B. UN NOMBRE D'ÉLÈVES RELATIVEMENT FAIBLE MAIS DES EFFECTIFS MAL CONNUS
1. Une population d'élèves peu nombreuse et encore mal appréhendée
a) Un nombre croissant d'élèves allophones
Les données sur la scolarisation des élèves allophones découlent pour l'essentiel de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l'Éducation nationale.
D'après la DEPP, on dénombrait en 2018-2019 67 909 élèves allophones scolarisés dans l'élémentaire, en collège et en lycée ; 2 035 élèves pris en charge dans les missions de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS) et 2 587 élèves en attente de scolarisation. En 2020-2021, ils étaient 64 564 et 66 641 en comptant les jeunes scolarisés dans les MLDS ou non scolarisés. D'après la DEPP, les élèves allophones représentent 6,9 %o des élèves . Au total, 9 600 écoles et établissements accueillent des élèves allophones .
Si les deux dernières années se caractérisent par une baisse des effectifs pendant la crise sanitaire, la tendance de long terme est celle d'une hausse constante des effectifs scolarisés. Seuls 39 000 élèves étaient scolarisés en 2003-2004, ce qui représente une hausse de 54 % en primaire et de 44 % au collège. L'augmentation très frappante que l'on peut observer au lycée (+ 300 %) résulte du très faible d'élèves scolarisés au lycée il y a une vingtaine d'année.
Évolution du nombre d'élèves allophones (EANA)
(en milliers)
Source : commission des finances d'après l'enquête de la Cour des comptes d'après la DEPP
Parmi les élèves allophones, les garçons représentent 59 % des effectifs au total , et jusqu'à 74 % des allophones scolarisés en lycée. Huit sur dix étaient déjà scolarisés avant leur arrivée en France.
b) Une répartition inégale sur le territoire, notamment du fait d'une concentration des élèves dans les académies ultramarines
Ces chiffres recouvrent une très grande diversité géographique, les élèves allophones étant concentrés dans quelques départements tels que Mayotte, la Guyane, les départements du Vaucluse et de l'Essonne. Dans ces départements, les élèves allophones représentent plus de 11 %o des élèves scolarisés, contre 6,9 %o au niveau national .
La Cour, suivant les données de la DEPP, indique que les principales régions en tension sont les académies franciliennes, les zones frontalières (Marseille, Lille, Strasbourg) et les métropoles.
Certaines académies sont à l'inverse nettement moins concernées que d'autres. Par exemple, les départements du Finistère, du Pas-de-Calais et de la Vendée comptent moins de 3 %o d'élèves allophones.
Concernant le cas particulier des académies ultramarines, le rapporteur spécial renvoie à l'enquête de la Cour et au rapport publié en 2020 5 ( * ) . Les problématiques y sont très différentes : la proportion d'enfants qui n'ont pas le français pour langue maternelle est estimée à 70 % en Guyane.
Effectifs d'élèves allophones (EANA) par académie
Source : enquête de la Cour des comptes
2. Un coût budgétaire essentiellement lié aux dépenses de personnel
La Commission européenne a également récemment souligné « la rigidité des financements visant à fournir des services et un soutien adéquat » aux élèves allophones 6 ( * ) .
Selon la Cour des comptes, le budget consacré annuellement à la scolarisation des élèves allophones au sein de la mission « Enseignement scolaire » s'élève à 180 millions d'euros, auxquels s'ajoutent les dépenses de l'État et des collectivités pour la scolarisation en milieu ordinaire , les infrastructures scolaires et les temps périscolaires. Ces 180 millions correspondent donc en moyenne à un coût de 2 800 euros par élève de plus qu'un élève non allophone.
Crédits consacrés à la
scolarisation des élèves allophones
au sein de la mission
« Enseignement scolaire »
(en millions d'euros)
Source : commission des finances d'après la Cour des comptes d'après les documents budgétaires
Malgré la récente montée en charge des UPE2A dans les lycées, une part majoritaire des dépenses est consacrée au premier degré, c'est-à-dire pour l'essentiel à l'école primaire. Les dépenses du programme 141 - Enseignement public du second degré ne s'élevaient ainsi en 2022 qu'à 76 millions d'euros, contre 103 millions pour le programme 140 - Enseignement public du premier degré.
Part des dépenses en faveur des
élèves allophones
scolarisés dans le premier
degré
2020 |
2021 |
2022 |
55,54 % |
57,62 % |
57,63 % |
Source : commission des finances
Ces montants sont en quasi-totalité (98 %) constitués de dépenses de personnel (titre 2).
D'après les données du ministère et la Cour, 1 648 ETP sont consacrés aux UPE2A . Sur l'année scolaire 2020-2021, on comptabilise au niveau national l 183 ETP (12,7 millions d'euros) de décharges pour assurer le « soutien scolaire et accompagnement des élèves migrants », ainsi que 364,5 indemnités pour missions particulières (IMP) pour un montant limité de 0,5 million d'euros.
Étonnamment, la Cour précise que « le nombre de personnels intervenant en Casnav ne peut pas en revanche être identifié par le système d'information ». Il est cependant surprenant que le ministère ne dispose pas d'une vision consolidée des effectifs enseignants consacrés par chaque académie.
