Rapport d'information n° 63 (2022-2023) de Mmes Pascale GRUNY et Laurence HARRIBEY , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 20 octobre 2022

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N° 63

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 octobre 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la stratégie pharmaceutique pour l' Europe de la Commission européenne ,

Par Mmes Pascale GRUNY et Laurence HARRIBEY,

Sénateur et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin , président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Didier Marie, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, André Gattolin, Pierre Laurent, Mme Colette Mélot, M. Jacques Fernique, Mme Véronique Guillotin , vice-présidents ; M. François Calvet, Mme Marta de Cidrac, M. Jean-Yves Leconte, Mme Amel Gacquerre , secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Philippe Bonnecarrère, Jean-Pierre Corbisez, Pierre Cuypers, Laurent Duplomb, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Ludovic Haye, Jean-Michel Houllegatte, Patrice Joly, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Franck Menonville, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Pierre Ouzoulias, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger .

L'ESSENTIEL

L'accès aux soins est un droit essentiel des citoyens de l'Union européenne. Il implique l'accès à des médicaments de qualité, efficaces et sûrs . Cet accès repose sur trois piliers : la recherche et l'innovation, qui permettent de développer des médicaments, la disponibilité de ces médicaments sur le marché européen et un juste prix.

Les innovations majeures en cours , le nombre croissant de ruptures d'approvisionnement qui souligne la nécessité, révélée par la pandémie de COVID-19, d'assurer la souveraineté sanitaire de l'Union et les prix de plus en plus élevés des thérapies innovantes sont autant de défis qui ont poussé la Commission européenne à proposer une stratégie pharmaceutique pour l'Europe 1 ( * ) . Celle-ci doit servir de base à la préparation de mesures législatives et à la mise en oeuvre d'autres actions en cohérence avec les compétences respectives de l'Union, notamment en matière de recherche, et des États membres définies par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) qui précise que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux relèvent de la compétence des États membres.

Sous cet angle, les rapporteurs de la commission des affaires européennes du Sénat, Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey, après avoir évalué cette stratégie, ont formulé un certain nombre d'observations et de propositions que la commission des affaires européennes du Sénat a adoptées.

1/ Anticiper et limiter les pénuries de médicaments

Le Groupement pharmaceutique de l'Union européenne constate une augmentation régulière du nombre de ruptures d'approvisionnement en médicaments en Europe, jusqu'à 200 par an dans 67% des États.

Ces ruptures, aux causes diverses, affectent particulièrement les médicaments anciens.

Elles peuvent avoir des conséquences graves sur la santé des patients, raison pour laquelle la commission des affaires européennes préconise de :

- définir la notion de pénurie de médicaments ;

- définir la notion de médicaments critiques en prenant en compte l'intérêt thérapeutique du médicament et les vulnérabilités de la chaîne de production ;

- mettre en place un système d'information permettant aux titulaires d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) et aux autorités compétentes des États membres de signaler les ruptures d'approvisionnement effectives ou anticipées ;

- simplifier les procédures de modification des autorisations de mise sur le marché relative aux conditions de production ;

- prévoir la possibilité, en cas de rupture d'approvisionnement, de fournir aux patients une notice électronique pour les médicaments critiques uniquement ;

- pour ces médicaments , ajouter l'obligation, pour les titulaires d'autorisations de mise sur le marché, de constituer des stocks , avec le soutien financier de l'Union européenne, et de définir des plans de gestion des pénuries qui seront validés par l'Agence européenne des médicaments.

2/ Assurer la souveraineté sanitaire de l'Union européenne

Selon l'Agence européenne des médicaments, près de 40 % des médicaments finis commercialisés dans l'Union européenne proviennent de pays tiers et 80 % des fabricants de substances pharmaceutiques actives utilisées pour des médicaments disponibles en Europe sont établis en dehors de l'Union. La proportion de fabricants extra-européens de substances pharmaceutiques actives était de 20 %, il y a 30 ans.

Cette perte d'indépendance risque de se traduire par des pénuries en cas de crise internationale ou d'une hausse subite de la demande qui pousserait les producteurs à privilégier leur marché national, dans une logique patriotique.

Pour assurer la souveraineté sanitaire de l'Union européenne, la commission des affaires européennes estime nécessaire de développer des mesures d'incitations financières et fiscales permettant de consolider le tissu industriel de l'Union et de favoriser l'investissement dans ce secteur critique. Des mesures particulières devront également cibler la production de médicaments anciens qui sont davantage concernés par les pénuries .

Pour les médicaments considérés comme critiques , la production publique ne doit plus être considérée comme un sujet tabou . Lorsque les industriels délaissent certains marchés, l'institution d'un programme public de production via notamment des partenariats public- privé peut être indispensable pour garantir l'accès aux soins des patients. Aux États-Unis, le projet civica réunit ainsi environ 900 hôpitaux qui produisent eux-mêmes certains médicaments pour ne plus être dépendants.

3/ Garantir un accès aux médicaments à des prix abordables

Les délais inhérents à la mise sur le marché des médicaments, qui relèvent de la compétence des États membres, sont plus ou moins longs selon les États membres.

Pour réduire ces délais, la commission des affaires européennes souhaite que des évaluations cliniques communes entre États membres volontaires soient encouragées et qu'un dialogue entre les différentes autorités compétentes soit organisé pour tenter de définir le plus tôt possible en amont les études demandées à l'industriel et en harmoniser le contenu .

Pour favoriser l'accès aux médicaments, la commission des affaires européennes souhaite que la Commission européenne, en concertation avec les États membres :

- définisse les mesures à mettre en oeuvre dans le cadre de l'autorisation de mise sur le marché pour inviter les titulaires à faire rapidement une demande de détermination du prix aux autorités nationales compétentes ;

- encadre davantage les conditions de retrait du marché à la demande du titulaire d'une autorisation de mise sur le marché ;

- définisse par des lignes directrices la notion de prix juste et équitable , et mette en place des mesures destinées à rendre plus transparents les coûts de recherche, ce qui permettra de fournir aux autorités compétentes des États membres des informations utiles pour négocier avec les industriels ;

- décide, pour les médicaments récents destinés à couvrir des besoins non satisfaits, de l'octroi de licences obligatoires dans des conditions équitables et raisonnables, lorsque le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché refuse de commercialiser un médicament à un prix juste et équitable ;

- mette en place un fonds de solidarité, géré conjointement avec les États membres, pour soutenir l'achat de médicaments innovants répondant à des besoins médicaux non satisfaits lorsque, malgré un prix juste et équitable, celui-ci reste manifestement trop élevé au regard des ressources de l'État membre où il doit être vendu, le produit intérieur brut permettant d'apprécier les ressources de l'État.

Par ailleurs, le rôle de médicaments génériques est absolument essentiel pour la maîtrise des dépenses publiques . La Commission doit s'engager à garantir des conditions de concurrence équitables qui protègent aussi bien les fabricants de princeps que les fabricants de génériques. La commission des affaires européennes recommande à cet effet d'engager au plus vite une réflexion visant à déterminer le meilleur moyen d' unifier les conditions de délivrance des certificats complémentaires de protection .

4/ Favoriser le développement des médicaments de demain

Cela passe par un soutien financier, technique et réglementaire à la recherche.

La Commission européenne souhaite consacrer, dans le cadre du programme Horizon Europe, 8,2 milliards d'euros à la recherche dans le domaine de la santé, dont 2 milliards pour la recherche contre le cancer . En parallèle, le programme « l'Union pour la santé », dont l'un des principaux objectifs est d'améliorer l'accès aux soins, est doté d'un budget de 5,1 milliards d'euros.

Pour optimiser la gestion de ces fonds, la commission des affaires européennes estime indispensable de définir la notion de besoins médicaux non satisfaits , besoins vers lesquels les financements publics devraient être orientés par priorité : notamment la lutte contre le cancer, la résistance aux antimicrobiens et le traitement des maladies rares et des maladies infantiles.

Pour accélérer l'examen des demandes d'autorisation de mise sur le marché, le programme PRIME initié par l'Agence européenne des médicaments (EMA) en faveur des médicaments jugés prioritaires gagnerait à être inscrit dans un cadre réglementaire. Par ailleurs, la révision en continu des données scientifiques mise en oeuvre pour accélérer l'évaluation par l'EMA des vaccins contre la COVID-19 mériterait d'être développée pour certains traitements jugés prioritaires.

Enfin, le cycle du médicament de demain devra être plus respectueux de l'environnement . Les exigences en matière d'évaluation des risques pour l'environnement doivent donc être renforcées, de même que les inspections et audits tout au long de la chaîne de production, notamment en dehors de l'Union européenne. La Commission devra travailler à la mise en oeuvre de normes internationales communes dans ce domaine.

AVANT-PROPOS

L'article 35 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne reconnaît à toute personne « le droit d'accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies par les législations et pratiques nationales. » Il ajoute qu' un « niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en oeuvre de toutes les politiques et actions de l'Union ».

L'accès à des médicaments sûrs et abordables constitue ainsi un droit fondamental mais il a pu paraître remis en cause ces dernières années. En effet, les difficultés d'approvisionnement sont de plus en plus fréquentes pour certains médicaments alors que d'autres sont de plus en plus onéreux. Par ailleurs, la pandémie de COVID-19 a mis en lumière les fragilités de l'Union européenne dans le secteur du médicament et les risques pour sa souveraineté.

La Commission européenne a présenté le 25 novembre 2020 une stratégie pharmaceutique pour l'Europe 2 ( * ) , qui vise en particulier à garantir l'accès des patients à des médicaments abordables et à répondre aux besoins médicaux non satisfaits, à promouvoir la compétitivité, l'innovation et la durabilité de l'industrie pharmaceutique de l'Union, à améliorer les mécanismes de préparation et de réaction face aux crises sanitaires et à sécuriser l'approvisionnement.

Pour gérer les situations de crise, la Commission a créé en son sein l'HERA, l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire. Elle a également présenté trois propositions de règlement du Parlement européen et du Conseil 3 ( * ) et une proposition de règlement du Conseil visant à renforcer la capacité de l'Union à faire face à une menace transfrontière grave pour la santé. Le Sénat s'est déjà prononcé sur ces initiatives 4 ( * ) .

Le présent rapport examine les difficultés d'accès aux médicaments, hors périodes de crise sanitaire, qui résultent de problèmes de disponibilité ou d'un prix trop élevé. Les rapporteurs y formulent des observations et propositions en réponse à la stratégie pharmaceutique présentée par la Commission , qui prépare une réforme de la législation afférente de l'Union.

I. FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT DES MÉDICAMENTS DE DEMAIN

A. LA RECHERCHE ET L'INNOVATION AU CoeUR DE LA STRATÉGIE PHARMACEUTIQUE DE L'UNION

1. Une compétence de l'Union européenne qui se traduit par des financements importants

La stratégie pharmaceutique présentée par la Commission européenne doit permettre de soutenir l'innovation au sein de l'Union. L'Union dispose en effet d'une compétence propre dans ce domaine, prévue par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) dont l'article 179 institue un Espace européen de la recherche et l'article 182 prévoit un programme-cadre pluriannuel.

En matière de santé, en revanche, l'Union ne dispose que d'une compétence d'appui, l'article 168, point 7, du TFUE précisant que « l'action de l'Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux. » Il rappelle en outre que « les responsabilités des États membres incluent la gestion de services de santé et de soins médicaux, ainsi que l'allocation des ressources qui leur sont affectées » .

Cette articulation des compétences se traduit dans les crédits européens consacrés respectivement à la recherche dans le domaine de la santé et à la coordination entre les États membres en matière de santé. Ainsi, 8,2 milliards d'euros sur les 95,5 milliards d'euros affectés au programme « Horizon Europe » dédié à la recherche dans le cadre financier pluriannuel de l'Union européenne pour 2021-2027 seront consacrés à la recherche dans le domaine de la santé, dont 2 milliards pour la recherche contre le cancer, tandis que le budget du programme « l'Union pour la santé » s'élève à 5,1 milliards d'euros. Ce montant est toutefois dix fois plus élevé que celui du programme « santé » dans le cadre financier pluriannuel précédent. Il permettra notamment de financer le déploiement des technologies du numérique dans le domaine de la recherche médicale.

Les rapporteurs prennent acte de l'évolution favorable des crédits prévisionnels alloués à la santé mais attirent l'attention sur leur attribution effective.

Ces financements sont attribués dans le cadre d'appels à projets auxquels il est long et difficile de répondre, notamment pour une petite structure. Ainsi, les responsables de l'ARTIC (Association pour la recherche de thérapeutiques innovantes en cancérologie), implantée au sein de l'hôpital européen Georges Pompidou à Paris, qui ont été auditionnés par les rapporteurs, leur ont fait part de leur difficulté à répondre à ces appels à projets car cela requiert des moyens administratifs dont ils ne disposent pas. Pour l'Institut national du cancer (InCA) également auditionné par les rapporteurs, le temps consacré à la recherche de fonds est beaucoup trop important. Quant à l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), il déplore la forte spécificité de ces appels à projets qui nécessitent un apprentissage pour pouvoir y répondre en y consacrant un temps raisonnable.

Les rapporteurs demandent à la Commission européenne de réfléchir à dédier une équipe pour aider notamment les plus petites structures à répondre aux appels à projets.

Par ailleurs, l'Inserm insiste sur la nécessité de garantir la pérennité du financement lorsque les travaux de recherche effectués à la suite d'un appel à projets donnent des résultats concluants. L'évaluation continue des projets de recherche par la Commission doit en effet permettre de distinguer ceux pour lesquels le financement doit être pérennisé.

La recherche européenne entre compétition et coopération

Les fonds européens du programme Horizon Europe sont attribués sur la base d'appels à projets ouverts et concurrentiels présentés par la Commission européenne et auxquels acteurs publics et privés sont incités à participer conjointement. Le règlement (UE) n° 2021/695 5 ( * ) du Parlement européen et du Conseil du 28 avril 2021 portant établissement du programme-cadre pour la recherche et l'innovation « Horizon Europe » définit les règles de participation et de diffusion qui encadrent l'attribution des fonds.

La Commission peut également encourager la coopération entre les autorités compétentes des États membres dans le domaine de la recherche et participer au financement de projets communs. C'est le cas du réseau européen TRANSCAN, créé en 2011, qui vise à promouvoir la recherche contre le cancer. L'Institut national du cancer participe à ce réseau qui a lancé un appel à projets sur les cancers de mauvais pronostic.

Enfin, la Commission européenne veille à la diffusion des résultats de travaux de recherche en accès dit ouvert ( open access) .

2. Le rôle-clé des technologies numériques
a) Le développement de l'accès aux données

La Commission européenne propose de soutenir le développement de bases de données pouvant aider la recherche .

L'initiative « 1+ million genomes » doit ainsi permettre de constituer une base de données regroupant un million de génomes pour faciliter la recherche sur les maladies rares et le cancer notamment. La Commission propose également de créer un « atlas » européen des images liées au cancer , rendant les images anonymisées accessibles à un large éventail de parties prenantes dans l'écosystème des hôpitaux, des chercheurs et des innovateurs. Cette initiative s'appuiera sur le calcul à haute performance et l'intelligence artificielle pour renforcer la fiabilité des diagnostics et du suivi des traitements.

La Commission a par ailleurs présenté une proposition de règlement visant à la création d'un espace européen des données de santé . Les personnes auditionnées ont salué cette initiative. L'association ARTIC estime ainsi que la collecte de ces données est essentielle et que leur qualité conditionne la qualité du travail de recherche. Ces données doivent donc être exactes et correctement saisies dans des bases de données identiques dans chaque État membre. Il s'agit là d'un travail conséquent et chronophage.

Il conviendra en outre de garantir la protection des données à caractère personnel des patients.

Les rapporteurs considèrent que des moyens spécifiques devront être attribués pour aider les acteurs de terrain à constituer ces bases de données.

b) L'introduction du calcul à haute performance et de l'intelligence artificielle dans la recherche

Le calcul à haute performance et l'intelligence artificielle facilitent le travail de recherche. La Commission européenne indique ainsi que « le calcul à haute performance et l'intelligence artificielle contribuent à accélérer l'identification des substances actives potentielles à réaffecter ». Ceci est particulièrement vrai dans le cadre de la lutte contre le cancer où la recherche doit permettre d'évaluer l'impact de substances existantes sur d'autres pathologies. Aux yeux de l'Inserm, l'intelligence artificielle permet de réduire les risques liés à la recherche en diminuant le temps de recherche tout en amplifiant les indications et cibles.

Ces technologies permettent également de réaliser le séquençage des génomes dans le but de distinguer les différents profils des patients pour proposer les traitements les plus personnalisés. Dans le cas du cancer, il s'agit de séquencer le génome du patient et le génome de la tumeur pour identifier les variations et rechercher des traitements adaptés.

Sans ces outils, les bases de données que propose de créer la Commission européenne ne seront pas exploitables et il ne sera pas possible de croiser les différentes données. Pour illustrer les apports de l'intelligence artificielle et du calcul à haute performance, l'Inserm a pris l'exemple de l'adaptation du dosage du tacrolimus chez les patients greffés du foie. Ce médicament est utilisé pour diminuer les risques de rejet mais certains patients peuvent présenter des concentrations très variées de la substance après administration à doses égales, en fonction notamment de leur âge et de l'état de leur foie. Un algorithme mis au point à l'université de Limoges permet sur la base de quelques informations relatives au patient de déterminer le dosage adapté.

L'Union doit investir dans ce domaine et favoriser les synergies avec le plan « Horizon Europe » pour que les innovations dans le domaine du numérique puissent bénéficier à la recherche médicale.

B. LA NÉCESSITÉ D'ORIENTER LA RECHERCHE VERS LES BESOINS MÉDICAUX NON SATISFAITS

Pour orienter les fonds destinés à la recherche vers les besoins médicaux non satisfaits , il est nécessaire de définir cette notion . Pour les rapporteurs, on peut à cet égard distinguer, d'une part, la recherche sur les maladies pour lesquelles il n'existe aujourd'hui pas de traitement, et, d'autre part, les recherches que les laboratoires pharmaceutiques ne veulent pas financer faute de retour sur investissement mais qui présentent un intérêt majeur pour les patients.

