B. UNE GOUVERNANCE ÉCLATÉE ET EN MANQUE D'EXPERTISE
1. Une planification fragile
a) Des données très perfectibles
Le recueil des données, lors des auditions et des déplacements, a démontré qu'elles présentaient de nombreuses insuffisances, retards ou imprécisions.
(1) Une faiblesse qui n'est pas propre aux outre-mer...
Ce constat est aussi valable pour l'Hexagone. La Cour des comptes dresse un état des lieux critique sur la production des données en matière de gestion des déchets ménagers 25 ( * ) . La Cour relève que l'Ademe est « confrontée de façon générale à la faible qualité et au retard des comptes-rendus sur les déchets ménagers et assimilés que doivent élaborer chaque année les intercommunalités ».
La Cour des comptes souligne d'autres difficultés :
- des transmissions d'information par les syndicats et les exploitants des installations irrégulières, partielles et ne respectant pas la formalisation réglementaire ;
- des indicateurs trop nombreux, complexes et peu significatifs car rendant compte des moyens mis en oeuvre et non des résultats obtenus ;
- de longs délais de production des informations consolidées ;
- la loi aggrave cette situation en alourdissant le dispositif de production de données :
- obligation pour les collectivités de produire deux types de compte-rendu : les bilans des programmes locaux (PLPDMA) et les rapports annuels sur le prix et la qualité du service public de prévention et de gestion des déchets (RPQS). La Cour préconise de ne conserver que le second ;
- des indicateurs pléthoriques pour suivre les objectifs nationaux : une quarantaine pour le service public de gestion des déchets (les collectivités territoriales) et 14 types d'indicateurs pour les éco-organismes.
La remontée des informations est donc excessivement longue et complexe, ce qui en retour ne permet pas à l'Ademe de produire des indicateurs consolidés sur des périodes longues significatives.
Ce brouillard de données complique le pilotage de la politique publique des déchets et prive les décideurs d'indicateurs éclairants pour orienter et prioriser les actions.
Dans son rapport, la Cour des comptes formule plusieurs recommandations pour remédier à ces difficultés, la principale étant de réduire le nombre d'indicateurs et de s'en tenir à un tableau de bord synthétique comptant une dizaine d'indicateurs clés, les plus significatifs.
N° |
Thèmes |
Indicateurs du tableau de bord SPGD |
Indicateurs du tableau de bord REP |
1 |
Prévention |
Dépenses de prévention /coût total du SPGPD (en %) |
Dépenses de prévention/CA des éco-organismes (en %) |
2 |
Financement incitatif |
Population couverte par la fiscalité incitative (en million d'habitants) |
Produits mis sur le marché soumis à une éco-modulation (en %) |
3 |
Production |
Volume de DMA par habitants (en kg) |
Gisement de déchets calculé (en kt) |
4 |
Collecte |
Volume d'OMR par habitant (en kg) |
Taux de collecte séparée (en %) |
5 |
Valorisation |
Quantité de déchets faisant l'objet d'une valorisation sous forme de matière (en Mt) |
Taux de recyclage par rapport au gisement ou aux mises sur le marché (en %) |
6 |
Élimination |
Quantités de déchets admis en installation de stockage (en Mt) |
Élimination (en kt) |
Source : Cour des comptes
Dans le contexte des outre-mer, ces préconisations seraient encore plus pertinentes, compte tenu de leurs capacités administratives et techniques souvent plus réduites.
Des indicateurs moins nombreux, fiables, réguliers et harmonisés permettraient aux acteurs locaux de mieux comparer leurs performances relatives et d'identifier les priorités .
(2) ...mais qui y est exacerbée
Les raisons de cette imprécision accrue dans les outre-mer sont multiples.
En premier lieu, la population de certains territoires, en particulier la Guyane et Mayotte et, dans une moindre mesure, Saint-Martin, est mal connue, du fait de l' importance de l'immigration irrégulière . L'estimation des gisements de déchets ou le calcul du volume de déchets par habitant en est faussé. L' écart entre la population officielle et la population réelle est d'au moins 20 à 30 % .
En deuxième lieu, une part des gisements échappe à la collecte officielle. Le phénomène des dépôts sauvages, pas tous identifiés ou traités, détourne une part de déchets des flux réguliers et mesurés.
En troisième lieu, des flux de collecte ne font toujours pas l'objet de pesées. C'est le cas en Guyane dans certains secteurs.
En quatrième lieu, les administrations de l'État ne collaborent pas toujours. Plusieurs éco-organismes auditionnés, notamment Cyclevia et Ecosystem, se sont plaints de l' impossibilité d'obtenir des douanes les chiffres des importations pour estimer les gisements de leurs filières respectives. À La Réunion, cette même difficulté a été constatée par Dominique Vienne, président du CESER. L'Ademe et la Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) se sont aussi vues opposer un refus en première intention 26 ( * ) .
Enfin, les capacités administratives pour produire les données requises au sein des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), syndicats ou autres acteurs privés ou publics des déchets, si elles sont déjà mises sous tension dans l'Hexagone, le sont encore plus dans les outre-mer.
Ces divers obstacles font que les opérateurs - collectivités ou éco-organisme - manquent d'outils de pilotage et d'évaluation .
Laurence Bouret, déléguée générale de l'éco-organisme Dastri, a déclaré lors de son audition avoir « mis dix ans pour obtenir des données par territoire » sur les gisements de référence.
En Guadeloupe, le plan régional de prévention et de gestion des déchets, adopté en 2020, a été construit sur la base des données fournies par l'Observatoire régional des déchets et de l'économie circulaire (Ordec) de 2016.
À Mayotte, le projet de PRPGD daté de 2020 note lui-même le caractère incertain et partiel des données.
