la France vis-à-vis de ses partenaires européens, avec des stratégies très précises. La loi de programmation des finances publiques n'est pas articulée au programme de stabilité, c'est paradoxal, puisque ce programme existe depuis 1999. Cependant, il ne donne pas d'indications suffisamment précises des relations entre l'État et les collectivités territoriales, au point que les finances locales paraissent les variables d'ajustement, alors que les collectivités sont indispensables à la mise en place des politiques publiques ». 

3. Renforcer le rôle du comité des finances locales (CFL) et le fusionner avec le CNEN
a) Des missions et des moyens distincts entre le CNEN et le CFL

Le rapprochement entre le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) et le Comité des finances locales (CFL) est régulièrement évoqué, en raison de l'impact des décisions des deux organismes sur les finances locales. A priori pourtant, le rôle conféré à chacun de ces deux organismes diffère, leur rapprochement ne constitue donc pas une évidence.

L'article L. 1212-2 du Code général des collectivités territoriales dispose que le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) « est consulté par le Gouvernement sur l'impact technique et financier des projets de loi créant ou modifiant des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics ». Le CGCT ne vise expressément que les lois ordinaires et ne prévoit donc pas de soumettre pour avis au CNEN les projets de loi de finances ni les projets de loi de financement de la sécurité sociale. D'ailleurs, le Conseil d'État, systématiquement saisi des projets de loi de finances, n'a jamais invité le Gouvernement à saisir préalablement le CNEN pour recueillir son avis.

À l'inverse, le Gouvernement consulte le comité des finances locales qui, conformément à l'article L. 1211-4 du CGCT, a « pour mission de fournir au Gouvernement et au Parlement les analyses nécessaires à l'élaboration des dispositions du projet de loi de finances intéressant les collectivités locales ».

Pour ces raisons, leurs moyens et leur composition diffèrent. Le secrétariat du CNEN est assuré par le bureau du financement des transferts de compétences au sein de la sous-direction des finances locales et de l'action économique de la direction générale des collectivités locales. Une section, au sein de ce bureau, composée de trois chargés d'études juridiques et d'une cheffe de section est dédiée à cette seule mission. Par ailleurs, un collaborateur à temps plein est affecté auprès du Président du CNEN, rémunéré sur préciput de la DGF. Le Président fait également ponctuellement appel à des stagiaires.

Enfin, un secrétariat, composé d'une personne, est chargé, principalement, de la réception des projets de texte soumis à l'examen de l'instance, de l'organisation matérielle et logistique des séances, de la rédaction des avis rendus par le Conseil ainsi que de l'élaboration des procès-verbaux.

Au prorata du temps consacré, le secrétariat du CNEN comprend donc 5,8 ETP en incluant à 80 % le chef de bureau qui assure également d'autres missions, et une apprentie à temps partiel. La masse salariale annuelle du CNEN s'établit ainsi à environ 390 000 euros dont 122 000 euros financés par la DGF et 268 000 euros par le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer.

Pour sa part, le comité des finances locales comprend trente-deux membres titulaires (2 députés, 2 sénateurs, 4 présidents de Conseil départemental, 2 présidents de Conseil régional, 15 maires, 7 présidents d'EPCI) ainsi que 11 représentants de l'État titulaires, et autant de suppléants de chaque catégorie39(*).

Il exerce trois types de compétences : un pouvoir de décision et de contrôle pour la répartition des principaux concours financiers de l'État aux collectivités locales40(*), une fonction consultative, obligatoire pour tous les décrets à caractère financier intéressant les collectivités locales et facultative sur tout projet de loi ou d'amendement concernant les finances locales, ainsi qu'un rôle de concertation et de proposition. Il s'est par exemple prononcé sur les réformes en matière d'intercommunalité ou encore de comptabilité communale.

b) Un fonctionnement peu satisfaisant du CFL au sein duquel les élus sont difficilement entendus

La composition actuelle du CFL vise à prendre en compte les intérêts de chaque échelon de l'action publique locale, et à obtenir ainsi un consensus quant à l'affectation des dotations de l'État aux collectivités. Ce consensus est toutefois de moins en moins fréquent : lors de sa réunion du 18 avril 2023, le comité des finances locales s'est prononcé contre le projet de décret « filets de sécurité », jugeant insuffisants les moyens apportés par l'État, pour 2023, en contrepartie de la hausse des prix de l'énergie et de la revalorisation du point d'indice décidée en 2022. Là aussi, la DGCL assure le secrétariat du CFL.

Dès lors, cette composition pourrait être revue, notamment pour faire une place plus importante aux élus.

De surcroit, si les communes d'outre-mer sont représentées, les horaires des réunions du CFL ne permettent que rarement leur présence ou alors à des horaires indécents.

Par ailleurs, dans les faits, la présentation du projet de loi de finances au CFL quelques heures avant son dépôt au Parlement n'est pas suffisante. Elle se borne à un propos général du ministre des comptes publics accompagné du ministre en charge des collectivités visant à décrire les principales mesures concernant les finances locales. Le temps d'échange est quasiment inexistant et, dans tous les cas, inutile puisqu'il intervient alors même que les mesures sont déjà finalisées par le Gouvernement.

Enfin, à ce jour, sa consultation est facultative sur le projet de loi de finances de l'année et n'est obligatoire que pour les décrets à caractère financier concernant les collectivités locales41(*), conformément à l'article L1211-3 du CGCT qui prévoit que « le Gouvernement peut le consulter sur tout projet de loi, tout projet d'amendement du Gouvernement ou sur toutes dispositions règlementaires à caractère financier concernant les collectivités locales. Pour les décrets, cette consultation est obligatoire. Lorsqu'un décret à caractère financier concernant les collectivités territoriales crée ou modifie une norme à caractère obligatoire, la consultation du comité des finances locales porte également sur l'impact financier de la norme ».

Il est également indispensable que les documents soient transmis le plus en amont possible des réunions. En effet, la transmission des documents (décrets, rapports de présentation...) se fait souvent tardivement et les documents utilisés par les ministères pour leur présentation orale ne sont jamais transmis avant les réunions. Il en résulte une asymétrie de l'information rendant les échanges difficiles.

La non-atteinte du quorum, quasi systématique, est assez révélatrice d'un éloignement des élus dont les avis sont peu pris en considération.

c) Le rapprochement entre le CNEN et le CFL comme réponse aux dysfonctionnements constatés

Compte tenu de leur vocation, examiner les projets de texte relatifs aux collectivités territoriales, et face à l'insuffisance des moyens dont ils disposent, la tentation d'un rapprochement entre les deux instances est légitime.

Sur le fond, même s'ils examinent des textes différents, sous un prisme également différent, ils ont en commun d'être le « point de jonction entre la machine administrative de l'État central et le dernier maillon de proximité que sont les collectivités territoriales »42(*) d'après André Laignel et Alain Lambert, respectivement présidents du Comité des Finances Locales et du Conseil National d'Évaluation des Normes. Ces deux éminents spécialistes des finances locales appellent à répondre à la crise démocratique en suscitant une meilleure gouvernance des finances publiques, particulièrement locales. Dans une tribune commune, ils plaident pour un rapprochement entre leurs deux institutions qu'ils vont jusqu'à qualifier de « Défenseur des libertés locales »3, sur le modèle du Défenseur des droits. Dès lors qu'il serait assorti des garanties nécessaires, la rapporteure fait sien le principe d'un rapprochement entre les deux organismes. Sans aller jusqu'à qualifier une telle autorité de Défenseur des libertés locales, fonction déjà exercée par le Sénat, cette nouvelle autorité deviendrait un interlocuteur naturel des territoires auprès du Parlement et de l'exécutif.

Par ailleurs, la Cour des comptes, dans son rapport d'octobre 202243(*), recommande également la mise en place d'une autorité indépendante chargée d'émettre un avis sur les projets de lois relatifs aux collectivités territoriales et de veiller au respect des principes d'équilibre des finances locales, de compensation des transferts de compétences et des suppressions de fiscalité et de réduction des inégalités entre collectivités.

Enfin, il est indispensable que les documents soient transmis le plus en amont possible des réunions. En effet, la transmission des documents (décrets, rapports de présentation...) se fait souvent tardivement et les documents utilisés par les ministères pour leur présentation orale ne sont jamais transmis avant les réunions. Il en résulte une asymétrie de l'information rendant les échanges difficiles.

La non-atteinte du quorum, quasi-systématique, est assez révélatrice d'un éloignement des élus dont les avis sont peu pris en considération.

Recommandation n°1 : Renforcer le dialogue État / collectivités au plan national

La mission recommande un rapprochement du Comité des finances locales (CFL) et du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN). Une telle évolution permettrait :

- de mieux évaluer, en amont et en aval, l'impact des décisions de l'État sur l'équilibre des finances locales ;

- de fournir un appui au Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, dans le cadre de la mise en place, en son sein, d'une fonction transversale de veille et d'alerte sur les textes ayant un impact sur les collectivités territoriales.

Ce nouvel organe devra :

- donner davantage de poids aux élus locaux ;

- comporter une section « outre-mer » ;

- être obligatoirement consulté sur les projets de loi de finances et les projets de loi de finances rectificative.

4. Créer un partenariat CNEN-INSEE

Avec 5,8 ETP à disposition (cf. supra), et malgré le grand professionnalisme de ses membres, le Conseil national d'évaluation des normes ne dispose actuellement pas des moyens de certifier les études d'impact ni d'évaluer ex ante le coût prévisionnel des normes ayant un impact sur les collectivités territoriales même si, au cours de son audition44(*), son Président a rappelé que « Le CNEN n'aurait guère de difficulté d'être désigné certificateur des études d'impact actuelles, car elles ont si peu de consistance, qu'il serait aisé de faire le simple constat de leur insuffisance - et je crois donc qu'une certification, effectivement, permettrait d'exiger un peu plus de travail préparatoire. »

Un véritable travail de certification supposerait de conférer au CNEN les moyens de mener une contrexpertise sur tous les travaux intéressant les collectivités, en particulier en matière de statistiques et d'études économiques. C'est le choix qu'a fait l'Allemagne où Destatis, l'équivalent allemand de l'Institut national de la statistique est chargé d'une mission d'évaluation du « coût de la bureaucratie », avec une équipe dédiée d'environ quatre-vingts agents, qui vient en appui tant du Gouvernement fédéral que de l'homologue allemand du Conseil national de contrôle des normes, le NKR (Nationaler Normenkontrollrat).

Cette équipe dédiée est chargée d'évaluer le gain ou le coût net de chaque nouvelle norme, à la fois ex ante et ex post, à la fois pour les administrations, fédérales ou locales, mais aussi pour les entreprises et pour les citoyens. La méthodologie utilisée est précise, régulièrement actualisée, et rendue publique. Le coût net de chaque mesure, éventuellement actualisé, est accessible sur le site Internet de Destatis. Contrairement à ce que l'INSEE a pu constater avec les collectivités territoriales françaises lorsqu'il effectue des enquêtes sur ces dernières, les acteurs allemands concernés répondent en masse à ces consultations, bien conscients de l'impact des évaluations des politiques publiques sur les choix à venir. Destatis est ainsi sensibilisé en permanence aux coûts de transposition et aux coûts indirects révélés dans le temps (aménagement des locaux, formations, équipements informatiques, etc.), ce qui lui permet de les intégrer avec précision au montant réel d'un nouveau dispositif mis en place par une norme. De manière générale, sont pris en compte l'ensemble des coûts de conformité, c'est-à-dire les coûts annuels courants, immédiatement constatés, et les coûts de transposition qui se révèlent dans le temps.

La rapporteure constate que la France ne dispose actuellement ni des mêmes moyens, ni des mêmes ambitions : le département des études et des statistiques locales (DESL) de la DGCL comprend 10 agents dont 7 statisticiens45(*) de l'Insee mis à disposition, en position normale d'activité.

Ils ont vocation à établir les statistiques relatives aux collectivités territoriales dans divers domaines (fiscalité, budgets, intercommunalité, fonction publique territoriale...) et à élaborer divers documents comme « Les collectivités locales en chiffres » ou encore les bulletins d'information statistique. En parallèle, et compte tenu du rôle spécifique de la DESL et de l'appui que lui apporte l'INSEE, il n'existe pas, au sein de l'INSEE, de département spécifiquement consacré aux collectivités territoriales.

La France souffre donc la comparaison avec son voisin allemand. Pourtant, la rapporteure considère qu'il est temps de se doter des moyens d'évaluer avec exactitude et impartialité les coûts de mise en conformité à la norme en renforçant les moyens de l'INSEE qui se verrait confier, au-delà de sa mission statistique, une mission de maitrise d'oeuvre pour une quantification des coûts de conformité supportés par les collectivités territoriales. L'indépendance de l'INSEE lui garantirait l'objectivité nécessaire à la réalisation d'une telle mission, toutefois conditionnée par l'attribution des moyens adéquats.

Sur ce point, le rapport conjoint46(*) du CNEN et du NKR est particulièrement éclairant sur la nécessité, d'une part, d'améliorer le chiffrage ex ante des normes ayant un impact sur les collectivités, d'autre part de tendre en France vers l'instauration d'un contrôle ex post collaboratif comme c'est le cas outre-Rhin, ce qui suppose dans les deux cas le recours à un organisme issu de la fusion du CFL et du CNEN aux moyens considérablement renforcés et bénéficiant de l'appui d'un département de l'INSEE consacré aux collectivités territoriales.

B. RENFORCER LE DIALOGUE ENTRE L'ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES : UN RÔLE DU PRÉFET À REPENSER

Afin de limiter l'impact des décisions de l'État sur l'équilibre des finances locales, il est nécessaire de renforcer, dans les territoires, le dialogue entre l'État et les collectivités. Plusieurs axes doivent être privilégiés à cette fin.

1. Mettre en place des conférences de dialogue placées sous l'égide des préfets

La rapporteure recommande l'instauration, auprès du préfet ou sous-préfet, d'une instance composée de représentants de collectivités locales pouvant être saisie de tout différend sur l'interprétation d'une norme.

