N° 195

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 décembre 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer (1) sur la gestion des déchets dans les outre-mer ,

Par Mmes Gisèle JOURDA et Viviane MALET,

Sénatrices

(1) Cette délégation est composée de : M. Stéphane Artano, président ; M. Maurice Antiste, Mmes Éliane Assassi, Nassimah Dindar, MM. Pierre Frogier, Guillaume Gontard, Mmes Micheline Jacques, Victoire Jasmin, M. Jean-Louis Lagourgue, Mmes Viviane Malet, Annick Petrus, MM. Teva Rohfritsch, Dominique Théophile, vice-présidents ; M. Mathieu Darnaud, Mmes Vivette Lopez, Marie-Laure Phinera-Horth, M. Gérard Poadja, secrétaires ; Mme Viviane Artigalas, M. Philippe Bas, Mme Agnès Canayer, M. Guillaume Chevrollier, Mme Catherine Conconne, M. Michel Dennemont, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Daniel Gremillet, Mme Jocelyne Guidez, M. Abdallah Hassani, Mme Gisèle Jourda, MM. Mikaele Kulimoetoke, Dominique de Legge, Jean-François Longeot, Victorin Lurel, Mme Marie Mercier, MM. Serge Mérillou, Thani Mohamed Soilihi, Georges Patient, Mme Sophie Primas, MM. Jean-François Rapin, Michel Savin, Mme Lana Tetuanui.

L'ESSENTIEL

Après plus de six mois de travaux, trois déplacements à La Réunion, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon, et près de 160 personnes auditionnées, la délégation a constaté le retard majeur des outre-mer en matière de gestion des déchets.

Cette situation place certains territoires en urgence sanitaire et environnementale . La cote d'alerte y est dépassée.

Des plans de rattrapage exceptionnels , voire des plans Marshall pour la Guyane et Mayotte, sont indispensables. Des financements et une gouvernance consolidés permettront de prendre le virage d'une économie circulaire réaliste et adaptée aux contraintes propres des territoires ultramarins.

1.  LE RETARD MAJEUR DES OUTRE-MER

Les outre-mer français accusent des lacunes et des retards majeurs en matière de gestion des déchets. Les départements et régions d'outre-mer (DROM) et collectivités d'outre-mer (COM) sont dans des situations semblables.

Quelques indicateurs rendent compte de ce décalage complet : taux d'enfouissement écrasant, taux de valorisation faible, valorisation énergétique quasi nulle.

Le taux d'enfouissement moyen des déchets ménagers est de

Le coût de gestion moyen des déchets ménagers est

La quantité moyenne d'emballages ménagers collectés par habitant et par an est de

contre 15 % au niveau national

plus élevé que dans l'Hexagone

dans les 5 DROM contre 51,5 kg pour la France entière

Taux d'enfouissement, d'incinération et de valorisation matière ou organique des déchets ménagers et assimilés en 2020 dans les DROM et COM

Données non disponibles pour Wallis et Futuna, mais le taux d'enfouissement y est aussi prédominant

Ces données restent imprécises. Des gisements importants échappent aux flux de collecte , en particulier les déchets des quartiers informels, des dépôts sauvages ou des décharges illégales.

Saint-Martin : le marché de la collecte sélective interrompu pendant 5 ans

Mayotte : 41 % de la population non desservis par la collecte à Mamoudzou

Guyane : 2 déchetteries pour un territoire grand comme le Portugal

De manière générale, les outre-mer souffrent d'un retard massif d'équipements . Hormis à La Réunion, dans les quatre autres DROM, le nombre de déchetteries par habitant est de 2 à 9 fois plus faible que dans l'Hexagone. À Mayotte, la première devrait ouvrir en 2023.

Néanmoins, la situation de chaque territoire est fortement différenciée :

- Mayotte et la Guyane ont presque tout à construire pour une population qui explose ;

- la Guadeloupe, la Martinique et la Polynésie française sont sur une ligne de crête avec des enjeux de gouvernance, de financement et d'investissement ;

- La Réunion et la Nouvelle-Calédonie sont sur des dynamiques positives, malgré leur retard ;

- Saint-Barthélemy valorise la quasi-intégralité de ses déchets, avec un modèle adapté, mais doit prendre le virage de la prévention ;

- Saint-Pierre-et-Miquelon , modèle de la collecte et de la prévention, doit fermer ses décharges littorales illégales qui brûlent à ciel ouvert ;

- Wallis-et-Futuna résorbe ses dépotoirs et la collecte sélective prend un nouvel essor ;

- Saint-Martin enfouit la quasi-totalité des déchets et doit coopérer avec la partie néerlandaise. Le cyclone Irma a profondément désorganisé le service.