Extrait du rapport de 2019 de l'Observatoire
régional des déchets de Guyane
sur la période
2015-2017 (page 2)
Avertissement aux lecteurs : Les résultats présentés dans ce document proviennent des enquêtes et des données Comptacoût® collectées auprès du service public de gestion des déchets ménagers de la CACL, CCDS, CCEG, CCOG et des déclarations des éco-organismes.
L'exercice présenté comporte néanmoins certaines limites liées à l'absence de données sur la population non-recensée par l'INSEE, sur les filières informelles de gestion des déchets et l'absence d'instruments de pesée sur certaines installations de traitement des déchets conduisant à des estimations de poids. [...]
Cette faiblesse statistique est partagée avec les collectivités d'outre-mer.
Ainsi, à Saint-Pierre-et-Miquelon, l'Ademe dans un rapport de juin 2019 sur les déchets de la commune de Miquelon-Langlade pointe le caractère incertain et estimatif des données.
À Saint-Martin, il n'existe pas d'estimations quantitatives des gisements par types de déchets produits.
En Polynésie française, les données sont également lacunaires et certaines définitions des catégories de déchets ne sont pas clairement établies par la réglementation du pays, comme le souligne un rapport de la chambre territoriale des comptes de juillet 2021.
En Nouvelle-Calédonie, dans la province des îles Loyauté, les données sont seulement des estimations. Les trois ISDND n'y sont pas équipés d'outils de mesure (pas de pont-bascule, ni de pèse essieu sur les sites pour avoir les tonnages entrants).
(3) Consolider la statistique : les observatoires régionaux des déchets
La production de données fiables pour construire des indicateurs solides exigera du temps, compte tenu de certains biais statistiques difficiles à corriger (immigration irrégulière, dépôts sauvages, écobuage, incinération domestique de déchets...). Il faut aussi relever que ponctuellement, l'Ademe fournit ou finance des études permettant d'approfondir la connaissance des déchets sur un territoire et les pratiques des usagers 27 ( * ) . Mais ce travail ne peut remplacer une collecte régulière, harmonisée et sur des périodes longues.
Des améliorations nettes sont possibles .
À court terme, les douanes doivent communiquer les données relatives aux importations, afin d'évaluer les gisements de déchets par catégorie. Une instruction ministérielle devrait suffire en s'appuyant notamment sur les dispositions du code de l'environnement 28 ( * ) . Toutefois, en cas de résistance, une évolution législative ne doit pas être exclue. C'est un point essentiel, car les porteurs de projet sont aussi handicapés par ce flou . À La Réunion, comme le relève Éric Marguerite, vice-président du CESER, l'entreprise Sodeval qui recycle les pneus a dû se battre pour obtenir des importateurs une estimation du gisement, sans laquelle il est impossible d'évaluer la faisabilité économique du projet.
À moyen terme, il convient naturellement que les territoires les plus en retard achèvent d'équiper toutes leurs installations de moyens de pesée .
Enfin, la création d'observatoires régionaux des déchets doit se généraliser dans tous les territoires ultramarins. Ces observatoires existent en Guyane (l'Ademe assume cette mission dans l'attente de l'adoption du plan régional par la collectivité territoriale de Guyane), à la Guadeloupe et à La Réunion.
Hormis les outre-mer peu peuplés (moins de 40 000 habitants) dans lesquels le service en charge de l'environnement assume directement cette mission, chaque territoire devrait se doter d'une telle structure auprès de l'autorité en charge de la planification (les régions, le pays en Polynésie et le Gouvernement ou les provinces en Nouvelle-Calédonie). Cela suppose le recrutement de personnels compétents.
Les collectivités doivent y voir un investissement nécessaire pour bien évaluer les gisements de déchets, qui ont tous vocation à devenir des gisements de matière première, à mesure que des filières locales se développeront pour les valoriser. Au demeurant, vos rapporteures ont constaté que certaines initiatives privées de recyclage ou réemploi peinaient à se concrétiser ou à trouver des investisseurs faute de disposer d'estimation fiable des gisements potentiels. Il est indispensable de créer les conditions d'un cercle vertueux.
Proposition n° 2 : Produire des données fiables sur les déchets :
- en créant dans chaque outre-mer un observatoire régional des déchets adossé à l'autorité en charge de la planification ;
- en obtenant des douanes la transmission régulière des chiffres des importations pour mieux évaluer les gisements.
b) De trop rares outils de planification
Outre l'imprécision des données statistiques qui rend délicat et incertain l'exercice de planification, force est de constater que tous les territoires ultra-marins n'ont pas encore achevé le travail de diagnostic et de planification.
(1) Les territoires régis par la loi NOTRe
La loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République (loi NOTRe) a précisé les modalités de planification de la politique des déchets en transférant cette compétence à l'échelon régional. Il revient en particulier à la région de réaliser le PRPGD.
Ce document clé concerne tous les déchets quels que soient leurs producteurs ou leurs types (hors déchets radioactifs et militaires). Le PRPGD est non prescriptif, mais opposable aux décisions de personnes morales de droit public, à toutes les décisions prises sur les territoires par des acteurs publics et leurs délégataires en matière de prévention et de gestion des déchets. Cela signifie que les décisions prises dans le domaine des déchets par les personnes morales de droit public et leurs concessionnaires doivent être compatibles avec le plan. La création d'une installation de traitement des déchets peut donc être refusée, si elle contrevient aux objectifs du plan.
Document clé, le PRPGD devait être adopté en 2020 au plus tard.
Cette obligation s'imposait à la Guadeloupe, la Guyane, La Réunion, la Martinique et Mayotte. À ce jour, seules la Martinique (2019) et la Guadeloupe (2020) ont adopté leur plan, soit une minorité .
En Guyane, le projet de PRPGD a été soumis à la consultation du public. Il devrait donc être adopté prochainement.