La création de cette instance de dialogue a été intégrée en 2019 dans le cadre de l'examen du projet de loi dit « engagement et proximité », puis à l'article 4 quater de la loi 3DS à l'initiative de Rémy Pointereau : « Il est institué auprès du représentant de l'État, dans chaque département, une conférence de dialogue compétente, en particulier, pour donner un avis sur des cas complexes d'interprétation des normes, de mise en oeuvre de dispositions législatives ou règlementaires, pour identifier les difficultés locales en la matière, pour porter ses difficultés à la connaissance de l'administration centrale et pour faire des propositions de simplification. Elle est saisie par le représentant de l'État dans le département, l'un de ses membres, tout maire ou tout président d'établissement public de coopération intercommunale ».

Cette disposition n'a toutefois pas été retenue dans le texte définitif.

La rapporteure le regrette et réaffirme qu'une telle instance permettrait à tous les acteurs locaux, élus ou fonctionnaires, d'oeuvrer ensemble à améliorer les normes applicables aux collectivités territoriales, fournissant au préfet l'occasion de faire systématiquement remonter à l'administration centrale les difficultés identifiées localement. Un autre intérêt de ce dispositif serait d'améliorer sur le terrain l'application des normes et politiques publiques en permettant l'émergence et en formalisant une parole unique de l'État. En effet, très nombreux sont les élus qui déplorent le ralentissement, la complexification, voire le blocage de leurs projets en raison de normes ou d'injonctions contradictoires de la part de différentes administrations de l'État. Les conséquences financières peuvent être conséquentes, comme indiqué précédemment.

La rapporteure observe toutefois que cette instance de concertation peut être mise en place sans vecteur législatif. C'est pourquoi elle se réjouit que la ministre Dominique Faure se soit engagée, lors de son audition, à expérimenter la création de ces conférences de dialogue avec quelques préfets volontaires. Il conviendra de suivre les modalités de cette expérimentation ainsi que le bilan qui en sera tiré.

2. Donner au préfet autorité sur l'ensemble des services et agences de l'État

Comme indiqué plus haut, la grande majorité des élus déplorent le défaut d'appui des services de l'État dans la conduite de leurs projets, dans le contexte, déjà décrit, de l'inflation normative. En particulier, les petites communes sont trop souvent livrées à elles-mêmes et se trouvent parfois même dans l'ignorance du bon interlocuteur parmi les services de l'État.

D'une manière générale, la mission estime que notre pays a besoin d'un préfet ayant autorité sur l'ensemble des services, agences et opérateurs de l'État, et constituant un couple avec le maire, dans une relation d'écoute et de confiance mutuelles. Il convient, en particulier, de passer d'une logique de contrôle de légalité à celle de conseil aux collectivités territoriales47(*).

3. Renforcer le rôle du préfet et du sous-préfet en matière de conseil et d'ingénierie auprès des petites communes

Un État moderne et soucieux d'accompagner efficacement les collectivités territoriales, en particulier les plus petites d'entre elles, doit savoir jouer à plein sur le registre du conseil, et ce d'autant plus qu'il en va de la prévention de contentieux ultérieurs coûteux en temps et en argent.

Par ailleurs, un récent rapport de la délégation du Sénat aux collectivités territoriales pointe une implication des préfets inégale et partielle en matière d'ingénierie, sujet pourtant majeur pour les collectivités. Il invite ainsi le Gouvernement à délivrer une instruction ministérielle aux préfets pour les remobiliser et les accompagner sur leurs missions de délégué territorial de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT)48(*).

4. Simplifier la procédure relative au droit de dérogation du préfet afin de faciliter l'exercice de cette compétence

Le renforcement du dialogue entre l'État et les collectivités doit enfin conduire à un usage plus actif du pouvoir de dérogation aux normes.

Rappelons, à cet égard, que le décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet confère au représentant de l'État49(*) la possibilité de déroger à des normes arrêtées par l'administration de l'État pour prendre des décisions non règlementaires relevant de sa compétence dans sept matières50(*). Ces matières, relativement étendues, pourraient laisser à penser qu'il existe d'ores et déjà une forme de différentiation territoriale, à l'initiative du préfet mais qui ne peut, dans les faits, se faire qu'en accord avec les collectivités concernées.

Le décret impose toutefois quatre critères, cumulatifs, qui apparaissent particulièrement restrictifs pour les collectivités en ce qu'ils laissent au préfet une marge d'appréciation importante. La dérogation doit, en effet :

- être justifiée par un motif d'intérêt général et l'existence de circonstances locales ;

- avoir pour effet d'alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l'accès aux aides publiques ;

- être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France ;

- ne pas porter atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé.

Peu de situations remplissent intégralement ces conditions, de sorte que le recours à cette dérogation est peu fréquent.

La rapporteure considère qu'il pourrait être envisagé, pour contribuer à la « respiration des territoires », de modifier ce décret pour rendre alternatifs les critères de motif d'intérêt général, d'une part, et l'existence de circonstances locales, d'autre part. De même, la frilosité du corps préfectoral sur le sujet, qu'on peut comprendre compte tenu de réflexes profondément ancrés, doit aujourd'hui être dépassée. Le 10 mai 2023, la Première ministre elle-même a constaté51(*) que le recours aux arrêtés de dérogation aux normes par les préfets était insuffisamment utilisé : avec 311 recours depuis 2020, cela représente approximativement une utilisation par an et par département depuis la publication du décret.

Au-delà de la simplification des critères qu'elle appelle de ses voeux, la rapporteure plaide également pour que les préfets se saisissent réellement du mécanisme. La Première ministre a ainsi demandé à tous les hauts fonctionnaires « d'assumer la différenciation, l'expérimentation, le tâtonnement », plaidant pour un « droit à l'erreur ». La rapporteure se réjouit de cette prise de conscience et formule le souhait que ces directives nouvelles trouvent leur concrétisation dans un recours plus marqué au décret du 8 avril 2020.

Cette évolution ne constituerait que le prolongement d'une règle existant déjà dans les départements d'outre-mer où la capacité à adapter le droit national52(*) ne porte pas atteinte à l'unité de la Nation. Tout en étant assortie des garde-fous nécessaires, en maintenant une initiative préfectorale, cette facilitation du droit d'adaptation contribuerait à atténuer, pour partie, le poids des normes et donc leur impact financier.

Recommandation n° 2 : Renforcer le dialogue État / collectivités dans les territoires

1. Mettre en place, à titre expérimental, dans certains départements, des conférences de dialogue, placées sous l'égide des préfets ou sous-préfets.

2. Donner au préfet autorité sur l'ensemble des services et agences de l'État.

3. Renforcer son rôle et celui du sous-préfet en matière de conseil et d'ingénierie auprès des petites communes.

4. Simplifier la procédure relative au droit de dérogation du préfet afin de faciliter l'exercice de cette compétence.

C. DÉVELOPPER LES EXPÉRIMENTATIONS ET LA DIFFÉRENCIATION TERRITORIALE

Par définition, les normes ont une portée générale. L'égalité des sujets de droit devant la loi, qui constitue un critère, parmi d'autres, de l'État de droit, suppose que les règles empruntent une forme impersonnelle. Le législateur et tout titulaire d'un pouvoir règlementaire cherchent donc à englober des situations variées lorsqu'ils définissent des règles. Cet état de fait conduit inéluctablement des collectivités à appliquer des règles qui n'ont pas nécessairement été édictées, et donc pensées, en premier lieu pour elles. Il faut ainsi trouver un équilibre entre la vocation généraliste de la règle et de potentiels « effets collatéraux » résultant d'une application trop mécanique. Cette marge d'adaptation constitue un interstice étroit en France où l'homogénéité absolue de la norme est perçue comme un gage d'égalité. C'est pourquoi les mécanismes qui existent d'ores et déjà pour tenir compte de la réalité territoriale, et atténuer les effets liés à l'homogénéité de la règle, sont relativement peu employés.

La rapporteure prône un recours plus fréquent à ces dispositifs et considère que l'homogénéité trop stricte du droit porte davantage atteinte à l'unité nationale, en suscitant du ressentiment, que le droit de recourir à des ajustements locaux, justifiés et encadrés. Contrairement à une partie de la doctrine53(*), elle considère qu'il ne serait pas porté atteinte au principe d'égalité, compte tenu de l'existence de différences objectives dans les situations initiales.

1. Privilégier les expérimentations au niveau local

Le recours aux expérimentations au niveau local sur l'ensemble du territoire national54(*) a été ouvert à la suite de l'adoption de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. Cette dernière ouvre une double faculté d'expérimentation conférée, d'une part, au législateur national et au pouvoir règlementaire, qui peuvent expérimenter un dispositif législatif ou règlementaire sur une portion du territoire, et d'autre part aux collectivités territoriales elles-mêmes qui peuvent, de façon très encadrée, procéder à des expérimentations dans le domaine règlementaire sur le modèle de l'expérimentation dans le domaine législatif.

Le premier cas de figure a été ouvert par l'introduction d'un article 37-1 dans la Constitution aux termes duquel « La loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ». Le recours à ce mécanisme n'est pas rare mais la rapporteure constate que les décideurs publics devraient davantage objectiver les conséquences tirées de ces expérimentations. Il est, en effet, encore trop fréquent que des dispositifs soient généralisés avant la fin d'une expérimentation ou, à l'inverse, que les dysfonctionnements constatés à l'occasion d'une expérimentation ne soit pas pris en compte. Pour le formuler autrement, la rapporteure considère le couple expérimentation-évaluation comme indissociable. Il est par exemple regrettable que l'expérimentation relative au Revenu de solidarité active (RSA) ait été généralisée le 1er juin 2009 sans une évaluation complète et fiable de l'expérimentation qui avait été conduite dans une trentaine de départements volontaires entre 2007 et 2009. Cette méthode n'est pas étrangère aux dysfonctionnements qui ont par la suite été rencontrés et qui conduisent aujourd'hui à un mouvement de balancier inverse qui consiste à expérimenter le rebasculement à l'échelon national de la gestion du RSA dans certains départements.

Le second cas de figure, l'expérimentation règlementaire décidée par les collectivités territoriales elles-mêmes, est globalement moins fréquent en raison des critères, volontairement restrictifs, initialement mis en place. La loi organique n° 2003-704 du 1er août 2003 relative à l'expérimentation par les collectivités territoriales avait dans un premier temps calqué le cadre de l'expérimentation ouverte aux collectivités territoriales dans le domaine règlementaire sur celui de l'expérimentation dans le domaine législatif55(*).

La loi pouvait autoriser une expérimentation en précisant son objet, sa durée (plafonnée à cinq ans), les caractéristiques des collectivités territoriales en droit d'y recourir et éventuellement les dispositions non contournables. Sur cette base, les collectivités manifestaient leur intention par l'adoption d'une délibération motivée. Puis le gouvernement fixait, par décret, la liste des collectivités admises à expérimenter. Seules quatre expérimentations avaient été conduites dans ce cadre, dont trois ont été généralisées (revenu de solidarité active, tarification sociale de l'eau et accès à l'apprentissage jusqu'à l'âge de 30 ans).

Le législateur organique a permis aux collectivités de se saisir davantage des opportunités ouvertes par l'expérimentation du fait de l'adoption de la loi organique n° 2021-467 du 19 avril 2021 relative à la simplification des expérimentations mises en oeuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution.

Il suffit désormais aux collectivités territoriales ou leurs groupements, de décider par une simple délibération, de recourir à une expérimentation. Le législateur organique a par ailleurs assoupli le contrôle de légalité sur les actes des collectivités adoptés dans le cadre d'une expérimentation.

Quel que soit le cadre expérimental retenu, des exemples d'expérimentation réussie existent, en matière financière notamment. L'expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales, toujours en cours mais dont l'issue approche, constituera probablement à terme un exemple de bonne pratique. En l'espèce, après une phase d'élaboration du dispositif conduite par les chambres régionales et territoriales des comptes pendant une durée de trois ans, puis des « audits à blanc », des collectivités territoriales de toute taille ont pu, sur la base du volontariat, tester la certification de leurs comptes. Sur cette base, une généralisation est aujourd'hui envisageable, sous réserve de pouvoir déterminer les strates de collectivités concernées : l'expérimentation semble en voie de confirmer, sans grande surprise, que les communes de petite taille n'ont pas vocation à faire certifier leur compte par un commissaire aux comptes. L'expérimentation du compte financier unique pour les collectivités devrait suivre la même voie. Ces bonnes pratiques supposent que les élus acceptent le recours au temps long, pas toujours indexé sur le temps de la communication politique.

Par ailleurs, la rapporteure considère que le pacte de confiance entre la Loi d'une part et le pouvoir règlementaire d'autre part a vocation à être repensé.

En premier lieu, elle considère que les décideurs nationaux, qu'il s'agisse de la Présidence de la République, du Gouvernement ou du Parlement, semblent avoir oublié le caractère général de la Loi. Rappelons que l'article 34 opère en théorie une distinction entre des matières pour lesquelles la Loi fixe les règles, principalement des compétences régaliennes, et des matières pour lesquelles la Loi ne détermine que des « principes fondamentaux », comme la préservation de l'environnement. Or, dans la pratique, les règles relatives à cette seconde catégorie sont tout aussi précises que les premières, les privant de la souplesse du Règlement. Il apparaitrait bien plus opportun de ramener la loi à ses objectifs.

En second lieu, elle souligne la nécessité de corréler cette nouvelle approche de la loi à l'instauration d'un pouvoir règlementaire local, à qui serait confié le soin de déterminer les moyens les plus propices d'atteindre les objectifs fixés par la loi. Les territoires, auxquels il faut faire davantage confiance, sont les entités les plus à-mêmes de déterminer comment atteindre localement des objectifs qui resteraient nationaux. Là encore, un tel changement d'approche suppose que la France se dote d'outils d'évaluation fiables, objectifs et nationaux pour vérifier que les règles sont respectées sur l'ensemble du territoire. La rapporteure considère en tout état de cause qu'il s'agit de la voie la plus propice pour éviter les effets pervers de règles à la fois trop précises et trop homogènes.

Enfin, la rapporteure plaide pour la prise en compte d'une voie médiane entre la cessation d'une expérimentation et, à l'opposé, sa généralisation : une expérimentation peut avoir fonctionné sur un territoire et avoir vocation à y être pérennisée sans nécessairement être généralisée sur l'ensemble du territoire. À ce titre, l'option consistant à laisser les collectivités déterminer si elles souhaitent exercer certaines compétences ou si celles-ci doivent relever de l'échelon national constitue une voie de réflexion, en particulier pour les politiques publiques donnant lieu aux disparités territoriales les plus fortes.