Tous les déchets sont concernés par ce retard. BTP, véhicules hors d'usage (VHU)... Ainsi, seul un tiers du stock historique de VHU abandonnés, estimé à 65.000 en 2015, aurait été résorbé à ce jour . Mayotte et la Guyane ne comptent chacun qu'un centre VHU agréé.

2.  L'URGENCE SANITAIRE ET ENVIRONNEMENTALE

La collecte déficiente, en particulier dans les quartiers informels, le fléau des dépôts sauvages et le poison lent des anciennes décharges illégales sont autant de dangers pour des territoires fragilisés où des populations n'ont pas toujours accès à l'eau potable.

La mission a mis en évidence l'urgence sanitaire à laquelle doivent faire face ces territoires, et tout particulièrement Mayotte et la Guyane. Les maladies favorisées par cette situation sont en particulier la dengue, l'hépatite A, la typhoïde et la leptospirose.

À Mayotte et en Guyane , un taux de prévalence de la leptospirose 70 fois supérieur au taux national

À La Réunion , des cas de plombémie et de saturnisme infantile observés

L'urgence environnementale est forte. Des mangroves étouffées, un cadre de vie dégradé, des sols pollués, alors que les outre-mer abritent 80 % de la biodiversité française .

Mangrove à Mayotte

Décharge dans un quartier informel à Mayotte

3.  DES CAUSES IDENTIFIÉES

- Des financements insuffisants et une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) qui asphyxie les budgets de fonctionnement des EPCI ;

- Une taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) qui couvre en moyenne 80% des dépenses du service public des déchets, avec des écarts de 15 à 100% selon les communes, et de plus en plus de non-contributeurs dans les quartiers informels ;

- Des éco-organismes discrets , voire absents, qui ont longtemps tardé à s'implanter dans les outre-mer et qui commencent seulement à rattraper leur retard ;

- Des filières locales de recyclage très limitées en raison de l'étroitesse des marchés ;

- Une prévention quasi-inexistante ;

- Une gouvernance locale pas toujours adaptée, avec trop d'acteurs ;

- Une ingénierie souvent faible ;

- Des exportations de déchets , notamment dangereux, de plus en plus compliquées .

4.  LES 10 PRINCIPALES PROPOSITIONS

Une gouvernance à simplifier

- Vers un opérateur unique par territoire en charge du traitement des déchets ménagers

- Dans chaque région, faire de la commission consultative d'élaboration et de suivi (CCES) du plan régional de prévention et de gestion des déchets, une véritable instance de coordination et de pilotage

Financement : réinjecter près de 80 millions d'euros par an

- Des plans de rattrapage exceptionnels , voire des plans Marshall pour Mayotte et la Guyane : débloquer au minimum 250 millions d'euros sur 5 ans pour réaliser les équipements prioritaires et structurants, en plus des aides actuelles de l'État

- Exonération de TGAP pendant 5, 7 ou 10 ans, soit un gain annuel pour les dépenses de fonctionnement entre 17 et 30 millions d'euros par an

Filières REP : vers des obligations de résultat

- Expérimenter outre-mer un mécanisme incitatif de pénalités pour les éco-organismes n'atteignant pas des objectifs chiffrés par territoire

- Abaisser à une tonne , au lieu de 100, le seuil à partir duquel le coût du nettoiement d'un dépôt sauvage est pris en charge par les éco-organismes

La collecte : innover pour aller chercher les gisements de déchets

- Développer les dispositifs de gratification directe du tri pour encourager la collecte sélective dans les zones les plus défavorisées ou isolées

- Habiliter les DROM à adopter leurs propres normes en matière d'interdiction de mise sur le marché, de consigne ou de réemploi

Le traitement : priorité aux filières locales d'économie circulaire et soutien à la valorisation énergétique

- Faire application de l'article 349 du TFUE pour obtenir l'adaptation du règlement européen sur les transferts de déchets , en cours de révision, aux contraintes particulières des outre-mer pour leur permettre de développer des stratégies régionales et augmenter l'aide au fret dans l'environnement régional

- Soutenir la valorisation énergétique dans les outre-mer , notamment en obtenant de la commission de régulation de l'énergie (CRE) un cadre clair, pérenne et favorable au prix de rachat de l'électricité ainsi produite

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