À La Réunion, l'élaboration du projet était en bonne voie selon les autorités régionales rencontrées par vos rapporteures.
À Mayotte, un projet a été préparé en 2020, mais le processus ne semble plus avancer depuis.
(2) Des situations comparables dans les autres territoires
Les collectivités d'outre-mer et la Nouvelle-Calédonie ne sont pas régies par la loi NOTRe. Pour autant, l'utilité d'un document de planification est identique.
Seule la Nouvelle-Calédonie s'est dotée d'outils analogues, mais à l'échelon de chacune des trois provinces 29 ( * ) qui exercent la compétence environnement. Au niveau du territoire calédonien, il n'existe pas de documents d'orientation ou de planification
En Polynésie française , un schéma territorial de prévention et de gestion des déchets, annoncé depuis 2017 par la collectivité, semble en cours de finalisation au niveau de la Direction de l'environnement (DIREN), du ministère de l'environnement de la Polynésie française.
À Saint-Pierre-et-Miquelon , le schéma territorial serait aussi en cours d'élaboration par la collectivité, mais vos rapporteures ont constaté lors de leurs entretiens que les échanges d'information demeuraient compliqués entre les deux communes et la collectivité territoriale.
À Saint-Martin , le PRPGD est aussi en cours d'élaboration et comprendra un Plan Territorial d'Actions pour l'Économie Circulaire, sur le modèle de la loi NOTRe.
Enfin, à Saint-Barthélemy , le code local de l'environnement ne prévoit pas de document de planification. L'échelle du territoire et son organisation administrative (une collectivité unique) rendent moins nécessaires un tel document. Néanmoins, dans un format allégé et adapté, il conserverait sa pertinence pour piloter à moyen ou long terme cette politique et fixer notamment des objectifs en matière de prévention.
(3) Un exercice de planification de plus en plus compliqué
À la décharge des outre-mer, et en particulier de ceux soumis à la loi NOTRe, il faut admettre que l'élaboration des plans régionaux est particulièrement complexe, voire impossible, pour satisfaire à tous les objectifs.
Les plans régionaux doivent en effet concourir « à l'atteinte des objectifs nationaux mentionnés à l'article L.541-1 du code de l'environnement » 30 ( * ) .
Or, compte tenu du retard pris dans les outre-mer, ces objectifs sont pour certains hors de portée, voire inadaptés aux contraintes de ces territoires 31 ( * ) .
La gageure est encore accrue par la modification régulière de ces objectifs, notamment à la suite de l'adoption en 2018 du Paquet Économie Circulaire (PEC) par l'Union européenne qui a été notamment transposé par la loi Agec en 2020.
Certains objectifs, notamment en matière de traitement, ont encore été durcis. S'agissant du tri à la source des bio-déchets, la date de mise en oeuvre a été avancée au 31 décembre 2023, et non plus en 2025.
Dans ces conditions, les plans régionaux sont vite obsolètes et demandent des mises à jour importantes.
D'ailleurs, le plan régional de la Martinique, premier territoire ultramarin à s'en être doté dès 2019, pointe ces contraintes et assume de ne pas pouvoir s'aligner sur les objectifs découlant du PEC. On imagine aisément que ce qui paraît hors d'atteinte pour la Martinique l'est encore plus pour Mayotte ou la Guyane .
Des objectifs hors de portée des outre-mer
Extraits du PRPGD de la Martinique (pages 19 à 22)
L'évolution de la réglementation européenne avec l'approbation mi 2018 du Paquet Économie Circulaire (PEC) par l'Union européenne a conduit à étudier deux scénarios afin de définir les capacités du territoire et les moyens à mobiliser pour respecter les objectifs :
- d'une part, de la réglementation concernant les déchets et l'économie circulaire en vigueur à l'approbation du Plan : scénario 1 ;
- d'autre part, du Paquet Économie Circulaire : scénario 2. [...].
La commission consultative d'élaboration et de suivi du 20 novembre 2018 a choisi de retenir le scénario 1 qui est très ambitieux pour le territoire et le seul réaliste pour respecter aux échéances du Plan, les objectifs réglementaires en vigueur à son approbation.
En effet, le scénario 2 montre que, même avec mise en place d'une tarification incitative et une collecte des biodéchets sur la totalité de la Martinique, il ne sera pas possible d'atteindre l'objectif de recyclage du Paquet Économie Circulaire Européen (en présumant des modalités de sa transcription en droit français).
Pour la Martinique, les taux de recyclages sont amoindris par rapport à ce qui est possible sur le reste du territoire français pour les raisons suivantes :
- de nombreux gisements recyclables dans l'Hexagone ne sont pas toujours mobilisables en Martinique (ex : Déchets d'éléments d'ameublement, ...), car certains Éco-Organismes disposent de clauses dans leurs agréments leur permettant d'effectuer de la valorisation énergétique au détriment du recyclage. Et le Plan ne peut pas juridiquement fixer des objectifs aux éco-organismes plus contraignants que leurs agréments ;
- le verre est actuellement valorisé par intégration dans des couches de voiries. Cette utilisation, approuvée par l'éco-organisme en charge des emballages ménagers, ne constitue pas du recyclage. À la vue du principe de proximité et des enjeux locaux, il semble difficilement envisageable de remettre en cause cette filière de valorisation locale pérenne pour un renvoi du verre vers l'Hexagone [...] ;
- les mâchefers ne peuvent être considérés comme étant recyclés que s'ils sont utilisés en sous-couche routière. Cependant, au vu des contraintes du territoire martiniquais qui présente des risques sismiques, des risques en termes d'inondation et de submersion, et la topographie du réseau routier avec de fortes déclivités, cette utilisation semble complexe. Leur maintien en couche de recouvrement intermédiaire de casier en ISDND semble la seule solution de valorisation, excluant les possibilités de recyclage. [...]
