C. DES PRIX QUI DOIVENT FAVORISER L'ACCÈS AU MÉDICAMENT
Si le prix des médicaments anciens ne doit pas être trop bas pour garantir la sécurité des approvisionnements, le prix des médicaments innovants doit être abordable dans tous les États membres.
1. Les limites de la recherche du prix le plus bas pour les médicaments anciens
a) la volonté de limiter les dépenses en médicaments est en contradiction avec d'autres objectifs stratégiques
Le prix du médicament est un enjeu important pour la santé des patients mais également pour les finances publiques .
Dans un contexte où les États membres cherchent à limiter la dépense publique et notamment les dépenses de santé, le LEEM a indiqué aux rapporteurs que la part des médicaments dans ces dépenses est restée stable, à environ 15 % dans la plupart des pays européens, qui représentent aujourd'hui 24 % du marché mondial. Il a précisé qu'en France, les dépenses en médicaments étaient les mieux maîtrisées : elles représentaient 16 % de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) en 2011 et seulement 11 %, en 2020. C'est principalement l'effet prix qui contribue à cette baisse, la France étant davantage un marché de volume .
Le LEEM et le Gemme ont attiré l'attention des rapporteurs sur le risque de vouloir continuer à diminuer les prix dans le contexte d'inflation actuelle qui impacte notamment les frais d'emballage et de transport : les fabricants pourraient en effet délaisser les marchés où le prix du médicament est trop bas .
Par ailleurs, l'objectif de souveraineté sanitaire ne peut être atteint si l'activité industrielle en Europe n'est pas soutenable. Cette politique de recherche permanente du prix le plus bas fragilise en effet le tissu industriel . Ainsi, il n'est aujourd'hui pas possible de fabriquer en France, pour le marché français, des médicaments antibiotiques sous forme injectable en raison du prix de vente beaucoup trop faible de ces médicaments.
Le CEPS convient que la baisse du prix des médicaments anciens permet de réaliser des économies pour financer les produits plus innovants mais estime que cette logique est de plus en plus complexe à mettre en oeuvre. En effet, l'achat de médicaments intègre désormais des objectifs supplémentaires tels que la lutte contre les pénuries ou la souveraineté sanitaire, ce qui implique que l'on ne peut pas continuer à diminuer indéfiniment le prix des médicaments anciens .
b) Des marchés publics qui ne doivent pas remettre en cause l'approvisionnement
Dans sa stratégie pharmaceutique pour l'Europe, la Commission européenne indique vouloir encourager la mise en oeuvre d'actions innovantes dans le domaine des marchés publics pour permettre de favoriser l'accès aux médicaments. Ceci implique l'insertion de nouvelles clauses telles que la conditionnalité des prix, la livraison en temps utile ou encore la sécurité d'approvisionnement.
Or, le CEPS estime que les marchés publics contribuent à raréfier l'offre dans la mesure où un industriel qui perd un appel d'offres se retire du marché et n'a plus nécessairement de raison d'y revenir. La volonté de garantir la soutenabilité de la dépense ne doit pas aboutir à raréfier l'offre, d'autant plus que les marchés publics ne garantissent pas d'obtenir un prix plus bas. En effet, l'absence de transparence sur les prix, dans la mesure où les termes des contrats conclus sont protégés par le secret des affaires, ne permet pas d'évaluer les gains réalisés grâce à ces marchés. Au surplus, selon le rapport du Sénat n° 737 (2017-2018) de M. Jean-Pierre Decool, fait au nom de la mission d'information sur la pénurie de médicaments et de vaccins 38 ( * ) , si avoir un plus grand nombre de fournisseurs peut accroître le coût des médicaments, ce surcoût est pondéré par celui qu'entraînent les pénuries, notamment la mobilisation de ressources humaines et le recours à des traitements de substitution plus onéreux.
Dès lors, si recours aux marchés publics il y a, l'attribution de ceux-ci ne peut pas se faire uniquement en fonction du prix. D'autres éléments tels que la sécurisation des approvisionnements, l'impact écologique ou la production en Europe devraient être pris en compte .