Recommandation n° 3 : Privilégier les expérimentations avant toute réforme impactant les collectivités.

2. Donner aux collectivités davantage de visibilité budgétaire

À défaut d'une systématisation des expérimentations, les décisions prises unilatéralement doivent être assorties de garanties fortes pour prévenir les collectivités contre des facteurs déstabilisants. La rapporteure considère que la libre administration des collectivités suppose de garantir la prévisibilité de leur cadre budgétaire. Il n'est ainsi pas acceptable d'imposer, en cours d'exercice, des mesures qui portent atteinte à leur équilibre budgétaire.

L'augmentation du point d'indice56(*) des agents de la fonction publique de 3,5 %, passant de 4,68 euros à 4, 85003 euros en cours d'année, constitue un exemple récent de ce qu'il convient d'éviter. Sans se prononcer sur le fond, et sur la probable nécessité de revaloriser les carrières des agents publics, annoncer « l'augmentation la plus forte depuis 1985 du point d'indice » le 28 juin, pour une réforme effective au 1er juillet, contribue à rompre le pacte de confiance entre l'État est les collectivités et porte atteinte à la libre administration des collectivités. Prendre la même décision six mois plus tôt ou six mois plus tard, après des années de gel, aurait au moins laissé aux collectivités la possibilité de s'organiser en conséquence, à défaut de répondre au problème du financement. C'est pourquoi la rapporteure préconise de calquer les décisions ayant un impact significatif sur les collectivités sur un exercice budgétaire complet afin d'intégrer toute mesure nouvelle d'ampleur dans le budget primitif.

Recommandation n° 4 : Prévoir que les décisions de l'État impactant les finances locales doivent entrer en vigueur avant le vote des budgets locaux, et non en cours d'exercice.

3. Vers une application différenciée de certaines normes et décisions

Ces dernières années ont été marquées par une forme de recentralisation qui ne dit pas son nom, comme l'a souligné M. David LISNARD, président de l'Association des maires de France, dans le cadre des États généraux de la simplification, organisés au Sénat le 16 mars 2023 : « L'action publique, ce n'est pas seulement définir un cadre, c'est aussi exécuter, et la grande difficulté c'est que l'exécutif s'occupe moins d'exécuter que de légiférer (...) Il faudrait en effet revenir à de grandes dispositions et de grandes lois qui fixent des objectifs, avec des évaluations, des clauses de rendez-vous. La loi serait la même pour tout le monde, et sa mise en oeuvre dépendrait d'un pouvoir règlementaire qui serait transféré aux collectivités selon le type de loi et l'objectif. Cela changerait tout. Lorsque nous ne sommes pas dans l'exigence du praticien, nous ne pouvons produire que des textes déconnectés de la réalité des objectifs, comme un médecin qui ne voit jamais un malade (...) Laissons un pouvoir règlementaire aux collectivités territoriales, respectueux de grandes dispositions dans le public et de droits, et vous verrez que nous aurons beaucoup moins de production normative, beaucoup plus d'actions publiques et de démocratie »57(*).

Toutes les associations d'élus locaux entendues dans le cadre de la présente mission d'information plaident également pour laisser une marge de manoeuvre plus importante aux collectivités, par le biais d'une systématisation du principe de différenciation territoriale. Les grands principes et les objectifs fixés par la Loi demeureraient en vigueur sur le territoire national dans son ensemble, avec davantage de Loi-cadre, mais une marge d'appréciation plus importante permettrait aux collectivités de déterminer les moyens les plus efficients de les atteindre, dans un cadre limitativement énuméré.

Plusieurs travaux parlementaires soulignent ainsi la « nécessité de rompre radicalement avec la « méthode descendante qui a prévalu jusqu'ici au profit d'une approche territorialisée et concertée »58(*).

La combinaison du recours élargi aux expérimentations et d'une différenciation territoriale mesurée pourrait ainsi conduire à décliner les politiques publiques en fonction des réalités territoriales, tout en conservant des objectifs nationaux. D'une certaine manière, c'est déjà le cas, pour des raisons historiques sur une partie du territoire hexagonal : le Conseil constitutionnel a par exemple érigé le droit local dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle en principe fondamental reconnu par les lois de la République. Il a ainsi proclamé, dans une décision59(*) du 5 août 2011 :

« Considérant qu'ainsi, la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 a consacré le principe selon lequel, tant qu'elles n'ont pas été remplacées par les dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles, des dispositions législatives et règlementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle peuvent demeurer en vigueur ; qu'à défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d'application n'est pas élargi ; que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de dispositions particulières applicables dans les trois départements dont il s'agit ; que ce principe doit aussi être concilié avec les autres exigences constitutionnelles ; ».

Cette spécificité du droit local alsacien et mosellan conduit à rendre applicables des textes issus du droit français antérieur à 1870 mais conservé par la suite, du droit allemand appliqué entre 1870 et 1918 et du droit français postérieur à 1918 dans des matières comme le régime des cultes, le régime de l'artisanat, la législation sociale, le droit du travail ou encore la chasse. Ces particularités ne portent pas atteinte au droit national dans la mesure où elles ne constituent que des déclinaisons locales de principes qui restent pour leur part nationaux et la rapporteure considère que ce qui peut se justifier aujourd'hui pour des raisons historiques dans certains territoires, peut également être pertinent pour des raisons d'efficience sur l'ensemble du territoire national.

Comme l'ont souligné plusieurs personnes auditionnées, la libre administration ne se traduit pas que par des transferts, mais doit être accompagnée des moyens juridiques d'assumer efficacement ces nouvelles compétences et de les rendre compatibles avec les réalités locales. C'est par exemple le sens de l'intervention de M. Philippe BAILBÉ, délégué général de Régions de France, lors de son audition60(*) par la mission :

« Les libertés locales ne se traduisent pas seulement au travers des constructions ou des compétences transférées, mais aussi au travers de la capacité technique, juridique et budgétaire à les exercer. La liberté à s'administrer est contrôlée, parfois empêchée. Surtout, elle ne permet pas le plein exercice de la démocratie de proximité et la mise en oeuvre de leur projet par les élus. »

La rapporteure plaide ainsi pour repenser la philosophie globale de la prise de décision politique en France. Elle fait sienne la remarque de M. Antoine HOMÉ, entendu au titre de l'association des petites villes de France : « Le Squelette de l'État jacobin demeure mais ses moyens ont disparu, il nous faut repenser la prise de décision au regard de cette nouvelle réalité ».

D. METTRE EN PLACE UN DIALOGUE RÉNOVÉ SUR LES DÉCISIONS BUDGÉTAIRES AFIN D'ACCROITRE LA VISIBILITÉ DES COLLECTIVITÉS SUR LEURS RESSOURCES

Au-delà de la contrainte budgétaire que les élus ont intégrée avec résilience, ce qui pèse le plus sur l'action locale est l'incertitude sur l'évolution des ressources, leur pérennité et leur dynamisme.

Dans ce contexte, les évolutions présentées ci-dessous ont vocation à redonner une visibilité aux collectivités sur l'évolution de leurs finances et à réinstaurer une relation de confiance entre ces dernières et l'État.

1. Prévoir des clauses de réexamen pour améliorer la compensation des transferts de compétences
a) Les modalités actuelles de compensation des transferts de compétences

 L'article 72-2 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, prévoit que « tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ».

Cette obligation constitutionnelle est précisée par les articles L. 1614-1 à L. 1614-7 du code général des collectivités territoriales (CGCT).

Selon une jurisprudence constitutionnelle constante61(*), il en découle que, lorsque l'État transfère aux collectivités territoriales des compétences auparavant exercées par lui, le législateur est tenu de compenser celles-ci « au coût historique » par l'attribution des ressources correspondant aux charges constatées à la date du transfert. Le montant de ces charges constitue ainsi un droit à compensation (DAC). Fixé de manière définitive au moment du transfert, le DAC n'est pas évolutif, quand bien même les charges liées à l'exercice de la compétence par la collectivité territoriale augmenteraient ou diminueraient62(*).

Les créations et extensions de compétences relèvent, pour leur part, d'un régime juridique distinct, n'imposant pas de compensation intégrale des charges qui en résultent. La Constitution impose uniquement au législateur, dès lors que l'exercice de ces compétences revêt un caractère obligatoire, d'attribuer de nouvelles ressources. Le Conseil constitutionnel se borne à vérifier que ces modalités de compensation retenues n'ont pas pour effet de dénaturer le principe de libre administration63(*).

Enfin, les modifications par voie règlementaire des règles relatives à l'exercice d'une compétence obligatoire transférée impliquent une compensation intégrale de la charge qui en résulte à la date à laquelle la modification intervient (coût historique)64(*).

La compensation des transferts de compétences peut prendre plusieurs formes :

un transfert de fiscalité (32,5 milliards d'euros), notamment via l'attribution aux collectivités de fractions de l'accise sur les énergies (ex-taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques - TICPE) ou via la taxe spéciale sur les conventions d'assurance (TSCA) ;

- des dotations financées sur crédits budgétaires, avec notamment les dotations générales de décentralisation (DGD) et dotations de compensation aux territoires ultra-marins (1,6 milliard d'euros) relevant de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », mais aussi des subventions d'autres ministères65(*) ;

- de prélèvements sur les recettes (PSR) de l'État (1,5 milliard d'euros)66(*).

Il est à noter que le financement des transferts de compétences par de la fiscalité transférée est assis sur un mécanisme de garantie permettant de maintenir le montant du DAC initialement défini :

- lorsque le produit de la fiscalité transférée ne permet pas de couvrir le montant du DAC, l'État doit procéder à l'attribution à due concurrence d'une part supplémentaire du produit de cet impôt67(*) ;

- lorsque le produit de la fiscalité est supérieur au droit à compensation constitutionnellement garanti, le bénéfice en reste acquis aux collectivités qui reçoivent alors une « surcompensation » des charges transférées. Celle-ci est estimée à environ 1 milliard d'euros en 2021. Cette notion de « surcompensation », utilisée par le Gouvernement est toutefois trompeuse puisqu'elle se rapporte au montant du DAC, soit au coût historique, et non au coût effectif de l'exercice de la compétence à date.

Le principe de compensation au coût historique des compétences transférées est cependant aujourd'hui fortement remis en cause par les collectivités territoriales dans la mesure où l'exercice de certaines compétences a impliqué de faire face à des charges fortement dynamiques, excédant largement la compensation au coût historique et, de fait, est venu porter atteinte à leur libre administration.

Le cas le plus emblématique est celui de l'exercice de la compétence d'aide et d'action sociale par les départements. Les départements font face est, en effet, à la dynamique des allocations individuelles de solidarité (AIS) que sont le revenu de solidarité active (RSA), l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH). Leur coût global s'élevait à près de 20 milliards d'euros en 2021. Compte tenu de la hausse du nombre de bénéficiaires par rapport à la date des transferts de compétences, les compensations historiques ne couvraient en 2021 que 45 % de la charge soit environ 9 milliards d'euros laissant ainsi un reste à la charge des départements de 11 milliards d'euros.

Le cas du RSA illustre également bien la problématique liée de la compensation des charges supplémentaires issues d'une modification des règles relatives à l'exercice d'une compétence. Les cinq décrets de revalorisation du montant de la prestation pris entre 2013 et 2017, sans effet sur le DAC, ont en effet donné lieu à la mise en place de trois ressources nouvelles : un dispositif de compensation péréquée (DCP) financé sur les frais de gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), un fonds de solidarité départementale (FSD) et un relèvement du taux plafond des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Certes, ces nouvelles ressources ont, selon le Gouvernement, permis d'atteindre un taux de couverture des dépenses de 84 %68(*), mais il convient de relever que celles-ci, pour l'essentiel, ne proviennent pas de l'État mais de la péréquation horizontale (FSD) ou du pouvoir fiscal des départements (relèvement du taux plafond des DMTO), le DAC étant resté inchangé.

L'alourdissement tendanciel des charges imputables aux compétences transférées trouve également une illustration dans l'exercice de la compétence de gestion des collèges (par les départements) et des lycées (par les régions). Ces compétences transférées en 198369(*) et élargies en 200470(*) ont donné lieu à un DAC de 3,9 milliards d'euros. Or, d'après les estimations de la direction générale des collectivités locales, l'exercice de ces compétences mobilise 11 milliards d'euros en 2021 répartis comme suit :

- 5 milliards d'euros pour les collèges pour un DAC de 1,7 milliard d'euros soit un reste à charge de 3,3 milliards d'euros ;

- 5,9 milliards d'euros pour les lycées pour un DAC de 2,2 milliards d'euros soit un reste à charge de 3,7 milliards d'euros.

Le reste à charge pour les collectivités est tel pour le transfert de certaines compétences que des élus évoquent désormais un transfert de charges et non de compétences. Ainsi, Jean-Léonce Dupont, président du département du Calvados, a fait référence, lors de son audition, aux transferts d'une partie des routes nationales aux départements par décision ministérielle du 4 janvier 2023 prise en application de la loi du 21 février 2022 dite « 3DS ». Au total, ce sont 16 départements et 3 métropoles qui se verront transférer un linéaire cumulé de 1360 kilomètres du réseau routier national.

b) Les évolutions envisagées pour une compensation tenant mieux compte de l'évolution des charges

Comme vu supra, la compensation des compétences soulève actuellement deux difficultés majeures :

- les transferts de compétences sont compensés au coût historique sans prise en compte des évolutions tendancielles futures des charges qui en découlent et donc des charges réellement supportées par les collectivités ;

- les créations et extensions de compétences font l'objet de ressources nouvelles sans que leur niveau ne corresponde nécessairement aux charges réelles générées par ces nouvelles compétences. Cette formulation pour le moins vague se justifie partiellement par le fait qu'il est difficile, en amont de la création ou de l'extension d'une compétence, de calculer la charge réelle qu'elle représentera pour les collectivités notamment dans le respect du principe de libre administration. Pour autant, il apparait absolument nécessaire à la rapporteure de préciser les contours de cette compensation afin que son montant soit le plus en cohérence possible avec la charge créée.