Une adaptation des objectifs européens et nationaux à la situation des outre-mer apparaît donc indispensable. Des plans régionaux incluant des objectifs en dehors des réalités n'ont pas d'intérêt pour ces territoires. Or, on constate qu'aussi bien le Paquet Économie Circulaire de l'Union européenne que la législation française ne tiennent pas compte des caractéristiques très spécifiques des outre-mer. Seul un portage politique puissant permettra d'exploiter tout le potentiel d'adaptation des textes européens aux réalités des régions ultrapériphériques (RUP), en application de l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Le réflexe outre-mer doit être national et européen .
2. Trop d'acteurs en charge du traitement des déchets ménagers
Si la région est en charge de la planification en lien avec tous les acteurs du déchet 32 ( * ) (collectivités territoriales, éco-organismes, entreprises privées...), la compétence de la collecte et du traitement des déchets des ménages et assimilés appartient aux intercommunalités depuis la loi NOTRe de 2015 33 ( * ) , y compris dans les départements et régions d'outre-mer.
Dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, la répartition des compétences est hétérogène.
a) Guadeloupe, Guyane, La Réunion, Martinique, Mayotte : pour un opérateur unique du traitement des déchets
(1) Des choix différents dans chaque territoire
Transférés aux intercommunalités, les compétences « collecte » et « traitement » peuvent être exercées par la même collectivité ou par deux collectivités différentes.
Un EPCI peut donc, au choix, exercer lui-même les deux compétences ou bien conserver la collecte et transférer le traitement à un groupement de collectivités, ou encore transférer la collecte et le traitement à un groupement de collectivités, qui peut lui-même transférer ces compétences ou le traitement seulement à un autre groupement.
Il est fréquent que la compétence « traitement » soit notamment transféré à un syndicat, cette compétence exigeant des équipements complexes, des investissements lourds, des effets de masse et une ingénierie importante. Il faut également assumer des responsabilités et des risques plus élevés, notamment avec la gestion d'installations classées (ICPE) : ISDND, unité de valorisation énergétique, centre de tri ...
Dans les outre-mer, les choix opérés divergent selon les territoires.
Guadeloupe
|
Guyane
|
La Réunion
|
Martinique
|
Mayotte
|
|
Collecte |
6 EPCI |
4 EPCI |
5 EPCI |
3 EPCI |
1 SM 34 ( * ) 1 EPCI |
Traitement |
1 SM 35 ( * ) 2 EPCI |
4 EPCI |
2 SM 36 ( * ) |
1 SM 37 ( * ) |
1 SM |
SM=Syndicat mixte
(2) Une dispersion des forces préjudiciable
On observe que la collecte demeure largement de la compétence des EPCI, seul Mayotte ayant fait le choix de confier cette compétence à un syndicat mixte (un EPCI y a toutefois conservé cette compétence, la CADEMA qui regroupe deux communes dont Mamoudzou la « capitale »).
Ces choix n'appellent pas d'observations particulières, la collecte exigeant une proximité avec les usagers.
En revanche, la compétence « traitement » a fait l'objet de choix de gestion très différents. Seuls deux territoires ont un opérateur : la Martinique et Mayotte. Dans les trois autres territoires, entre deux et quatre opérateurs se partagent le traitement des déchets sur des territoires contraints, isolés et aux moyens financiers limités .
Certes, les syndicats mixtes de Martinique et Mayotte ont connu d'importantes difficultés de gouvernance ces dernières années. Pour autant, cela ne peut suffire à en faire des contre-exemples et à invalider l'idée selon laquelle dans les outre-mer, les territoires ne peuvent se permettre de diviser leurs moyens pour structurer des filières performantes et innovantes de traitement des déchets.
Les capacités d'ingénierie, pourtant rares, s'en trouvent éclatées. Surtout, cela complexifie naturellement la coordination des acteurs, la planification et la massification des flux pour faire émerger des filières locales de recyclage rentables.
Dans chaque outre-mer, une seule entité devrait avoir la responsabilité du traitement des déchets ménagers et assimilés .
Proposition n° 3 : Simplifier la gouvernance dans chaque département et région d'outre-mer en transférant à un opérateur unique le traitement des déchets ménagers.
b) Dans les COM et en Nouvelle-Calédonie, des modèles de gouvernance contestés
Saint-Barthélemy, collectivité unique, jouit d'une gouvernance très simplifiée et unifiée qui n'appelle pas d'observations. En revanche, les autres collectivités rencontrent diverses difficultés.
(1) En Polynésie française, des communes dépassées
En Polynésie française, la compétence de la collecte et du traitement des déchets ménagers et des déchets végétaux appartient aux communes.
La gestion des déchets dangereux et des déchets ménagers spéciaux des ménages relève en revanche du pays. Quant aux déchets des professionnels, la responsabilité de trouver des filières de traitements agréées pour leurs déchets est à la charge des entreprises via le principe de pollueur/payeur.
Lors de son audition par la délégation, Cyril Tetuanui, président du Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française (SPCPF), a très clairement affirmé que son souhait était que « la compétence [traitement] revienne au pays, comme c'était le cas avant 2004 » .
En effet, les communes polynésiennes ont très peu de ressources financières. Il n'existe pas de fiscalité communale. Surtout, pour de nombreuses communes ou EPCI regroupant des îles éloignées, peu habités, sur un territoire vaste comme l'Europe, le traitement des déchets représente un coût trop important et une expertise qui dépasse leurs capacités. Selon le président du SPCPF, « le pays possède les moyens financiers et fonciers pour construire des centres d'enfouissement techniques ».
