II. AVOIR POUR SEUL HORIZON LA PROTECTION DE NOS ANIMAUX DE COMPAGNIE
A. DANS LA LUTTE CONTRE L'ABANDON DES ANIMAUX DE COMPAGNIE, LES PROGRÈS À ATTENDRE NE VIENDRONT SANS DOUTE PAS DES MESURES LES PLUS MÉDIATIQUES
1. Les mesures réglementaires sur les animaux de compagnie, relevant du ministère chargé de l'agriculture, ont dans l'ensemble bien été prises
Le premier chapitre de la loi, portant sur les conditions de détention des animaux de compagnie et des équidés, contient vingt-cinq articles ayant pour but principal de responsabiliser les propriétaires d'animaux afin de lutter contre l'abandon de ces derniers.
Il comprend des mesures aussi diverses que l'interdiction de la vente des chiens et chats en animalerie, l'encadrement des associations sans refuge qui confient des animaux à des familles d'accueil, l'encadrement de la vente en ligne des animaux de compagnie.
Quinze de ces articles (articles 2 à 6, 8, 12 et 13, 16 et 17, et 20 à 24), parmi lesquels certains des plus emblématiques de la loi, sont d'application directe, soit qu'ils formulent une interdiction, soit qu'ils fixent une obligation, suffisamment précise dans les deux cas.
A contrario, neuf articles nécessitent des mesures d'application. Le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, chargé de l'application de huit de ces articles17(*), a pris les textes suivants :
- le décret n° 2022-1012 du 18 juillet 2022 relatif à la protection des animaux de compagnie et des équidés contre la maltraitance animale18(*) définit les modalités du certificat d'engagement et de connaissance des détenteurs d'un équidé, des acquéreurs de certains animaux de compagnie. Ce texte permet l'application complète de quatre articles, à savoir les articles 1er (sur ledit certificat), 10 (sur les modalités dans lesquelles des refuges ou associations sans refuge peuvent confier des animaux de compagnie à des familles d'accueil), 18 (sur le cadre juridique de la cession en ligne d'animaux de compagnie) et 19 (sur les modalités de contrôle des informations d'identification des animaux) ;
- le décret n° 2022-1179 du 24 août 2022 relatif à la formation des gestionnaires de fourrière relative en matière de bien-être des chiens et des chats19(*) permet l'application partielle de l'article 7, apportant une garantie supplémentaire en matière de bien-être animal à l'accueil des animaux en fourrière. Il renvoie, pour les équivalences à cette formation, à un arrêté, qui avait été pris préalablement, le 14 janvier 202220(*). En revanche, le Conseil d'État a, dans son avis sur le projet de décret, conseillé au Gouvernement d'appliquer le droit existant, sans mesure d'application particulière, pour concrétiser la possibilité pour une commune de confier la gestion de la fourrière à des associations de protection des animaux avec refuges ;
- enfin, le décret en Conseil d'État n° 2022-1354 du 24 octobre 2022 relatif à la protection des animaux de compagnie21(*) permet l'application partielle de l'article 7 (en fixant les modalités de l'amende forfaitaire dont est passible le propriétaire d'animaux en cas de non-paiement des frais de garde de la fourrière) et l'application totale de l'article 9 (modalités d'enregistrement et de suivi des refuges ou associations sans refuge).
Initialement prévue, la compétence obligatoire du maire en matière de prise en charge des chats errants (capture, identification, stérilisation) s'est muée, à l'initiative du Sénat, en une demande de rapport du Gouvernement pour mieux quantifier ce phénomène et identifier les coûts de la stérilisation (article 11).
Un autre article, d'application directe (article 12), prévoit également un rapport pour évaluer l'expérimentation sur cinq ans de conventions État-EPCI-communes portant sur la gestion des populations de chats errants. Il n'a par définition pas pu être rendu, la période d'expérimentation n'étant pas échue.
2. L'extension du champ des animaux concernés par le certificat d'engagement et de connaissance, au-delà des chiens et chats, doit encore faire la preuve de sa nécessité
Le certificat d'engagement et de connaissance (article 1er) était une mesure équilibrée du texte initial pour concilier la liberté du commerce des animaux de compagnie et la lutte contre l'abandon de ces mêmes animaux. En effet, il eût été mal compris par nos concitoyens d'exiger d'eux davantage qu'un engagement volontaire - par exemple une formation - avant d'acheter un chien ou un chat, quand dans le même temps la naissance d'un enfant ne s'accompagne d'aucun préavis, alors qu'elle implique évidemment de plus grandes responsabilités.
L'inclusion, par le décret du 18 juillet 2022, du furet et des lagomorphes (lapins) dans le champ des animaux concernés par le certificat d'engagement et de connaissance (article D. 214-32-4) a surpris les professionnels. Non explicitement prévue par la loi même si elle est en effet une possibilité (« Les animaux de compagnie mentionnés au deuxième alinéa du présent V sont les chats et les chiens ainsi que les animaux de compagnie précisés par décret »), cette extension doit encore faire la preuve de sa nécessité.