Dans ce contexte, plusieurs dispositions ont déjà été examinées au Sénat, sans suite ultérieure à ce stade. C'est notamment le cas de la proposition de loi constitutionnelle dite « Bas-Bockel » adoptée par le Sénat le 20 octobre 2020 qui prévoyait deux évolutions substantielles :

- que « toute création ou extension de compétences ou toute modification des conditions d'exercice des compétences des collectivités territoriales résultant d'une décision de l'État et ayant pour effet d'augmenter les dépenses de celles-ci est accompagnée de ressources équivalentes au montant estimé de cette augmentation » ;

- que « les ressources attribuées pour la compensation des transferts, créations, extensions ou modifications de compétences font l'objet d'une réévaluation régulière ».

La mission recommande donc l'adoption par l'Assemblée nationale de ces deux dispositions issues du texte précité71(*).

Recommandation n° 5 : Inscrire dans la Constitution que toute création ou extension de compétences ou toute modification des conditions d'exercice des compétences des collectivités territoriales résultant d'une décision de l'État et ayant pour effet d'augmenter les dépenses de celles-ci est accompagnée de ressources équivalentes au montant estimé de cette augmentation.

Si la mise en oeuvre de cette première recommandation ne garantit pas une juste compensation en raison de la faible fiabilité des études d'impact ex ante, elle permet à tout le moins de soulever la question de la compensation des créations et extensions de compétences.

Recommandation n° 6 : Mettre en place un réexamen régulier, selon une récurrence à définir mais a minima tous les 5 ans, des droits à compensation pour tenir compte du dynamisme naturel des charges liées à un transfert, création, extension ou modification des conditions d'exercice d'une compétence résultant d'une décision de l'État induisant une hausse des charges des collectivités territoriales.

Ces deux propositions font l'objet d'une attente unanime des élus locaux mais pourrait se heurter, selon les administrations centrales, à certaines difficultés.

En effet, la logique d'attribution de ressources libres d'emploi au coût historique permettrait aux collectivités territoriales de décider, selon un arbitrage entre ses différentes compétences, d'y consacrer davantage ou au contraire moins de moyens, et la compensation financière des compétences transférées n'a donc pas vocation à évoluer en fonction de choix politiques opérés en responsabilité par les élus locaux.

Cet obstacle n'est cependant pas dirimant dans la mesure où ce réexamen n'aurait pas de caractère mécanique notamment pour définir le nouveau DAC et permettrait ainsi de neutraliser les évolutions de charges découlant de choix d'opportunité politique.

Par ailleurs, un tel obstacle n'est pas opposable pour les compétences pour lesquelles la charge évolue en fonction de facteurs exogènes s'imposant aux collectivités territoriales. Il en va notamment du nombre de bénéficiaires des AIS, corrélée à l'évolution de la pauvreté et de la dépendance et aux revalorisations des prestations sociales décidées par l'État et non pas par les collectivités, ou encore de la charge de gestion des établissements scolaires, corrélée, pour partie, aux évolutions démographiques.

Le second argument, d'ordre technique, tient à la difficulté à estimer de façon fiable la charge associée à l'exercice d'une compétence par une collectivité donnée et, partant, à l'ensemble des collectivités. Le problème se pose avec une acuité particulière pour le bloc communal, compte tenu du nombre d'entités concernées. Si cette difficulté est réelle, elle ne doit pourtant pas être considérée comme un argument d'autorité pour une fin de non-recevoir et doit pouvoir être surmontée par un dialogue entre les collectivités et l'État.

2. Vers de nouvelles marges de manoeuvre pour renforcer l'autonomie fiscale des collectivités

Comme vu supra les récentes réformes de la fiscalité locale ont détérioré l'autonomie fiscale des collectivités territoriales, cette dernière s'établissant désormais, après le remplacement de la CVAE, par une part d'impôt national partagé (TVA), à 40,7 % pour le bloc communal, 24,8 % pour les départements et 31,8 % pour les régions.

Pour autant, leur autonomie financière a augmenté ces dernières années. En effet, d'après les données issues du dernier rapport pris en application de l'article 5 de la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 et relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales, le ratio d'autonomie financière s'élève à 70,9 % pour le bloc communal, 74,7 % pour les départements et 73,9 % pour les régions.

Ratio d'autonomie financière en 2020

(en milliards d'euros)

 

Communes et EPCI

Départements

Régions

Ressources propres

94,3

50,5

24,6

Autres ressources

38,7

17,1

8,7

Ressources totales

133,0

67,6

33,2

Ratio en %

70,9 %

74,7 %

73,9 %

Source : rapport 2022 pris en application de l'article 5 de la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 et relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales

Entre 2003, année de référence, et 2020, ce ratio a augmenté de plus de 10 points pour le bloc communal, de 16 points pour les départements et de plus de 32 points pour les régions.

Évolution du ratio d'autonomie financière entre 2003 et 2020

(en pourcentage)

Source : rapport 2022 pris en application de l'article 5 de la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 et relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales

La principale difficulté réside dans le fait que la loi ne reconnait que l'autonomie financière des collectivités et non celui d'autonomie fiscale. Or, l'autonomie financière est définie en se basant sur une acception large de la notion de ressources propres.

En effet, la loi organique du 29 juillet 2004 prise en application de l'article 72-2 de la Constitution relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales définit les recettes fiscales comme le « produit des impositions de toutes natures dont la loi autorise les collectivités à fixer l'assiette, le taux ou le tarif, ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette ».

Cette définition couvre non seulement les impositions dont les collectivités fixent l'assiette ou le taux mais également les impôts partagés entre l'État et les collectivités territoriales, à la condition que le mode de répartition retenu par le législateur maintienne un lien avec les collectivités concernées, par le biais du taux ou de l'assiette.

Le législateur organique a donc retenu une définition large de la ressource propre, en y incluant non seulement les ressources fiscales sur lesquelles les collectivités ont un certain pouvoir, mais aussi celles sur lesquelles elles n'ont aucune prise.

Il en résulte que l'ensemble des impôts (locaux et nationaux) affectés aux collectivités sont considérés comme des ressources propres.

Par ailleurs, la part des ressources propres sur les ressources totales72(*) doit être déterminante conformément à l'article 72-2 alinéa 3 de la Constitution qui précise que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en oeuvre ».

À cet égard, le dernier alinéa de l'article LO 1114-3 précise le ratio minimal de ressources propres permettant de considérer que celles-ci constituent une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources : « Pour chaque catégorie, la part des ressources propres ne peut être inférieure au niveau constaté au titre de l'année 2003 ».

En 2003, le niveau des ressources propres de chaque catégorie de collectivité était de 60,8 % pour le bloc communal, 58,6 % pour les départements et 41,7 % pour les régions. Par conséquent, le ratio des ressources propres de chaque catégorie ne saurait tomber, pour une année donnée, en dessous de ces seuils.

Or, cette définition est antérieure aux réformes de la fiscalité locale intervenue entre 2010 et 2022 (suppression de la taxe professionnelle, suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, suppression de la CVAE).

Aussi, il en résulte que même si le ratio d'autonomie financière a augmenté depuis 2003, cette progression, comme le souligne la Cour des comptes, ne rend pas compte de la perception des élus locaux d'une perte de maitrise de leurs ressources en raison de la part croissante de la fiscalité nationale au sein de leurs ressources propres. Cette dépendance aux dotations et à la fiscalité nationale transférée a d'ailleurs été qualifiée par André Laignel, lors de son audition, comme « la forme la plus vicieuse de tutelle ».

De manière régulière les élus rappellent l'importance de l'impôt local dans le lien démocratique entre la collectivité et le citoyen en ce qu'il permet une prise de conscience sur le coût des services publics et leur financement.

Des pistes doivent donc être envisagées pour améliorer le niveau d'autonomie fiscale mais doivent être analysées avec prudence car nombre d'entre elles consisteraient à recréer des impôts locaux dans un contexte où la tendance est à la baisse des prélèvements obligatoires et où ce principe serait difficilement accepté par les citoyens confrontés à une baisse de leur pouvoir d'achat dans un contexte inflationniste.

Des pistes intermédiaires sont cependant possibles et doivent être privilégiées pour améliorer l'autonomie fiscale des collectivités et à tout le moins de légitimer les impôts locaux existants. Il s'agit notamment :

- d'accélérer la révision des valeurs locatives cadastrales dont le calendrier a fait l'objet d'un report lors de l'examen de la loi de finances pour 2023 malgré l'avis défavorable du Sénat. En effet, cette révision n'a de cesse d'être reportée depuis plusieurs années alors qu'elle permettrait d'une part de redynamiser les bases et, d'autre part, de redonner de la cohérence entre l'impôt foncier et la valeur des biens ;

- d'assouplir les règles de plafonnement et de liaison des taux, ce qui permettrait de redonner des marges de manoeuvre aux élus locaux. Cette évolution permettrait une plus grande liberté d'action des élus locaux pour faire varier les taux de taxes foncières et d'habitation sur les résidences secondaires.

Recommandation n° 7 : Accélérer la révision des valeurs locatives cadastrales.

Recommandation n° 8 : Assouplir les règles de plafonnement et de liaison des taux des impôts locaux.

Les pistes d'évolution concernant les décisions budgétaires, afin de redonner de la visibilité aux collectivités sur leurs ressources, sont nombreuses. Dans tous les cas, leur mise en oeuvre nécessitera un dialogue apaisé et approfondi entre l'État, les collectivités et les parlementaires.

3. Une réforme en profondeur de la DGF, préalable nécessaire à son indexation qui permettrait de couvrir partiellement les coûts générés par les décisions règlementaires et accroitrait la visibilité des collectivités

Comme vu supra, les modalités de répartition de la DGF reposent sur de nombreux critères (cf. annexe 2) et cette dernière est composée de 12 parts.

Cette complexité suscite chaque année l'interrogation de nombreux élus locaux face à une hausse ou à une baisse de leur DGF. Aussi, certains élus s'interrogent, à juste titre, quant à la variation du montant de la DGF qui peut être observée pour des communes de même strate et de même niveau d'imposition.

Son fonctionnement actuel rend ainsi cette dotation, la principale en montant versée par l'État aux collectivités, peu lisible pour les communes, qui en anticipent mal le montant et les variations, entraînant dès lors une déconnexion avec leurs besoins.

Il parait donc indispensable à la rapporteure d'opérer une réforme d'ensemble des modalités d'attribution avec pour objectif une simplification des critères servant à son calcul.

Cette refonte est un préalable nécessaire pour envisager ensuite une indexation de cette dernière sur l'inflation, indexation qui pourrait alors représenter une solution pour couvrir une partie de la hausse des charges des collectivités.

Cette indexation a d'ailleurs été largement débattue lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023 et est demandée par de nombreux élus.

À cet égard, lors de son audition, André Laignel rappelait que « la DGF n'est pourtant pas une gratification, ni une amabilité, c'est un dû ; elle doit être en euro constant. Bercy nous dit que les montants sont stables depuis dix ans, c'est vrai ; mais ce qui peut s'entendre quand l'inflation est à 1 % ne l'est plus avec 7,1 % d'inflation pour l'an passé, et peut-être 5 % cette année : quand Bercy se félicite d'une augmentation de 1,76 %, nous voyons, nous, que nous perdons encore du « pouvoir d'action », c'est une évidence ».

Recommandation n° 9 : Revoir les modalités de répartition de la DGF en profondeur, préalable nécessaire à une indexation de cette dernière sur l'inflation.

Cette indexation permettrait de couvrir partiellement les coûts générés par les décisions règlementaires et accroitrait la visibilité des collectivités. Son coût estimé serait de l'ordre de 1,3 milliard d'euros avec une inflation à 5 %.

4. Un dialogue à mettre en place concernant les compensations d'exonérations fiscales

Les exonérations fiscales décidées par l'État ne sont actuellement compensées que partiellement sous la forme de prélèvements sur recettes.

Ce reste à charge pour les collectivités s'explique essentiellement par deux raisons principales.

Tout d'abord, le calcul du remboursement des exonérations se base sur des taux historiques figés à un instant T. Il en résulte que l'État ne compense jamais à 100 % les exonérations de fiscalité locale qu'il a mises en place. En effet, la plupart de ces compensations sont calculées en prenant en compte l'évolution des bases de fiscalité multipliées par le taux constaté au moment de la mise en place de l'exonération. Ainsi, la compensation prendra en compte l'évolution des bases fiscales de la collectivité en excluant la dynamique de taux choisi par la collectivité laissant à sa charge le delta.

Ensuite, les compensations d'exonérations de fiscalité locale sont utilisées par le législateur comme variables d'ajustement de politiques décidées par l'État (cf. supra).

Au fil des ans, les compensations attribuées par l'État aux collectivités territoriales pour les exonérations de fiscalité locale votées par le Parlement se réduisent considérablement. L'écart entre les montants exonérés par l'État et les compensations perçues par les collectivités locales se creuse, conduisant celles-ci à supporter une perte de recettes fiscales et à financer pour partie les allègements fiscaux accordés par l'État.

D'après le rapport 2022 sur « le coût pour les collectivités des mesures d'exonération et d'abattement d'impôts directs locaux » remis par le Gouvernement au Parlement en application des dispositions de l'article 33 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, les montants compensés en 2021 étaient les suivants :

- pour les communes, une compensation de 2,15 milliards d'euros pour des exonérations totales de 4 milliards d'euros soit un reste à charge pour les communes de 1,85 milliard d'euros ;

- pour les EPCI, une compensation de 1,88 milliard d'euros pour des exonérations totales de 2,1 milliards d'euros soit un reste à charge pour les communes de 220 millions d'euros.

Dans ce contexte, et sans envisager de nouvelles modalités de calcul tenant compte de la hausse des taux qui serait complexe à mettre en place collectivité par collectivité, la mission recommande la mise en place d'un dialogue sur ces compensations et leur modalité d'évolution et, dans tous les cas, la fin de la pratique des minorations des variables d'ajustement.

Recommandation n° 10 : Mettre en place un dialogue entre l'État et les collectivités sur les modalités de compensation des exonérations fiscales et mettre fin à la pratique de minoration des variables d'ajustement.

CONCLUSION GÉNÉRALE

De nombreuses décisions de l'État, qu'elles soient de nature budgétaire ou règlementaire, placent les collectivités, et singulièrement les plus petites d'entre elles, dans une situation difficilement soutenable financièrement et qui accentue le sentiment général de découragement et de « désenchantement » chez les élus locaux. Certains d'entre eux considèrent qu'ils sont devenus des « auxiliaires » ou des « opérateurs » de l'État et qu'ils se retrouvent de facto privés de marges de manoeuvre pour conduire les politiques publiques locales pour lesquelles ils ont été élus.