Or il n'existe pas de définition communément admise des besoins médicaux non satisfaits. Dans sa résolution du 24 novembre 2021 6 ( * ) , le Parlement européen a invité la Commission à lancer un processus, coordonné par l'Agence européenne des médicaments (EMA) pour établir une définition communément acceptée qui permettrait de mieux orienter les fonds publics destinés à la recherche. Les rapporteurs estiment que cette proposition doit être soutenue .

Elles estiment à cet égard que les fonds européens doivent être prioritairement orientés vers des domaines où les options de traitement sont restreintes, où le taux de survie des patients est faible et où l'intérêt commercial est limité pour les entreprises . C'est le cas notamment de recherches visant à la réaffectation de médicaments non couverts par un brevet .

Parmi les besoins médicaux non satisfaits, elles en ont ciblé trois : la lutte contre le cancer, la résistance aux antimicrobiens et le traitement des maladies rares et pédiatriques, qui figurent parmi les priorités identifiées par la Commission.

1. La lutte contre le cancer

La lutte contre le cancer est l'un des domaines dans lesquels il est nécessaire d'investir massivement tant les besoins sont immenses. Le plan européen pour vaincre le cancer 7 ( * ) propose des initiatives ambitieuses pour stimuler la recherche centrée sur les besoins des patients en permettant notamment un meilleur partage des connaissances. Il prévoit d'accorder une attention particulière aux cancers pédiatriques qui sont la principale cause de décès par maladie des enfants âgés de plus d'un an.

L'ARTIC estime que la pandémie de COVID-19 a eu un impact négatif sur la lutte contre le cancer . Les nombreux financements pour lutter contre cette pandémie ont permis la mobilisation d'outils de recherche et de moyens humains considérables mais au détriment de la recherche contre le cancer. Des protocoles de recherche ont notamment été remis en cause par le départ de certains techniciens d'études cliniques mobilisés par la recherche contre la COVID-19. Il est donc indispensable de redéployer des moyens dans la lutte contre le cancer .

Les engagements pris par la Commission en matière de recherche dans le cadre du plan européen pour vaincre le cancer sont actuellement mis en oeuvre . Outre les financements accordés dans le cadre du programme « Horizon Europe », la Commission a créé un nouveau centre de connaissances sur le cancer, qui contribuera notamment à la coordination des initiatives scientifiques et techniques liées à la lutte contre le cancer à l'échelle de l'Union. Il agira en tant que courtier en connaissances, diffusera les bonnes pratiques et publiera des lignes directrices pour alimenter la conception et le déploiement de nouvelles mesures. Un appel à projets a également été lancé pour permettre la création d'un « atlas » européen des images liées au cancer.

Lors de son audition, l'InCA a attiré l'attention sur trois points essentiels. Tout d'abord, la décision de financer la recherche doit prendre en compte le caractère réellement innovant du traitement potentiel . La recherche financée par des fonds publics doit permettre la mise au point de traitements reposant sur des mécanismes d'action différents de ceux qui existent déjà et présentant une réelle valeur ajoutée pour le patient.

L'InCA a en outre insisté sur la nécessité de financer la recherche permettant la désescalade thérapeutique dans l'intérêt des patients . Lors de la mise sur le marché, les laboratoires pharmaceutiques indiquent la posologie nécessaire pour que le traitement soit efficace ; la recherche visant à permettre la désescalade thérapeutique vérifie les résultats obtenus en diminuant la posologie afin de réduire les effets secondaires indésirables pour les patients.

Par ailleurs, l'association de traitements produits par différents laboratoires peut présenter un grand intérêt pour les patients mais ces associations sont difficiles à tester compte tenu de la concurrence entre les laboratoires. Il est donc nécessaire que la recherche publique évalue ces associations. L'InCA a indiqué aux rapporteurs que des progrès considérables dans le traitement des leucémies ont ainsi pu être effectués grâce à l'association de traitements pour lesquels le travail de recherche a permis de mieux savoir à quel moment les utiliser et à quelle dose.

2. La résistance aux antimicrobiens

La Commission européenne constate que la résistance aux antimicrobiens est un besoin médical non satisfait. En effet, l'utilisation excessive inappropriée d'antimicrobiens en médecine humaine et vétérinaire entraîne le développement d'une résistance qui cause la mort d'environ 33 000 personnes par an au sein de l'Union. Si le développement de la résistance aux antimicrobiens se poursuit au rythme actuel, les infections résistantes aux médicaments seront responsables de plusieurs millions de morts par an dans le monde d'ici 2050, soit un nombre supérieur à celui des décès causés par le cancer.

Il convient donc de mettre en oeuvre des incitations particulières pour développer de nouveaux antimicrobiens et optimiser l'utilisation des médicaments antimicrobiens . Le soutien public à la recherche dans ce domaine doit être d'autant plus important que l'on observe depuis la fin des années 80 un désengagement des entreprises pharmaceutiques en la matière, qui peut s'expliquer par le caractère limité du marché en raison des restrictions d'usage et par des prix bas pour les nouveaux antibiotiques contre les infections à germes multi-résistants dont les essais cliniques peinent à démontrer la valeur ajoutée par rapport aux antibiotiques existants.

La Commission européenne a d'ores et déjà fait des propositions pour réserver l'utilisation de certains antimicrobiens au traitement des infections humaines. Sur ce sujet, les rapporteurs ont auditionné le CEVA, laboratoire vétérinaire international qui a indiqué que depuis 20 ans, le recours aux antibiotiques a déjà diminué de 45 % pour la médecine animale alors qu'il n'a diminué que de 20% pour la médecine humaine. Il faut également noter qu'environ 40 % des prescriptions dans le domaine vétérinaire concernent les animaux de compagnie. Le CEVA estime que si le recours aux antibiotiques reste nécessaire pour soigner les animaux et éviter des transmissions de maladies à l'homme, la vaccination doit également être développée. Aujourd'hui, les investissements dans la recherche dans le domaine des antimicrobiens se concentrent davantage sur les animaux de compagnie que sur les animaux d'élevage. Or, la santé animale est essentielle en matière alimentaire.

Sur ce sujet, les rapporteurs considèrent que la diminution du recours aux antibiotiques doit être proportionnée à l'objectif de protection de la santé humaine et animale.

3. Le traitement des maladies rares et les médicaments à usage pédiatrique

La faible population concernée limite le retour sur investissement des laboratoires pharmaceutiques qui développeraient des traitements contre les maladies rares et des médicaments à usage pédiatrique. Il est donc nécessaire d'orienter les investissements publics vers ces besoins médicaux non satisfaits tout en développant des mécanismes pour inciter les laboratoires pharmaceutiques à investir dans ces domaines.

Aujourd'hui, le règlement (CE) n° 141/2000 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1999 concernant les médicaments orphelins 8 ( * ) destinés au traitement des maladies rares prévoit la fourniture d'une assistance aux promoteurs de ces médicaments pour l'élaboration des divers tests à réaliser afin d'en démontrer la qualité, la sécurité et l'efficacité . Ceux-ci bénéficient en outre d'une exclusivité commerciale pendant dix ans , les États membres et la Commission s'engageant à ne pas délivrer d'autorisation de mise sur le marché pour un médicament similaire avec la même indication thérapeutique durant cette période.

Par ailleurs, le règlement (CE) n° 1901/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relatif aux médicaments à usage pédiatrique 9 ( * ) impose aux laboratoires pharmaceutiques de présenter, lors d'une demande d'autorisation de mise sur le marché, un plan d'investigation pédiatrique qui décrive les mesures prévues pour évaluer la qualité, la sécurité et l'efficacité du médicament dans tous les sous-ensembles de la population pédiatrique susceptibles d'être concernés. Si les études ainsi prévues ont été correctement menées, une prorogation du certificat complémentaire de protection associé est accordée, permettant ainsi de proroger de six mois les droits conférés par le brevet dont bénéficie le laboratoire pharmaceutique.

La Commission a publié en 2020 les résultats d'une évaluation de ces deux règlements 10 ( * ) . Il apparaît que si leur mise en oeuvre s'est traduite par une augmentation du nombre d'autorisations de mise sur le marché , les informations disponibles ne permettent pas de savoir si ces règlements ont permis de canaliser les fonds alloués à la recherche vers les domaines thérapeutiques ciblés, dans la mesure où ils ne prévoient pas d'instrument à cet effet. Ainsi, la mise sur le marché de traitements pédiatriques est souvent le résultat de travaux de recherche développés chez l'adulte et la mise sur le marché de traitements pour les maladies rares résulte davantage de la réaffectation de médicaments utilisés pour d'autres maladies.

Si ces traitements sont utiles, il appartient à la Commission de s'assurer que des appels à projets de recherche pourront être publiés spécifiquement sur les maladies rares et les maladies infantiles et que des organismes de recherche publics puissent y répondre pleinement dans le cas où aucun partenariat public-privé ne pourrait être mis sur pied.

C. FACILITER LA RECHERCHE À L'ÉCHELLE DE L'UNION DANS DES CADRES RÉGLEMENTAIRES NATIONAUX

1. Un règlement harmonise les conditions d'autorisation des essais cliniques

Le règlement (UE) n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain 11 ( * ) entré en vigueur le 31 janvier 2022 harmonise les processus de soumission, d'évaluation et de surveillance des essais cliniques menés au sein de l'Union et de l'Espace économique européen (EEE) et crée le portail CTIS ( Clinical Trial Information System ), qui est, depuis le 1 er février 2022, l'unique point de contact pour le dépôt des demandes d'autorisation d'essais cliniques. Ce dispositif doit faciliter la réalisation d'essais cliniques dans plusieurs États membres. Une période de 3 ans est prévue avant une mise en oeuvre complète et aboutie au 31 janvier 2025.

L'évaluation des demandes d'autorisation d'essais cliniques comprend désormais deux parties.

La première prévoit l'évaluation médicale des bénéfices et risques de l'essai clinique par l'État membre rapporteur désigné par le promoteur. Ses conclusions s'imposent aux autres États membres dans lesquels l'essai clinique doit également se dérouler conformément à la demande d'autorisation sauf :

- si la participation à l'essai clinique devait entraîner pour le participant un traitement de qualité inférieure à la pratique clinique normale dans l'État membre concerné ;

- si le droit national interdit ou limite l'usage de médicaments contenant des cellules humaines ou animales, ou des stupéfiants au sens des conventions internationales en vigueur ;

- en cas d'observations relatives à la sécurité des participants, ainsi qu'à la fiabilité et à la robustesse des données fournies par le promoteur.

En pareils cas, une procédure d'appel est prévue. En revanche, si l'État membre rapporteur conclut que l'essai n'est pas acceptable, cette conclusion est réputée être celle de tous les États membres concernés.

La seconde partie de l'évaluation est réalisée par chaque État membre concerné par la demande d'autorisation et porte sur les enjeux éthiques de l'essai clinique. Un avis défavorable permet à un État membre de refuser la demande d'autorisation sur son territoire.

2. Des difficultés qui persisteront

Les interlocuteurs que les rapporteurs ont entendus sur ce sujet ont mis en avant les difficultés à mettre en place des programmes de recherche biomédicale dans plusieurs États membres . Ces difficultés ne seront pas résolues en dépit du règlement de 2014, en raison de l'encadrement de la recherche par des dispositions nationales.

a) Des délais de négociation des contrats entre les promoteurs d'essais et les sites hospitaliers particulièrement longs

C'est le cas notamment en Espagne où il est nécessaire de conclure un contrat particulier avec chaque hôpital pour engager un essai clinique alors que dans d'autres États membres, c'est un contrat unique qui est conclu avec l'autorité de tutelle des établissements de santé.

Pour résoudre ces difficultés, l'Inserm plaide pour la mise en place d'un modèle unique de contrat, accepté par tous les sites de recherche sous couvert de leur autorité de tutelle et traduit dans chacune des langues de l'Union.

La Commission devrait réunir les différentes parties prenantes pour tenter de trouver des solutions à cette question.

b) Le traitement des données à caractère personnel

Comme indiqué plus tôt, le règlement (UE) n° 536/2014 laisse le soin aux autorités des États membres d'apprécier les enjeux éthiques des essais cliniques. Au-delà des prescriptions du RGPD, les conditions de traitement des données à caractère personnel dans le cadre de recherches sont établies au niveau national, le pouvoir de réglementation et d'appréciation de l'autorité nationale compétente ne faisant l'objet d'aucune harmonisation européenne en la matière. En France, la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) fixe les règles que doivent respecter les promoteurs de projets de recherche ; celles-ci peuvent être particulièrement restrictives dans le cas notamment des essais cliniques portant sur des cancers rares, dans le but de protéger l'identité des patients.

c) Les recherches non interventionnelles

Le règlement (UE) n° 536/2014 encadre les essais cliniques mais pas les recherches non interventionnelles dans le domaine médical. Il s'agit de celles qui ne modifient pas la prise en charge des participants à l'étude et qui relèvent de la compétence des seuls États membres, ce qui complique leur mise en oeuvre 12 ( * ) dans plusieurs États membres.

Il n'en demeure pas moins que certaines règles concernant les recherches non interventionnelles restent nationales. L'ARTIC a ainsi mentionné aux rapporteurs un projet de recherche de ce type qui devait être mené en France, en Belgique et aux Pays-Bas mais qui n'a pas pu démarrer en France en raison de règles de promotion différentes emportant un surcoût budgétaire. L'ARTIC estime qu'il faudrait réfléchir à la définition de conditions identiques pour la mise en oeuvre de projets de recherche de ce type au sein de l'Union européenne.

La Commission pourrait proposer des lignes directrices en ce sens .

d) Le financement des médicaments utilisés dans le cadre des essais cliniques

La question du financement des médicaments utilisés dans le cadre des essais cliniques illustre les différences réglementaires d'un État membre à l'autre, avec lesquelles les promoteurs d'essais cliniques doivent composer. Ainsi, selon les États, d'une part les médicaments peuvent être remboursés ou non et, d'autre part, dans le cas de médicaments remboursés, les autorités nationales peuvent considérer que ce remboursement ne s'applique pas dans le cadre d'essais cliniques . C'est ainsi qu'en France, les médicaments utilisés dans le cadre d'une étude doivent être payés par le promoteur, même si ceux-ci sont remboursés par l'assurance-maladie alors que dans d'autres États, le promoteur peut ne pas payer les médicaments remboursés par le système d'assurance-maladie.

D. UNE LÉGISLATION POUR ACCÉLÉRER L'ARRIVÉE SUR LE MARCHÉ DE NOUVEAUX MÉDICAMENTS RÉPONDANT AUX BESOINS MÉDICAUX NON SATISFAITS

L'accès aux médicaments couvrant les besoins médicaux non satisfaits doit se faire le plus rapidement possible, sans remettre en cause la sécurité des patients. Or, l'autorisation de mise sur le marché (AMM) ne signifie pas que le médicament sera effectivement mis sur le marché. En effet, les États membres doivent au préalable déterminer son prix et les conditions de remboursement. Dès lors, il convient non seulement de réfléchir à la manière d'accélérer la délivrance des AMM, mais aussi d'accélérer l'ensemble de la procédure .

Les étapes nécessaires à la mise sur le marché des médicaments
en France

1/Le médicament doit tout d'abord disposer d'une autorisation de mise sur le marché qui en garantit la qualité, l'efficacité et la sécurité. Celle-ci peut être délivrée soit par l'Agence européenne des médicaments (EMA) soit par l'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) en France, le règlement (CE) n° 726/2004 déterminant les cas dans lesquels l'EMA est compétente.

2/ La Haute autorité de santé (HAS) procède à une évaluation clinique de l'efficacité relative du médicament et éventuellement à une évaluation non clinique prenant notamment en compte des critères économiques pour déterminer le service médical rendu (SMR) et l'amélioration du service médical rendu (ASMR).

3/ Sur la base des évaluations de la HAS, le Comité économique des produits de santé (CEPS) a pour mission de fixer le prix du médicament. Pour cela, il peut conclure avec les entreprises ou groupes d'entreprises des conventions portant sur le prix des médicaments et son évolution, les volumes de vente et les éventuelles remises.

4/ L'Union nationale des caisses d'assurance maladie définit, quant à elle, le taux de remboursement du médicament en tenant compte du service médical rendu et de la gravité de l'affection concernée

1. Accélérer la délivrance des autorisations de mise sur le marché de certains médicaments

Dans sa stratégie pharmaceutique, la Commission indique vouloir aligner les délais d'approbation réglementaire de l'Union sur ceux d'autres régions du monde , notamment les États-Unis.

Cette initiative peut sembler intéressante mais elle ignore, selon l'Agence européenne du médicament (EMA), le fait que la Food and drug administration américaine (FDA) est en charge non seulement des autorisations de mise sur le marché mais également des autorisations relatives aux essais cliniques , ce qui lui permet de disposer très en amont d'informations sur le médicament destiné à être mis sur le marché. L'EMA, quant à elle, ne dispose de ces informations qu'après la réalisation de ces essais qui sont évalués par les agences des États membres.

Compte tenu de cette différence importante, les rapporteurs préconisent de privilégier une action ciblée telle que le programme PRIME , programme en faveur des médicaments prioritaires lancé par l'EMA. Il permet de sélectionner les traitements potentiels qui visent des besoins médicaux non satisfaits et peuvent apporter un bénéfice substantiel aux patients. Les développeurs bénéficient de conseils scientifiques en amont et d'une procédure d'évaluation accélérée. Comme le recommande la Commission européenne, ce programme devrait être introduit dans le cadre réglementaire afin de le rendre plus efficace.

Par ailleurs, la révision en continu des données scientifiques mise en oeuvre pour accélérer l'évaluation par l'EMA des vaccins contre la COVID-19 mériterait d'être étendue à d'autres produits. Dans ce cadre, toutes les données sur l'efficacité, la sécurité et la qualité sont en effet fournies au fur et à mesure de leur disponibilité et non plus au moment du dépôt de la demande formelle d'autorisation de mise sur le marché, ce qui permet un gain de temps considérable.

L'InCA estime qu'il est nécessaire d'identifier en amont les médicaments qui vont avoir une véritable valeur ajoutée et d'offrir au promoteur un accompagnement juridique et financier adapté afin de faciliter la mise sur le marché. Il préconise à cet effet que la Commission mette en place un outil d'anticipation adapté ( Horizon scanning ).

