E. LA RSE À L'ÉCHELLE DU PRODUIT EST-ELLE À LA PORTÉE DES ENTREPRISES ?
Deux nouvelles obligations fixées par le législateur font descendre le référentiel RSE de l'entreprise, dans sa globalité, vers ses productions de biens, agricoles ou manufacturés.
1. L'affichage environnemental
L'affichage environnemental permet une comparaison de produits pour sensibiliser le consommateur sur l'impact environnemental de sa consommation et, ainsi, faire évoluer ses pratiques vers des produits issus de mode de production, transformation et distribution moins impactants sur ce plan.
Pour les produits alimentaires, l'article 90 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte 92 ( * ) a visé à encadrer les allégations environnementales -pour lutter contre l'écoblanchiment- et l'affichage environnemental des produits alimentaires basés sur une vision multicritère. Les entreprises qui choisissent de communiquer sur l'aspect environnemental de leur produit doivent décrire l'ensemble de ses caractéristiques principales.
La « feuille de route économie circulaire » (FREC) de 2018, a entendu « déployer l'affichage environnemental volontaire des produits et des services dans les cinq secteurs pilotes (ameublement, textiles, hôtels, produits électroniques et produits alimentaires) et l'étendre à d'autres secteurs ».Ceci a été réalisé par la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC), qui a introduit un dispositif d'affichage environnemental, ou environnemental et social, volontaire pour tous les secteurs (et a minima pour celui du textile-habillement), en prévoyant l'établissement de décrets pour définir les méthodologies et l'affichage à suivre en cas de mise en oeuvre.
L'article 15 93 ( * ) de la loi AGEC prévoyait une expérimentation, pour les produits alimentaires, qui a été conduite de février 2020 à décembre 2021, englobant 18 projets pilotés par l'ADEME. Le rapport remis au Parlement par cette dernière en janvier 2022 94 ( * ) a conclu à la « faisabilité à court terme d'un dispositif d'information techniquement opérationnel, généralisable et scientifiquement pertinent ». Cet affichage : « devrait être structurant à la fois pour les entreprises et les consommateurs en terme de transition écologique ». Toutefois, « son déploiement opérationnel nécessite encore plusieurs mois de travaux, afin de corriger et compléter la méthodologie ACV 95 ( * ) , de pouvoir proposer des données génériques de qualité, de mettre à disposition des opérateurs un outil de calcul facile d'utilisation, de prévoir un système de vérification et de définir la gouvernance qui encadrera le dispositif ». Il souligne que « la maîtrise des coûts de déploiement du dispositif sera un enjeu majeur pour assurer son adoption ».
Le rapport de l'ADEME prévient toutefois que ce dispositif ne pourra atteindre son objectif de large couverture du secteur agroalimentaires « uniquement si ses coûts de mise en place sont maîtrisés ». Ces coûts sont supportés en partie par les acteurs publics « pour le développement des composantes méthodologiques, la mise à disposition des données génériques et d'un outil de calcul homologué, et en partie par les acteurs privés, pour la collecte des données spécifiques/semi-spécifiques, la saisie dans l'outil des données permettant l'évaluation d'un grand nombre de références, la mise à disposition de l'affichage aux consommateurs) ».
Pour les entreprises, l'expérimentation a, selon l'ADEME, « démontré que des dispositifs à coûts très bas ( autour de 1€/référence pour l'Eco-score, hors frais d'affichage et de contrôle) étaient possibles lorsque ceux-ci se basent sur des données génériques ou semi-spécifiques publiques uniquement, étant donné que le principal poste pour les opérateurs concerne la collecte des données, et le contrôle de celles-ci. Au contraire, dans le cas où il est nécessaire de collecter des données spécifiques ou de réaliser des études PEF 96 ( * ) complètes, les coûts atteignent rapidement plusieurs milliers d'euros par référence ».
L'étude estime ainsi indispensable, dans la perspective d'un déploiement à large échelle du dispositif, de « fixer un coût limite faible pour l'opérateur pour un premier niveau de calcul, sur la base de données génériques et semi spécifiques publiques ».
Ce coût pour les entreprises est l'angle mort des rapports produits ou des expérimentations conduites. Ce sujet avait été abordé de façon elliptique dans un avis du Conseil national de la consommation de 2013 97 ( * ) , n'est pas abordé dans l'avis du Conseil économique social et environnemental de 2019 98 ( * ) , et n'est pas suffisamment approfondi par les expérimentations menées par l'ADEME.
Par ailleurs, CCI France 99 ( * ) considère les labels « extrêmement nombreux et, de ce fait, peu lisibles », tandis que l'ADEME en recense plus de 100 100 ( * ) .