Seule une forte volonté politique permettra de redonner aux élus le « pouvoir d'agir », au coeur des principes de libre administration et de l'efficacité de l'action publique locale jusqu'au dernier kilomètre.

Ainsi, le Sénat et le Gouvernement ont signé, le 16 mars 2023, une charte inédite d'engagements, à l'occasion des États généraux de la simplification. D'autres acteurs de la norme pourraient rejoindre cette démarche. Cette charte constitue un pacte de confiance et de responsabilité qui doit contribuer à une rénovation des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales.

Lors de son audition, Dominique Faure, ministre en charge des collectivités territoriales a confirmé cette démarche, annonçant en outre la création expérimentale de conférences de dialogue élus / préfets, instances dont le Sénat souhaitait la création depuis de nombreuses années.

Au regard des enjeux, ces premières étapes devront en appeler d'autres. Gageons que le présent rapport y contribuera.

ANNEXES

Annexe 1 : Liste des réformes ayant un impact sur la fiscalité locale entre 2010 et 2023

Annexe 2 : Liste des critères d'attribution de la DGF (données DGCL de 2015)

EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le mardi 13 juin 2023 sous la présidence de M. Jérôme Bascher, président, la mission d'information a examiné le rapport présenté par Mme Guylène Pantel, rapporteure, sur l'impact des décisions règlementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales.

M. Jérôme Bascher, président de la mission d'information sur l'impact des décisions réglementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales. - Cette mission d'information a été constituée le 1er mars 2023. Depuis, nous avons été actifs car, à la demande de la rapporteure comme de moi-même, notre mission d'information s'était engagée à présenter son rapport à la mi-juin. Nous avons réalisé de nombreuses auditions des représentants des collectivités locales, de l'État, de l'Insee, du Conseil National d'Évaluation des Normes (CNEN) et du Comité des Finances Locales (CFL).

Nous avons également effectué à Lisieux un déplacement qui s'est révélé extrêmement utile. Nous y avons rencontré des élus très engagés, du président du conseil départemental, notre ancien collègue questeur Jean-Léonce Dupont, jusqu'aux maires divers et nombreux de ce département. Nous avons ainsi pu mesurer par exemple que le premier adjoint du maire de Deauville ne partageait pas nécessairement les mêmes préoccupations que le maire d'un petit village du Calvados. Nous avons logiquement conclu nos auditions avec la ministre Dominique Faure. Cette dernière audition a été très ouverte et agréable.

Au Sénat, nous avons travaillé avec la délégation permanente aux collectivités territoriales présidée par Françoise Gatel et dont le premier vice-président est Rémy Pointereau. Ils venaient de rendre, pendant nos travaux, un rapport important sur « l'addiction aux normes » et intitulé Normes applicables aux collectivités territoriales : face à l'addiction, osons une thérapie de choc ! Nous leur avons fourni en avant-première la synthèse de ce rapport, dans ce souci de travailler partout et toujours ensemble dans l'esprit sénatorial qui nous caractérise.

Je rappelle également que, conformément aux bonnes pratiques recommandées par la présidente Pascale Gruny, nous avons organisé une réunion d'orientation le 16 mai 2023 afin de vous présenter les principales pistes de travail. Cette réunion nous a permis de préciser et de compléter utilement nos projets de recommandations. Nous avons souhaité éviter que l'on ne découvre notre travail qu'au moment du vote sur ces recommandations.

Nous voulons en outre continuer à travailler avec les groupes de travail constitués par le Sénat :

- la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France (dont la présidente est Maryse Carrère et le rapporteur, Mathieu Darnaud). Ses conclusions sont attendues début juillet 2023 ;

- le groupe de travail transpartisan sur la décentralisation présidé par Gérard Larcher, dont le rapport doit être rendu au cours de l'été 2023.

Il convient aussi d'évoquer le rapport 58-2 de la Cour des comptes sur le financement des collectivités territoriales et le rapport pour suite à donner du président Raynal, du rapporteur général, M. Husson, et de M. Guené.

L'objectif de notre mission était triple :

- apprécier si l'impact des décisions de l'État sur les finances locales est suffisamment bien évalué en amont et en étroite concertation avec les élus locaux ;

- procéder à une analyse objective de la situation en identifiant les décisions réglementaires et budgétaires qui, au cours de ces cinq dernières années, ont eu le plus fort impact sur les finances locales ;

- formuler, là encore en accord avec l'esprit du rapport Gruny, un nombre « raisonnable » de recommandations assorties d'un tableau de mise en oeuvre et de suivi. Nous nous sommes ainsi contentés de dix recommandations qui forment des blocs cohérents.

Mme Guylène Pantel, rapporteure de la mission d'information sur l'impact des décisions réglementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales. - Notre mission d'information, créée dans le cadre du « droit de tirage » du groupe dont je fais partie, le groupe RDSE, est née d'un constat : de nombreuses décisions unilatérales de l'État viennent régulièrement affecter les conditions d'exercice des compétences des collectivités territoriales. Tantôt ces décisions augmentent les charges des collectivités, tantôt elles en diminuent les ressources. Elles compromettent donc fréquemment l'équilibre des finances locales, dans un contexte budgétaire très difficile. Ce constat est très largement partagé par les élus locaux comme nous l'avons constaté lors des auditions et de notre déplacement dans le Calvados.

Quel est l'état des lieux précis ?

Nous constatons tout d'abord que les normes réglementaires imposent aux collectivités locales des contraintes de plus en plus abondantes, au risque de submerger les élus, voire de les placer face à des « injonctions paradoxales » en présence de normes contradictoires.

Cependant, il est difficile d'objectiver la situation. À l'heure actuelle, aucun thermomètre ne permet de mesurer la fièvre normative et son évolution dans le temps. Le chiffre de 400 000 normes parfois avancé ne repose sur aucun recensement rigoureux. À défaut de disposer de chiffres incontestables, nous relevons la progression inquiétante des codes qui régissent l'activité des collectivités. Nous pensons notamment au Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) qui a triplé de volume entre 2002 et 2023. Il approche aujourd'hui le million de mots.

Cette inflation normative a des répercussions financières, directes ou indirectes, sur la conduite des grandes politiques publiques locales. Une consultation menée par le Sénat en janvier dernier a montré que 4 élus sur 5 déplorent les conséquences négatives du poids des normes. Ce dernier se traduit par :

- une augmentation directe des coûts de la collectivité selon 30 % des répondants ;

- une augmentation indirecte des coûts selon 70 % d'entre eux. En effet, le poids des normes entraîne la modification, le report, voire l'abandon de projets portés par les collectivités. Or « le temps, c'est de l'argent », surtout en cette période d'inflation.

Selon le rapport d'activité du CNEN, les normes réglementaires représentaient en 2022 un coût net de 2,5 milliards d'euros pour les collectivités. Cette situation peut être difficilement soutenable financièrement, notamment pour les plus petites communes aux ressources limitées. Nous ne pouvons que souscrire aux mises en garde des élus :

- plus les normes sont nombreuses, plus elles risquent de générer des contradictions ;

- plus elles sont complexes, plus elles risquent d'être interprétées différemment, selon le service en charge de leur respect.

Lors des auditions, les élus nous en ont donné de nombreux exemples concrets, tels que la règle du Zéro Artificialisation Nette (ZAN) qui impose des contraintes disproportionnées, ou encore le principe selon lequel « le silence vaut accord », qui a été assorti de quelque 3 000 dérogations. Certains cas paraissent même ubuesques, comme celui du poulailler mobile qu'un maire des Yvelines tente désespérément d'installer sur sa commune, se heurtant à la rigidité des règles d'urbanisme, ou encore celui d'un bénitier qu'on a demandé à un maire d'abaisser pour le rendre accessible aux personnes à mobilité réduite.

Les élus nous ont également parlé des conséquences moins connues du poids des normes telles que l'impact en termes de ressources humaines. En effet, d'une part, certaines collectivités doivent recruter des juristes pour faire face à la complexité de la réglementation, d'où un coût pour la collectivité. D'autre part, de nombreux élus rencontrent des difficultés de recrutement dans certains secteurs où les normes sont trop complexes. La grille de la fonction publique territoriale est trop rigide pour permettre de proposer des rémunérations attractives, comme nous l'avons vu lors de notre déplacement à Lisieux. J'ajoute que cette complexité normative n'est sans doute pas étrangère à la perte d'attractivité du métier de secrétaire de mairie. Nous aurons sans doute l'occasion d'en reparler demain en séance publique à l'occasion de l'examen d'une nouvelle proposition de loi sur ce sujet.

Le constat est donc sans appel : la prolifération des normes met régulièrement à mal, directement ou indirectement, les finances des collectivités territoriales. C'est pourquoi nous devrons être attentifs au suivi de la charte d'engagements signée par le Sénat et le gouvernement le 16 mars dernier, charte dont l'objectif est de lutter contre l'inflation normative pour les élus.

Cependant, cette situation préoccupante ne concerne pas uniquement les normes réglementaires. Les élus nous ont aussi parlé des décisions budgétaires de l'État prises dans le cadre des diverses lois de finances. Ces décisions concernent à la fois, les ressources et les charges des collectivités.

Concernant les ressources, un constat s'impose : les élus se perdent dans le maquis des règles applicables. En voici quelques illustrations.

Entre 2010 et 2023, plus de 70 décisions ont été prises concernant la fiscalité locale. Ces décisions sont en outre allées dans le sens d'une perte d'autonomie fiscale des collectivités.

Autre exemple, l'usage des dotations d'investissement est de plus en plus contraint. Aux critères nationaux s'ajoutent souvent des critères locaux fixés par les préfets.

Troisième exemple, les modalités de répartition de la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) reposent sur de trop nombreux critères mal compris des élus locaux. Ainsi, 11 critères de ressources et 19 critères de charges sont utilisés pour calculer la DGF des communes. Parvient-on encore à y comprendre quelque chose aujourd'hui ?

Enfin, les filets de sécurité sont, certes, vertueux dans leur principe, puisqu'ils permettent de soutenir les collectivités les plus en difficulté. Ils n'en sont pas moins complexes pour les élus. Les versements ont été jugés tardifs, sans compter qu'ils ne couvrent que très partiellement les charges nouvelles pour les collectivités.

S'agissant des charges, on peut là encore citer quelques exemples d'impacts négatifs des décisions de l'État sur les finances locales :

- le coût de la revalorisation du point d'indice est de 1,5 milliard d'euros en 2023 pour les seules communes et leurs groupements ;

- le coût de la revalorisation du RSA représente 240 millions d'euros en 2023 pour les départements.

À cela s'ajoute la volonté de l'État d'encadrer les dépenses de fonctionnement des collectivités depuis les contrats de Cahors.

Toutes ces difficultés sont accentuées par l'explosion de certaines charges. C'est le cas des dépenses d'énergie et de matières premières qui placent les collectivités dans une situation très délicate. Alors que la situation était déjà difficile en 2022, elle devient intenable en 2023.

Les décisions de l'État, qu'elles soient de nature réglementaire ou budgétaire, font l'objet de trois critiques principales de la part des élus.

Ces décisions de l'État sont de plus en plus nombreuses, complexes et instables. Elles ne permettent donc pas aux élus d'avoir une bonne visibilité, à moyen et long terme, sur leurs ressources et leurs dépenses.

Ces décisions sont mal évaluées et mal compensées. En amont, les études d'impact préalables sont souvent lacunaires, bâclées et associent trop peu les collectivités locales. En aval, les évaluations des réformes engagées demeurent encore trop rares.

Par ses décisions, l'État entrave, de facto, la libre administration des collectivités territoriales, leur autonomie fiscale et leur pouvoir d'agir.

Tous les ingrédients sont malheureusement réunis pour créer un sentiment de découragement chez les élus. Pire, certains d'entre eux nous disent une vérité difficile à entendre : les citoyens les perçoivent désormais comme des auxiliaires ou des opérateurs de l'État, voire des « mini-préfectures ». En effet, les élus se retrouvent parfois privés de marges de manoeuvre pour conduire les politiques publiques pour lesquelles ils ont été élus. Cette situation n'est-elle pas en partie responsable de la crise de vocation des maires ?

Face à cette situation préoccupante, et à la suite de notre mission, je vous propose donc dix recommandations pour que les bons comptes fassent les bons amis, comme l'indique le titre que nous avons choisi pour notre rapport.

M. Jérôme Bascher. - Nous avons effectivement choisi comme titre : Les bons comptes feront les bons amis. Vous noterez que nous n'avons pas utilisé le présent. Nous n'avons pas non plus eu recours à l'imparfait même si celui-ci aurait été le temps le plus opportun... En réalité, nous avons voulu envoyer un message d'espoir et c'est donc ainsi qu'il faut le comprendre. Cet adage de bon sens pourrait de nouveau régir les relations entre l'État, notamment central, et les collectivités.

Tous les élus, quelle que soit leur appartenance politique, nous ont dit la défiance totale qu'ils conçoivent à l'égard de l'État central, mais également de l'État régional. Ils réclament également plus d'aménité, plus de bienveillance ou de compréhension de la part de l'État départemental, à savoir le sous-préfet, mais cela ne dépend, hélas, que des femmes et des hommes qui occupent le poste.

Mme Guylène Pantel. - Je vais à présent vous donner lecture de nos dix recommandations, dont nous discuterons au fur et à mesure de leur présentation.

La première recommandation consiste à renforcer le dialogue État / collectivités au plan national. Nous vous proposons un rapprochement, voire une fusion du CFL et du CNEN. Une telle évolution permettrait :

- de mieux évaluer, en amont et en aval, l'impact des décisions de l'État sur l'équilibre des finances locales ;

- de fournir un appui au Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, dans le cadre de la mise en place, en son sein, d'une fonction transversale de veille et d'alerte sur les textes ayant un impact sur les collectivités territoriales.

Ce nouvel organe devra renforcer le poids des élus locaux dans la gouvernance ; prévoir une section outre-mer et être consulté sur les projets de loi de finances et les projets de lois de finances rectificatives.