2. Organiser un dialogue entre les différents régulateurs pour permettre un accès plus rapide au traitement

Avant la mise sur le marché effective d'un médicament, les autorités compétentes des États membres doivent évaluer son efficacité relative puis en fixer le prix et les conditions de remboursement pour les patients. Cela engendre des délais supplémentaires. Pour réduire ces délais, la Commission devrait organiser un dialogue entre les différentes parties prenantes , incluant les autorités compétentes chargées de délivrer l'autorisation de mise sur le marché, les organismes d'évaluation des technologies de santé et les organismes payeurs, pour déterminer le plus en amont possible, d'une part, les différentes études qui seront demandées au développeur du médicament et, d'autre part, les possibilités d'harmonisation de ces demandes.

Sur ce sujet, le rôle des États membres est également essentiel. Ils devraient non seulement soutenir les efforts de la Commission pour un dialogue entre les différentes parties prenantes mais également, pour ce qui relève de leur domaine de compétence, développer des procédures d'évaluation visant à permettre un accès plus rapide aux médicaments couvrant des besoins médicaux non satisfaits.

En France, depuis le 1 er juillet 2021, la Haute autorité de santé (HAS) est ainsi chargée d'autoriser l' « accès précoce » à des traitements innovants, conformément à l'article 83 du règlement (CE) n° 726/2004. Cet « accès précoce » est un dispositif qui permet à des patients en impasse thérapeutique de bénéficier, à titre exceptionnel et temporaire, de certains médicaments disposant ou non d'une autorisation de mise sur le marché, l'avis conforme de l'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) étant nécessaire pour les médicaments ne disposant pas d'une AMM. L'autorisation d'accès précoce vaut prise en charge automatique par l'Assurance maladie.

E. POUR UN CYCLE DU MÉDICAMENT PLUS RESPECTUEUX DE L'ENVIRONNEMENT

Le médicament de demain devra être plus respectueux de l'environnement. La production, l'utilisation et l'élimination des médicaments ont des incidences sur l'environnement et donc sur la santé humaine dans la mesure où certains résidus de médicaments peuvent se retrouver dans l'eau et le sol et avoir notamment un impact sur le système endocrinien ou favoriser la résistance aux antimicrobiens.

La Commission propose de réviser la législation pharmaceutique afin de renforcer les exigences en matière d'évaluation des risques pour l'environnement . De plus, les États membres et l'Union européenne devront soutenir la recherche, le développement et l'innovation pour des produits pharmaceutiques moins nocifs pour l'environnement. Enfin, la Commission devra renforcer les inspections et les audits tout au long de la chaîne de production, notamment en dehors de l'Union pour s'assurer du respect des bonnes pratiques de fabrication.

L'industrie pharmaceutique devra également contribuer à la neutralité climatique de l'Union, en mettant l'accent sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre tout au long de la chaîne de valeur. Sur ce sujet, le Parlement européen a appuyé la position de la Commission dans sa résolution du 24 novembre 2021 et demandé que l'industrie pharmaceutique soit respectueuse de l'environnement et neutre pour le climat tout au long du cycle de vie des médicaments .

Enfin, il sera nécessaire d'établir des recommandations pour limiter le gaspillage de médicaments lié aux médicaments délivrés mais non utilisés. Ce gaspillage a un impact non seulement sur l'environnement et la santé mais également sur les finances publiques lorsqu'il s'agit de médicaments remboursés.

Sur ces sujets, une coopération internationale apparaît nécessaire. La Commission devra donc travailler à la mise en oeuvre de normes internationales communes et encourager la définition et la mise en oeuvre de bonnes pratiques pour réduire l'impact environnemental de l'industrie pharmaceutique. Les États membres doivent accompagner la mise en place de ces nouvelles normes , les autorités nationales compétentes tenant compte des coûts que ces nouvelles normes induisent lors de l'achat de médicaments, que ce soit lors de la fixation de prix dans le cadre d'achats de gré à gré ou dans le cadre d'appels d'offres. Le respect de normes environnementales exigeantes devrait d'ailleurs être un critère d'attribution des marchés publics de médicaments.

Toutefois, une production plus respectueuse de l'environnement ne doit pas se faire au détriment de l'accès aux soins pour les patients . Comme le précise le Parlement européen dans sa résolution du 24 novembre 2021, la mise sur le marché d'un médicament ne peut être retardée ou refusée uniquement en raison d'incidences environnementales négatives.

II. ANTICIPER ET LIMITER LES PÉNURIES DE MÉDICAMENTS

A. DES PÉNURIES QUI SE MULTIPLIENT ET REPRÉSENTENT UN DANGER POUR LES PATIENTS

1. S'accorder sur la définition de « pénurie de médicaments » à l'échelle de l'Union

a) Une définition européenne qui ne s'applique qu'en cas de crise sanitaire

Il n'existe pas aujourd'hui de définition de la pénurie 13 ( * ) de médicaments à l'échelle européenne qui ne soit pas liée directement à une situation d'urgence de santé publique, telle que définie par le futur règlement européen concernant les menaces transfrontières graves pour la santé 14 ( * ) 15 ( * ) actuellement en cours d'adoption. C'est uniquement dans ce cadre que le règlement (UE) n° 2022/123 du Parlement européen et du Conseil du 25 janvier 2022 - relatif à un rôle renforcé de l'Agence européenne des médicaments dans la préparation aux crises et la gestion de celles-ci en ce qui concerne les médicaments et les dispositifs médicaux 16 ( * ) - définit la pénurie comme une situation dans laquelle l'offre d'un médicament qui est autorisé et mis sur le marché dans un État membre ne répond pas à la demande de ce médicament au niveau national, quelle qu'en soit la cause.

Ce règlement a été adopté à la suite de la pandémie de COVID-19. Or, les pénuries de médicaments sont devenues un problème chronique et ne sont pas nécessairement associées à une crise sanitaire.

b) La définition française pourrait servir de référence

En 2018, seuls trois États membres dont la France avaient indiqué à la Commission qu'ils disposaient d'une définition légale de la pénurie ou de la rupture d'approvisionnement.

En France, la rupture d'approvisionnement est définie par le décret n° 2012-1096 du 28 septembre 2012 relatif à l'approvisionnement en médicaments à usage humain comme l'incapacité pour une pharmacie de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures, après avoir effectué une demande d'approvisionnement auprès de deux entreprises exerçant une activité de distribution de médicaments. Ce délai de 72 heures peut être réduit à l'initiative du pharmacien en fonction de la compatibilité avec la poursuite optimale du traitement du patient. Cette rupture d'approvisionnement peut être imputable notamment à une rupture de stock, définie par le décret 2016-993 du 20 juillet 2016 relatif à la lutte contre les ruptures d'approvisionnement de médicaments comme l'impossibilité de fabriquer ou d'exploiter un médicament.

Les rapporteurs estiment qu'il est indispensable de définir à l'échelle de l'Union la notion de pénurie ou de rupture d'approvisionnement dans un cadre général qui ne soit pas lié à une situation d'urgence sanitaire. Une fois la situation de pénurie ou de rupture d'approvisionnement constatée, des actions pourront alors être entreprises.

2. Des pénuries de plus en plus nombreuses

a) Hausse du nombre de ruptures d'approvisionnement pour les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur en France

(1) Les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur : une notion française qui n'a pas d'équivalent à l'échelle de l'Union

Un arrêté du 27 juillet 2016 17 ( * ) fixe la liste des classes thérapeutiques contenant des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) . Ces médicaments ou classes de médicaments sont ceux pour lesquels une interruption de traitement est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme, ou représente une perte de chance importante pour les patients au regard de la gravité ou du potentiel évolutif de la maladie.

Les textes ne comportent pas une liste officielle des MITM . Chaque industriel a donc la responsabilité de classer ses propres produits dans les différentes classes thérapeutiques, classement qui entraîne un certain nombre d'obligations, notamment en matière de stocks. L'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) estime à 6 000 le nombre de MITM, ce qui est considérable.

Pour l'organisation professionnelle des entreprises du médicament (LEEM), les MITM représentent plus de 40 % de la pharmacopée ce qui est beaucoup pour une action efficace. Les entreprises estiment préférable de promouvoir la notion de médicaments d'intérêt sanitaire et stratégique (MISS) qui correspond aux médicaments pour lesquels une rupture d'approvisionnement entraîne un risque vital et immédiat pour les patients souffrant d'une pathologie grave, et cela en l'absence d'alternative thérapeutique recommandée par les autorités sanitaires. Le LEEM estime que les MISS représenteraient 10 à 15 % de la pharmacopée.

Au niveau européen, le règlement (UE) n° 2022/123 prévoit l'établissement d'une liste des principaux groupes thérapeutiques de médicaments nécessaires aux soins d'urgence afin de contribuer à la préparation des listes de médicaments qui seront considérés comme critiques en cas d'urgence de santé publique. En dehors de ce scénario d'urgence, il n'est pas prévu de liste de médicaments qui seraient considérés comme critiques ou d'intérêt thérapeutique majeur.

(2) Une hausse des ruptures d'approvisionnement réelle dont l'ampleur doit être nuancée

L'ANSM, qui est chargée de recenser les ruptures d'approvisionnement effectives ou potentielles, constate une hausse continue du nombre de médicaments signalés comme souffrant de telles ruptures, nombre qui est passé de 44 en 2008 à 404 en 2013, puis, après une période de stabilité, de 405 en 2016 à 1200 en 2019. En 2020, le nombre de signalements a été de 2 400 et, en 2021, de 2 160 du fait de la pandémie de COVID-19.

Ces chiffres doivent néanmoins être nuancés pour tenir compte de l'évolution de la législation qui a renforcé en 2012 et 2016 les obligations des titulaires d'AMM en matière de signalement et l'ANSM estime que les alertes ne sont pas proportionnelles aux ruptures effectives.

L'Ordre national des pharmaciens, qui a mis en place un outil nommé « DP-Ruptures » déployé dans 15 376 officines pour leur permettre de signaler les ruptures d'approvisionnement, constate également une hausse du nombre de ruptures d'approvisionnement. Sur la base de 13 000 médicaments en circulation en France, il considère qu'il y a une rupture sur un médicament si au moins 1 000 officines ont fait une déclaration de manque dans le mois. Sur cette base, ce sont environ 1,5% à 2% des médicaments en moyenne qui connaissent actuellement des tensions d'approvisionnement en France.

Les principales plateformes françaises permettant de suivre la disponibilité des médicaments

Trois plateformes, relativement complémentaires, sont utilisées en France.

Trustmed est la plateforme lancée par l'ANSM pour permettre aux titulaires d'AMM de déclarer une rupture ou un risque de rupture en remplissant un formulaire en ligne. Cette plateforme permet non seulement d'améliorer la collecte des données de signalement des ruptures de stock, mais aussi d'informer les patients et les professionnels de santé des actions mises en oeuvre pour pallier ces ruptures. La création d'une procédure en ligne a permis de standardiser l'information, ce qui en facilite le traitement.

TRACStocks a été développée par les entreprises du médicament (LEEM), l'association « Générique, même médicament » (Gemme) et les laboratoires des médicaments d'importation parallèle (LEMI), dans le but d'optimiser la gestion des stocks de médicaments et de répondre aux demandes de l'ANSM.

DP-Ruptures est un logiciel développé par l'Ordre des pharmaciens pour suivre les ruptures d'approvisionnement. Si une rupture est constatée dans au moins 5% des pharmacies équipées de ce logiciel, la déclaration est répertoriée dans la synthèse des déclarations de ruptures d'approvisionnement sur le portail DP-Ruptures. Un signal est alors transmis au laboratoire exploitant ainsi qu'aux autorités sanitaires, dont l'ANSM. En retour, les pharmaciens ont accès à des informations relatives à l'approvisionnement du médicament, à savoir les dates de retour envisagées ou les éventuels médicaments alternatifs à utiliser. Ils sont ainsi en mesure de renseigner les patients.

b) Une hausse corroborée par les pharmaciens à l'échelle de l'Union

Le Groupement pharmaceutique de l'Union européenne a réalisé en 2019 une étude 18 ( * ) sur les pénuries de médicaments auprès des pharmaciens de 22 États membres auxquels s'ajoutent la Norvège et le Royaume-Uni. Dans le cadre de cette étude, il est considéré qu'il y a pénurie de médicaments chaque fois qu'une pharmacie a été dans l'incapacité, éventuellement temporaire, de fournir aux patients le médicament demandé en raison de facteurs indépendants de sa volonté, ce qui a nécessité la délivrance d'un traitement alternatif, voire l'arrêt d'un traitement en cours.

L'étude montre tout d'abord que ce problème affecte de manière plus importante chaque année tous les États membres. Tous les pays répondants ont en effet connu des pénuries de médicaments dans les pharmacies au cours des 12 derniers mois, et dans 87% d'entre eux la situation s'est aggravée par rapport à 2018.

Dans 67% des pays ayant répondu, plus de 200 médicaments étaient répertoriés comme étant en rupture d'approvisionnement au moment de l'enquête, cinq pays indiquant qu'il y avait même plus de 400 médicaments en rupture d'approvisionnement.

c) Des pénuries qui touchent davantage les médicaments anciens

L'ANSM estime que les pénuries concernent majoritairement des médicaments commercialisés depuis longtemps, dont le brevet est généralement tombé dans le domaine public. Or ces médicaments restent indispensables pour traiter certaines pathologies. C'est le cas notamment des problèmes cardiovasculaires ou des infections respiratoires. En oncologie, les médicaments anciens tels que le méthotréxate ou le fluorouracile restent également indispensables pour certains protocoles.

3. Des pénuries aux lourdes conséquences

a) Des conséquences graves pour la santé des patients

Ces pénuries peuvent avoir de graves conséquences sur la santé des patients, entraînant des pertes de chance et des décès prématurés. L'association UFC-Que choisir, dans une étude de novembre 2020 sur les pénuries de médicaments 19 ( * ) , cite le cas de l'arrêt de production du traitement BCG ImmuCyst, par Sanofi en 2019 20 ( * ) , qui a entraîné une hausse du nombre de récidives du cancer de la vessie et un plus grand nombre d'ablations totales de cet organe. Ces pénuries peuvent également conduire à la mise en place d'un traitement d'une efficacité inférieure ou moins bien toléré par le patient. Enfin, les pharmaciens des États membres qui ont répondu à l'enquête du Groupement pharmaceutique de l'Union européenne ont indiqué qu'ils constataient que les pénuries de médicaments étaient source de détresse et de désagréments pour les patients, au-delà de l'impact sur leur pathologie.

b) Des pénuries qui ont un coût

Ces pénuries ont tout d'abord un coût pour les finances publiques. Au temps consacré par les agents hospitaliers à rechercher des solutions pour garantir un approvisionnement suffisant, il faut ajouter les frais liés à une nouvelle consultation médicale pour la délivrance d'un médicament équivalent dans les États où les pharmaciens ne sont pas autorisés à effectuer une substitution. En outre, les traitements alternatifs peuvent être plus onéreux.

Par ailleurs, les pénuries ont également un coût pour les pharmaciens. L'étude réalisée par le Groupement des pharmaciens de l'Union européenne montre en effet que le temps consacré par les pharmacies à la lutte contre les pénuries est passé de 5,6 heures par semaine en 2018 à 6,6 heures par semaine en 2019.

4. Des causes multiples qui compliquent la lutte contre les pénuries

L'ANSM a précisé aux rapporteurs les causes des signalements des pénuries de médicaments en 2018. Celles-ci sont multiples et liées aux évènements suivants :

- dans 11% des cas, des retards de fabrication ou des pannes d'outil de production ;

- dans 15% des cas, des problèmes d'approvisionnement en amont ou des difficultés pour assurer le conditionnement ;

- dans 35% des cas, une production insuffisante ou une hausse de la demande ;

- dans 9% des cas, une non-conformité des lots produits ;

- dans 25% des cas, une modification de l'AMM qui nécessite de revoir les modalités de production ou d'étiquetage.

Un rapport 21 ( * ) de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et du Conseil général de l'économie (CGE) sur les vulnérabilités d'approvisionnement en produits de santé, remis au Commissariat général au plan distingue trois principales sources d'insuffisance dans la fourniture de médicaments. La première est le défaut qualité : la production n'atteint pas les objectifs en termes de conformité technique ou de délais prévus, ce qui peut résulter de causes internes tels qu'un défaut de l'appareil de production ou une erreur humaine, ou de causes externes comme la défaillance d'un fournisseur. La deuxième consiste en des arrêts de fabrication pour cause de rentabilité insuffisante. Enfin, la troisième peut tenir à une erreur de prévision de la demande ou à une restriction d'accès au marché pour des raisons réglementaires.

Cette analyse confirme qu'il faut agir dans plusieurs directions pour limiter ces pénuries.

5. Des pharmaciens qui n'ont pas toujours les compétences réglementaires pour répondre aux besoins des patients

Au sein des États membres, selon les législations en vigueur, les pharmaciens disposent de plus ou moins de marges de manoeuvre pour répondre à la demande des patients en cas de rupture d'approvisionnement.

L'étude du Groupement pharmaceutique de l'Union européenne montre que, dans 79% des 24 États ayant participé à l'étude, la substitution par un médicament générique est autorisée. En revanche, l'approvisionnement du même médicament auprès d'autres sources autorisées, comme d'autres pharmacies, n'est autorisé que dans 63 % de ces États.

B. LA NÉCESSITÉ D'UNE ACTION RÉSOLUE DANS LA LUTTE CONTRE LES PÉNURIES A L'ÉCHELLE DE L'UNION

L'article 81 de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain 22 ( * ) prévoit uniquement que « le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché d'un médicament ainsi que les distributeurs de ce médicament mis sur le marché de façon effective dans un État membre assurent, dans la limite de leur responsabilité respective, un approvisionnement approprié et continu de ce médicament pour les pharmacies et les personnes autorisées à délivrer des médicaments de manière à couvrir les besoins des patients de l'État membre concerné ». Aucune obligation précise ou de sanction en cas de manquement ne sont donc prévues.

Dans sa stratégie pharmaceutique pour l'Europe, la Commission évoque la possibilité de mettre en place des actions plus volontaristes, à l'issue d'un dialogue structuré sur la sécurité de l'approvisionnement en médicaments impliquant notamment les associations de patients et les entreprises du médicament. Les résultats de cette démarche n'ont pas été publiés pour le moment mais la Commission a d'ores et déjà évoqué des mesures législatives qui pourraient consister à « imposer des obligations plus strictes à l'industrie afin de garantir l'approvisionnement en médicaments, la notification plus précoce des pénuries et des retraits, une transparence accrue des stocks tout au long de la chaîne d'approvisionnement et un renforcement du rôle de coordination de l'EMA dans le suivi et la gestion des pénuries ».

