LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

En s'appuyant sur les différents constats soulevés par la Cour des comptes, le rapporteur spécial souhaite mettre en avant les observations suivantes :

1. Il est nécessaire d'améliorer le pilotage national et l'animation du réseau des centres académiques pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (casnav).

2. Le ministère de l'Éducation nationale gagnerait à mobiliser davantage les fonds européens destinés à la scolarisation des élèves entrant dans l'Union européenne.

3. Pour les élèves scolarisés en unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A), établir des tests de niveau avant intégration dans le système ordinaire afin d'évaluer la performance de l'enseignement en UPE2A.

4. Le cadre posé par la circulaire n° 2012-141 d'octobre 2012 doit être révisé pour le mettre en cohérence avec les obligations de scolarisation à trois ans et de formation jusqu'à 18 ans.

5. La possibilité pour l'ensemble des enseignants de bénéficier de la certification « français langue seconde » dans le cadre de la formation continue doit être étendue.

I. LE DOUBLE FONDEMENT DE LA SCOLARISATION DES ÉLÈVES ALLOPHONES : LE MILIEU SCOLAIRE ORDINAIRE MAIS UN CADRE D'ENSEIGNEMENT ADAPTÉ

A. UN CADRE JURIDIQUE STABLE DEPUIS 2012 MAIS QUI N'EST PAS TOUJOURS RESPECTÉ DU FAIT DE MOYENS INÉGALEMENT RÉPARTIS

1. Le principe posé par les textes : tendre vers une scolarisation inclusive

Un élève est considéré comme un allophone nouvellement arrivé (EANA) quand, à la suite de son arrivée en France, il a des besoins éducatifs particuliers dans l'apprentissage du français langue seconde (FLS).

Le code de l'éducation prévoit à l'article L. 321-4 l'obligation de mettre en place des actions particulières pour l'accueil et la scolarisation des enfants allophones arrivant dans le premier degré et au collège. Il n'existe toutefois pas d'obligation identique pour les lycées.

Le cadre juridique de la scolarisation de ces élèves n'a pas évolué depuis plus d'une décennie et est déterminé par la circulaire n° 2012-141 d'octobre 2012 2 ( * ) .

Le principe fondamental fixé par la circulaire est le suivant : les élèves allophones arrivants ne maîtrisant pas la langue de scolarisation, en âge d'être scolarisés à l'école maternelle, les élèves soumis à l'obligation scolaire et les élèves de plus de 16 ans doivent être inscrits dans la classe de leur âge. L'inclusion dans les classes ordinaires constitue la modalité principale de la scolarisation .

Lors de leur entrée dans le système éducatif français, les élèves allophones sont inscrits dans une classe ordinaire correspondant à leur niveau scolaire, sans dépasser en théorie un écart d'âge de plus de deux ans . Ils sont généralement également pris en charge par les unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A). Ces dernières se divisent entre les unités pédagogiques pour les élèves allophones arrivants ayant été scolarisés dans leur pays d'origine et les unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants non scolarisés antérieurement (UPE2A NSA).

Les textes prévoient que la durée de scolarité d'un élève allophone ne doit pas excéder l'équivalent d'une année scolaire . Au-delà, ces derniers doivent intégrer le système scolaire classique. Le temps de scolarisation peut toutefois être porté à deux ans pour les élèves peu ou non scolarisés antérieurement.

En UPE2A, les élèves bénéficient d'un enseignement intensif du français d'une durée hebdomadaire de 9 heures minimum dans le premier degré et de 12 heures minimum dans le second degré , en parallèle des temps de fréquentation de la classe ordinaire où l'élève est inscrit. Sont également prévus l'enseignement de deux disciplines autres que le français. Plus généralement, la langue française comme discipline et comme langue instrumentale des autres disciplines « ne saurait être enseignée indépendamment d'une pratique de la discipline elle-même » selon le texte de la circulaire de 2012.

2. Une gestion très déconcentrée en lien avec le réseau des Casnav qui entraîne d'importantes inégalités de prise en charge selon les territoires

La politique de scolarisation des élèves allophones est très déconcentrée et relève pour l'essentiel des rectorats .