Ventilation des crédits hors titre 2
consacrés à la scolarisation
des élèves
allophones au sein de la mission « Enseignement
scolaire »
(en euros)
Source : commission des finances d'après la Cour des comptes d'après les documents budgétaires
La Cour des comptes soulève une piste que le rapporteur spécial considère comme intéressante. L'Italie utilise massivement le fonds européen Asile, Migration, Intégration (FAMI) pour financer ses efforts spécifiques vis-à-vis des jeunes migrants, y compris leur scolarisation. La Cour indique qu'il « est regrettable que le ministère chargé de l'éducation n'y ait pas recours, pour des raisons qui ne lui ont pas été indiquées ».
3. Des évaluations du système de scolarisation des élèves allophones partielles et qui doivent être refondées
a) Des données sur les élèves incomplètes
Concernant le nombre d'élèves concernés, la Cour des comptes met en avant des « discordances parfois importantes » entre les chiffres qui lui ont été communiqués et les statistiques nationales .
Il est vrai que depuis 2014, date de transformation de la collecte des données sur le sujet, la publication des statistiques relatives à la scolarité des élèves allophones reste très nettement perfectible.
La Cour indique que « les chiffres n'ont pas été publiés pour l'année 2015-2016, ni pour l'année 2019-2020, tandis que ceux relatifs à l'année 2020-2021 ne l'ont été qu'en septembre 2022 ». En outre, pour l'année 2019-2020, l'administration a admis que les données étaient « statistiquement inexploitables » 7 ( * ) . Seuls les chiffres de 12 académies ont pu être validés, dont sept n'ont pas nécessité de correction.
Le rapporteur spécial insiste sur la nécessité de mener à bien un travail statistique complet et approfondi au niveau national. Il est par exemple curieux que ne soient pas publiées des données sur les langues les plus parlées par ces élèves, leur âge d'arrivée dans le système scolaire français ou leur orientation scolaire.
b) Une évaluation de l'efficience du système qui ne saurait se passer de tests réguliers sur le niveau des élèves
Au-delà du nombre d'élèves et de leur localisation, le rapporteur spécial regrette tout particulièrement qu'il n'existe pas de suivi de ces élèves et de leurs performances scolaires.
Les seules données disponibles sont celles issues du test dit « de positionnement » réalisé par les élèves à l'entrée dans le système scolaire, qui déterminera le niveau auquel ils seront scolarisés.
D'après la DEPP, plus de sept élèves allophones scolarisés dans le premier degré sur dix sont « à l'heure » , c'est-à-dire que leur âge correspond à l'âge théorique pour ce niveau de formation. À l'école élémentaire, les retards de 2 ans ou plus relèvent de l'exception (autour de 3 %). En revanche, au collège, la proportion d'élèves allophones « à l'heure » est nettement plus faible : six collégiens allophones sur dix sont en décalage par rapport à leur classe d'âge .
Retard scolaire des élèves allophones en élémentaire et au collège
Source : DEPP
La Cour l'indique directement : « actuellement, il n'existe pas de référentiel spécifique de l'éducation nationale pour évaluer les élèves sortant d'UPE2A ».
Autrement dit, à l'issue de leur année en UPE2A, les élèves rejoignent les classes ordinaires sans que n'aient été mises en place des évaluations de niveau, ni concernant leur niveau en français langue seconde, ni dans les disciplines générales qu'ils seront pourtant amenés à suivre. Le rapport remis au Défenseur des droits en 2018 précédemment mentionné l'indiquait déjà « la sortie effective du dispositif n'est quasiment jamais décidée au regard des performances scolaires de la classe d'âge de référence ou de la progression réalisée par l'élève depuis son arrivée dans le système éducatif ». Ce rapport note qu'il n'y a, à cet égard, qu'une très faible cohérence entre le suivi du besoin scolaire et les flux d'entrées et de sorties dans les dispositifs .
S'il ne s'agit pas de conditionner la sortie d'UPE2A à l'atteinte d'objectifs, il conviendrait de s'assurer que les élèves allophones seront en capacité de s'inscrire dans un contexte scolaire ordinaire . En outre, on voit mal comment il est possible de mesurer l'efficience du dispositif actuel en l'absence d'évaluation du gain apporté par la scolarité en UPE2A.
Plus largement, il est regrettable qu'il n'existe pas de suivi tout au long de la scolarité des élèves allophones, une fois ceux-ci intégrés au système scolaire ordinaire. Le rapporteur spécial reprend à ce titre la recommandation exprimée par la Cour d'établir un véritable suivi de cohorte , qui permettrait une analyse fine et sur le long terme des apports du dispositif d'accueil des élèves allophones.
* 5 L'enseignement scolaire en outre-mer : des moyens à mieux adapter à la réalité des territoires, rapport d'information de M. Gérard LONGUET, fait au nom de la commission des finances, n° 224 (2020-2021) - 10 décembre 2020.
* 6 Commission européenne/EACEA/Eurydice, 2019. L'intégration des élèves issus de l'immigration dans les écoles en Europe: politiques et mesures nationales. Rapport Eurydice.
* 7 Réponse au questionnaire budgétaire 2023 du rapporteur spécial.