Les rapporteurs estiment qu'un certain nombre de réponses doivent être élaborées.

1. La mise en place d'un système d'information permettant d'anticiper et de recenser les pénuries

D'après l'étude réalisée par le Groupement pharmaceutique de l'Union européenne, dans 25 % des pays ayant répondu à l'étude, il n'existe toujours pas de système de notification des pénuries pouvant être utilisé par les pharmaciens, bien que ceux-ci soient généralement les premiers à constater ou pouvoir anticiper les difficultés d'approvisionnement.

En France, les décrets n° 2012-1096 du 28 septembre 2012, n° 2016-993 du 20 juillet 2016 et n° 2021-349 du 30 mars 2021 ont renforcé les obligations d'information des titulaires d'AMM qui doivent désormais informer l'ANSM non seulement lorsqu'ils constatent une rupture d'approvisionnement d'un MITM mais également lorsqu'ils anticipent une telle rupture d'approvisionnement.

En période d'urgence sanitaire, le règlement (UE) n° 2022/123 prévoit une obligation d'information pour les médicaments identifiés comme critiques en cas d'urgence de santé publique. Une plateforme européenne de surveillance des pénuries doit être créée à cet effet et devrait être opérationnelle en 2025. Elle permettra aux autorités compétentes des États membres et aux titulaires d'AMM de communiquer des informations pertinentes sur l'état des stocks. C'est l'EMA qui est en charge de piloter ce projet pour lequel les principales difficultés sont la standardisation des données et les différences des niveaux de maturité des plateformes mises en place par les États membres alors que les données collectées doivent être harmonisées, lisibles et interopérables. Les titulaires d'AMM sont par ailleurs tenus de désigner un point de contact unique ( Shortage Point Of Contact ou SPOC) qui informera l'EMA de l'approvisionnement et de la disponibilité des médicaments critiques identifiés dans le contexte d'une urgence de santé publique.

Les rapporteurs considèrent qu' une telle plateforme doit également gérer les pénuries hors période d'urgence sanitaire en ciblant d'abord les médicaments les plus critiques . Elle pourrait s'appuyer sur le réseau SPOC. L'EMA estime toutefois qu'il s'agit davantage d'organiser la collaboration entre États membres plutôt que de centraliser la gestion des pénuries à l'échelle européenne : une telle plateforme permettrait en effet de connaître les stocks des États membres pour pouvoir organiser des solutions bipartites. L'EMA a précisé aux rapporteurs que la plateforme mise en place pour suivre les stocks de médicaments critiques en cas d'urgence de santé publique pourrait parfaitement servir dans un cadre plus global. Pour sa part, l'ANSM estime qu'il est nécessaire de disposer le plus tôt possible d'informations sur la situation sanitaire pour pouvoir garantir la couverture des besoins.

2. La définition d'une liste de médicaments critiques

Pour une action efficace, il est nécessaire de cibler parmi les médicaments sur le marché ceux qui doivent être considérés comme critiques. Or les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur au sens de la législation française sont trop nombreux : environ 6 000 références.

Le règlement n° 2022/123 prévoit que le groupe de pilotage sur les pénuries de médicaments établit une liste des principaux groupes thérapeutiques de médicaments qui sont nécessaires aux soins dans le cadre d'une urgence de santé publique, sans pour autant préciser les règles d'établissement de cette liste.

Les rapporteurs estiment nécessaire de définir une méthodologie rigoureuse pour établir une liste de médicaments critiques qui feront l'objet d'une surveillance particulière , en adéquation avec les besoins des patients. La liste ainsi établie permettra de guider l'action publique.

Dans leur rapport, l'IGAS et le CGE proposent une méthodologie intéressante, dont la Commission européenne pourrait s'inspirer, consistant à croiser deux catégories de données. Dans un premier temps, il s'agit d'identifier avec des cliniciens l'intérêt thérapeutique majeur et le caractère irremplaçable de certains médicaments, ce qui permet d'évaluer leur criticité clinique . Dans un second temps, les données ainsi obtenues seraient croisées avec les caractéristiques de vulnérabilité des chaînes de production de ces produits, en prenant en compte le nombre d'exploitants, de fournisseurs et de sites de production ainsi que la localisation de la fabrication des principes actifs et des produits finis, analyse qui permettrait d'évaluer la criticité industrielle . Cette méthode semble correspondre à la vision de l'EMA qui, lors de son audition, a mentionné l'intérêt thérapeutique, les alternatives en Europe et la vulnérabilité de la chaîne d'approvisionnement comme critères à prendre en compte pour établir une liste de médicaments critiques.

Pour l'association Mieux prescrire, il est nécessaire que les laboratoires communiquent avec les pouvoirs publics sur la chaîne de fabrication pour s'assurer que les critères liés à la criticité industrielle sont bien pris en compte, ce qui suppose une certaine transparence de la part des titulaires d'AMM.

Cette liste devrait être établie sous l'autorité de l'EMA, en coopération avec les autorités compétentes des États membres, puis approuvée par la Commission et les États membres par le biais d'un acte d'exécution.

Les autorités compétentes des États membres devront ensuite faciliter la circulation de ces médicaments d'un État membre à l'autre en adaptant, en cas de rupture d'approvisionnement, certains critères de l'autorisation de mise sur le marché qu'elles ont délivrée. En effet, les médicaments les plus fréquemment en rupture sont des médicaments anciens dont les AMM ont été délivrées par des autorités nationales. Or, ces AMM fixent un certain nombre de critères à respecter relatifs au nombre de médicaments par boîte ou au conditionnement qui peuvent être différents d'un État membre à l'autre.

3. Pour une réglementation permettant de limiter les difficultés d'approvisionnement

a) Les modifications des autorisations de mise sur le marché (AMM)

Des contraintes réglementaires peuvent générer un défaut de l'offre. En effet, lorsque pour répondre à la demande, un fabricant doit modifier sa chaîne de fabrication et avoir recours à de nouveaux outils ou de nouveaux sites industriels, il sort du cadre de son autorisation initiale de mise sur le marché et doit solliciter une modification de celle-ci auprès de l'autorité compétente.

La Commission estime qu'il est nécessaire de simplifier la gestion des modifications d'AMM . Dans leur rapport sur les pénuries de médicaments, l'IGAS et le CGE évoquent les principes de bonne gestion du cycle de vie du médicament adoptés par le Conseil international d'harmonisation des exigences techniques pour l'enregistrement des médicaments à usage humain (ICH). Dénommés ICH Q12 et approuvés en 2019, ces principes introduisent la notion de « caractéristiques définies » du processus de fabrication, qui sont les seules à être fixées dans le cadre de l'AMM, les autres informations relatives à la fabrication étant uniquement vérifiées par le système qualité de l'industriel. Dès lors, pour effectuer une modification dans le processus de production, l'industriel demande l'accord de l'autorité compétente et évalue ensuite l'impact de ces changements sur les caractéristiques définies. Une modification d'AMM n'est nécessaire qui si celles-ci sont affectées.

Les principes de l'ICH Q12 s'appliquent aux médicaments pour lesquels une demande d'AMM a été déposée depuis 2020. Le rapport de l'IGAS et du CGE recommande d'expérimenter leur mise en oeuvre en France dans le cadre réglementaire national actuel.

Les rapporteurs estiment qu' une réflexion doit être engagée pour simplifier les procédures de modifications des AMM , si besoin en s'inspirant des principes ICH Q12. Toutefois, cette simplification ne doit pas se faire au détriment de la sécurité des patients.

Les différentes procédures d'autorisation de mise sur le marché (AMM) des médicaments

Trois critères sont appréciés pour la délivrance d'une AMM : la qualité, la sécurité dans des conditions normales d'emploi, et l'efficacité thérapeutique. L'autorisation de mise sur le marché ne peut être délivrée qu'à un demandeur établi dans un État membre de l'Union ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen. Elle a une durée de cinq ans.

La délivrance d'une AMM suit l'une des procédures définies par le règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 établissant des procédures communautaires pour l'autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une Agence européenne des médicaments 23 ( * ) .

On peut distinguer :

- la procédure centralisée au niveau communautaire mise en oeuvre par l'EMA : cette procédure est obligatoire pour certains médicaments dont la liste est précisée dans le règlement (CE) n° 726/2004 ;

- la procédure de reconnaissance mutuelle pour les médicaments commercialisés dans au moins un État membre : lorsque le médicament a déjà bénéficié d'une autorisation dans un État membre, la procédure de reconnaissance mutuelle peut être utilisée pour étendre l'autorisation initiale aux autres États membres ;

- la procédure décentralisée permettant de déposer une demande concernant plusieurs États membres : l'un d'entre eux devient alors État de référence pour réaliser l'évaluation et, si celle-ci est concluante, elle le sera pour l'ensemble des États membres ;

- les procédures nationales : de moins en moins utilisées aujourd'hui, elles perdurent toutefois pour la commercialisation du médicament dans un seul État membre. C'est l'ANSM qui est en charge de cette procédure en France.

b) L'information numérique des patients

Le conditionnement des médicaments reste une source essentielle d'informations pour le patient. Ce conditionnement comprend la notice, qui contient l'ensemble des informations nécessaires pour une utilisation correcte du médicament en toute sécurité, le conditionnement secondaire, c'est-à-dire l'emballage du médicament dont l'étiquetage comprend également des informations, et enfin le conditionnement primaire qui est en contact direct avec le médicament.

Le Gemme, qui représente les professionnels et industriels français du médicament générique et du médicament biosimilaire, a indiqué aux rapporteurs qu'il est très rare que des difficultés d'approvisionnement frappent l'ensemble des États membres de l'Union en même temps. Dès lors, la solution serait de faciliter la libre circulation d'un État membre à l'autre de certains médicaments, notamment les plus critiques, en fournissant les informations contenues dans la notice et sur le conditionnement secondaire par voie électronique. Le pharmacien pourrait éventuellement être chargé d'imprimer ces documents pour le patient. Ces notices électroniques pourraient être enrichies des informations et pictogrammes propres à chaque État membre et d'ordinaire affichés sur le conditionnement secondaire.

Les rapporteurs considèrent qu'en cas de rupture d'approvisionnement de médicaments critiques, ces notices numériques pourraient être utilement établies. Pour autant, elles ne sont pas favorables à leur généralisation.

4. Des procédures d'achat qui doivent permettre aux titulaires d'AMM de faire face à la demande

Les conditions de passation des marchés publics doivent être adaptées pour prévenir toute rupture d'approvisionnement.

Tout d'abord, des appels d'offres établis en amont avec davantage de précisions relatives aux quantités demandées permettront aux industriels d'ajuster leur offre en conséquence. La Commission devra proposer des recommandations pour la rédaction des appels d'offres afin de limiter les risques de pénuries liées à une demande mal anticipée.

La nécessité de maîtriser les dépenses publiques a poussé les acheteurs publics à proposer des appels d'offres avec des volumes d'achat de plus en plus conséquents. Le plus souvent, dans le but d'obtenir un meilleur prix, un seul fournisseur est retenu. Dès lors, les concurrents intègrent cette donnée dans leurs prévisions de production et en cas de défaillance du fournisseur retenu, les autres fournisseurs se trouvent dans l'impossibilité de le suppléer. La situation se complique encore lorsque le fournisseur retenu dispose d'une part de marché particulièrement importante au niveau européen ou mondial. Dans ce cas, il est quasiment impossible pour un fournisseur remplaçant de fournir les mêmes quantités dans un délai raisonnable.

Ainsi, le recours à des marchés publics pour l'approvisionnement en médicaments dont le brevet est tombé dans le domaine public ne favorise pas le maintien en activité des sites de production des concurrents qui ne sont pas retenus. Il génère, selon que l'on soit titulaire du marché ou non, une hausse ou une chute brutale de la production nécessitant une redéfinition des moyens industriels qui n'est pas compatible avec un approvisionnement fluide et anticipé.

En conséquence, si les marchés publics doivent permettre d'obtenir le meilleur prix pour une quantité définie de médicaments, ils ne doivent pas pour autant mettre en cause la sécurité de l'approvisionnement. Dès lors, pour limiter les risques, les appels d'offres pourraient prévoir la désignation de plusieurs fournisseurs. De plus, un critère d'attribution lié à la sécurité des approvisionnements pourrait être pris en compte. Plus généralement, les rapporteurs estiment que la Commission européenne ne devrait pas favoriser les appels d'offres trop importants lancés par plusieurs États membres pour des médicaments matures dans le seul but de faire diminuer leur prix. Les objectifs et la dimension des appels d'offres doivent en effet être revus afin de sécuriser les approvisionnements et de préserver des solutions alternatives en cas de défaillance du titulaire du marché.

5. Une meilleure gestion du risque qualité

Il appartient aux titulaires d'AMM d'identifier les risques qualité liés à leur production. Des procédures d'analyse systématique des risques doivent ainsi être mises en place en vue d'élaborer des plans de continuité d'activité en conséquence.

a) Le risque interne

Le risque qualité interne concerne le processus de fabrication au sein de l'entreprise : plus celui-ci est complexe, plus le risque est élevé. Or un défaut de fabrication entraîne la non-conformité du lot de médicaments produits qui ne pourront pas être mis sur le marché.

Le processus de fabrication doit être défini dans le dossier déposé pour obtenir l'AMM. Depuis 2011, ce processus doit répondre à la ligne directrice ICH Q8 établie par le Conseil international d'harmonisation des exigences techniques pour l'enregistrement des médicaments à usage humain, ligne directrice qui met en oeuvre le principe de « qualité dès la conception » ( Quality by design ) dans la fabrication du médicament. Cette approche permet d'optimiser la stratégie de contrôle des médicaments produits par une meilleure compréhension des processus de fabrication dans la mesure où ICH Q8 a permis de préciser le type d'informations exigées dans les dossiers d'AMM pour démontrer la connaissance des facteurs ayant un impact sur la qualité du produit. Toutefois, ces lignes directrices ne s'appliquent pas à la production des médicaments les plus anciens, car elles n'étaient pas en vigueur au moment de leur AMM.

La maintenance de l'outil de production est également indispensable pour assurer une production régulière. De nombreuses normes et lignes directrices précisent les règles à respecter en la matière.

L'ANSM estime à 11% les ruptures d'approvisionnement résultant de retards de fabrication et à 9 % celles résultant d'une non-conformité des lots produits. Les problèmes de qualité interne expliqueraient donc 20 % des ruptures d'approvisionnement, si l'on comptabilise les ruptures liées aux retards de fabrication et aux non-conformités des lots produits.

Dès lors, il est essentiel que les entreprises développent un système de qualité interne de haut niveau qui, au-delà du respect des bonnes pratiques de fabrication, permette d'intégrer une gestion des risques liés à la chaîne de valeur, ce qui suppose une identification précise des vulnérabilités.

Les rapporteurs préconisent à cet égard que la Commission européenne, avec l'aide de l'EMA, travaille sur la mise en oeuvre de processus de fabrication plus sûrs. Un renforcement des contrôles doit également être organisé . Cela passe par une plus grande coopération entre l'EMA et les autorités compétentes nationales pour établir les programmes d'inspection .

b) Le risque externe

Le risque qualité externe sur lequel le fabricant n'a pas de prise directe est notamment lié au nombre limité de fournisseurs à une étape de la chaîne de production, que ce soit des fournisseurs de principes actifs, d'excipients ou d'emballages.

Pour réduire les risques, il est nécessaire de diversifier les fournisseurs ou de constituer des stocks de sécurité. Les entreprises doivent établir des plans de continuité d'activité adaptés à la demande anticipée pour faire face à la défaillance d'un fournisseur.

Toutefois, il s'agit du risque le plus difficile à anticiper tant les événements externes pouvant affecter l'approvisionnement sont nombreux et le nombre de fournisseurs parfois limité. On peut rappeller à cet égard l'impact de l'accident nucléaire de Fukushima sur la production de médicaments à base de protamine, cette substance étant directement extraite des oeufs de poissons pêchés dans la zone. De même, la peste porcine a eu un impact sur la production de médicaments à base d'héparine, substance issue des intestins de porcs.

6. La constitution de stocks et l'établissement de plans de gestion des pénuries

a) L'exemple français

Les autorités françaises ont bien pris conscience des enjeux associés à la multiplication des pénuries de médicaments. La France peut être considérée comme pionnière dans l'adoption d'une législation plus contraignante à l'égard des titulaires d'AMM.

Ainsi, le décret 2016-993 du 20 juillet 2016 relatif à la lutte contre les ruptures d'approvisionnement de médicaments prévoit que les titulaires d'AMM et les exploitants identifient, parmi les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, ceux qui doivent faire l'objet d'un plan de gestion des pénuries , en se fondant notamment sur l'absence d'alternative thérapeutique susceptible d'être disponible en quantité suffisante et sur l'analyse des fragilités inhérentes à la fabrication du médicament concerné. Ces plans peuvent notamment prévoir la constitution de stocks de médicaments destinés au marché national ou encore l'identification d'autres sites de production possibles. L'UFC - Que choisir estime toutefois que l'absence de normalisation de ces plans laisse une marge d'appréciation trop importante aux industriels.

Le décret n° 2021-349 du 30 mars 2021 relatif au stock de sécurité destiné au marché national renforce les obligations des titulaires d'AMM en la matière. Il prévoit ainsi que tout titulaire d'AMM relative à un MITM et toute entreprise pharmaceutique exploitant un MITM en France doit constituer un stock de sécurité destiné au marché national équivalant à au moins deux mois de couverture des besoins calculés sur la base du volume des ventes en France de ce MITM au cours des douze derniers mois glissants, hors situations exceptionnelles.

Le LEEM estime que cette mesure contribue à accroître le déséquilibre du marché dans la mesure où, si chaque État membre constituait ses propres stocks, les tensions sur l'approvisionnement seraient plus fortes notamment dans les États où les besoins sont les plus importants.

b) Une action nécessaire à l'échelle de l'Union

Les rapporteurs sont convaincus qu'une action à l'échelle européenne est indispensable, que ce soit pour promouvoir une plus grande coopération entre États membres ou pour harmoniser les règles dans le but de sécuriser les approvisionnements.

La production de médicaments se fait aujourd'hui à flux tendus avec un stock minimum de produits immobilisés afin d'éviter des coûts supplémentaires et de réduire le nombre d'invendus. Or, l'existence de stocks pourrait permettre de limiter l'impact de problèmes de production temporaires.