Dans les académies, la gestion est assurée par les centres académiques pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des élèves issus des familles itinérantes et de voyageurs (Casnav) 3 ( * ) . Le Casnav a pour mission principale « d'informer et d'accompagner les enseignants et les personnels d'encadrement par des conseils et une aide pédagogique aux équipes enseignantes, des actions de formation, la diffusion de documents pédagogiques ou d'autres ressources » 4 ( * ) .

Le pilotage par l'administration centrale est dans les faits assez lacunaire, notamment du fait de l'absence de données chiffrées consolidées , qui sera développée plus bas. Ainsi, un seul équivalent temps plein (ETP) est depuis 2022 consacré au suivi de la scolarisation des EANA et à l'animation du réseau des Casnav au sein de l'administration centrale. La Cour des comptes indique que « l'animation du réseau apparaît, en outre, relativement discontinue » , ce qui semble un euphémisme dès lors que le dernier colloque réunissant l'intégralité du réseau des Casnav remonte à avril 2019.

Cette situation, soulignée par la Cour des comptes dans la présente enquête, n'est pas une nouveauté. Ainsi, le rapport de l'inspection générale de l'éducation nationale de 2009 mentionné plus haut critiquait un « pilotage pédagogique insuffisant » , les différences entre structures de scolarisation entraînant un manque de lisibilité et des conditions d'accueil et d'enseignement très variables. Le rapport réalisé en 2018 par l'institut national supérieur formation et recherche - handicap et enseignements adaptés (INSHEA) à la demande du Défenseur des droits soulignait de même les « conditions scolaires inégales, sources d'injustices pour les élèves et de frustrations pour les professionnels ».

Concernant les Casnav, la Cour montre de grandes différences dans la réalité de leur organisation et de leur fonctionnement , notamment du fait de moyens très variables selon les académies .

Ainsi, la Cour des comptes indique qu'un ETP s'occupe de 218 élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) pour le Casnav de Normandie, mais de 734 élèves à Créteil et 300 à Paris. En Guyane et à Mayotte, un ETP s'occupe respectivement de 153 et de 180 EANA, du fait d'une situation locale particulièrement complexe.

Ces importantes inégalités territoriales s'observent également dans la répartition des UPE2A et dans le nombre d'élèves par section. La Cour note ainsi « de fortes variations dans les effectifs par école et par enseignant. En Val-de-Marne, le nombre d'EANA varie, par exemple, d'une dizaine à 20 et plus par école, et de moins de 10 à plus de 40 par enseignant ». De fortes disparités entre les UPE2A et les arrondissements sont également visibles à Paris (de 4 à 24 élèves par dispositif). Lorsqu'il n'existe pas d'UPE2A ou à la sortie d'une UPE2A si l'élève n'est pas autonome, les EANA sont inclus en cursus ordinaire avec un soutien linguistique. C'est le cas de 21 % d'entre eux à la dernière rentrée.

En conséquence , le minimum de 9 heures de cours n'est pas toujours respecté : selon la Cour des comptes, en juin 2021, 430 élèves suivaient plus de 9 heures de français langue seconde et 282 d'entre eux bénéficiaient de moins de 9 heures.

Concernant la coordination avec les différents acteurs au-delà de l'Éducation nationale, celle-ci est également limitée . Le rapport présenté en 2018 au Défenseur des droits indique que « si les relations avec les partenaires locaux tels que la mairie et le département sont signalées comme centrales dans les missions du CASNAV et dans la scolarisation, celles-ci sont rares ». De même, les liens avec les structures associatives sont qualifiés de « souvent distendus et plutôt ponctuels, limités parfois aux problèmes administratifs ».

Enfin, la Cour note que « le ministère ne semble pas avoir de point de vue précis » sur les dynamiques d'implantation des UPE2A au sein des établissements scolaires, en particulier en articulation avec le réseau d'éducation prioritaire (REP+).

Le rapporteur spécial souligne qu'il est regrettable que l'administration centrale ne se soit toujours pas emparée du problème des disparités interacadémiques , pour aller vers une nécessaire harmonisation des moyens, ou à tout le moins vers une plus grande adaptation aux enjeux locaux.


* 2 Circulaire n° 2012-141 du 2 octobre 2012 relative à l'organisation de la scolarité des élèves nouvellement arrivés en France.

* 3 Circulaire du 2 octobre 2012.

* 4 Enquête de la Cour des comptes.

Page mise à jour le

Partager cette page