Cette analyse est confirmée par un récent rapport de la Chambre territoriale des comptes de 2021 38 ( * ) . Il y est notamment expliqué que « le pays ne verse pas d'aides financières pour les Îles qui envoient leurs déchets recyclables pour traitement à Tahiti. Or ces communes supportent le coût du transport jusqu'au centre de recyclage et de transfert situé à Papeete, ainsi que le coût de traitement de ces déchets . »
Dans son rapport, la Chambre invite le pays à engager des réflexions sur la mise en place d'aides financières, par exemple la prise en charge d'une partie du coût de transport, pour inciter davantage de communes à envoyer leurs recyclables à Tahiti. Le rapport rappelle aussi que le Conseil économique social et culturel de la Polynésie française avait déjà suggéré de flécher une partie du produit de la taxe pour l'environnement, l'agriculture et la pêche (TEAP) 39 ( * ) pour la prise en charge du coût de rapatriement des déchets vers Tahiti.
Ces aides renforcées soulageraient financièrement les communes, mais ne résoudraient pas le problème de fond qui est la capacité des communes à appréhender une politique publique de plus en plus complexe et onéreuse. Le pays paraît l'échelon pertinent, en étroite coopération avec les communes. Une modification de la loi organique n°2004-192 du 27 février 2004 serait nécessaire .
Proposition n° 4 : En Polynésie française, transférer au pays la compétence du traitement des déchets ménagers.
(2) En Nouvelle-Calédonie, réduire le millefeuille de compétences
En Nouvelle-Calédonie, de multiples autorités interviennent en matière de déchets.
L'État demeure compétent en ce qui concerne les mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et radioactifs.
Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie gère les déchets d'activités de soin à risques infectieux (DASRI), les médicaments non utilisés et les déchets d'amiante. Il perçoit également une taxe sur certains produits polluants qui alimente un fonds destiné à financer des actions de gestion des déchets dans les communes ou les provinces. Il intervient donc très peu.
Les trois provinces détiennent la compétence « environnement », chacune ayant son propre code, lequel réglemente notamment la collecte et le traitement des déchets. Les provinces arrêtent leurs politiques publiques relatives aux déchets, contrôlent les ICPE et structurent chaque filière des déchets, notamment les filières REP locales.
Dans le cadre défini par les provinces, les communes sont responsables de la collecte et du traitement des déchets ménagers. Certaines communes 40 ( * ) ont délégué leur compétence (soit en collecte, soit en traitement) à des syndicats intercommunaux 41 ( * ) .
Il existe enfin d'autres acteurs privés, notamment les éco-organismes.
Le schéma territorial de la province Sud relève que le mode de gouvernance est perfectible pour permettre d'évoluer vers une mutualisation et une rationalisation des moyens au regard de la configuration du territoire (superficie, population...). Il indique que si la compétence environnementale revient aux provinces conformément à l'article 20 de la loi organique (trois provinces, trois codes de l'environnement), la gestion des déchets concerne l'ensemble des institutions (municipalités, État, gouvernement de la Nouvelle Calédonie) et doit se gérer à l'échelle du territoire.
L'installation de stockage des déchets non dangereux qui se trouve dans la province Sud et qui accueille des déchets de toute la Calédonie, notamment de la province des îles Loyauté en est une illustration.
Dans ces conditions, pour les mêmes raisons que celles déjà évoquées pour les autres territoires ultramarins, une modification de la loi organique à l'occasion de la prochaine révision du statut de la Nouvelle-Calédonie devrait confier au gouvernement la compétence de réglementer et de planifier la gestion des déchets, en lieu et place des provinces, sans préjudice des autres matières relevant de la compétence « environnement » .
Par ailleurs, comme dans les départements et régions d'outre-mer, les communes et syndicats intercommunaux gagneraient à se regrouper pour confier à un syndicat unique le traitement des déchets ménagers.
Proposition n° 5 : En Nouvelle-Calédonie, transférer des provinces au territoire la compétence « gestion des déchets ».
(3) Saint-Pierre-et-Miquelon : deux communes désemparées face aux déchets
Lors de leur déplacement à Saint-Pierre-et-Miquelon, vos rapporteures ont pu s'entretenir avec les maires et responsables des deux communes de Saint-Pierre (environ 5.400 habitants) et de Miquelon-Langlade (environ 600 habitants).
Les deux communes gèrent la collecte et le traitement des déchets ménagers, conformément à la loi, mais également les autres déchets compte tenu de la faible implantation des éco-organismes sur ce territoire et de l'absence d'acteurs privés pour traiter les déchets des entreprises. Les communes, qui disposent de moyens financiers limités, gèrent tous les déchets du territoire.
Vos rapporteures ont ressenti le désarroi des maires pour assumer le traitement des déchets (élimination, recyclage, exportation). En revanche, la collecte des déchets ménagers est parfaitement assumée et obtient des résultats remarquables en matière de prévention et de tri, y compris des biodéchets des particuliers.
Yannick Cambray, maire de Saint-Pierre, considère que les déchets devraient être un « projet de territoire rassemblant les deux communes, la collectivité et la CACIMA 42 ( * ) ».
Cette logique de territoire est également soutenue par Franck Detcheverry, maire de Miquelon-Langlade, qui souligne la complémentarité des deux îles .
Le port et les filières d'exportation et de recyclage sont localisés à Saint-Pierre qui manque en revanche d'espace et a une géologie peu favorable à l'enfouissement. À l'inverse, Miquelon-Langlade est vaste et pourrait accueillir un site d'enfouissement aux normes pour les déchets non recyclables du territoire.
La collectivité territoriale n'a pas de compétences de gestion en matière de déchets. En revanche, en qualité d'autorité régionale, elle doit élaborer le plan territorial des déchets. Le dernier date de 2008. Le nouveau plan est en cours d'élaboration.