M. Jérôme Bascher. - J'ajoute que les lois de programmation des finances publiques (LPFP) définissent les orientations pluriannuelles des finances publiques en s'inscrivant dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques. Ces lois, dès lors qu'elles comportent des dispositions créant ou modifiant des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, doivent être soumises à l'examen du CNEN afin qu'il en évalue l'impact technique et financiers. Pour autant, les deux dernières LPFP (2018-2022 et 2023-2027) n'ont fait l'objet d'aucune transmission au CNEN, ce qui est anormal.

Mme Viviane Artigalas - L'idée d'un rapprochement entre le CFL et le CNEN est soutenue par tous. En revanche, nos auditions ont montré que tout le monde n'était pas favorable à leur fusion. Nous savons très bien, comme nous avons pu le constater dans le cas de certains observatoires, que ce type de fusions se traduit, sous couvert de mutualisation, par une réduction des effectifs et des moyens.

Je préférerais donc que cette recommandation évoque plutôt un rapprochement. Je crois que, plutôt que de fusionner, ces deux organismes doivent vraiment coordonner leurs travaux.

M. Jérôme Bascher. - Nous avons bien pesé les termes de cette recommandation. Nous souhaitons également laisser une certaine liberté aux uns et aux autres ; nous ne croyons pas à un modèle d'ordre supérieur. Notre mission recommande « un rapprochement, voire une fusion » du CFL et du CNEN, mais cette deuxième option ne constitue pas l'hypothèse que nous privilégions.

Le vrai sujet consiste à obtenir le quorum au CFL et au CNEN. Il revient à ces organismes de savoir s'organiser pour traiter ce sujet de quorum. Nous ne faisons pas de micromanagement. Par exemple, un élu de Lozère ne peut pas facilement se rendre à Paris pour assister à une réunion du CFL.

Mme Guylène Pantel. - Absolument.

M. Jérôme Bascher. - Notre rédaction initiale mentionnait uniquement une fusion, mais, au fil de nos auditions, nous avons ensuite compris qu'il en allait autrement.

M. André Reichardt - L'État doit surtout jouer le jeu et ne pas convoquer la veille pour le lendemain une réunion de CFL ou de CNEN, car les élus ne peuvent pas s'y rendre. Quand l'État veut faire passer un texte, il fait preuve d'assez peu d'égards dans les modalités d'organisation de ces manifestations. Quand la préfète actuelle de mon département ou les préfets qui l'ont précédée veulent en faire en sorte qu'une réunion se passe « bien », ils envoient la convocation le plus tard possible ou programment cette réunion à certains horaires.

C'est une question de volonté. Si l'on veut vraiment associer les collectivités locales aux destinées qui sont les leurs, il faut à tout le moins les traiter en tant que telles. Tous les élus nous ont indiqué qu'ils ne pouvaient pas se réunir dans de telles conditions. Je souhaiterais donc que l'on puisse dire qu'indépendamment de la forme, qu'il s'agisse d'un rapprochement ou d'une fusion, une charte de déontologie est nécessaire concernant le traitement réservé par l'État aux collectivités locales.

M. Jérôme Bascher. - Je vous propose trois éléments de réponse. Le premier relèvera de l'intention le deuxième de l'action, tandis que le troisième prendra la forme d'un codicille.

Gérard Larcher ainsi que le ministre en charge, Christophe Béchu, et David Lisnard ont signé une charte le 16 mars 2023 pour éviter ces recours en urgence. L'intention d'y remédier existe donc bel et bien. Peut-on faire mieux ? L'État vient de s'engager.

Sur le plan de l'action, le secrétariat général du gouvernement a rédigé en 2017 une circulaire qui explique les méthodes qu'il convient d'employer dans le cadre des études d'impact. Il y a donc un texte. Encore faut-il qu'il soit respecté.

Enfin, s'agissant du codicille que je formulerai sur les urgences et les problématiques de quorum, Guylène et moi, nous avons souhaité prévoir une section outremer, car des dispositions particulières méritent d'être examinées par les élus ultramarins. Nous sommes véritablement attachés à ce point, qui constitue pour nous un sujet majeur.

Mme Guylène Pantel. - Pour répondre à Viviane Artigalas, j'ajouterais que la fusion peut être envisagée si elle s'accompagne d'un maintien, voire d'un renforcement des moyens pour l'évaluation des normes.

Mme Viviane Artigalas - Quand des observatoires ont été regroupés, par exemple sur des questions de logement, sur la politique de la ville, nous avons systématiquement constaté des réductions de moyens. De nombreux rapports soulignent que des moyens humains sont indispensables pour réaliser de véritables évaluations ou études d'impacts. On ne peut faire appel à longueur de temps à des cabinets externes sur ces sujets.

M. Jérôme Bascher. - Cette recommandation vous convient-elle ? J'invite ceux qui ne sont pas d'accord à se manifester en levant la main.

Aucun participant ne se manifeste.

Mme Guylène Pantel. - La recommandation numéro deux vise à renforcer le dialogue État / collectivités dans les territoires. Nous avons privilégié quatre axes :

- mettre en place, à titre expérimental, dans certains départements, des conférences de dialogue, placées sous l'égide des préfets ou des sous-préfets ;

- donner au préfet autorité sur l'ensemble des services et agences de l'État ;

- renforcer son rôle et celui du sous-préfet en matière de conseil et d'ingénierie auprès des petites communes ;

- simplifier la procédure relative au droit de dérogation du préfet afin de faciliter l'exercice de cette compétence.

M. Olivier Henno - Je vous remercie pour la qualité de votre travail.

Je souhaite aborder la question du couple maire-préfet, dont on parle beaucoup et de plus en plus. J'ai souvent remarqué que l'inscription de ce couple, si elle obéit parfois à de bons sentiments ou à de bonnes intentions, tend à marginaliser le département et la région. Il me semble que, depuis quelque temps, cette situation place le préfet dans une situation de surpuissance par rapport au maire et crée un rapport dominant-dominé plus fort que dans les années 2000, quand on s'inscrivait dans une décentralisation de projet. On bascule ainsi de cette décentralisation de projet vers une décentralisation d'exécution. J'ai pu par exemple remarquer, que lors des dialogues sur le ZAN, quand les maires étaient seuls face au préfet, ils se trouvaient dans un rapport de force moins favorable que si le président du département ou celui de la région était également présent.

Je m'interrogeais donc sur cette question du couple maire-préfet et de l'organisation globale de la décentralisation.

M. Jérôme Bascher. - Il s'agit d'une interrogation intéressante. Je rappelle cependant que la mission Larcher travaille actuellement sur la décentralisation, qui n'entre pas dans le périmètre de notre mission.

Mme Guylène Pantel. - Nous avons relevé, lors des auditions, un besoin de laisser un peu plus de liberté aux préfets. Dans une de nos recommandations, nous mentionnons par exemple le droit de dérogation dont les préfets ne se servent quasiment pas, car cela est très compliqué.

M. Jérôme Bascher. - Aujourd'hui, cette dérogation remonte à l'État central, qui n'a pas envie de déroger. Même Madame la Première ministre a souligné que les préfets ne s'en emparaient pas suffisamment. Dans le même temps, pour ceux qui la connaissent un peu, tout lui remonte. Chacun a sa pratique et son discours.

Mme Agnès Canayer - Je souhaite saluer la qualité de votre travail et souligner que vos recommandations sont claires. Elles embrassent un certain nombre de préconisations qui ont d'ailleurs été faites dans d'autres cadres. Vous avez évoqué tout à l'heure le travail qui est effectué sur la commune. Au sein de la délégation, nous avons également mené un travail sur l'État local qui va évidemment dans ce sens et dont les préconisations croisent les vôtres. Ce travail part du principe qu'il ne peut y avoir de véritable décentralisation sans une véritable déconcentration et un véritable accompagnement de l'État. Comme le disait Olivier Henno, l'État ne doit pas simplement faire descendre des informations et des mesures, mais également accompagner les maires dans leurs projets.

La semaine dernière, j'ai eu connaissance de l'exemple d'une commune qui illustre ces difficultés. Cette commune avait obtenu le financement de l'un de ses projets, mais celui-ci n'a pas pu être mis en oeuvre pour des raisons budgétaires et de choix politiques. Or personne, au sein des services de l'État, n'a cru bon d'indiquer à cette commune qu'il était possible de reporter ce financement sur un autre de ses projets. On voit bien que l'État est absent et n'est jamais proactif ou dans un véritable accompagnement. De nombreuses raisons expliquent cette situation, notamment l'appauvrissement de l'État local. Face à de grandes régions, il faut redonner du poids à l'État au niveau du département et mieux coordonner son rôle vis-à-vis des services et agences sur lesquels le préfet ou le sous-préfet n'a pas la main.

Cette notion d'accompagnement des élus est importante, par opposition à une vision descendante.

M. Jérôme Bascher. - Je vous remercie d'avoir rappelé votre travail avec Éric Kerrouche. Votre rapport s'intitulait : À la recherche de l'État dans les territoires.

Ce besoin d'accompagnement des maires vaut surtout pour les petites communes ou les petits villages que nous connaissons tous sur nos territoires. À ce niveau, les sénatrices et les sénateurs, les conseillers départementaux et régionaux doivent aussi pouvoir aider les uns et les autres.

Mme Guylène Pantel. - Accompagner les maires des petites communes ou de celles qui ne disposent que de peu de moyens techniques fait effectivement partie du rôle des services de l'État.

M. Jérôme Bascher. - En matière d'ingénierie, l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) peut apporter cette aide. Mais celle-ci passe par le préfet, qui en est le représentant local. De son côté, l'ANCT est basée à Paris.

M. André Reichardt - Qui participera aux conférences de dialogue ? Celles-ci associeront-elles uniquement les maires ? Lesquels ? L'association départementale des maires et le président du département y prendront-ils part ? Quid des parlementaires ?

Par exemple, il y a une dizaine de jours, j'ai reçu par mail, de la part du secrétaire général de la préfecture et sur le mode du « Circulez, il n'y a rien à voir », la liste des communes qui bénéficient d'un avis favorable au titre de la dotation d'équipement des équipements ruraux (DETR). J'ai ensuite fait savoir au préfet qu'en tant que sénateur, je souhaitais également disposer de la liste des communes qui n'avaient pas obtenu un avis favorable. On m'a alors répondu - ce que je savais - que le législateur avait tranché et que l'on n'était pas obligé de me la fournir.

C'est juste incroyable ! C'est nier le travail qu'accomplit un sénateur et, excusez-moi l'expression, se foutre de toutes les collectivités locales qui ne sauront jamais pourquoi cet avis favorable leur a été refusé. Et encore si le sous-préfet veut bien le leur dire, car celui-ci aura beau jeu d'orienter ces interlocuteurs vers les autres acteurs concernés. C'est juste incroyable !

Ces conférences seront-elles bel et bien un lieu de dialogue ? Un sénateur peut-il y participer ? Avez-vous réfléchi à ces sujets ?

Mme Guylène Pantel. - Il faut qu'il y ait un vrai dialogue. Dans certains départements, les choses se passent comme tu viens de le dire.

M. Jérôme Bascher. - Lors de son intervention, Dominique Faure a indiqué son souhait que ces conférences soient une véritable instance de dialogue, plus qu'une grand-messe : si l'on veut réellement y discuter de projets, il ne s'agit pas d'y convier le ban et l'arrière-ban d'un territoire. Dominique Faure envisageait que les parlementaires puissent y être associés.

Il revient au gouvernement de décider ce qu'il entend en faire. Dans la mesure où il s'agit d'une expérimentation, je suggérerais modestement que plusieurs types de conférences de dialogue soient organisés pour évaluer si la présence des députés, des sénateurs, des conseillers départementaux ou des présidents d'intercommunalités est utile ou contre-productive. Il faut en effet éviter que les antagonismes politiques locaux soient totalement à l'oeuvre. Comme le disait Olivier Henno, il faut être en appui et non en contradiction.

M. Victorin Lurel - Je remercie le président et la rapporteure pour ce travail de qualité. Je souscris totalement aux dix recommandations. Elles sont peu nombreuses, claires et réalisables. Néanmoins, l'asymétrie des pouvoirs telle que l'a évoquée mon collègue et, parfois, la domination, voire l'hégémonie exercée par le préfet sont mal vécues par les élus. J'ai pu mesurer depuis vingt ans l'évolution de la décentralisation : aujourd'hui, le préfet est plus puissant qu'il ne l'était en 1982. Cette situation, si elle est impalpable, est très mal vécue par les élus.

Qui plus est, la déconcentration s'est accompagnée d'un renforcement des pouvoirs du préfet. Les subventions de l'État sont souvent proposées dans le cadre d'appels à projets. Le pouvoir du préfet est ici non pas arbitraire, mais esseulé et unilatéral, et celui-ci ne manque pas de le faire sentir, même si cela dépend de la personnalité de chacun. Très souvent, les sous-préfets sont réduits à des rôles de collaborateurs sans réel pouvoir. J'ai ainsi dû, lors d'une réunion, prendre la défense d'un sous-préfet qui était littéralement insulté par un directeur de cabinet. D'ailleurs, il a été remercié.

Que nous reste-t-il dans de tels cas ? Vous avez vos relations politiques, vous appartenez au parti qui exerce le pouvoir, vous allez demander que cette personne ou ce préfet soit « viré ». Vous n'avez pas d'autre moyen de pression. Un président de région ou de département peut résister, surtout s'il est proche du pouvoir, mais les contre-pouvoirs ne sont pas là pour tous. Manifestement, il y a là une dégradation. On ne peut évidemment pas en faire état dans un rapport, mais on peut préconiser de renforcer à travers les conférences de dialogue ces moyens de résister et de faire valoir les compétences dévolues aux collectivités.

Je souhaiterais obtenir une précision. La recommandation suggère de « donner au préfet autorité sur l'ensemble des services et agences de l'État ». Or il me semble que cela est déjà prévu dans les textes. Peut-être n'est-ce pas le cas dans la pratique. Le préfet n'a pas barre sur tout, mais il me semble qu'il assure sinon un pouvoir de décision en dernière instance, du moins un rôle de coordination. Alors que les préfets sont déjà puissants, s'agit-il de leur donner encore plus de pouvoir ? Si cela s'inscrit dans leur rôle de coordination, je le comprends, mais non s'il doit décider en dernier ressort. Dans certains cas, les décisions peuvent être prises ailleurs ou il est possible de contrer ce que le préfet a décidé unilatéralement. J'avoue être prudent sur ce sujet et je demande donc des contre-pouvoirs.