Dans sa résolution du 24 novembre 2021, le Parlement européen a demandé à la Commission de réfléchir à la possibilité de créer une réserve européenne d'urgence des médicaments critiques présentant un risque élevé de pénurie, sur le modèle du mécanisme rescEU , pour atténuer les pénuries récurrentes.

De même, les rapporteurs estiment que la création de stocks à l'échelle de l'Union pour les médicaments critiques est nécessaire. La mission commune d'information du Sénat sur les pénuries de médicaments 24 ( * ) préconisait d'ailleurs d'activer l'achat groupé de vaccins essentiels par les États membres et d'instituer un mécanisme similaire pour l'achat groupé de réserves de sécurité de médicaments destinés à des populations cibles restreintes.

La Commission européenne dit souhaiter renforcer la transparence des stocks tout au long de la chaîne d'approvisionnement et éventuellement constituer des stocks stratégiques. Elle ne précise pas si les stocks seraient constitués par les entreprises, les États membres ou l'Union.

Les rapporteurs considèrent qu'il incombe aux titulaires d'AMM de constituer des stocks des médicaments identifiés comme critiques à l'échelle de l'Union, ce qui permettrait de gérer au mieux la question des dates de péremption. La Commission devra apporter un soutien financier aux titulaires d'AMM pour la constitution de ces stocks. En parallèle, ceux-ci feront l'objet de contrôles et des sanctions doivent être prévues en cas de non-respect des obligations. Enfin, dès lors qu'une obligation de stocks serait imposée aux titulaires d'AMM pour un médicament critique, les États membres ne devraient pas pouvoir ajouter d'autres obligations en la matière.

Les rapporteurs sont également favorables à l'obligation pour les titulaires d'AMM de médicaments critiques d'établir un plan de gestion des pénuries , visé par l'EMA, qui serait également en charge de définir les lignes directrices auxquelles devront répondre ces plans.

C. ASSURER LA SOUVERAINETÉ SANITAIRE DE L'UNION

1. Des mesures ont été adoptées pour garantir l'approvisionnement en produits de santé face à une urgence de santé publique

À la suite de la pandémie de COVID-19, la Commission a souhaité renforcer les capacités de l'Union pour faire face aux pénuries de médicaments dans le cadre d'une urgence de santé publique. Elle a proposé à cet effet de renforcer le rôle de l'EMA et de créer l'HERA, l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire .

a) Le renforcement du rôle de l'EMA

La Commission a choisi de s'appuyer sur l'EMA, dont le rôle a été renforcé à la suite de l'adoption du règlement (UE) n° 2022/123 qui a accru ses compétences pour faire face aux pénuries de médicaments en cas d'urgence de santé publique. Ainsi, un groupe de pilotage exécutif sur les pénuries de médicaments et leur innocuité est institué au sein de l'EMA. Composé d'un représentant de l'Agence, d'un représentant de la Commission et d'un représentant désigné par chaque État membre, il est chargé d'établir dès à présent une liste des principaux groupes thérapeutiques de médicaments nécessaires aux soins d'urgence. Parmi ces classes thérapeutiques seront identifiés les médicaments critiques qui figureront sur une liste de médicaments critiques que le groupe de pilotage devra élaborer en cas d'urgence de santé publique.

L'EMA aura également pour mission de surveiller l'offre et la demande de ces médicaments . Pour cela, les titulaires d'autorisation de mise sur le marché doivent d'une part, fournir une liste de points de contact uniques pour l'ensemble des médicaments autorisés, et d'autre part, transmettre, à la demande de l'Agence, un certain nombre d'informations utiles telles que les stocks, l'identification des sites de fabrication des produits finis et des substances actives de médicaments ou des informations sur les vulnérabilités potentielles de la chaîne d'approvisionnement.

b) La création de l'HERA

L 'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (HERA) a pour mission de remédier aux vulnérabilités et aux dépendances stratégiques au sein de l'Union liées au développement, à la production, à l'approvisionnement, au stockage et à la distribution des contre-mesures médicales. Ceci implique de promouvoir la recherche pour leur développement et de renforcer l'autonomie stratégique ouverte de l'Union en matière de production de ces contre-mesures médicales. Celles-ci sont définies par la Commission comme les médicaments à usage humain et les dispositifs médicaux ou d'autres biens ou services destinés à la préparation et à la réaction à une menace transfrontière grave pour la santé.

c) Une proposition de règlement du Conseil pour coordonner l'action de l'Union et des États membres

Le 16 septembre 2021, la Commission a présenté une proposition de règlement du Conseil établissant un cadre de mesures visant à garantir la fourniture des contre-mesures médicales nécessaires en cas d'urgence de santé publique au niveau de l'Union 25 ( * ) . Ce texte, actuellement en cours de discussion, prévoit la mise en place d'un conseil de gestion des crises sanitaires chargé d'assurer la coordination et l'intégration des actions liées aux contre-mesures médicales nécessaires en cas de crise au niveau de l'Union. Le texte prévoit également la mise en place d'un mécanisme de suivi des contre-mesures médicales nécessaires en cas de crise, ainsi que la passation par la Commission de marchés publics conjoints pour l'achat de ces contre-mesures. Il précise enfin les modalités d'activation des installations Fab UE , un réseau de capacités de production « toujours prêtes » destinées à la fabrication de vaccins et de médicaments .

2. Lutte contre les pénuries et souveraineté sanitaire

a) Deux problématiques fortement liées

Dans leur rapport, l'IGAS et le CGE constatent un lien étroit entre lutte contre les pénuries de médicaments et souveraineté sanitaire, même si ces deux questions pourraient être traitées indépendamment et qu' « aucune corrélation évidente n'apparaît entre la localisation du fournisseur et les problèmes d'approvisionnement rencontrés, hors pandémie de COVID-19 ».

La pandémie a mis en lumière les difficultés de l'Union européenne à répondre aux besoins des patients de manière autonome . En effet, en cas de restrictions à la libre circulation des marchandises imposées par un État tiers, notamment l'Inde ou la Chine, l'Union européenne devrait faire face à de nombreuses pénuries de médicaments. Or, pendant un temps, les États-Unis ont interdit l'exportation de vaccins vers l'Union européenne et l'Inde a restreint les exportations de principes actifs à destination de l'Union.

L'EMA évalue à près de 40 % les médicaments finis commercialisés dans l'Union européenne provenant de pays tiers et relève que 80 % des fabricants de substances pharmaceutiques actives utilisées pour des médicaments disponibles en Europe sont établis en dehors de l'Union. À titre de comparaison, la proportion de fabricants extra-européens de substances pharmaceutiques actives était de 20 % il y a 30 ans.

Cette perte d'indépendance risque de se matérialiser par une pénurie en cas de crise internationale. On observe que la demande de médicaments est de plus en plus forte en Asie du Sud-Est alors que le prix des médicaments est relativement bas dans certains États membres de l'Union, dont la France. En cas de pénurie conjoncturelle mondiale liée par exemple au défaut d'un fournisseur ou à une hausse de la demande, la logique patriotique fait que l'Union ne serait pas prioritaire pour recevoir les médicaments nécessaires . Ainsi, si l'éloignement de la production du territoire de l'Union n'est pas la cause première de la pénurie, il place l'Union européenne dans une situation de dépendance vis-à-vis d'États tiers pour lesquels les besoins des patients européens ne seront pas une priorité en cas de crise.

Dès lors, pour caractériser un médicament critique, la criticité industrielle doit être déterminée par rapport à la capacité des États membres à maîtriser la chaîne de production, sans être tributaire des décisions d'un État tiers .

b) Une action européenne nécessaire

Si les différents interlocuteurs des rapporteurs ont confirmé qu'il n'est pas possible d'envisager de produire au sein de l'Union européenne l'ensemble de la pharmacopée, il apparaît toutefois indispensable de sécuriser l'approvisionnement en médicaments critiques .

Le rapport de l'IGAS et du CGE considère ainsi que « le cadre européen s'impose de façon de plus en plus évidente, tant la sophistication croissante des produits de santé, la mondialisation et la complexité des chaînes de valeur rendent improbable une indépendance stratégique uniquement nationale », analyse que partage les rapporteurs.

3. Le soutien à la relocalisation

a) Une production délocalisée, fragmentée et concentrée qui favorise les pénuries de médicaments et la perte d'autonomie de l'Union

Depuis la fin des années 80, la production de médicaments, et notamment la production de principes actifs, a été largement délocalisée vers l'Asie, notamment l'Inde et la Chine. L'objectif était alors de diminuer les coûts en segmentant la production. Cette fragmentation de la production concerne davantage les médicaments anciens dont le brevet a expiré. La multiplication du nombre d'acteurs impliqués dans la production accroît le risque de pénurie.

Pour réaliser des économies d'échelle, l'industrie de production des principes actifs s'est fortement concentrée , notamment en Asie du Sud-Est. Là encore, le nombre limité de fournisseurs accroît les risques de pénuries. En 2017, l'EMA estimait que la Chine et l'Inde concentraient à elles seules 61 % des sites de production de substances actives destinées à des médicaments commercialisés au sein de l'Union.

C'est ainsi que l'Union européenne a progressivement perdu son indépendance en matière sanitaire.

b) Des mesures pour favoriser la relocalisation

La Commission européenne défend la nécessaire autonomie stratégique ouverte de l'Union européenne en matière sanitaire. Elle estime que le renforcement de cette autonomie peut nécessiter des actions encourageant la production et les investissements en Europe. Elle considère à cet égard qu'il est « important de déterminer la nécessité d'une capacité de fabrication de certains médicaments critiques dans l'Union du point de vue de la santé publique et de la préparation aux crises, mais toute mesure éventuelle devrait être pleinement conforme aux règles de l'Union en matière de concurrence 26 ( * ) ainsi qu'aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) 27 ( * ) ».

Toutes les personnes auditionnées ont évoqué la nécessité de développer une véritable politique industrielle européenne.

Les rapporteurs souscrivent à l'idée de favoriser la pérennité des sites de production implantés sur le territoire de l'Union et d'y développer l'investissement. Des mesures d'incitations financières et fiscales devraient en outre permettre le maintien ou la relocalisation de sites de production en Europe .

La relocalisation de la production sur le territoire de l'Union permettra, par ailleurs, de réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au transport de médicaments de l'Asie vers l'Europe principalement.

La qualification de la main-d'oeuvre sera également un atout : la Commission entend utiliser l'instrument NextGenerationEU, plan de relance européen adopté en réponse aux conséquences économiques de la pandémie de COVID-19, pour faciliter l'investissement dans les compétences et soutenir ainsi la disponibilité d'une main d'oeuvre qualifiée .

De même, la diminution de l'écart de coûts entre pays européens et pays asiatiques en matière de production de principes actifs devrait également favoriser la relocalisation. En effet, la baisse des coûts est la principale justification des délocalisations. Sans un écart de coût important, ces délocalisations ne se justifient plus. En France, le Gouvernement a annoncé des mesures pour favoriser la relocalisation de la production de paracétamol, substance active qui n'est plus produite sur le territoire de l'Union depuis 2008 alors que les médicaments contenant ce principe actif tels que le Doliprane continuent d'être produits en France.

Lors de sa présidence du Conseil de l'Union européenne, la France a proposé un PIIEC dans le domaine de la santé en vue de renforcer la filière industrielle française et européenne. Ces projets importants d'intérêt européen commun sont un mécanisme européen visant à promouvoir l'innovation dans des domaines industriels stratégiques et d'avenir au travers de projets européens transnationaux, dans le cadre duquel la Commission peut autoriser les États membres à financer des initiatives au-delà des limites habituelles en matière d'aides d'État.

Les rapporteurs estiment que des aides d'État doivent être permises pour faciliter la relocalisation de médicaments principalement concernés par les ruptures d'approvisionnement, toute incitation publique en la matière devant être exclusivement motivée par les besoins des patients et conditionnée à des obligations d'approvisionnement.

Une prise de conscience de la nécessité d'une action plus volontariste en matière industrielle : le cas des semi-conducteurs

La crise sanitaire a fait prendre conscience à l'Union européenne de sa dépendance très forte et géographiquement très concentrée en matière de semi-conducteurs, alors même que ces composants jouent un rôle croissant dans la production industrielle et la vie quotidienne. Pour réduire cette dépendance, soutenir les activités de recherche et développement, et relancer la production en Europe, la Commission a présenté, le 8 février dernier, une stratégie européenne destinée à accompagner des investissements privés dans l'industrie des semi-conducteurs sur le territoire européen afin de construire un écosystème européen résilient en la matière.

Pour accompagner les nécessaires investissements privés dans l'industrie des semi-conducteurs sur le territoire européen, ce plan prévoit l'injection d'aides publiques fléchées vers des technologies avancées, tant européennes (par réallocation d'enveloppes du programme « Horizon Europe » et du programme pour une Europe numérique, dont la mise en oeuvre est principalement confiée à l'entreprise commune « Semi-conducteurs », ainsi que dans le cadre d'un Chips Fund alimenté par InvestEU et le Conseil européen de l'innovation), que nationales (à concurrence de 30 milliards d'euros) en direction des industries du secteur, dans le cadre du régime des aides d'État

4. La recours à la production publique

Le rapport de l'IGAS et du CGE estime qu'une « production publique devrait être envisagée pour des produits critiques pour lesquels la production industrielle privée serait impossible ou la production publique préférable voire nécessaire ».

La mission commune d'information du Sénat sur les pénuries de médicaments 28 ( * ) tout comme le gouvernement français dans sa feuille de route sur les pénuries de médicaments 2019-2022 29 ( * ) ont souhaité que la mise en place d'une solution publique pour organiser les approvisionnements en cas de pénurie avérée soit expertisée, la mission du Sénat étant favorable à la mise en place d'un programme public de production et de distribution de quelques médicaments essentiels concernés par des arrêts de commercialisation, ou de médicaments « de niche » régulièrement exposés à des tensions d'approvisionnement.

La production publique de médicaments considérés comme critiques ne doit plus être un sujet tabou. Il s'agit pour l'Union européenne et les États membres d'assurer leur souveraineté sanitaire. En France, un partenariat public-privé a ainsi permis la production de curare pendant la pandémie de COVID-19. Aux États-Unis, le projet civica 30 ( * ) réunit environ 900 hôpitaux qui produisent eux-mêmes certains médicaments pour ne plus être dépendants.

Les rapporteurs estiment que le recours à la production publique, éventuellement dans le cadre de partenariats public-privé, dans le respect du droit des brevets, devrait faire l'objet d'une analyse lorsque les industriels délaissent un marché et que les médicaments manquants de ce fait sont considérés comme critiques pour les patients de l'Union .

III. GARANTIR L'ACCÈS AUX MÉDICAMENTS À DES PRIX ABORDABLES

Depuis plusieurs années, le prix des médicaments évolue de manière contrastée : il diminue pour les médicaments anciens et augmente pour les médicaments les plus innovants. Dans les deux cas, l'accès des patients à ces médicaments risque d'être restreint.

A. POUR UNE JUSTE RÉMUNBÉRATION DU TRAVAIL DE RECHERCHE

1. Des médicaments innovants de plus en plus chers

a) De la découverte d'une molécule à sa commercialisation : un processus long, coûteux et risqué

Les laboratoires pharmaceutiques font valoir à juste titre que le travail de recherche est un processus à la fois long, coûteux et risqué qui comporte plusieurs phases.

La phase de découverte a pour but d'identifier le mécanisme biologique permettant de traiter une maladie et de tester des molécules potentiellement efficaces en utilisant notamment l'intelligence artificielle pour ne retenir que les plus efficaces.

La phase préclinique permet de tester la molécule in vivo sur des animaux pour recueillir des informations sur sa pharmacologie (son mécanisme d'action sur la maladie), sa pharmacocinétique (la transformation de la molécule au sein d'un organisme vivant) et sa toxicologie. Cette étape vise à déterminer les doses qui seront administrées à l'homme au cours des phases suivantes. Pour une molécule chimique, ces deux premières phases durent en moyenne six ans et représentent environ 10 % des coûts de recherche et développement.

Vient ensuite la phase clinique de tests sur l'homme, qui comporte trois phases d'études en amont de l'AMM et une quatrième phase en aval. La phase 1 étudie la tolérance et la toxicité de la molécule chez l'homme en la délivrant à de très faibles doses à une vingtaine de personnes non malades ; la phase 2 permet de déterminer les doses optimales chez le patient malade, d'abord sur un petit groupe de 20 à 40 personnes, puis, si les essais sont concluants, de poursuivre avec un nombre d'individus plus important, entre 100 et 300 en moyenne, permettant ainsi de préciser la dose optimale à utiliser ainsi que la forme galénique du médicament. La phase 3 étend les essais cliniques à une population beaucoup plus large, - plus de 2 000 personnes en général - et permet d'établir le rapport bénéfice-risque à grande échelle.

Ces essais cliniques durent entre cinq et sept ans et absorbent plus de 70 % des dépenses de recherche et développement pour une molécule chimique.

Après la mise sur le marché du produit, les études se poursuivent lors de la phase 4 pour détecter les effets nocifs éventuels qui peuvent apparaître après une période longue de prise du médicament.

L'ensemble de ce processus rend la recherche et développement pharmaceutique assez risquée. De façon schématique, seule une molécule criblée sur 1 000 atteindra la phase préclinique et fera l'objet d'un brevet et seulement une sur 10 000 aboutira à une mise sur le marché .

b) Des prix plus élevés pour les médicaments biotechnologiques

On assiste aujourd'hui à une redéfinition des objectifs de la recherche qui ne sont plus centrés sur la synthèse de nouvelles molécules chimiques mais davantage sur les biotechnologies . Les médicaments issus de ces biotechnologies ont des coûts de développement élevés. S'ils permettent souvent une médecine plus personnalisée avec des effets secondaires moindres, ils sont vendus à un prix beaucoup plus élevé.

Cela s'explique, d'une part, par des coûts de recherche élevés en raison de la complexité de la recherche préclinique et du renforcement des exigences réglementaires , et d'autre part, par le développement de médicaments plus ciblés, ce qui limite le nombre de patients potentiels. L'industrie pharmaceutique est en effet passée d'un modèle où elle cherchait à développer des molécules chimiques destinées à devenir des blockbuster s sur le marché du médicament à un modèle où la recherche se concentre sur des développements plus ciblés alors que les découvertes dans le domaine chimique diminuent potentiellement.