2. La régulation du prix des médicaments innovants
Comme indiqué précédemment, le prix des médicaments les plus innovants est de plus en plus élevé. Une régulation s'avère donc nécessaire pour permettre l'accès à ces médicaments sur l'ensemble du territoire de l'Union.
a) La nécessaire solidarité européenne
Les rapporteurs souhaitent que la Commission réfléchisse à la mise en place d'un mécanisme de solidarité qui permettrait un accès plus large à des médicaments innovant couvrant des besoins médicaux non satisfaits.
Lorsque l'autorité compétente d'un État membre négocie avec un laboratoire un prix juste et équitable et que celui-ci reste particulièrement élevé au regard des ressources de l'État membre, appréciées notamment au regard de son produit intérieur brut par habitant, un fonds de solidarité européen pourrait être activé sous le contrôle de la Commission et des États membres. Ce fonds serait financé sur le budget de l'Union et ne permettrait de financer qu'une quote-part à déterminer du prix, sans excéder un certain montant.
Ce serait là une avancée considérable pour l'Union qui devra définir les médicaments innovants concernés.
b) L'octroi de licences obligatoires
Les entreprises produisant un médicament princeps et qui ne souhaitent pas distribuer ce produit sur un marché spécifique pourraient être tenues d'accorder à un organisme public ou à un fabricant de génériques le droit de le commercialiser et de le vendre, dans des conditions de licence équitables et raisonnables .
Là encore, la notion de prix équitable et juste devra être prise en compte pour apprécier les raisons qui poussent une entreprise fabriquant un médicament princeps à ne pas vouloir le commercialiser dans un État donné. À la demande de l'État membre concerné, la Commission pourra apprécier si une licence doit être accordée ou non.
Si la protection conférée par le brevet est essentielle pour garantir le développement de la recherche, de telles mesures doivent être envisagées lorsqu'il s'agit de répondre à des besoins médicaux non satisfaits et que l'entreprise réalise des profits colossaux. Un article publié dans la revue Jama internal medicine 39 ( * ) estime que le coût médian de développement d'un médicament contre le cancer était de 648 millions de dollars et que le revenu médian après l'approbation d'un tel médicament était de 1 658,4 millions de dollars en 2017.
c) La lutte contre les exportations parallèles
En raison d'importantes différences de prix entre les États membres de l'Union, un système d'exportations parallèles s'est mis en place. Il consiste pour les grossistes répartiteurs à acheter des médicaments sur des marchés qui pratiquent les prix les plus bas pour les revendre sur un marché plus rémunérateur.
Pour l'UFC-Que choisir, cette pratique est difficilement quantifiable. Dans son étude sur les pénuries de médicaments présentée en novembre 2020, elle mentionne les données réunies par le LEEM qui font apparaître que les marchés de ville suédois et allemand étaient composés, en 2016, respectivement, d'environ 13 % et 8,5% de produits importés d'autres pays européens. En 2019, le LEEM estimait ce commerce parallèle à 5,6 milliards d'euros. En revanche, la France apparaît plutôt comme un pays d'exportations parallèles, ce qui expose les patients français à des ruptures d'approvisionnement. le LEEM a dénoncé devant les rapporteurs une véritable fraude organisée sur les médicaments contre le cancer, exploitant les différences de prix entre deux États membres. Avec ces exportations parallèles, la baisse du prix sur certains marchés ne favorise pas pour autant l'accès aux médicaments puisque ceux-ci sont exportés. Ces pratiques doivent être davantage encadrées car elles ne permettent pas d'adapter le prix du médicament au marché auquel il est destiné .
* 38 Rapport n° 737 (2017-2018) de M. Jean-Pierre Decool, fait au nom de la mission d'information sur la pénurie de médicaments et de vaccins du Sénat
* 39 https://jamanetwork.com/journals/jamainternalmedicine/fullarticle/2653012