La collectivité intervient aussi en mettant du foncier à disposition des communes (la déchetterie et le centre de compostage de la commune de Saint-Pierre sont construits sur des terrains de la collectivité) ou en subventionnant l'investissement.
La configuration du territoire et son organisation institutionnelle resserrée autour de deux communes et une collectivité plaide pour engager une réflexion sur le transfert de la compétence « traitement des déchets » à la collectivité territoriale.
(4) Saint-Martin : une île, deux gouvernances
Lors de son audition par la délégation, José Carti, représentant de la direction « eau, énergie et environnement » de la collectivité de Saint-Martin, constatait que l'île est « soumise à deux réglementations différentes. La partie française est une région ultrapériphérique (RUP), la partie néerlandaise un PTOM. L'application uniforme du droit européen n'est donc pas possible. Nous demandons aujourd'hui que la gouvernance locale soit revue pour que les deux parties de l'île puissent mieux travailler ensemble sur cette problématique des déchets. »
Ce souhait rejoint plus largement celui d'un nouveau mode de gouvernance qui permettrait aux deux parties de l'île de coopérer, voire d'agir conjointement, sur diverses politiques publiques.
Lors de son audition par la délégation sur un autre thème, celui de l'évolution institutionnelle des outre-mer, Alex Richards, conseiller spécial du président de la collectivité territoriale de Saint-Martin, déclarait « qu'il serait judicieux de s'intéresser à la possibilité offerte par le droit européen de créer un groupement européen de coopération transfrontalière (GECT) 43 ( * ) , qui réunirait des représentants de la partie française et des représentants de la partie hollandaise pour gérer les problématiques communes à l'ensemble du territoire. À ce sujet, une demande sera prochainement formalisée pour que la France accompagne Saint-Martin dans une telle démarche auprès de Bruxelles afin d'en étudier la faisabilité . »
La gestion des déchets serait un terrain d'essai idéal pour un futur GECT .
3. Un défaut de coordination des acteurs
Dans le rapport précité de la Cour des comptes, l'insuffisante coordination des acteurs est pointée au niveau de la France entière. Les plans régionaux, souvent trop imprécis, ne fixent pas un cadre clair. Les plans locaux des EPCI, lorsqu'ils existent, ne sont pas toujours cohérents avec les plans régionaux. Les syndicats ne disposent pas tous de documents d'orientation propre.
La Cour des comptes souligne qu'« afin de contourner cette difficulté et permettre aux syndicats de disposer d'un plan, les EPCI membres peuvent leur confier l'élaboration de leur propre programme local. Le syndicat élabore alors un programme commun à tous les EPCI. Cette mise en commun des ressources de programmation facilite la bonne coordination entre la collecte pilotée par les EPCI et le traitement assuré par un ou des syndicats ».
Vos rapporteures partagent ces constats et cette préconisation. Les auditions et les déplacements ont mis en évidence ce défaut de coordination des acteurs de la gestion des déchets, qu'il s'agisse des collectivités entre elles ou bien des éco-organismes.
Deux exemples, à La Réunion, l'illustrent. Selon les EPCI, la couleur du bac réservé aux ordures ménagères résiduelles (hors tri) n'est pas la même (bleu ou grise). À côté de ce détail - mais qui n'est pas sans importance pour la bonne information des usagers, - des choix plus stratégiques pour des équipements structurants sont pris sans la recherche d'une harmonisation. Ainsi, les deux syndicats ILEVA et SYDNE ont décidé de se doter chacun d'une unité de production de CSR. Toutefois, les CSR devraient avoir des pouvoirs calorifiques différents, ce qui complique les possibilités de mutualisation ou d'échange de cette ressource entre les unités de valorisation énergétique futures des deux syndicats.
L'autorité en charge de fixer les grandes orientations et d'arrêter la planification (la région dans la plupart des outre-mer) est la plus à même de coordonner les acteurs et d'assurer le suivi des plans. Dès lors, la commission consultative d'élaboration et de suivi (CCES) du plan régional paraît être l'instance existante la plus adaptée . Cette commission réunit les acteurs publics et privés.
Il revient aux régions d'animer cette commission , afin qu'elle se réunisse régulièrement (plus d'une fois par an 44 ( * ) ), le cas échéant en format de travail plus réduit.
La CCES peut s'appuyer sur les observatoires régionaux des déchets pour renforcer son expertise et sa capacité de pilotage.
Proposition n° 6 : Faire de la commission consultative d'élaboration et de suivi (CCES) du plan régional de prévention et de gestion des déchets, une véritable instance de coordination et de pilotage de la politique des déchets sur chaque territoire.
4. Les récurrentes carences en matière d'ingénierie
La faiblesse de l'ingénierie dans les outre-mer est régulièrement pointée. L'ingénierie doit s'entendre largement : technique, administrative, financière.
Ce frein majeur à l'efficacité et à la performance des politiques publiques ultramarines n'est pas propre au secteur des déchets. Il est généralisé.
En mars 2022, la Cour des comptes a rendu un rapport sur les financements de l'État dans les outre-mer 45 ( * ) . Le constat y est éclairant : « Les faibles capacités administratives ou techniques des collectivités appelées à réaliser les investissements financés par l'État et, le cas échéant, par des fonds européens nécessitant une forte expertise administrative, peuvent expliquer, compte tenu de la complexité de certains investissements, la sous-exécution régulière des crédits affectés. [...]