L'InCA a précisé aux rapporteurs que le coût marginal des médicaments par rapport à l'amélioration de la qualité de vie se renchérissait et déploré que les extensions d'AMM qui permettent théoriquement d'augmenter la population cible d'un médicament ne se traduisent pas nécessairement par une baisse du prix de celui-ci.

Le CEPS a en outre indiqué aux rapporteurs que, face à un médicament innovant prometteur, l'État français est prêt à contribuer à son développement, quitte à négocier ensuite des remises dans le cas où le traitement ne tiendrait pas toutes ses promesses. Un benchmark est toutefois réalisé par le CEPS pour essayer d'avoir environ le même prix final pour les médicaments innovants dans tous les États membres dont le niveau de vie et la taille sont comparables.

c) Un prix qui prend également en compte l'externalisation de la recherche

Pour l'association Mieux prescrire et l'InCA, le coût élevé des médicaments innovants s'explique surtout par le fait que les grands laboratoires ont choisi d'externaliser la recherche qu'ils jugent trop risquée et trop onéreuse. Celle-ci est désormais effectuée par des start-up que les grands laboratoires achètent à des prix particulièrement élevés quand elles font une découverte.

Cette aversion au risque et la volonté de générer des profits à court terme s'expliquent par la financiarisation croissante du secteur qui conduit à subordonner les stratégies des entreprises à la valorisation du capital financier. Leur stratégie consiste ainsi principalement à favoriser la hausse de leur valeur boursière, induite généralement par la hausse de bénéfices et la baisse des coûts avec un risque limité. Le rachat de start-up prometteuses permet la mise en oeuvre de cette stratégie, même si elle implique de rémunérer les actionnaires de ces start-up à la hauteur de leur prise de risque et des bénéfices dont ils se privent en cédant leurs inventions. Le groupe pharmaceutique américain Pfizer a ainsi acheté pour environ 5,4 milliards de dollars la société Global Blood Therapeutics , fabricant d'un médicament récemment approuvé contre une maladie génétique, la drépanocytose. Pfizer a également acquis 8,1% du capital de l'entreprise franco-autrichienne Valneva, pour un montant de 90,5 millions d'euros. Nul doute que le coût du rachat de ces entreprises sera répercuté sur le prix des médicaments.

2. La propriété intellectuelle, moteur de la recherche

L'industrie pharmaceutique repose sur l'invention technique et sur la protection que les entreprises peuvent obtenir pour ces inventions. Les produits de santé bénéficient à juste titre de la protection du brevet d'invention qui permet d'amortir les investissements réalisés. Ce titre de propriété industrielle confère en effet à son titulaire un monopole d'exploitation durant une période de 20 ans à compter de la date du dépôt de la demande de brevet, durée retenue par l'Accord relatif aux aspects des droits de propriété intellectuelle (ADPIC) annexé à l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et entré en vigueur le 1 er janvier 1995.

Or, il peut s'écouler un certain temps entre le dépôt du brevet et la mise effective du médicament sur le marché. En pareil cas, tout comme au Japon ou aux États-Unis, il est possible d'obtenir en Europe un certificat complémentaire de protection (CCP), non prévu par l'ADPIC, qui prolonge les effets du brevet. Le règlement n° 469/2009 du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments 31 ( * ) précise que le certificat a une durée égale à la période écoulée entre la date du dépôt de la demande de brevet et la date de la première autorisation de mise sur le marché, réduite de cinq ans. La durée de validité du certificat ne peut excéder cinq ans à compter de la date à laquelle il produit effet.

La Commission estime que le régime des CCP est pertinent mais que sa mise en oeuvre par les États membres induit un manque de transparence et de prévisibilité qui freine les innovateurs et les fabricants de génériques 32 ( * ) . Elle réfléchit donc à introduire un mécanisme unifié de délivrance des CCP ou encore à créer un titre de CCP unitaire .

Les rapporteurs estiment qu'une réflexion doit être engagée sur ce sujet afin d'apporter une protection juridique efficace sur l'ensemble du territoire de l'Union aux titulaires du certificat et aux fabricants de génériques .

3. Le cas des médicaments pédiatriques et des médicaments orphelins

Pour inciter les laboratoires pharmaceutiques à développer des médicaments orphelins ou des médicaments pédiatriques, il est nécessaire de leur assurer une certaine rentabilité, au-delà de celle limitée par la taille de la population cible.

C'était l'objectif du règlement (CE) n° 141/2000 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1999 concernant les médicaments orphelins et du règlement (CE) n° 1901/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relatif aux médicaments à usage pédiatrique. Le premier permet au déposant d'un brevet relatif à un médicament orphelin de bénéficier d'une exclusivité commerciale pendant dix ans, les États membres et la Commission s'engageant à ne pas délivrer d'autorisation de mise sur le marché pour un médicament similaire avec la même indication thérapeutique durant cette période. Le second permet au déposant d'un brevet, qui a effectué les recherches prévues dans le cadre d'un plan d'investigation pédiatrique déposé en même temps que la demande d'AMM, de bénéficier d'une prorogation de six mois de son CCP.

La Commission européenne a procédé à une évaluation 33 ( * ) de ces règlements. Concernant les médicaments orphelins, l'évaluation recommande d'adapter la période d'exclusivité selon le médicament pour éviter tout effet d'aubaine. Les résultats de l'évaluation suggèrent en effet que dans 14 % des cas, l'exclusivité commerciale de 10 ans a pu entraîner une surcompensation . Il s'agit souvent de produits à usage bien établi avant leur autorisation en tant que médicament orphelin ou de médicaments autorisés pour plusieurs pathologies orphelines. Pour l'association Mieux prescrire, les périodes d'exclusivité les plus longues devraient être réservées aux médicaments destinés à soigner des maladies graves et dont la commercialisation engendre des bénéfices moins élevés.

Les rapporteurs estiment que la durée de l'exclusivité commerciale dont bénéficient les titulaires d'une AMM relative à un médicament orphelin doit prendre en compte la gravité de la maladie et la rentabilité estimée du médicament , en favorisant les médicaments qui n'ont pas fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché pour une autre pathologie.

L'évaluation souligne également que les instituts de recherche et les universités devraient bénéficier des mesures d'aide à la recherche prévues par le règlement n° 141/2000, aujourd'hui réservées aux PME.

Enfin, si la disponibilité des médicaments orphelins a augmenté sous l'effet du règlement (CE) n° 141/2000, leur accessibilité varie considérablement d'un État membre à l'autre. Le règlement n'impose en effet aucune obligation de commercialiser un médicament orphelin autorisé dans tous les États membres .

Concernant les produits pédiatriques, la combinaison entre l'obligation de présenter un plan d'investigation pédiatrique et l'incitation liée à la prorogation des CCP stimulent le développement de médicaments pour enfants. Néanmoins, l'évaluation montre que les nouveaux produits pédiatriques ne sont pas développés dans les domaines thérapeutiques où les besoins sont les plus importants. En effet, ce sont principalement des médicaments pour lesquels le développement pour adultes était déjà prévu. De fait, une prorogation de six mois du CCP pour compenser le coût des études cliniques obligatoires chez les enfants ne semble pas assez efficace pour encourager l'industrie à développer des médicaments répondant aux besoins les plus urgents des enfants lorsque ceux-ci diffèrent de ceux des adultes.

Enfin les entreprises doivent faire une demande de prorogation des CCP auprès des offices de brevets de chacun des États membres, qui la leur accorde indépendamment, comme le prévoit la réglementation. Ce système lourd est assez dissuasif.

La durée de prorogation des CCP devrait être adaptée en fonction du chiffre d'affaires réalisé par les laboratoires pharmaceutiques et des délais qui ont été nécessaires pour obtenir l'AMM. La durée de celle-ci serait ainsi allongée lorsque le médicament a pour seule indication thérapeutique des maladies infantiles.

4. La prise en compte du coût de la recherche pour déterminer le juste prix du médicament

a) Les difficultés pour déterminer le coût de la recherche

Un niveau plus élevé de transparence doit permettre des prix plus équitables en améliorant la position de négociation des acheteurs. Un prix équitable doit refléter la valeur que les médicaments apportent aux patients et compenser raisonnablement le coût de la mise sur le marché du médicament, le coût le plus élevé étant généralement celui de la recherche.

Il est difficile d'estimer le coût réel de la recherche pour les laboratoires pharmaceutiques tant les éléments qui peuvent potentiellement être pris en compte sont variés. Le LEEM explique ainsi que les investissements réalisés par les industriels en matière de recherche et développement s'inscrivent le plus souvent dans des logiques de portefeuille de produits, ce qui rend difficile une individualisation par médicaments. De même, lorsqu'un laboratoire achète le fruit de la recherche d'une start-up de biotechnologies, son investissement porte sur un pipeline de plusieurs molécules duquel il n'est pas facile d'isoler celles qui donneront lieu à un médicament commercialisé. L'InCA a confirmé aux rapporteurs la difficulté de déterminer les coûts de recherche par médicament. Par ailleurs, il faut également tenir compte des difficultés à évaluer des recherches effectuées dans un cadre collectif, de la réticence des firmes à diffuser l'information stratégique que représente le coût de la recherche et le montants des financements publics. Enfin, si on demande aux laboratoires de faire preuve de transparence sur le coût de la recherche, il sera nécessaire de leur fournir les règles permettant de déterminer ce coût de manière uniforme.

La Commission est consciente que le manque de transparence des coûts de recherche peut avoir une incidence sur le caractère abordable des médicaments. Dans sa stratégie pharmaceutique, elle identifie un manque de transparence en ce qui concerne les coûts de recherche et l'absence de consensus sur les principes de calcul de ces coûts , et s'engage à favoriser la transparence sur cette question mais sans préciser comment.

Les rapporteurs considèrent que cette transparence est particulièrement importante car elle permettrait de renforcer la position des autorités compétentes nationales en charge de l'achat des médicaments dans la négociation avec les laboratoires .

b) Le rôle des fonds publics dans la recherche

La recherche fondamentale nécessaire au développement de nouveaux médicaments est généralement financée par des fonds publics. Dès lors, on peut regretter que les structures publiques ne bénéficient d'aucun retour sur investissement et la question se pose de savoir si les montants alloués à la recherche par les acteurs publics peuvent être déduits du prix du médicament. Cela semble possible puisque, dans le cadre de l'achat de vaccins contre la crise sanitaire, les avances attribuées aux laboratoires pour la recherche ont pu être déduites du prix du vaccin lorsque celui-ci était mis sur le marché.

Cette situation semble sur le point d'évoluer. Lancé dans le cadre du programme Horizon Europe, le Conseil européen de l'innovation vise à accompagner les innovations de rupture, de leur émergence à leur mise sur le marché.

En France, l'Inserm a développé Inserm transfert, une filiale privée sous délégation de service public qui a pour objectif de gérer la valorisation économique et sociétale et le transfert vers l'industrie des connaissances issues des laboratoires de recherche de l'Inserm. Ce transfert peut se faire via des licences d'exploitation ou des prises de participation minoritaire.

5. Des médicaments innovants qui permettent de générer des économies par ailleurs

Il est nécessaire de raisonner au niveau de l'écosystème global de la santé pour pouvoir vraiment apprécier le prix d'un médicament.

Le CEPS a ainsi indiqué aux rapporteurs que les traitements innovants comme les CAR-T cells (Cellules T portant un récepteur antigénique chimérique) qui révolutionnent la prise en charge des lymphomes et de certaines leucémies aiguës chez l'enfant ont un coût particulièrement élevé, de l'ordre de 300 000 euros par injection. Ce coût doit toutefois être rapporté d'une part au nombre d'années de vie gagnées pour le patient pondéré par la qualité de vie , et d'autre part, aux économies réalisées par le système de santé car une seule injection est nécessaire contrairement à certains traitements pour lesquels le patient doit se rendre régulièrement dans un centre de soins.

De son côté, le LEEM a rappelé les économies réalisées grâce au développement de médicaments innovants contre l'hémophilie, permettant de limiter le recours aux transfusions sanguines. Il a regretté qu'en France, ces évolutions ne soient pas suffisamment anticipées pour permettre d'adapter le système de soins aux besoins.

Il a par ailleurs signalé que l'arrivée de nouveaux traitements innovants sur le marché permet de réaliser des économies en diminuant les traitements que recevaient auparavant les patients. Il estime que ces gains d'efficience ne sont pas suffisamment pris en compte par les pouvoirs publics.

6. Pour des médicaments innovants à un prix juste et équitable

La hausse croissante du prix des médicaments innovants engendre une inégalité dans l'accès aux soins entre les patients de l'Union avec des conséquences qui peuvent être dramatiques. Dès lors, il est nécessaire de s'interroger sur cette hausse et d'en apprécier la légitimité.

Les rapporteurs proposent d'introduire la notion de prix juste et équitable dans les débats, sans remettre en cause le rôle des États membres dans la fixation du prix. La Commission pourrait élaborer des lignes directrices pour préciser les critères que les États membres et les laboratoires pourraient prendre en compte pour déterminer un tel prix.

Il s'agit tout d'abord de prendre en compte les coûts liés à la recherche et les coûts de production . Comme indiqué précédemment, il est souhaitable que la Commission travaille à les rendre plus transparents, notamment ceux supportés par des start-up . Une estimation même grossière devrait en effet permettre de poser les bases d'une négociation équitable.

Les médicaments visant à traiter des besoins médicaux non satisfaits méritent d'être payés un prix plus élevé. Les rapporteurs estiment que les titulaires d'AMM doivent bénéficier d'une rétribution importante pour le travail de recherche effectué, que le gain en nombre d'années de vie en bonne santé pour le patient mérite également d'être rétribué et qu'une partie des économies sur l'ensemble du système de santé pourrait être distribuée aux titulaires d'AMM.

En revanche, il n'appartient pas aux pouvoirs publics de financer les stratégies d'externalisation de la recherche des grands laboratoires . Ces stratégies ont un coût qui correspond généralement au prix d'achat des start-up . Les plus-values énormes réalisées dans le cadre de l'achat et de la vente de technologies prometteuses ne peuvent pas justifier l'essentiel du prix d'un médicament.

Le prix juste et équitable doit être déterminé par la négociation entre l'autorité compétente de l'État membre et le laboratoire concerné. Il pourra varier d'un État à l'autre en fonction de la taille de la population concernée, du produit intérieur brut rapporté au nombre d'habitants ou des économies réalisées par le système de soins. En cas de désaccord, il devrait être possible de saisir la Commission qui pourra réaliser un audit.

B. UN ACCÈS INÉGAL AUX MÉDICAMENTS SUR LE TERRITOIRE DE L'UNION

L'article 168 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit que les États membres sont responsables de la définition de leur politique de santé , ainsi que de l'organisation et de la fourniture de services de santé et de soins médicaux. Les responsabilités des États membres incluent la gestion de services de santé et de soins médicaux, ainsi que l'allocation des ressources qui leur sont affectées. Pour ce qui est de l'accès aux médicaments, on constate des disparités importantes entre les États membres de l'Union.

1. La mise sur le marché d'un médicament liée à des questions financières et réglementaires
a) Une décision du titulaire de l'AMM
(1) l'absence d'obligations de mettre un médicament sur le marché

La décision de mettre un médicament sur le marché relève du titulaire de l'AMM . Il peut décider de mettre un médicament sur le marché dans un État membre et pas dans un autre. Cette décision se prend généralement en fonction du prix auquel il sera possible de vendre le médicament sur ce marché.

Une enquête réalisée par la Fédération européenne des industries et associations pharmaceutiques (EFPIA) a révélé d'importantes disparités dans l'accès aux médicaments entre les États membres : sur les 160 médicaments approuvés par l'EMA entre 2017 et 2020, 147 sont disponibles en Allemagne, 105 en France et 85 en Espagne ; en revanche, seuls 38 de ces médicaments sont disponibles en Roumanie. Outre le prix, la taille du marché, l'organisation du système de santé et les procédures administratives nationales peuvent dissuader les titulaires d'AMM de commercialiser leurs médicaments sur un marché donné.

La Commission devrait donc réfléchir à des mesures pour inciter les titulaires d'AMM à proposer leurs médicaments sur l'ensemble du territoire de l'Union.

(2) L'absence d'obligation de maintenir un médicament sur le marché

L'article 123 de la directive 2001/83/CE prévoit que le titulaire de l'AMM est tenu de notifier immédiatement aux États membres concernés toute action qu'il a engagée pour suspendre ou retirer un médicament du marché.

Cet article devrait être complété pour encadrer davantage les conditions de retrait, avec un délai suffisant entre la notification et le retrait effectif pour permettre la mise en place d'un plan de retrait concerté avec les autorités compétentes des États membres.

En France par exemple, l'accord-cadre signé entre les entreprises du médicament et le Comité économique des produits de santé (CEPS) en charge de fixer le prix des médicaments prévoit que les entreprises doivent engager une discussion avec le CEPS avant de mettre en oeuvre toute décision de retrait du marché.

b) Une décision économique principalement liée au prix de vente

Les prix étant déterminés au sein de chaque État membre, ils ne le sont pas dans les mêmes délais . Les laboratoires tendent donc à privilégier les États où le prix est le plus élevé et la mise sur le marché la plus rapide.

C'est le cas notamment lorsqu'il s'agit d'un nouveau traitement. Les pays proposant de le mettre le plus rapidement sur le marché au prix le plus élevé en bénéficient en premier. C'est ainsi en Allemagne où le prix du médicament est pris en charge par les caisses d'assurance maladie dès que celui-ci a reçu une AMM. Le prix est libre pendant une durée d'un an à l'issue de laquelle est déterminé le taux de remboursement après examen de la valeur ajoutée du médicament. Ce taux permet de réguler le prix de manière indirecte. Dans les États membres où le budget de la santé est moins élevé et où le taux de remboursement est plus faible, les médicaments devront être vendus à un prix inférieur qui peut ne pas satisfaire le laboratoire, lequel ne mettra donc pas son produit sur le marché.

Pour un médicament mature dont la formulation est tombée dans le domaine public, la concurrence des médicaments génériques et la baisse des prix qui s'ensuit peuvent amener le laboratoire à estimer qu'il n'est plus suffisamment rentable de le commercialiser.

c) Des délais de mise sur le marché plus ou moins longs selon les pays

En Allemagne, les patients attendent en moyenne 120 jours pour pouvoir bénéficier d'un nouveau traitement alors qu'en Roumanie, ils attendent en moyenne 883 jours, le délai moyen dans l`Union étant de 511 jours 34 ( * ) .