Si cette inclusion peut s'entendre, à la limite, pour les furets, par cohérence avec les chiens et les chats, dans la mesure où ils appartiennent à la même catégorie des carnivores domestiques, l'inclusion du lapin apparaît davantage comme un satisfecit donné aux associations de protection animale, qui, lors de l'examen de la proposition de loi au Sénat, avaient fait de la restriction voire de l'interdiction de la vente de cette espèce leur nouvelle cause, après avoir obtenu des restrictions voire des interdictions sur le commerce des chats et des chiens à l'Assemblée nationale.
Pourtant, en l'absence des premières données de l'observatoire statistique sur l'abandon des animaux, qui avait été annoncé par le précédent ministre chargé de l'agriculture, il demeure difficile d'évaluer la proportionnalité de l'extension de cette mesure à de nouvelles espèces au but recherché, à savoir la diminution du nombre d'animaux abandonnés.
Recommandation n° 10 : retirer les lapins et les furets du champ des animaux concernés par le certificat d'engagement et de connaissance et par le délai de réflexion de sept jours avant l'acquisition d'un animal de compagnie (décret modifiant le décret n° 2022-1012 du 18 juillet 2022).
3. Si l'objectif de la loi est véritablement de lutter contre l'abandon, le délai de réflexion de sept jours avant l'acquisition d'un animal de compagnie ne devrait souffrir d'aucune dérogation
Calqué sur des règles existant déjà pour le crédit à la consommation, le délai de réflexion de sept jours avant l'acquisition d'un animal a constitué l'apport-phare du Sénat lors de l'examen de la proposition de loi pour lutter contre les achats d'impulsion, phénomène inquiétant dont le texte initial tirait prétexte pour apporter des réponses hors-sol, voire hors-sujet, comme l'interdiction de la vente en animalerie.
Les associations de protection animale ont cependant alerté sur deux possibles effets pervers du délai de sept jours, qui s'impose en effet à elles comme aux autres :
- premièrement, les bénévoles opérant dans les refuges pourraient être soumis à des pressions, voire à des menaces, de la part de particuliers peu disposés à attendre une semaine avant de satisfaire leur désir ;
- secondement, ce délai pourrait causer des problèmes d'engorgement contraignant, dans les cas les plus extrêmes, certaines fourrières à des euthanasies.
La rapporteure tend à penser - le premier effet pervers en atteste - que les acquisitions d'impulsion sont possibles dans les refuges tout autant, si ce n'est plus, que dans les animaleries, en raison de motivations compassionnelles, auxquelles il faut ajouter des frais relativement limités, de l'ordre des dizaines ou centaines d'euros, par contraste avec un prix qui dépasse fréquemment les 1 000 € en animalerie ou chez un éleveur.
En l'absence d'étude établissant avec certitude une propension à l'abandon moindre des chats et chiens achetés en refuge par rapport aux chats et chiens achetés en élevage ou en ligne, la rapporteure s'étonne toutefois des instructions qui, à en croire les associations de protection animale elles-mêmes, auraient été données par les services vétérinaires du ministère de l'Agriculture aux services déconcentrés, dans le sens de contrôles moins stricts dans l'application de cette disposition aux refuges.
Elle appelle toutefois l'État à mettre toute l'énergie nécessaire à la protection des éleveurs et bénévoles ou salariés des refuges confrontés à de telles instances, par des instructions en ce sens aux services de police et de justice.
C'est pourquoi elle juge opportun de ne pas prévoir de dérogation à ce stade : tous les acteurs n'ayant pas encore eu le temps de s'approprier cette mesure, une telle dérogation aurait pour effet d'introduire de brouiller le message de la loi et d'en affaiblir l'effectivité, en créant du reste une distorsion non justifiée entre élevages et refuges.
Recommandation n° 11 : communiquer davantage sur l'existence du délai de sept jours avant l'acquisition d'un animal et donner des instructions claires aux services vétérinaires pour contrôler le respect de cette obligation.
Par ailleurs, si cette problématique d'encombrement était relevée de façon plus systématique, une solution pourrait être de retirer les furets et les lapins du décret du 18 juillet 2022 (cf. recommandation n° 9), qui conduit à leur appliquer ce délai de sept jours alors qu'ils n'étaient pas explicitement visés lors de l'élaboration et du vote de la loi.
4. L'absence toujours préoccupante de toute étude évaluant l'impact économique et sur le bien-être animal de l'interdiction de la vente des chiens et chats en animalerie
L'interdiction de la vente des chiens et chats en animalerie au 1er janvier 2024 (article 15) a été, sans conteste, la mesure la plus symbolique du premier chapitre de la loi.
Son efficacité sur le terrain pour lutter contre l'abandon des animaux de compagnie n'a cependant pas été formellement démontrée, aucune étude d'impact n'ayant été fournie au législateur avant qu'il ne se prononce sur cette mesure.