Ces sous-exécutions récurrentes des crédits - les engagements financés par la mission Outre-mer n'atteignant que 32 % des montants des contrats de convergence et de transformation (CCT) aux trois quarts de leur calendrier de mise en oeuvre 46 ( * ) - doivent conduire à une réflexion portant sur l'adéquation entre le niveau d'investissement financier de l'État et son appui en matière d'ingénierie, au regard des capacités des territoires d'outre-mer à engager et liquider ces dépenses . »
La proposition n°4 du rapport de la Cour des comptes consiste à « généraliser les plateformes d'ingénierie dans les territoires ultramarins, en y consacrant les effectifs et les moyens nécessaires à leur bon fonctionnement , et améliorer la coordination des dispositifs d'ingénierie au profit de ces territoires en faisant de ces plateformes l'interlocuteur unique des collectivités . »
Cette proposition est valable en matière de gestion des déchets .
Au demeurant, la Cour des comptes relève la multiplication du côté de l'État d'aides à l'ingénierie pour accompagner les collectivités, au travers des Deal, du secrétaire général pour les Affaires régionales (Sgar), de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ou de l'Agence française du développement (AFD). Par ailleurs, comme l'a souligné Dominique Vienne, président du CESER de La Réunion, le Cerema est aussi autorisé depuis 2021 à intervenir au profit des collectivités ultramarines dans le cadre de prestations.
En matière de déchets, l'Ademe est bien sûr le premier partenaire. Outre-mer, son assistance financière s'accompagne d'une assistance technique aux collectivités. Elle finance et organise des formations, des animations de réseau ou d'observatoires des déchets, des partages de retour d'expérience ou des colloques réunissant les outre-mer. La dimension partenariale est très forte et tous les acteurs rencontrés ont salué ce travail d'accompagnement.
À Saint-Martin, la collectivité a par exemple lancé un appel à candidatures pour l'embauche d'un ingénieur dédié à la gestion des déchets, en partenariat avec l'Ademe.
En Martinique, les aides proposées par l'Ademe peuvent aller jusqu'à 70 % du coût de prestation et couvrent des domaines d'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) qui vont au-delà du périmètre technique : juridique, économique...
Le ministère des outre-mer se félicite aussi d'avoir créé le « fonds outre-mer » géré par l'AFD . Comme l'a souligné Stanislas Alfonsi, adjoint au sous-directeur des politiques publiques au sein de la Direction générale des outre-mer, lors de son audition par la délégation, « le Fonds outre-mer (FOM) permet d'accompagner les collectivités dans la mobilisation de l'ingénierie nécessaire à la réalisation d'infrastructures et dans la mise en oeuvre de politiques publiques. En 2020, les 17 millions d'euros en autorisation d'engagement ont été intégralement consommés. Dans le cadre du plan de relance, nous avons obtenu que ce fonds soit doté de 15 millions d'euros en 2021 et en 2022. En 2021, les crédits ont été complètement consommés, et ceux de 2022 le sont déjà aux deux tiers. Lors des arbitrages interministériels à venir, le Ministère chargé des outre-mer (MOM) soutiendra le maintien de ce fonds ».
Le FOM géré par l'AFD a par exemple permis d'apporter un appui à la communauté des communes de l'ouest guyanais pour la gestion des déchets (560 000 euros). Le FOM permet à l'AFD de prendre en charge la mise à disposition d'ingénieurs auprès des collectivités responsables 47 ( * ) .
La mobilisation de l'État pour combler cette carence est salutaire. Toutefois, il ne faut pas surestimer les moyens supplémentaires réels qui sont parfois derrière les dispositifs annoncés .
La Cour des comptes relève ainsi qu'à Mayotte, « une plateforme d'ingénierie territoriale a été créée en 2019 afin de disposer d'une structure intégrée pour accompagner les collectivités dans l'élaboration, le financement et le suivi de leurs projets ». Cette plateforme compte un effectif théorique de six agents. Dans les faits, de nombreux postes sont vacants en raison d'une rotation importante des équipes.
Enfin, les collectivités ultramarines n'ont pas toujours connaissance de la multiplicité des moyens en ingénierie mobilisables de l'État.
Vos rapporteurs n'ont pas de propositions propres au renforcement de l'ingénierie en matière de déchets.
En revanche, la demande qui est remontée régulièrement des auditions et des déplacements est celle d'un partenariat avec un État accompagnateur, plutôt qu'un État contrôleur .
Ce souhait est par exemple exprimé par la communauté d'agglomération des communes du littoral de Guyane qui milite « pour obtenir une forme d'ingénierie partagée avec nos collègues des EPCI, mais aussi avec les services de l'État et de l'Ademe. Il nous paraît important de nous diriger vers une ingénierie partagée pour gagner en efficacité . »
S'il paraît difficile d'imaginer une plateforme commune État-Collectivité mutualisant de manière permanente l'ingénierie disponible sur un territoire, on peut néanmoins proposer les pistes suivantes :
- un guichet unique dans les préfectures pour les collectivités requérant un appui en ingénierie, ce guichet unique se chargeant ensuite de mobiliser les acteurs pertinents et disponibles (Cerema, Deal, Sgar, Ademe, ANCT, AFD, cellule préfectorale ad hoc ...) ;
- sur des projets prioritaires identifiés en amont , dans le cadre des plans urgents de rattrapage proposés dans le présent rapport 48 ( * ) , contractualiser avec l'État pour partager l'ingénierie disponible avec celle des collectivités dans le cadre de « plateformes de projet » . Pour que cela fonctionne, il faudra faire des choix et retenir les projets les plus structurants et prioritaires, capables d'enclencher des dynamiques vertueuses.
Enfin, l'amélioration de la gouvernance, notamment avec le transfert de la compétence « traitement » à des opérateurs uniques sur chaque territoire 49 ( * ) , et des marges financières retrouvées, en particulier avec un moratoire sur la TGAP 50 ( * ) , les collectivités pourront muscler leur capacité en ingénierie pour monter les projets, aller chercher les crédits et assurer le suivi de la mise en oeuvre.