Face à cette situation, les industriels européens du médicament se sont engagés à déposer des demandes de fixation de prix et de remboursement dans tous les pays de l'Union au plus tard deux ans après avoir obtenu l'AMM .

Les rapporteurs saluent cette initiative qui doit être un premier pas vers une diminution des délais de mise effective sur le marché des traitements. Néanmoins, comme le fait remarquer le LEEM, les délais de traitement de ces demandes dépendent des États membres et resteront plus ou moins longs selon les États.

2. Des modalités de fixation des prix différentes d'un État membre à l'autre
a) Des prix variables d'un État membre à l'autre

Les prix des médicaments sont fixés au sein de chaque État membre sur la base de plusieurs critères tels que l'efficacité clinique relative, les priorités de santé publique et le niveau de dépenses autorisé par les autorités politiques. L'observation du prix facial d'un médicament dans chaque État membre permet de mettre en évidence des disparités , les prix en France étant ainsi généralement plus faibles qu'en Allemagne par exemple.

Il est toutefois difficile d'établir une comparaison du prix des médicaments entre États membres . En effet, le prix facial ne prend pas en compte l'ensemble des rétro-commissions qui peuvent avoir été négociées par les autorités compétentes des États membres. Celles-ci peuvent être liées à un niveau de volume acheté ou à une moindre performance du médicament. De plus, les États membres ne communiquent pas sur ces éléments qui sont soumis au secret des affaires.

Le prix du médicament tend généralement à refléter le niveau de vie au sein des États membres. Néanmoins, l'association Mieux prescrire a précisé aux rapporteurs que la différence de prix est minime pour les médicaments innovants entre les pays d'Europe de l'Ouest et les pays d'Europe centrale , ce qui pose un problème d'accès à ces traitements dans ces pays au revenu moyen moins élevé.

b) Des prix d'achat au laboratoire fixés selon différentes modalités

Selon le niveau de remboursement des médicaments, les prix peuvent être libres ou régulés par une autorité compétente. Chaque État membre dispose d'une autorité chargée de cette régulation. Pour cela, cette autorité s'appuie sur l'expertise d'une autre autorité en charge d'évaluer l'efficacité relative du médicament et parfois d'évaluer également l'impact de son remboursement sur les finances publiques.

Néanmoins, tous les États membres ne disposent pas d'une autorité chargée d'évaluer l'efficacité relative du médicament. Il en est ainsi en Bulgarie, en République tchèque ou en Estonie où le prix du médicament est généralement déterminé par rapport aux prix pratiqués dans d'autres États membres. De même, tous les États membres ne procèdent pas à une évaluation de l'impact sur les finances publiques du remboursement d'un médicament.

Les médicaments dispensés à l'hôpital sont, quant à eux, généralement achetés dans le cadre de marchés publics.

c) L'exemple français
(1) La Haute autorité de santé évalue l'efficacité relative du médicament et éventuellement son impact sur les finances publiques

En France, c'est la Haute autorité de santé (HAS) qui est en charge de l'évaluation des médicaments au vu notamment de laquelle sera déterminé le prix du médicament. En son sein, c'est la commission de la transparence qui procède à une évaluation clinique des médicaments sur la base du service médical rendu (SMR) et de l'amélioration du service médical rendu (ASMR) .

Le SMR prend en compte plusieurs éléments, notamment la gravité de la pathologie, l'efficacité du traitement et ses effets indésirables, sa place dans la stratégie thérapeutique et l'existence d'alternatives. Cet indicateur permet notamment de déterminer le taux de remboursement du médicament. Le SMR est considéré comme important, modéré, faible ou insuffisant et un taux de remboursement sur la base du prix réglementaire est associé à chaque SMR, 65%, 35%, 15% et 0%. Les médicaments permettant de traiter les maladies graves et invalidantes sont remboursés à 100 %. L'évaluation du traitement peut être reconsidérée notamment lorsque des données nouvelles sont produites ou lorsque des alternatives plus efficaces apparaissent.

Le SMR fournit ainsi des éléments d'éclairage scientifiques et cliniques à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) et au ministre en charge de la santé pour évaluer l'intérêt de la prise en charge ou non des médicaments par la solidarité nationale.

L'ASMR, pour sa part, permet d'évaluer le progrès thérapeutique apporté par le médicament par rapport à l'existant. Cet indicateur prend en compte l'efficacité clinique du médicament, la diminution des effets indésirables, la couverture d'un besoin médical partiellement couvert jusqu'alors et l'amélioration de la qualité de vie. L'ASMR fournit des éléments d'éclairage scientifiques et cliniques au Comité économique des produits de santé (CEPS) et au ministre pour la fixation du prix des médicaments.

Une ASMR notée I est considérée comme majeure alors qu'une ASMR considérée comme nulle est notée V. Pour les médicaments ayant une ASMR comprise entre I et III, la commission d'évaluation économique et de santé publique de la HAS réalise une évaluation médico-économique pour en déterminer le juste prix. Elle prend en compte l'impact du remboursement du médicament sur les finances publiques, l'objectif étant de déterminer son surcoût au regard de ses bénéfices pour la santé à l'aide d'un ratio qui évalue le coût supplémentaire en euros par année de vie gagnée en bonne santé.

En Allemagne, les médicaments font également l'objet d'une évaluation rigoureuse de leur efficacité clinique relative pour déterminer leur taux de remboursement. En revanche, l'impact sur les finances publiques ne fait pas l'objet d'une évaluation.

(2) Le Comité économique des produits de santé négocie les prix

En France, les prix des médicaments remboursables sont administrés, négociés et régulés ; en revanche, ceux des médicaments non remboursables sont libres.

Le CEPS, organisme interministériel placé sous l'autorité conjointe des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et de l'économie, est chargé par les différentes lois de financement de la sécurité sociale de fixer les prix des médicaments à usage individuel pris en charge par l'assurance maladie obligatoire.

Pour déterminer le prix des médicaments remboursables vendus en pharmacie, le CEPS négocie avec les entreprises du médicament . Ainsi, un accord-cadre est signé tous les trois ans. Il prend en compte les critères fixés par la loi de financement de la sécurité sociale qui détermine également leur ordre d'importance : l'ASMR, l'évaluation médico-économique, le volume des ventes et le prix de vente dans d'autres États. À ces critères, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 a ajouté celui de « la sécurité d'approvisionnement du marché français ». Les médicaments qui n'ont pas été traités dans le cadre de l'accord-cadre peuvent faire l'objet d'un avenant. Une fois l'accord-cadre signé, les négociations se font produit par produit.

Les industriels qui réalisent des investissements sur le marché français et s'engagent à fournir ce marché dans la durée ont en retour une certaine visibilité sur leur activité en France grâce à des garanties concernant la stabilité des prix sur une durée plus longue. Des augmentations de prix peuvent être également accordées lorsque les conditions économiques ont changé et que le maintien du prix peut conduire à une remise en cause de l'approvisionnement du marché français.

En Italie, une agence est également chargée de la fixation du prix, après négociation avec les laboratoires mais les décisions relatives au remboursement sont prises au niveau régional. En Suède en revanche, c'est la même agence qui est à la fois chargée de négocier le prix du médicament et de décider du taux de prise en charge.

3. Des tentatives d'harmonisation et de coopération intra-européennes
a) L'évaluation des technologies de la santé

Le règlement (UE) n° 2021/2282 du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2021 concernant l'évaluation des technologies de la santé et modifiant la directive 2011/24/UE 35 ( * ) doit permettre la mise en oeuvre d'évaluations cliniques communes, dans le respect des compétences des États membres. La Commission européenne estime que ces évaluations communes permettront de favoriser un accès plus rapide aux médicaments. Les médicaments destinés à lutter contre le cancer sont les premiers à faire l'objet d'une évaluation commune.

Pour rappel, le Sénat avait adopté une résolution portant avis motivé sur la non-conformité de la proposition de règlement initiale au principe de subsidiarité 36 ( * ) dans la mesure où, comme rappelé précédemment, les modalités de remboursement des médicaments sont fixées par les États membres qui s'appuient pour cela sur ces évaluations. Au terme d'un long processus, un compromis a été trouvé : si la proposition de règlement initiale prévoyait que les États membres appliquent les rapports d'évaluation clinique commune dans leurs évaluations des technologies de la santé à l'échelon national, le texte adopté indique simplement que ces rapports sont « dûment pris en compte ».

Le LEEM a insisté auprès des rapporteurs sur la nécessaire simplification des procédures de détermination des prix des médicaments et des conditions de remboursement et appelle les États membres à travailler ensemble sur ces questions.

De son côté, l'InCA a rappelé l'importance d'établir une évaluation comparative des médicaments . Il est en effet nécessaire de bien évaluer la valeur ajoutée d'un nouveau médicament pour pouvoir en déterminer son prix car les différences minimes mises en avant par les laboratoires ne doivent pas induire en erreur les autorités compétentes des États membres chargées de fixer le prix de ces médicaments.

Quant au CEPS, il estime que l'évaluation scientifique réalisée par la HAS intégrera désormais une dimension européenne plus forte, ce qui renforcera sa crédibilité, de même que sa position dans les négociations avec les laboratoires.

Pour sa part, le LEEM considère l'évaluation commune des technologies de la santé comme le premier pilier robuste permettant de construire une véritable Europe de la santé.

b) Développer la coopération entre États membres

Le CEPS a indiqué aux rapporteurs qu'il existe une instance permettant aux autorités nationales compétentes en matière de prix des médicaments de travailler ensemble sous la supervision de la Commission européenne : il s'agit du réseau des autorités compétentes en matière de prix et de remboursement ( Networking Meeting of the Competent Authorities on Pricing and Reimbursement - NCAPR) qui apparaît comme une plateforme de coopération informelle créée pour discuter des questions et des défis liés au secteur en matière de fixation des prix et des remboursements de médicaments. Il permet l'échange de bonnes pratiques et se réunit environ deux fois par an.

Dans sa stratégie pharmaceutique pour l'Europe, la Commission indique vouloir renforcer cette coopération et favoriser ainsi la transparence des informations sur les prix. Cela semble néanmoins difficile à mettre en oeuvre, d'une part en raison du secret des affaires qui ne permet pas de communiquer sur les clauses des contrats conclus par les autorités compétentes, et d'autre part, en raison des moyens humains souvent limités dont disposent les autorités nationales compétentes pour développer une coopération européenne.

Le Beneluxa 37 ( * ) , une initiative qui regroupe cinq États membres de l'Union européenne (la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l'Autriche et l'Irlande), a pour objectif de permettre aux autorités nationales compétentes de réaliser des évaluations communes des technologies de santé, de négocier en commun le prix de certains médicaments, notamment les plus innovants, et de fixer en commun les conditions de remboursement de ces médicaments. Le Beneluxa a ainsi négocié un prix commun pour l'achat du Zongelsma, un traitement particulièrement onéreux de l'amyotrophie spinale.

Les rapporteurs demandent à la Commission de soutenir la coopération volontaire entre les autorités nationales compétentes de tarification et de remboursement, notamment en favorisant l'échange de bonnes pratiques et la convergence des critères relatifs à la fixation des prix. De même, l es initiatives visant à l'achat conjoint de médicaments innovants doivent être encouragées.

C. DES PRIX QUI DOIVENT FAVORISER L'ACCÈS AU MÉDICAMENT

Si le prix des médicaments anciens ne doit pas être trop bas pour garantir la sécurité des approvisionnements, le prix des médicaments innovants doit être abordable dans tous les États membres.

1. Les limites de la recherche du prix le plus bas pour les médicaments anciens
a) la volonté de limiter les dépenses en médicaments est en contradiction avec d'autres objectifs stratégiques

Le prix du médicament est un enjeu important pour la santé des patients mais également pour les finances publiques .

Dans un contexte où les États membres cherchent à limiter la dépense publique et notamment les dépenses de santé, le LEEM a indiqué aux rapporteurs que la part des médicaments dans ces dépenses est restée stable, à environ 15 % dans la plupart des pays européens, qui représentent aujourd'hui 24 % du marché mondial. Il a précisé qu'en France, les dépenses en médicaments étaient les mieux maîtrisées : elles représentaient 16 % de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) en 2011 et seulement 11 %, en 2020. C'est principalement l'effet prix qui contribue à cette baisse, la France étant davantage un marché de volume .

Le LEEM et le Gemme ont attiré l'attention des rapporteurs sur le risque de vouloir continuer à diminuer les prix dans le contexte d'inflation actuelle qui impacte notamment les frais d'emballage et de transport : les fabricants pourraient en effet délaisser les marchés où le prix du médicament est trop bas .

Par ailleurs, l'objectif de souveraineté sanitaire ne peut être atteint si l'activité industrielle en Europe n'est pas soutenable. Cette politique de recherche permanente du prix le plus bas fragilise en effet le tissu industriel . Ainsi, il n'est aujourd'hui pas possible de fabriquer en France, pour le marché français, des médicaments antibiotiques sous forme injectable en raison du prix de vente beaucoup trop faible de ces médicaments.

Le CEPS convient que la baisse du prix des médicaments anciens permet de réaliser des économies pour financer les produits plus innovants mais estime que cette logique est de plus en plus complexe à mettre en oeuvre. En effet, l'achat de médicaments intègre désormais des objectifs supplémentaires tels que la lutte contre les pénuries ou la souveraineté sanitaire, ce qui implique que l'on ne peut pas continuer à diminuer indéfiniment le prix des médicaments anciens .

b) Des marchés publics qui ne doivent pas remettre en cause l'approvisionnement

Dans sa stratégie pharmaceutique pour l'Europe, la Commission européenne indique vouloir encourager la mise en oeuvre d'actions innovantes dans le domaine des marchés publics pour permettre de favoriser l'accès aux médicaments. Ceci implique l'insertion de nouvelles clauses telles que la conditionnalité des prix, la livraison en temps utile ou encore la sécurité d'approvisionnement.

Or, le CEPS estime que les marchés publics contribuent à raréfier l'offre dans la mesure où un industriel qui perd un appel d'offres se retire du marché et n'a plus nécessairement de raison d'y revenir. La volonté de garantir la soutenabilité de la dépense ne doit pas aboutir à raréfier l'offre, d'autant plus que les marchés publics ne garantissent pas d'obtenir un prix plus bas. En effet, l'absence de transparence sur les prix, dans la mesure où les termes des contrats conclus sont protégés par le secret des affaires, ne permet pas d'évaluer les gains réalisés grâce à ces marchés. Au surplus, selon le rapport du Sénat n° 737 (2017-2018) de M. Jean-Pierre Decool, fait au nom de la mission d'information sur la pénurie de médicaments et de vaccins 38 ( * ) , si avoir un plus grand nombre de fournisseurs peut accroître le coût des médicaments, ce surcoût est pondéré par celui qu'entraînent les pénuries, notamment la mobilisation de ressources humaines et le recours à des traitements de substitution plus onéreux.

Dès lors, si recours aux marchés publics il y a, l'attribution de ceux-ci ne peut pas se faire uniquement en fonction du prix. D'autres éléments tels que la sécurisation des approvisionnements, l'impact écologique ou la production en Europe devraient être pris en compte .

2. La régulation du prix des médicaments innovants

Comme indiqué précédemment, le prix des médicaments les plus innovants est de plus en plus élevé. Une régulation s'avère donc nécessaire pour permettre l'accès à ces médicaments sur l'ensemble du territoire de l'Union.

a) La nécessaire solidarité européenne

Les rapporteurs souhaitent que la Commission réfléchisse à la mise en place d'un mécanisme de solidarité qui permettrait un accès plus large à des médicaments innovant couvrant des besoins médicaux non satisfaits.

Lorsque l'autorité compétente d'un État membre négocie avec un laboratoire un prix juste et équitable et que celui-ci reste particulièrement élevé au regard des ressources de l'État membre, appréciées notamment au regard de son produit intérieur brut par habitant, un fonds de solidarité européen pourrait être activé sous le contrôle de la Commission et des États membres. Ce fonds serait financé sur le budget de l'Union et ne permettrait de financer qu'une quote-part à déterminer du prix, sans excéder un certain montant.

Ce serait là une avancée considérable pour l'Union qui devra définir les médicaments innovants concernés.

b) L'octroi de licences obligatoires

Les entreprises produisant un médicament princeps et qui ne souhaitent pas distribuer ce produit sur un marché spécifique pourraient être tenues d'accorder à un organisme public ou à un fabricant de génériques le droit de le commercialiser et de le vendre, dans des conditions de licence équitables et raisonnables .

Là encore, la notion de prix équitable et juste devra être prise en compte pour apprécier les raisons qui poussent une entreprise fabriquant un médicament princeps à ne pas vouloir le commercialiser dans un État donné. À la demande de l'État membre concerné, la Commission pourra apprécier si une licence doit être accordée ou non.

Si la protection conférée par le brevet est essentielle pour garantir le développement de la recherche, de telles mesures doivent être envisagées lorsqu'il s'agit de répondre à des besoins médicaux non satisfaits et que l'entreprise réalise des profits colossaux. Un article publié dans la revue Jama internal medicine 39 ( * ) estime que le coût médian de développement d'un médicament contre le cancer était de 648 millions de dollars et que le revenu médian après l'approbation d'un tel médicament était de 1 658,4 millions de dollars en 2017.

c) La lutte contre les exportations parallèles

En raison d'importantes différences de prix entre les États membres de l'Union, un système d'exportations parallèles s'est mis en place. Il consiste pour les grossistes répartiteurs à acheter des médicaments sur des marchés qui pratiquent les prix les plus bas pour les revendre sur un marché plus rémunérateur.

Pour l'UFC-Que choisir, cette pratique est difficilement quantifiable. Dans son étude sur les pénuries de médicaments présentée en novembre 2020, elle mentionne les données réunies par le LEEM qui font apparaître que les marchés de ville suédois et allemand étaient composés, en 2016, respectivement, d'environ 13 % et 8,5% de produits importés d'autres pays européens. En 2019, le LEEM estimait ce commerce parallèle à 5,6 milliards d'euros. En revanche, la France apparaît plutôt comme un pays d'exportations parallèles, ce qui expose les patients français à des ruptures d'approvisionnement. le LEEM a dénoncé devant les rapporteurs une véritable fraude organisée sur les médicaments contre le cancer, exploitant les différences de prix entre deux États membres. Avec ces exportations parallèles, la baisse du prix sur certains marchés ne favorise pas pour autant l'accès aux médicaments puisque ceux-ci sont exportés. Ces pratiques doivent être davantage encadrées car elles ne permettent pas d'adapter le prix du médicament au marché auquel il est destiné .