Ensuite, renforcer le rôle du sous-préfet me semble être une bonne idée. Je serais également favorable, même si, compte tenu de mes absences, je n'ai pas pu défendre cette idée en commission, à ce que la préfecture joue un rôle de conseil et d'ingénierie. Nombre de petites communes ne possèdent pas les compétences ou les talents pour instruire des dossiers, procéder à des appels d'offres et comprendre le labyrinthe de la législation. Comme l'a proposé le corps préfectoral par le passé, le contrôle de légalité pourrait être transformé en amont sans pour autant que le préfet soit associé à la décision ou ne donne une forme de blanc-seing. Il aiderait ainsi ces collectivités.

Quand j'étais président du conseil régional, j'ai créé un service afin de renforcer l'assistance technique et l'ingénierie fournies à toutes les petites collectivités et de les accompagner dans les appels d'offres. Renforcer cette assistance technique et cette ingénierie est de nature à leur permettre de mieux résister à l'imperium des services de l'État et du préfet.

Peut-on transformer le rôle du préfet en rôle de conseil ? Lorsque j'ai soumis cette idée, on m'a objecté qu'une telle approche impliquerait le préfet et ses services en cas de contentieux. Or cela n'engage pas le préfet : il peut donner des conseils à une collectivité, l'aider à monter un dossier, mais il peut parfaitement rejeter ensuite ce dossier s'il estime qu'il comporte des erreurs.

C'est une remarque générale de ma part. Il conviendra à mon sens d'approfondir tous ces sujets.

Mme Guylène Pantel. - Je reviens sur notre recommandation visant à « donner au préfet autorité sur l'ensemble des services ». À travers les conférences de dialogue, il faut parvenir à dénouer certaines situations, comme celle que nous avons par exemple pu connaître avec l'ABF dans un département. C'est ce contre-exemple qui nous a amenés à formuler cette recommandation.

M. Jérôme Bascher. - C'est vrai et, dans le même temps, cela ne l'est pas. Lorsque j'étais au ministère de la Culture, j'ai mis en place la commission d'appel de l'ABF, qui se situe au niveau régional pour les sites inscrits classés. C'est la première fois que l'on a osé prévoir cette procédure d'appel. Malheureusement, c'est souvent un ABF voisin qui fait office de contre-expert. Je mesure donc les limites de cette avancée.

Cette recommandation vise à ce que le préfet exerce réellement son autorité sur des services tels que la DREAL ou la DDFIP, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Une telle situation n'est pas souhaitable, ces services s'apparentant parfois à des baronnies qui ne répondent plus à personne. C'est pour cette raison qu'il faut réinstaurer une autorité préfectorale afin de pouvoir coordonner.

Par ailleurs, il revient peut-être plutôt aux collectivités locales plus grandes de proposer de l'ingénierie. Nous l'avons déjà fait dans le département de l'Oise, comme tu l'as fait dans ta région. C'est la solution la plus simple et sans doute une approche plus efficace que le recours à l'État. À cet égard, tu as raison de dire que, lorsque l'État donne un conseil, il ne s'agit pas d'un avis sûr et certain. Par ailleurs, il est vrai qu'un conseil de la part de l'État n'équivaut pas à un avis positif. Aujourd'hui, les DDFIP et les trésoreries donnent parfois des conseils d'imputation à une collectivité, qui suit ces préconisations mais qui n'en est pas moins retoquée par la suite. Tes propos sont donc frappés au coin du bon sens et de l'expérience.

Mme Agnès Canayer - Le dialogue que nous évoquons est-il également prévu avec les collectivités qui participent au financement, à savoir les départements et les régions ? Il s'avère régulièrement que l'État attribue une DETR sur un projet tandis que le département en subventionne un autre. Dans ces conditions, faute d'une convergence des financeurs, le projet ne peut donc pas être mené jusqu'à son terme.

Mme Guylène Pantel. - Certains départements, dont le mien, ont mis en place une conférence des financeurs qui regroupe la région, le département et l'État. Ceux-ci se réunissent ainsi pour examiner les dossiers. Ce regroupement permet de simplifier énormément le processus pour les collectivités. Cependant, il est vrai que cette approche devrait être étendue.

La recommandation numéro 3 est la suivante : privilégier les expérimentations avant toute réforme impactant les collectivités.

Rappelons que le mécanisme de l'expérimentation a été assoupli par la loi organique du 19 avril 2021. Ainsi, l'expérimentation peut désormais aboutir au maintien des mesures expérimentales dans les collectivités territoriales ayant participé à l'expérimentation, ou dans certaines d'entre elles, et leur extension à d'autres collectivités territoriales.

M. Jérôme Bascher. - Ce principe a déjà été voté au Sénat. Je pense qu'il ne pose pas de problèmes.

Aucune objection n'est soulevée.

M. Jérôme Bascher. - Je vous remercie.

Mme Guylène Pantel. - La recommandation numéro 4 vise à prévoir que les décisions de l'État impactant les finances locales doivent entrer en vigueur avant le vote des budgets locaux, et non en cours d'exercice.

Encore plus que la complexité des décisions de l'État, les élus dénoncent leur manque de prévisibilité. Il s'agit de permettre aux collectivités, notamment de petite taille, d'anticiper les réformes de l'État, afin de disposer du temps nécessaire pour tirer les conséquences de ces réformes dans leur budget de l'année n+1.

M. Jérôme Bascher. - L'annonce hier de l'augmentation de 1,5 % du point d'indice des fonctionnaires au 1er juillet en est un très bon exemple. Une telle augmentation devrait représenter 0,35 % du budget des collectivités concernées, qui devraient donc pouvoir y faire face. Pour autant, il ne s'agit pas d'une bonne pratique. Il aurait été plus pertinent d'annoncer à ces collectivités une augmentation ayant vocation à s'appliquer à compter du 1er janvier afin qu'elles la prévoient dans leur budget de l'année prochaine.

Ce problème n'est pas spécifique au gouvernement actuel. Depuis que je suis fonctionnaire d'État, cette pratique a toujours eu lieu. Il est temps que cela change. Encore une fois, cette augmentation aurait pu intervenir le 1er janvier. Ainsi, le Parlement serait au moins associé. Je rappelle que cette augmentation ne figure pas non plus dans le budget de l'État.

Mme Guylène Pantel. - La recommandation numéro 5 consiste à inscrire dans la Constitution que toute création ou extension de compétences ayant pour effet d'augmenter les dépenses de celles-ci est accompagnée des ressources correspondantes.

Cette recommandation reprend une disposition votée par le Sénat le 20 octobre 2020 dans le cadre de la proposition de loi constitutionnelle présentée par nos collègues Philippe BAS et Jean-Marie BOCKEL. En effet, dans sa rédaction actuelle, l'article 72-2 de la Constitution prévoit que toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est « accompagnée de ressources déterminées par la loi ». La Constitution ne prévoit donc pas une juste compensation financière des nouvelles compétences.

M. Jérôme Bascher. - Cette recommandation reprend effectivement une proposition de loi (PPL) que nous avons votée ici. Il faudrait que l'Assemblée nationale la vote à son tour.

M. André Reichardt - Malheureusement, l'inscription de cette disposition dans la Constitution ne signifie pas qu'elle sera exécutée d'office. Par exemple, l'inscription des Pacs à l'état civil doit désormais relever des collectivités locales. Alors que j'étais intervenu pour demander une contrepartie, on m'a répondu que cette procédure est du ressort de l'état civil, qui relève d'ores et déjà de la compétence de la commune. Néanmoins, à force d'étendre le champ de l'état civil, on contraint la collectivité concernée à y affecter un agent supplémentaire.

M. Daniel Breuiller - Je trouve que cette recommandation constitue une très bonne proposition. Peut-être faut-il préciser qu'elle doit être dynamique.

Mme Guylène Pantel. - C'est précisément l'objet de la recommandation numéro 6. Celle-ci consiste à mettre en place un réexamen régulier, selon une récurrence à définir, mais a minima tous les 5 ans, des droits de compensation pour tenir compte du dynamisme naturel des charges liées à un transfert, création, extension ou modification des conditions d'exercice d'une compétence résultant d'une décision de l'État induisant une hausse des charges des collectivités territoriales.

Actuellement, les compensations sont calculées au coût historique en cas de transfert de compétences. Concernant les créations ou extensions de compétences, les textes prévoient uniquement qu'elles doivent s'accompagner de ressources déterminées par la loi. Mais, dans les deux cas, il n'est pas prévu de réexamen régulier pourtant nécessaire quand les collectivités subissent des charges liées à ces nouvelles compétences.

La recommandation numéro 7 est la suivante : accélérer la révision des valeurs locatives cadastrales. Cette révision n'a cessé d'être reportée depuis plusieurs années alors qu'elle permettrait de redynamiser les bases des taxes foncières.

M. Jérôme Bascher. - Cette recommandation suscite-t-elle des objections ? Merci.

Mme Guylène Pantel. - La recommandation numéro 8 vise à assouplir les règles de plafonnement et de liaison des taux des impôts locaux.

Cette recommandation permettrait une plus grande liberté d'action aux élus locaux pour faire varier les taux des taxes foncières et d'habitation sur les résidences secondaires.

La recommandation numéro 9 préconise de revoir les modalités de répartition de la DGF en profondeur, préalable nécessaire à une indexation de cette dernière sur l'inflation. Une réforme de la DGF est indispensable afin de simplifier et de rendre plus compréhensibles ses modalités d'attribution aujourd'hui trop complexes.

Cette refonte doit être préalable à une indexation qui permettrait de couvrir partiellement les coûts générés par les décisions réglementaires (2,5 milliards en 2022) et qui répondrait, au moins en partie, à la demande de visibilité exprimée par les élus locaux.

Le coût estimé de cette recommandation serait de l'ordre de 1,3 milliard d'euros avec une inflation à 5 %.

M. Jérôme Bascher. - Le rapporteur général Jean-François Husson l'a montré récemment : si on indexait la DGF telle quelle, elle n'aurait pas les vertus que l'on pourrait en attendre. Cette mesure aiderait plutôt les collectivités les plus riches et n'obéirait donc pas à cette forme de justice que l'on est en droit d'attendre d'une « belle » DGF.

Par exemple, le Conseil départemental de l'Oise avait initialement envisagé de diminuer de 80 millions d'euros ses dépenses. Cependant, dans cette hypothèse, notre dotation de compensation se voyait réduite de 4 millions d'euros, parce qu'on nous objectait que la situation financière de notre collectivité s'était nettement améliorée. Nous avons donc été contraints de prévoir une diminution de 84 millions d'euros pour aboutir aux 80 millions initiaux. C'est précisément ce genre d'absurdités qu'il convient d'éviter. Dans ce sens, il faut au premier rang simplifier la DGF et ensuite l'indexer, comme c'était la règle jusqu'en 2011.

Cette recommandation, qui est politiquement importante, vous convient-elle ?

Aucune objection n'est formulée.

Mme Guylène Pantel. - La recommandation numéro 10 consiste à mettre en place un dialogue entre l'État et les collectivités sur les modalités de compensation des exonérations fiscales et mettre fin à la pratique de minoration des variables d'ajustement.

La pratique des variables d'ajustement est largement contestée chaque année par le Sénat dans la mesure où elle revient à minorer des dotations supposées compenser, à l'euro près, les conséquences, pour les collectivités territoriales, des réformes et des exonérations fiscales décidées par l'État.

M. Jérôme Bascher. - Cette dernière recommandation vous convient-elle également ? Elle est plus technique, je le conçois, mais elle serait de nature à aider nos collectivités et elle reviendrait à faire oeuvre de justice.

Y a-t-il des remarques supplémentaires ?

En l'absence de telles remarques, nous pouvons autoriser la publication du rapport et de ses dix recommandations. Je remercie encore Guylène Pantel. Nous espérons tous que les bons comptes feront les bons amis. Je vous remercie.

Lors de sa réunion du 13 juin 2023, la mission d'information a autorisé la publication du présent rapport.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LA MISSION D'INFORMATION

Mardi 7 mars 2023

M. Alain LAMBERT, président du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN).

Mardi 21 mars 2023

M. André LAIGNEL, premier vice-président délégué de l'Association des maires de France et président du Comité des finances locales.

Jeudi 4 mai 2023

Table-ronde conjointe avec la Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur le sujet : « Finances locales : quelle mise en oeuvre du principe « qui décide paie » ? »

Mme Isabelle DUFAU, présidente de la communauté de communes du Seignanx et membre du Comité des finances locales ;

Mme Sophie PANTEL, présidente du conseil départemental de la Lozère et membre du Comité des finances locales ;

M. Ludovic ROCHETTE, maire de Brognon, président de la Communauté de Communes Norget et Tille et membre du Comité des finances locales ;

M. William TISSANDIER, conseiller chargé des finances publiques à la Présidence de Régions de France ;

M. Xavier CABANNES, professeur de droit public à l'Université Paris Cité.

Mercredi 31 mai 2023

Mme Dominique FAURE, ministre déléguée auprès du ministre de l'Intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LA RAPPORTEURE

Mercredi 15 mars 2023

M. Bertrand HAUCHECORNE, membre du conseil d'administration de l'Association des Maires Ruraux de France, vice-président de l'AMR 45, et maire de Mareau-aux-Prés ;

M. Luc WAYMEL, membre du comité scientifique de l'AMRF et membre honoraire.

Mardi 28 mars 2023

M. Gabriel BAULIEU, premier vice-président de la communauté urbaine du Grand Besançon Métropole, vice-président d'Intercommunalités de France.

Mercredi 29 mars 2023

M. Jean-Léonce DUPONT, président du département du Calvados et représentant de l'Assemblée des Départements de France.

Mercredi 5 avril 2023

M. Martin MALVY, ancien ministre, président de Sites et Cités remarquables de France.

Mercredi 10 mai 2023

M. Antoine HOMÉ, premier vice-président de l'Association des petites villes de France.

Mardi 16 mai 2023

MM. Thomas FAUCONNIER, sous-directeur des finances locales et de l'action économique, et Thomas MONTBABUT, chef du bureau du financement des transferts de compétences de la sous-direction des finances locales et de l'action économique.