CCI-France juge que : « l'ajout d'un indice supplémentaire à cet ensemble pléthorique ne permettra pas d'atteindre le but visé sauf à rationaliser les labels existants. En tout état de cause, pour que l'outil proposé ait un intérêt, il faut que la décision d'y faire référence relève d'un choix stratégique de l'entreprise et non d'une obligation légale ou réglementaire. Il est par ailleurs essentiel qu'il soit simple et qu'il intègre des informations concernant le lieu de fabrication du produit, afin d'encourager les circuits courts ».
Il préconise donc de « rationnaliser les très nombreux labels existants avant de crée de nouveaux dispositifs d'affichage ».
L'enjeu du coût de l'affichage environnemental pour l'entreprise conditionne également la réussite de l'affichage social, nouvelle obligation RSE qui se surajoute à la précédente.
2. L'affichage social
L'article 2 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « Climat et résilience » a introduit dans le code de l'environnement l'obligation, pour un certain nombre de produits et services déterminés, d'un affichage relatif aux impacts environnementaux ou aux impacts environnementaux et au respect de critères sociaux :
« Un affichage destiné à apporter au consommateur une information relative aux impacts environnementaux ou aux impacts environnementaux et au respect de critères sociaux d'un bien, d'un service ou d'une catégorie de biens ou de services mis sur le marché national est rendu obligatoire, dans les conditions et sous les réserves prévues à l'article L. 541-9-12 » (Art. L.541-9-11 du code de l'environnement).
Cet affichage couvre l'impact environnemental sur l'ensemble du cycle de vie du produit considéré, intègre différents enjeux environnementaux et tient compte des externalités associées aux modes de production évaluées scientifiquement. L'affichage devra se traduire par un marquage visible et accessible au consommateur lors de l'acte d'achat.
L'affichage social fera l'objet d'une expérimentation pour une durée maximale de 5 ans .
Cette nouvelle obligation s'ajoute aux dispositions du Code de la consommation établissant une obligation d'information sur les conditions sociales de fabrication des produits mentionnés à l'article L.113-1 du Code de la consommation. L'articulation entre ces deux exigences n'est pas claire et est source d'insécurité juridique pour les entreprises.
Ce problème d' équilibre entre un affichage social inutile parce que trop peu exigeant, et donc inefficace, ou trop exigeant, et donc incompatible avec les contraintes financières et matérielles des entreprises , a été soulevé d'emblée par la Plateforme RSE dans son avis de février 2022 consacré à ce sujet 101 ( * ) .
La définition de critères objectifs, accessibles et pertinents des « conditions sociales de production, notion qui mériterait d'être précisée tout comme, en matière de RSE, les « indicateurs de biodiversité » ou la mesure de la « performance globale », fait l'objet de cet avis.
Par ailleurs, le champ d'application de cette obligation concerne toutes les entreprises mais seulement certains biens et services qui seront précisés par décret « au terme et après évaluation des expérimentations » (article L.541-9-12 du Code de l'environnement).
Or, comme le souligne la plateforme RSE : « on peut facilement anticiper que toutes les entreprises n'auront pas les mêmes capacités pour mettre en oeuvre un affichage social . Le cas des plus petites entreprises (entreprises personnelles mais aussi TPE et petites PME) doit notamment faire l'objet d'un examen plus attentif. En effet, une petite entreprise ne supporte pas intégralement le coût d'un affichage social sur les produits qu'elle vend aux particuliers. D'une part, elle est informée par chaque entreprise opérant aux étapes en amont : par exemple, une entreprise personnelle de boulangerie peut s'appuyer sur l'affichage social que devra faire la meunerie qui l'approvisionne (à l'exemple du bio) puisque celle-ci met aussi en marché de la farine et des autres produits conditionnés pour les ménages, et donc devra disposer de l'information. D'autre part, le périmètre à évaluer est souvent beaucoup plus limité pour ces petites entreprises : par exemple, une société de services informatiques aux particuliers ne fait que présenter l'affichage social réalisé par ses fournisseurs de produits numériques (accès, terminaux, programmes) qui vendent aussi directement aux ménages et constituent surtout l'entreprise qui met en marché le produit final ».
Ce surcoût dans la mise en oeuvre d'un affichage social pour ces petites entreprises est estimé a minima et à titre indicatif, à 5 000 euros par produit.
La recommandation n° 8 de la Plateforme RSE est donc de « vérifier les conditions de l'affichage social par toutes les entreprises, en évaluant les coûts économiques et les gains effectifs ou potentiels, pour une entreprise, d'un modèle d'affaires intégrant un affichage social. Une attention particulière sera apportée aux facteurs facilitant ou pénalisant l'équilibre d'un tel modèle d'affaires pour les TPE-PME ».