Et pour cause : l'une des raisons profondes ayant motivé cette interdiction, de nature davantage philosophique que pragmatique, était en réalité l'idée, défendue par de nombreuses associations, selon laquelle les animaux ne sont pas des biens ou, du moins, pas des biens comme les autres. De ce fait, ils ne devraient pas être commercialisés, au risque sinon de constituer une marchandisation du vivant.
De la même façon qu'aucune étude d'impact n'avait été fournie a priori, les acteurs rencontrés par la rapporteure pour contrôler l'application de cette loi n'ont pas été en mesure d'en chiffrer l'impact, tant en perte de résultat pour les professionnels qu'en nombre d'abandons d'animaux de compagnie.
Sur ce premier point, il faut souligner que plusieurs professionnels avaient déjà cessé la vente de chiots et chatons et que, pour les autres, ces animaux ne constituaient guère plus qu'un « produit d'appel », les accessoires et l'alimentation animale représentant désormais en réalité la majeure partie du chiffre d'affaires de ces professionnels.
S'agissant du bien-être animal, la mesure pourrait en revanche s'avérer contre-productive, illustrant l'adage selon lequel l'enfer est pavé de bonnes intentions, puisqu'elle pourrait détourner les transactions d'un canal géré par des professionnels formés et aisément contrôlables par les services vétérinaires, vers des réseaux plus décentralisés et, ipso facto, plus difficiles à surveiller, pouvant de ce fait donner lieu plus facilement à des trafics.
Recommandation n° 12 : demander à l'Observatoire de la protection des animaux de compagnie de procéder enfin à une étude évaluant l'impact de l'interdiction de la vente des chats et chiens en animalerie sur les abandons ; dans le même temps, procéder à une évaluation du coût économique de cette interdiction pour les professionnels.
5. Internet, et en particulier Facebook, sont en passe de devenir la plus grande animalerie de France
Sur l'encadrement de la cession des animaux de compagnie, suivant une éthique de responsabilité, la rapporteure avait souhaité lors de l'examen de ce texte :
- maintenir l'autorisation de la vente de chiens et chats dans les animaleries, canal identifié et contrôlé par les services vétérinaires ;
- prévoir une labellisation des plateformes, qui seraient responsables de la légalité des annonces qu'elles hébergent ;
- lutter plus fermement contre les trafics, en particulier issus de l'introduction sur le territoire national d'animaux d'Europe de l'Est.
Les députés avaient souhaité maintenir une interdiction de vente pour certaines espèces dans les animaleries. Au sujet des cessions en ligne, la commission mixte paritaire a permis d'aboutir à l'article 18 de la loi, qui interdit la vente en ligne sauf en cas de rubrique spécifique, afin de bien marquer la spécificité des animaux par opposition à d'autres biens marchands, ce qui aurait pour effet psychologique de limiter les achats d'impulsion. Le décret du 18 juillet 2022 a détaillé les modalités de cette séparation entre animaux et autres objets.
L'audition du Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral (SNVEL) a permis de rappeler que la vente des animaux sur internet est insuffisamment appréhendée par les pouvoirs publics, internet étant devenu la première animalerie de France.
Or, selon I-CAD, près de 50 % des annonces de vente en ligne sont erronées et, dans bien des cas, frauduleuses. Les fraudes les plus souvent repérées sont les abus d'identité, le piratage de photos et l'erreur de numéro d'identification.
Outre cette limite majeure qui compromet gravement l'application du texte, Le Bon Coin a souligné en audition les difficultés liées à l'absence de synchronisation de textes réglementaires pour se mettre en conformité avec ses obligations :
- l'interface de programmation d'application (« API ») que la délégation I-CAD est censée fournir avant juin 2023 a tardé à être mise à disposition de ces plateformes ;
- l'arrêté sur la liste positive d'espèces autorisées à la détention (article 14) n'ayant pas été pris, lesdites plateformes sont dans l'impossibilité d'afficher les noms scientifiques et vernaculaires des espèces, qui doivent figurer sur le site lors de la vente.
Le risque que cause cette impréparation est celui d'une fuite des annonces vers la place de marché de Facebook, voire sur des groupes ou discussions Facebook ou Whatsapp, où la vente n'est pas contrôlée.
Recommandation n° 13 : augmenter les contrôles sur l'authenticité des informations d'identification fournies lors de la vente en ligne d'animaux (risque de « compliance »), et donner aux plateformes de vente en ligne tous les outils réglementaires pour se mettre en conformité avec leurs obligations, au risque sinon d'une fuite vers des canaux moins contrôlés (risque de concurrence).
* 17 Pour l'article 14, qui relève du ministère chargé de l'environnement, se référer au I.
* 18 En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000 046 056 772
* 19 En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000 046 216 822
* 20 Arrêté du 14 janvier 2022 relatif à l'action de formation et à l'actualisation des connaissances nécessaires aux personnes exerçant des activités liées aux animaux de compagnie d'espèces domestiques et à l'habilitation des organismes de formation. En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000 045 048 062/2022-01-21/#LEGITEXT000 045 048 062
* 21 En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000 046 488 798