Proposition n° 7 : Lever le verrou de l'ingénierie :
- en augmentant fortement les crédits du fonds outre-mer ;
- en créant dans les préfectures un guichet unique pour les collectivités demanderesses d'un appui technique ;
- en mutualisant sur les projets structurants et prioritaires les ressources en ingénierie de l'État et des collectivités dans le cadre de « plateforme de projet ».
5. Les défis ultramarins trop peu audibles à Paris
Le retard chronique des outre-mer n'a pas fait l'objet d'une attention particulière jusqu'à récemment. Pourtant, les indicateurs étaient tous alarmants. Il faut attendre 2018 et surtout la loi Agec de 2020 pour que la situation particulière de ces territoires commence à être prise en compte à la hauteur des enjeux.
Afin de renforcer leur visibilité, la représentation des outre-mer au sein des instances consultatives nationales en matière de déchets doit être renforcée.
Ainsi, le Conseil national de l'économie circulaire et la commission inter-filières REP 51 ( * ) ne comptent à ce jour aucun représentant des outre-mer. Seule la Direction générale des outre-mer y siège, parmi les divers représentants de l'État, pour porter leur voix. Les articles D.541-2 et D.541-6-1 du code de l'environnement prévoient que les collectivités territoriales sont représentées au travers des associations nationales d'élus. Les outre-mer sont donc largement absents de ces instances.
Compte tenu de leurs très fortes spécificités et de l'urgence d'un rattrapage, la composition de ces deux organes doit être modifiée, afin de prévoir une représentation ad hoc des outre-mer.
Proposition n° 8 : Renforcer la représentation des outre-mer au sein des instances nationales des déchets, comme le conseil national de l'économie circulaire et la commission inter-filières REP.
* 25 Rapport thématique « Prévention, collecte et traitement des déchets ménagers : une ambition à concrétiser », septembre 2022.
* 26 Toutefois, les douanes ne semblent pas opposer de refus dans tous les outre-mer. À Mayotte, le problème n'a pas été relevé.
* 27 L'Ademe accompagne ainsi les collectivités à travers la méthodologie ComptaCoût® pour mieux connaître et décortiquer le coût du service public des déchets. Elle finance aussi des études dites Modecom qui permettent de déterminer les caractéristiques physiques et qualitatives des gisements de déchets (par exemple la proportion de déchets putrescibles dans les déchets ménagers.
* 28 Articles L.172-4 et suivants.
* 29 En province Sud, le schéma provincial de prévention et de gestion des déchets 2018-2022. La province Nord a adopté un schéma pour la période 2012-2017, révisé pour la période 2018-2023. Dans les îles Loyauté, un schéma a été adopté en 2014 seulement. Les autorités provinciales indiquent ne pas avoir pu le mettre en oeuvre, car trop coûteux.
* 30 Article L.541-13 du même code.
* 31 Les objectifs sont identiques dans les outre-mer. Le code de l'environnement contient toutefois quelques adaptations, notamment sur les délais. L'article R.541-18 dispose ainsi que « pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion et Saint-Pierre-et-Miquelon, les objectifs de limite de capacités annuelles d'élimination par stockage et d'élimination par incinération des déchets fixés au I et au II de l'article R. 541-17 sont reportés de dix ans. »
* 32 Tous les types de déchets, pas uniquement les déchets ménagers et assimilés.
* 33 Article L. 2224-13 du code général des collectivités territoriales.
* 34 SIDEVAM 97.
* 35 SYVADE.
* 36 ILEVA et SYDNE.
* 37 SMTVD.
* 38 Rapport de la Chambre territoriale des comptes de juillet 2021 « Collectivité de Polynésie française (politique en matière d'eau, d'assainissement et de déchets ».
* 39 Pour plus de détails, voir I.C.5.b) du présent rapport.
* 40 25 sur 33.
* 41 Au nombre de 4 pour tout le territoire.
* 42 Chambre d'agriculture, de Commerce, d'Industrie, de Métiers et de l'Artisanat de Saint-Pierre-et-Miquelon.
* 43 Le groupement européen de coopération territoriale ou GECT est une forme juridique d'instrument de coopération transfrontalière dont les modalités de constitution sont définies par le règlement (CE) 1082/2006 du 5 juillet 2006. Doté de la personnalité juridique et constitué de personnes juridiques d'au moins deux États membres (gouvernements, collectivités territoriales, institutions publiques, universités...), chaque GECT a pour vocation de répondre aux difficultés rencontrées dans le domaine de la coopération transfrontalière. Les PTOM peuvent participer à un GECT.
* 44 L'article R.541-24 du code de l'environnement prévoit une réunion annuelle de la commission.
* 45 Ce rapport a été réalisé à la suite de la saisine par le président de la commission des finances du Sénat, par lettre du 17 décembre 2020, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, d'une demande d'enquête portant sur « la présentation et l'exécution des dépenses de l'État pour l'outre-mer ».
* 46 Mayotte a le taux de consommation des crédits le plus faible : 14,9% d'autorisations d'engagement effectivement engagées et un taux de consommation des crédits de paiement de 2,5%.
* 47 Ce mécanisme est utilisé dans d'autres domaines. Par exemple pour la construction des écoles à Mayotte. L'AFD va apporter 1,5 million d'euro pour mettre à disposition des communes mahoraises un pôle de 5 à 7 ingénieurs dédiés pour faire sortir de terre rapidement les projets.
* 48 Voir I.A.
* 49 Voir I.B.2.
* 50 Voir I.C.
* 51 La commission inter-filières REP est l'instance de gouvernance des filières à responsabilité élargie des producteurs. Son avis est notamment sollicité sur les projets de cahiers des charges qui fixent le cadre et les objectifs de chacune des filières et sur l'agrément des éco-organismes.