Le périmètre d'un affichage social couvre, selon la Plateforme, « l'ensemble des personnes morales et physiques qui concourent au cycle de vie du produit fini, depuis l'extraction des matières premières nécessaires jusqu'à la commercialisation et le traitement du déchet ultime, ainsi que les tiers concernés par les activités afférentes à ce cycle de vie ». Elle propose de reprendre pour l'affichage social le périmètre de la chaîne d'approvisionnement défini pour les plans de vigilance par la loi relative au devoir de vigilance, référence qui présente l'avantage de s'appuyer sur une définition légale existante plutôt qu'en créer une nouvelle, problème souvent dénoncé par les entreprises. Cependant, elle estime qu'il « conviendra de prendre en compte les conséquences négatives qui découleraient de la reprise de ce périmètre pour les PME et TPE lors de l'élaboration de cet affichage ». Cette inquiétude aurait mérité d'être précisée.
La Plateforme RSE évoque, dans son rapport, la nécessité d'une étude plus détaillée pour, d'une part, faciliter l'engagement des petites entreprises et, d'autre part, préciser les situations pour lesquelles il faudrait « reconsidérer l'ambition de l'affichage social ». Ceci pourrait être interprété comme une préconisation d'abandon pour les TPE et PME, par exemple en exemptant les entreprises en deçà d'un seuil d'effectif de salariés.
Lors de la discussion parlementaire à l'Assemblée nationale de la loi Climat et résilience, les différents représentants des dirigeants d'entreprises avaient fait connaître leur avis sur ce dispositif.
Si le MEDEF n'était pas opposé à ces dispositions et considère même que « ces mesures permettent d'envoyer un signal important aux consommateurs ». M. Geoffroy Roux de Bézieux avait toutefois relevé que ce système n'aurait d'intérêt que s'il était harmonisé au niveau européen , sans quoi il ne constituerait qu'une contrainte supplémentaire pour les industriels et une distorsion de concurrence .
La CPME avait jugé la mise en oeuvre de cette obligation prématurée , au regard des dispositions précédentes de la loi n°2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (dite AGEC), adoptée en 2020, dont nombre de décrets d'application n'ont toujours pas encore été publiés. De plus, l'expérimentation de l'affichage volontaire, prévu par la loi AGEC, n'a pas fait l'objet d'un bilan en bonne et due forme.
S'agissant de l'U2P , cette dernière avait émis des réserves sur ce dispositif compte-tenu de la complexité de sa mise en oeuvre pour les TPE et PME, se disant très vigilante sur la mise en oeuvre de cette obligation qu'elle considère comme une nouvelle « contrainte » pour les PME.
* 92 Ainsi libellé : « Afin de garantir la qualité de l'information environnementale mise à la disposition du consommateur, les producteurs réalisant volontairement une communication ou une allégation environnementale concernant leurs produits sont tenus de mettre à disposition conjointement les principales caractéristiques environnementales de ces produits ».
* 93 Ainsi libellé : « Une expérimentation est menée pour une durée de dix-huit mois à compter de la publication de la présente loi afin d'évaluer différentes méthodologies et modalités d'affichage environnemental ou environnemental et social. Cette expérimentation est suivie d'un bilan, qui est transmis au Parlement, comprenant une étude de faisabilité et une évaluation socio-économique de ces dispositifs. Sur la base de ce bilan, des décrets définissent la méthodologie et les modalités d'affichage environnemental ou environnemental et social s'appliquant aux catégories de biens et services concernés ».
* 94 https://librairie.ademe.fr/consommer-autrement/5465-affichage-environnemental-des-produits-alimentaires.html
* 95 L'analyse du cycle de vie (ACV), une méthodologie multi-étapes et multi-critères de quantification des impacts d'un produit sur l'environnement tout au long de son cycle de vie.
* 96 La PEF ( Product Environmental Footprint ) ou EEP (Empreinte Environnementale de Produit) est le résultat d'une étude d'empreinte environnementale fondée sur la méthode générale pour mesurer et indiquer l'impact environnemental potentiel d'un produit tout au long de son cycle de vie.
* 97 « S'agissant de la question des coûts, il est essentiel de défini r, plus précisément que ne le fait le rapport, des démarches de mutualisation et autres voies permettant, sinon de réduire, au moins de maîtriser les impacts financiers de l'affichage. Pour les TPE et PME notamment, un dispositif d'aide devrait être mis en place quel que soit le scénario retenu, de manière à ne pas les exclure du dispositif » ; avis du CNC sur le bilan de l'expérimentation nationale de l'affichage environnemental des produits, 9 juillet 2013.
* 98 « Il faut en effet trouver un juste milieu permettant une mise en oeuvre de l'affichage respectant divers paramètres allant du respect du droit de la concurrence à la mobilisation des acteurs économiques ainsi qu'au coût du déploiement », CESE. « L'affichage environnemental, levier pour la mise en oeuvre de l'économie circulaire », Philippe Dutruc, 26 mars 2019.
* 99 « Les entreprises face au risque climatique : quelles incitations ? Quels accompagnements ? », janvier 2021 - CCI France.
* 100 Labels Environnementaux | Particuliers | Agir pour la transition écologique | ADEME
* 101 « Affichage social sur les biens et services », février 2022.