MM. Jean-Luc TAVERNIER, directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), et Luc BRIÈRE, administrateur hors classe de l'INSEE, chef du département des études et statistiques locales de la direction générale des collectivités locales

PERSONNES ENTENDUES
DANS LE CADRE DU DÉPLACEMENT À LISIEUX
(15 MAI 2023)

Table-ronde des sénateurs de la délégation (y compris M. Pascal ALLIZARD et Mme Sonia de LA PROVOTÉ, sénateur et sénatrice du Calvados) avec :

M. Sébastien LECLERC, maire de Lisieux, ancien député ;

M. François AUBEY, maire de Mézidon, président de la communauté d'agglomération Lisieux Normandie, ancien Sénateur.

Table ronde des sénateurs de la délégation (y compris M. Pascal ALLIZARD et Mme Sonia de LA PROVOTÉ, sénateur et sénatrice du Calvados) avec :

M. Olivier PAZ, président de l'Association des Maires du Calvados ;

M. Thomas DUPONT-FEDERICI, maire de Bernières-sur-Mer ;

M. Michel LE LAN, adjoint aux finances de la ville de Caen.

M. François AUBEY, maire de Mézidon, président de la communauté d'agglomération Lisieux Normandie ;

M. Jean-Léonce DUPONT, président du Conseil départemental du Calvados ;

M. Sébastien LECLERC, maire de Lisieux ;

M. Guillaume LERICOLAIS, sous-préfet ;

M. Olivier PAZ, président de l'Association des Maires du Calvados.

Échange de la délégation (y compris M. Pascal ALLIZARD, sénateur du Calvados) avec les services de la sous-préfecture, en présence de M. Jean-Léonce DUPONT, président du Conseil départemental du Calvados.


* 1 Dotation d'équipement des territoires ruraux.

* 2 Dotation de soutien à l'investissement local.

* 3 Dotation de soutien à l'investissement des départements.

* 4 Dotation globale de fonctionnement.

* 5 Rapport d'information de Mme Françoise GATEL et M. Rémy POINTEREAU, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales ; rapport n° 289 (2022-2023) en date du 26 janvier 2023 intitulé « Normes applicables aux collectivités territoriales : face à l'addiction, osons une thérapie de choc ! » : http://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-289-notice.html

* 6 Voir le compte rendu de la réunion de la délégation aux collectivités territoriales, en date du 26 janvier 2023 : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230126/dct_bulletin_2023-01-26.html

* 7 Voir le compte-rendu de la réunion de la délégation aux collectivités territoriales, en date du 23 mars 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230320/dct_bulletin_2023-03-23.html#toc2

* 8 Territoires unis est un mouvement qui regroupe trois associations d'élus locaux : l'AMF, l'ADF et RF.

* 9 Article publié dans la revue « Acteurs Publics » le 7 mars 2023 ; « Le poids des normes menace les finances des collectivités ».

* 10 Amendements déposés en séance publique (à l'exclusion donc des amendements déposés en commission).

* 11 Amendements adoptés en séance publique uniquement ((à l'exclusion donc des amendements déposés en commission).

* 12 Discours de clôture des États généraux le 16 mars 2023.

* 13 Ce témoignage peut être consulté sur la plateforme vidéo du Sénat : https://videos.senat.fr/video.3342870_6412c19937307.États-generaux-de-la-simplification (10h52).

* 14 Rapport n° 466 (2022-2023) de Mme Catherine DI FOLCO, fait au nom de la commission des lois, déposé le 29 mars 2023, sur la proposition de loi visant à revaloriser le statut de secrétaire de mairie : http://www.senat.fr/rap/l22-466/l22-466.html

* 15 Celui voté lors de la loi de finances rectificative de juillet 2022 pour un montant de 430 millions d'euros et celui voté lors de la loi de finances pour 2023 pour un montant de 1,5 milliard d'euros.

* 16 Rapport d'information du 20 juillet 2022 des sénateurs RAYNAL et GUENE : « Entre contraintes budgétaires et priorités de l'État : quel rôle des dotations d'investissement pour les collectivités territoriales ? »

* 17 Source : rapport Cazeneuve du 29 juillet 2020, actualisation du rapport au 18 mai 2021.

* 18 Exception faite d'une légère majoration de 0,6 % en juillet 2016 et 0,6 % en février 2017 et en dehors de certaines mesures catégorielles.

* 19 L'article L. 1612-4 du Code général des collectivités territoriales prévoit les modalités de cet équilibre : « Le budget de la collectivité territoriale est en équilibre réel lorsque la section de fonctionnement et la section d'investissement sont respectivement votées en équilibre, les recettes et les dépenses ayant été évaluées de façon sincère, et lorsque le prélèvement sur les recettes de la section de fonctionnement au profit de la section d'investissement, ajouté aux recettes propres de cette section, à l'exclusion du produit des emprunts, et éventuellement aux dotations des comptes d'amortissements et de provisions, fournit des ressources suffisantes pour couvrir le remboursement en capital des annuités d'emprunt à échoir au cours de l'exercice. »

* 20 Les comptes agrégés des collectivités locales et de leurs groupements à fiscalité propre présentés par l'observatoire des finances et de la gestion locales font état d'un endettement total des administrations publiques locales (APUL), au sens du traité de Maastricht, de 245 milliards d'euros à fin 2022. Pour davantage de détail sur les modalités de calcul de l'endettement des APUL, le rapport de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales sur les finances locales pour 2022 peut être consulté à l'adresse : https://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/Accueil/DESL/2022/OFGL_Rapport_2022_17janv2023.pdf

* 21 Cf., par exemple, le compte rendu de l'audition consacrée au principe de qui décide paie : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230501/mi_fin_loc.html#toc2

* 22 La vidéo de l'audition peut être consultée à l'adresse https://videos.senat.fr/video.3303591_640526c967144.finances-locales---audition-d-alain-lambert

* 23 Article L. 1212-1 du Code général des collectivités territoriales.

* 24 Consultable à l'adresse :

http://www.cnen.dgcl.interieur.gouv.fr/inlinedocs/5fb90c3b8e8869ba85cc354067241d76/rapport-public-d-activite-du-cnen-2019-2022-vf.pdf

* 25 Ce guide est consultable à l'adresse :

https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/Media/Files/autour-de-la-loi/legislatif-et-reglementaire/etudes-d-impact-des-lois/documents_generaux_ei_fi/guide_methodologique_fi.pdf.pdf

* 26 Cf. page 41 du « Guideline on the Identification and Presentation of Compliance Costs in Legislative Proposals by the Federal Government ».

* 27 Il s'agit du décret n° 2020-887 du 20 juillet 2020 relatif au système d'automatisation et de contrôle des bâtiments non résidentiels et à la régulation automatique de la chaleur.

* 28 Il s'agit des dispositifs dits « BACS » pour Building Automation & Control Systems.

* 29 Décret n°90-82 du 22 janvier 1990 relatif à l'évaluation des politiques publiques.

* 30 Décret n°98-1048 du 18 novembre 1998 relatif à l'évaluation des politiques publiques, abrogeant le décret précité.

* 31 Décret n° 2008-663 du 4 juillet 2008 portant abrogation du décret n° 98-1048 du 18 novembre 1998 relatif à l'évaluation des politiques publiques.

* 32 Article 24 de la Constitution : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l'action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. »

* 33 Le commissariat général au plan, créé en 1946, définissait, à titre indicatif, la planification économique du pays, via des plans quinquennaux. Il a été remplacé en 2006 par le Centre d'analyse stratégique.

* 34 Article D. 563-8-1 du Code de l'environnement, la zone 5 concernant les Antilles françaises.

* 35 PSR hors FCTVA, crédits de la mission RCT et fraction de TVA affectée aux régions.

* 36 Chiffres transmis en réponse au questionnaire du rapporteur général suite au dépôt du PLFR.

* 37 Montant calculé au prorata des effectifs de la fonction publique territoriale en poste dans les communes et leurs groupements sur la base des effectifs au 31 décembre 2020.

* 38 La masse salariale du CNEN (au prorata de leur temps de travail dédié à l'instance pour le chef de bureau et son adjoint) s'établit ainsi à environ 390 K€ dont 122 K€ financés par la DGF et 268 K€ par le ministère de l'intérieur et des outre-mer.

* 39 Article L. 1211-3 du code général des collectivités territoriales.

* 40 Article L. 1211-3 du code général des collectivités territoriales.

* 41 L'avis du comité des finances locales a été sollicité pour 798 décrets, 160 arrêtés et 32 ordonnances entre 1990 et 2022, là où celui du conseil national d'évaluation des normes a été sollicité pour 1305 décrets, 479 arrêtés et 108 ordonnances entre 2014 et 2022. Depuis 2014, le comité des finances locales a rendu 234 avis là où le conseil national d'évaluation des normes en a rendu 1 892 (chiffre Cour des comptes - rapport sur « Le financement des collectivités territoriales : des scénarios d'évolution », 2022.

* 42 Tribune commune d'André Laignel et d'Alain Lambert publiée le 13 janvier 2023 dans la Gazette des communes, « Nous avons besoin d'un Défenseur des libertés locales ! », consultable à l'adresse : https://www.lagazettedescommunes.com/845314/nous-avons-besoin-dun-defenseur-des-libertes-locales/

* 43 Voir le rapport de la Cour des comptes intitulé « Le financement des collectivités territoriales : des scénarios d'évolution », 2022.

* 44 Le compte rendu de l'audition est consultable à l'adresse : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230306/mi_finances_ct.html

* 45 Il s'agit de 2 cadres A+, et 5 cadres A.

* 46 Alain LAMBERT et Sabine KUHLMANN, « Rationaliser et évaluer les normes ; regards croisés franco-allemand », rapport conjoint du CNEN et du NKR, septembre 2021, consultable à l'adresse : https://www.cnen.dgcl.interieur.gouv.fr/inlinedocs/2c957f7fdf3c090391ecfa0c5520b789/rapport-definitif.pdf

* 47 Voir le rapport d'information « À la recherche de l'État dans les territoires », rapport n° 909 (2021-2022) de Mme Agnès CANAYER et M. Éric KERROUCHE, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 29 septembre 2022 : http://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-909-notice.html

* 48 « ANCT : se mettre au diapason des élus locaux ! » : rapport d'information n° 313 (2022-2023) de Mme Céline BRULIN et M. Charles GUENÉ, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 2 février 2023.

* 49 Le décret s'appliquant à l'ensemble du territoire de la République, outre le Préfet de département et le Préfet de région, cette compétence est également attribuée au préfet de Mayotte, au représentant de l'État à Saint-Barthélemy, au représentant de l'État à Saint-Martin, au haut-commissaire de la République en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie ainsi qu'à l'administrateur supérieur des îles Wallis et Futuna et à l'administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises.

* 50 Subventions, concours financiers et dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques, des associations et des collectivités territoriales ; Aménagement du territoire et politique de la ville ; Environnement, agriculture et forêts ; Construction, logement et urbanisme ; Emploi et activité économique ; Protection et mise en valeur du patrimoine culturel ; Activités sportives, socio-éducatives et associatives.

* 51 Un article d'acteurs publics, consultable par les personnes abonnées, rend compte de cette prise de position : https://acteurspublics.fr/articles/le-gouvernement-invite-les-prefets-a-oser-deroger-aux-normes.

* 52 Le principe d'adaptation législative s'applique dans les départements et régions d'Outre-mer régis par l'article 73 de la Constitution.

* 53 Sur une position contraire, cf., par exemple, Laetitia JANICOT. « La décentralisation et l'expérimentation normative », Titre VII, n° 9, La décentralisation, octobre 2022, consultable à l'adresse : https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/la-decentralisation-et-l-experimentation-normative

* 54 Certaines collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution font l'objet d'un cadre juridique particulier.

* 55 Ces dispositions sont codifiées au chapitre III du titre unique du livre Ier de la première partie du code général des collectivités territoriales.

* 56 Décret n° 2022-994 du 7 juillet 2022 portant majoration de la rémunération des personnels civils et militaires de l'État, des personnels des collectivités territoriales et des établissements publics d'hospitalisation.

* 57 L'intervention de M. David LISNARD est disponible en vidéo consultable à l'adresse : http://videos.senat.fr/video.3342870_6412c19937307.États-generaux-de-la-simplification?timecode=8988000

* 58 C'est le cas par exemple pour la politique en matière de logement dans les Antilles : sur ce point, cf. rapport d'information n° 728 (2020-2021) de M. Guillaume GONTARD, Mme Micheline JACQUES et M. Victorin LUREL fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur la politique du logement dans les outre-mer.

* 59 Conseil constitutionnel, décision QPC n° 2011-157 du 5 août 2011, Société SOMODIA [Interdiction du travail le dimanche en Alsace-Moselle], consultable à l'adresse : https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2011/2011157QPC.htm

* 60 Le compte rendu de cette audition est consultable à l'adresse : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230501/mi_fin_loc.html

* 61 Décisions n° 2003-487 DC du 18 décembre 2003 et n° 2003-489 DC du 29 décembre 2003.

* 62 Décision n° 2011-142/145 QPC du 30 juin 2011, Département de Seine-Saint-Denis et autres.

* 63 Décision n° 2011-142/145 QPC du 30 juin 2011, Département de Seine-Saint-Denis et autres

* 64 Article L. 1641-2 du code général des collectivités territoriales.

* 65 Par exemple, des crédits de la mission « Enseignement scolaire » relevant du ministère de l'éducation nationale compensent les collectivités du bloc communal au titre de l'obligation de scolarisation dès 3 ans.

* 66 Source des données : rapport sur la situation des finances publiques locales annexé au projet de loi de finances pour 2023.

* 67 Cette clause a notamment trouvé à s'appliquer lors de la crise sanitaire, la dynamique négative de la TICPE liée à la baisse de la consommation de carburant ayant conduit l'État à verser une part supplémentaire de 923 millions d'euros aux collectivités territoriales.

* 68 Rapport sur la situation des finances publiques locales annexé au projet de loi de finances pour 2023.

* 69 Loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l`État.

* 70 Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

* 71 Voir le dossier législatif : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl19-682.html

* 72 La part des ressources propres est calculée en rapportant le montant de ces dernières à celui de la totalité de leurs ressources, à l'exclusion des emprunts, des ressources correspondant au financement de compétences transférées à titre expérimental ou mises en oeuvre par délégation et des transferts financiers entre collectivités d'une même catégorie.