D. LE RECOURS AUX MÉDICAMENTS GÉNÉRIQUES ET BIOSIMILAIRES

Un médicament princeps est un médicament original, chimique ou biotechnologique, protégé par un brevet.

Le médicament générique est une copie du médicament princeps dont le brevet est tombé dans le domaine public. Il a la même composition qualitative et quantitative en principes actifs, la même forme pharmaceutique et la même bioéquivalence que le médicament de référence, c'est-à-dire la même biodisponibilité dans l'organisme.

Un médicament biosimilaire est similaire à un médicament biologique de référence dont le brevet est tombé dans le domaine public. Ces médicaments sont obtenus par un procédé biotechnologique qui implique une source biologique (protéine, cellule...). La variabilité de cette matière première et les différences de procédés de fabrication ne permettant pas de le qualifier de médicament générique, on parle donc de médicament biosimilaire.

La procédure d'autorisation de mise sur le marché est allégée pour les médicaments génériques ou biosimilaires, et les fabricants de ces médicaments sont autorisés à utiliser les données fournies par le fabricant du médicament de référence pour constituer leur propre dossier d'autorisation de mise sur le marché. Ces médicaments obéissent toutefois aux mêmes règles de pharmacovigilance et de qualité que les autres médicaments.

1. Un enjeu pour les patients et pour les finances publiques

Les médicaments génériques sont aujourd'hui indispensables pour le traitement des patients. Le Gemme a rappelé à juste titre aux rapporteurs que les patients ont non seulement besoin de médicaments innovants mais également de produits matures. Aujourd'hui, 40 % des médicaments utilisés en France sont des génériques. Par ailleurs, 70 % de ces médicaments sont produits en Europe.

Dans le cadre de politiques visant à réduire les dépenses publiques, les États membres cherchent à diminuer le prix des médicaments. Pour cela, le recours aux médicaments génériques et biosimilaires est particulièrement encouragé. La mise sur le marché de médicaments génériques entraîne en effet une baisse importante des prix. Ainsi, lors de la mise sur le marché en France des médicaments génériques, leur prix facial hors taxe est fixé par le CEPS à 40% du prix du médicament princeps . Après 18 mois, une décote de 7 % est appliquée automatiquement. Le prix du médicament princeps subit, quant à lui, une décote de 20 % au moment où le premier médicament générique arrive sur le marché et une décote de 12,5 %, 18 mois après.

2. Faciliter l'accès aux données de l'autorisation de mise sur le marché

Une invention brevetée ne peut être exploitée par un tiers avant l'expiration du brevet qu'à des fins de recherche et d'essais et pour obtenir les approbations réglementaires requises : c'est ce que l'on appelle « l'exception Bolar » régie par l'article 10, point 6, de la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 modifiant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain 40 ( * ) .

Une protection administrative des données contenues dans le dossier d'AMM est accordée au titulaire de celle-ci pour une période de huit ans à compter de la date de délivrance de l'AMM. Cette période peut être étendue jusqu'à onze ans pour les médicaments les plus innovants. Durant cette période, les fabricants de médicaments génériques ne peuvent pas utiliser les données du dossier d'AMM pour présenter leurs propres demandes d'AMM dans le cadre de procédures dites allégées. L'enjeu pour les fabricants de médicaments génériques et biosimilaires est d'être prêts à commercialiser leurs produits dès la fin de la protection conférée par le brevet.

Dans sa stratégie pharmaceutique, la Commission envisage de clarifier les dispositions relatives à la conduite d'essais sur des produits brevetés afin de soutenir les demandes d'AMM des produits génériques et biosimilaires.

Les rapporteurs estiment qu'il est nécessaire de permettre la mise sur le marché de médicaments génériques dès la fin de la protection que le brevet confère au titulaire de l'AMM du médicament princeps, à condition de pouvoir garantir à ce dernier que ses droits seront respectés jusqu'à l'expiration du brevet .

3. Encourager les capacités de production

Depuis le 1 er juillet 2019, le règlement (UE) n° 2019/933 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2019 modifiant le règlement (CE) n° 469/2009 concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments permet aux fabricants de génériques et de biosimilaires établis dans l'Union de fabriquer dans l'Union des médicaments à des fins d'exportation vers des marchés d'États tiers ou de stockage en attente d'expiration d'un certificat complémentaire de protection.

La Commission doit veiller à ce que ce règlement ne remette pas en cause les droits que le brevet confère aux fabricants de médicaments princeps .

4. Faire respecter le droit de la concurrence

Lors de son audition par les rapporteurs, le Gemme a mentionné les pratiques déloyales mises en oeuvre par les laboratoires fabriquant les médicaments princeps pour retarder l'accès au marché des médicaments génériques. Cela se traduit par des stratégies impliquant des procédures judiciaires, des campagnes d'influence ou encore une baisse volontaire du prix du médicament princeps dans certains pays pour empêcher toute nouvelle entrée. Ces propos ont été corroborés par le rapport de la Commission sur l'application du droit de la concurrence dans le secteur pharmaceutique 41 ( * ) qui a montré que les fabricants de médicaments princeps mettent parfois en oeuvre des stratégies visant à entraver l'entrée sur le marché ou la croissance sur celui-ci des médicaments génériques et biosimilaires.

La Commission évoque ce dysfonctionnement dans sa stratégie pharmaceutique, de même que le Parlement européen dans sa résolution du 24 novembre 2021.

Les rapporteurs estiment que la Commission doit jouer son rôle pour garantir une concurrence équitable sur le marché des médicaments .

AVIS POLITIQUE

La commission des affaires européennes du Sénat,

Vu les articles 114 et 168 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu l'article 6 du traité sur l'Union européenne,

Vu l'article 35 de la charte des droits fondamentaux,

Vu la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain,

Vu le règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 établissant des procédures communautaires pour l'autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments,

Vu le règlement (CE) n° 1901/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relatif aux médicaments à usage pédiatrique,

Vu le règlement (CE) n° 141/2000 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1999 concernant les médicaments orphelins,

Vu le règlement (UE) n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain et abrogeant la directive 2001/20/CE,

Vu le règlement (UE) n° 2019/933 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2019 modifiant le règlement (CE) n° 469/2009 concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments,

Vu le règlement (UE) n° 2021/2282 du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2021 concernant l'évaluation des technologies de la santé et modifiant la directive 2011/24/UE,

Vu le règlement (UE) n° 2022/123 du Parlement européen et du Conseil du 25 janvier 2022 relatif à un rôle renforcé de l'Agence européenne des médicaments dans la préparation aux crises et la gestion de celles-ci en ce qui concerne les médicaments et les dispositifs médicaux,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 851/2004 instituant un Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (COM(2020) 726 final),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les menaces transfrontières graves pour la santé et abrogeant la décision n° 1082/2013/UE (COM(2020) 727 final),

Vu la proposition de règlement du Conseil établissant un cadre de mesures visant à garantir la fourniture des contre-mesures médicales nécessaires en cas d'urgence de santé publique au niveau de l'Union (COM(2021) 577 final),

Vu le règlement (UE) n° 2021/522 du Parlement européen et du Conseil du 24 mars 2021 établissant un programme d'action de l'Union dans le domaine de la santé (programme « L'Union pour la santé ») pour la période 2021-2027, et abrogeant le règlement (UE) n° 282/2014,

Vu le règlement (UE) n° 2021/695 du Parlement européen et du Conseil du 28 avril 2021 portant établissement du programme-cadre pour la recherche et l'innovation « Horizon Europe » et définissant ses règles de participation et de diffusion,

Vu la déclaration de Doha sur l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce et la santé publique et la décision du Conseil général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) du 30 août 2003 sur la mise en oeuvre du paragraphe 6 de la déclaration de Doha,

Vu l'évaluation conjointe du règlement (CE) n° 1901/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relatif aux médicaments à usage pédiatrique et du règlement (CE) n° 141/2000 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1999 relatif aux médicaments orphelins (SWD(2020) 163 final),

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 25 novembre 2020 présentant la stratégie pharmaceutique pour l'Europe (COM(2020) 761 final),

Vu la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 3 février 2021 présentant le plan européen pour vaincre le cancer (COM(2021) 44 final),

Vu la résolution du Parlement européen du 24 novembre 2021 sur une stratégie pharmaceutique pour l'Europe,

Vu le rapport d'information du Sénat n° 737 (2017-2018) de M. Jean-Pierre Decool, fait au nom de la mission d'information sur la pénurie de médicaments et de vaccins, intitulé Pénuries de médicaments et de vaccins : renforcer l'éthique de santé publique dans la chaîne du médicament , déposé le 27 septembre 2018,

Considérant que l'accès aux soins est un droit fondamental pour tous les citoyens de l'Union européenne ;

Considérant le caractère indispensable des médicaments pour permettre les soins ;

Considérant qu'il appartient à la Commission et aux États membres de garantir à tous les citoyens de l'Union l'accès à des médicaments de qualité, efficaces et sûrs à un prix abordable sur l'ensemble du territoire de l'Union ;

Considérant que les patients doivent être au coeur de toute politique de santé ;

Remercie la Commission européenne de se saisir de la question de l'accès aux médicaments au sein de l'Union européenne et formule les observations suivantes :

Sur les initiatives visant à favoriser la recherche

Considérant la nécessité pour l'Union européenne de soutenir la recherche dans le domaine médical dans le but de répondre aux besoins des patients ;

Considérant que ce soutien doit être à la fois financier, technique et réglementaire ;

Considérant que le règlement (UE) n° 536/2014 ne sera pleinement mis en oeuvre qu'en 2025 ;

Considérant les difficultés à organiser des programmes de recherche conjoints dans plusieurs États membres de l'Union ;

Considérant que les technologies numériques sont aujourd'hui essentielles pour le développement d'une recherche de pointe ;

Considérant que des bases de données correctement remplies, lisibles et interopérables peuvent favoriser la recherche et notamment le développement de traitements plus personnalisés ;

Salue les crédits attribués à la recherche dans le cadre du programme « Horizon Europe » et les crédits destinés à favoriser l'accès aux soins dans le cadre du programme « l'Union pour la santé » ;

Demande à la Commission de favoriser l'accès des petites structures aux fonds européens pour la recherche, en dédiant une équipe pour les aider sur le plan administratif ;

Souhaite que la Commission développe un outil de veille lui permettant d'identifier en amont les technologies les plus innovantes ;

Estime indispensable que la Commission puisse continuer à financer, au-delà du cadre du programme « Horizon Europe », les projets identifiés comme les plus prometteurs en les soumettant à une évaluation continue ;

Souhaite que la Commission envisage la possibilité d'harmoniser au sein de l'Union les conditions dans lesquelles se déroulent les recherches non interventionnelles ;

Invite la Commission à proposer des contrats type permettant d'encadrer la relation entre les promoteurs d'essais cliniques et les sites hospitaliers ;

Appelle la Commission à encourager le déploiement dans les laboratoires de recherche des technologies telles que l'intelligence artificielle et le calcul à haute performance, au service de la recherche de pointe et en cohérence avec le programme « Horizon Europe » ;

Soutient la Commission dans son intention de créer des bases de données permettant de favoriser la recherche tout en garantissant la protection des données à caractère personnel des patients ;

Appelle la Commission à soutenir les acteurs de terrain qui devront renseigner ces bases par le biais du programme « l'Union pour la santé » ;

Sur les objectifs des projets de recherche financés par l'Union européenne

Considérant que la Commission doit, conformément au règlement (UE) n° 2021/695, définir avec les États membres les projets de recherche qui pourront bénéficier de financements européens ;

Considérant que la stratégie pharmaceutique pour l'Europe doit venir en appui du plan européen pour vaincre le cancer ;

Considérant qu'il existe un lien fort entre la santé humaine et la santé animale ;

Estime que les fonds européens doivent être prioritairement orientés vers des domaines où les options de traitement sont restreintes, où le taux de survie des patients est faible et où l'intérêt commercial est limité pour les entreprises ;

Demande à la Commission de définir la notion de besoins médicaux non satisfaits pour permettre d'orienter au mieux les financements ;

Souhaite que la recherche contre le cancer, la lutte contre la résistance aux antimicrobiens et le développement de traitement contre les maladies rares et les maladies infantiles soient considérés comme des priorités par la Commission ;

Demande que les financements publics soient prioritairement dirigés vers le financement des traitements potentiels présentant un caractère réellement innovant et non le développement de traitements quasiment analogues à ceux qui sont déjà sur le marché ;

Souhaite que, dans le cadre de la recherche contre le cancer, soient financées les études permettant la désescalade thérapeutique dans l'intérêt des patients et celles évaluant les possibilités ouvertes par les associations de traitements existants ;

Estime que la Commission devrait également financer les recherches visant à la réaffectation de médicaments non couverts par un brevet ;

Estime que la diminution du recours aux antibiotiques doit être proportionnée à l'objectif poursuivi, à savoir la protection de la santé humaine et de la santé animale ;

Demande à la Commission de publier des appels à projets de recherche exclusivement centrés sur les maladies rares et les maladies pédiatriques ;

Sur les initiatives visant à favoriser un accès plus rapide aux médicaments

Considérant qu'il est nécessaire que les nouveaux médicaments innovants et prometteurs puissent être mis sur le marché rapidement dès lors qu'ils ont été considérés comme sûrs et efficaces ;

Considérant que les patients doivent bénéficier de l'information la plus complète au moment où un nouveau traitement leur est proposé ;

Considérant que les vaccins contre la COVID-19 ont pu être mis sur le marché très rapidement grâce à une procédure d'évaluation continue, consistant en l'évaluation des données au fur et à mesure de leur production et non plus après la demande d'autorisation de mise sur le marché ;

Considérant que des évaluations communes des technologies de la santé peuvent favoriser un accès plus rapide aux médicaments ;

Invite la Commission à donner un cadre législatif au programme PRIME de l'Agence européenne des médicaments et à renforcer le dialogue précoce avec les laboratoires pour mettre plus rapidement les médicaments à la disposition des patients, notamment lorsqu'il s'agit d'un besoin médical non satisfait ;

Souhaite que la Commission favorise le développement de l'évaluation continue au sein de l'Agence européenne des médicaments pour permettre un accès plus rapide aux traitements ;

Demande à la Commission d'organiser un dialogue entre l'Agence européenne des médicaments et les autorités compétentes des États membres en matière d'autorisation de mise sur le marché, d'évaluation et de tarification des médicaments afin de permettre de définir au plus tôt et, éventuellement, d'harmoniser la nature des études demandées par chaque autorité pour accélérer la mise sur le marché de traitement ;

Recommande de soutenir les initiatives volontaires des États membres pour renforcer les évaluations communes des technologies de la santé ;

Pour des médicaments durables et respectueux de l'environnement

Considérant que la fabrication de médicaments peut engendrer le rejet dans l'environnement de différents résidus susceptibles d'avoir un impact sur la santé humaine ou animale, ou sur l'environnement ;

Considérant que ces résidus peuvent être toxiques ou avoir un impact sur le système endocrinien et, en outre, favoriser la résistance aux antimicrobiens ;

Considérant que la production de médicaments n'est pas neutre pour le climat ;

Considérant que les médicaments délivrés et non utilisés ont un coût pour les finances publiques ;

Considérant que l'impact environnemental de la production de médicaments doit être appréhendé dans un cadre international pour plus d'efficacité ;

Demande à la Commission de renforcer les exigences en matière d'évaluation des risques pour l'environnement ;

Souhaite que la Commission soutienne la recherche et l'innovation pour des produits pharmaceutiques moins nocifs pour l'environnement ;

Appelle la Commission à renforcer les contrôles et audits tout au long de la chaîne de production du médicament, notamment en dehors de l'Union, pour s'assurer du respect des bonnes pratiques de fabrication et des normes environnementales associées ;

Rappelle que l'industrie pharmaceutique doit être respectueuse de l'environnement et neutre pour le climat tout au long du cycle de vie des médicaments ;

Souhaite que la Commission propose des recommandations pour limiter la délivrance de médicaments qui ne seront pas utilisés ;

Demande à la Commission de travailler à l'élaboration de normes internationales communes dans le but de réduire l'impact environnemental de l'industrie pharmaceutique ;

Estime que l'attribution de marchés publics relatifs à l'achat de médicaments doit prendre en compte le respect de normes environnementales exigeantes ;

Souligne toutefois qu'une production de médicaments plus respectueuse de l'environnement ne doit pas se faire au détriment de l'accès aux soins pour les patients ;

Sur la lutte contre les pénuries de médicaments

Considérant l'absence de cadre réglementaire européen pour lutter contre les pénuries de médicaments en dehors des situations d'urgence de santé publique ;

Considérant que le nombre de ruptures d'approvisionnement augmente d'années en années dans tous les États membres de l'Union ;

Considérant que ces ruptures peuvent avoir des conséquences dramatiques pour les patients ;

Considérant qu'elles génèrent également des coûts financiers importants ;

Considérant que les médicaments anciens sont davantage affectés ;

Considérant que les causes de ces ruptures sont diverses ;

Considérant que seule une partie de la pharmacopée bénéficie d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence européenne des médicaments, la mise sur le marché des autres médicaments impliquant l'intervention d'une autorité compétente nationale ;

Considérant que cette autorisation de mise sur le marché précise les conditions de fabrication des médicaments ainsi que les règles relatives au conditionnement et à l'étiquetage ;

Considérant que les titulaires d'autorisations de mise sur le marché sont responsables du processus de fabrication des médicaments concernés et doivent garantir un approvisionnement approprié et continu de manière à couvrir les besoins des patients ;

Considérant que l`importation de médicaments relève de la compétence des autorités compétentes nationales ;

Considérant que la Commission doit garantir le bon fonctionnement du marché unique en ce qui concerne les médicaments ;

Demande à la Commission de définir dans la législation pharmaceutique, conjointement avec l'Agence européenne des médicaments, la notion de rupture d'approvisionnement de médicaments et celle de médicaments critiques en s'appuyant sur la criticité thérapeutique, qui prend en compte l'intérêt thérapeutique et l'existence d'alternatives possibles, et la criticité industrielle résultant des vulnérabilités de la chaîne de production ;

Estime que, dans ce cadre, les industriels devraient fournir à l'Agence européenne des médicaments l'ensemble des informations nécessaires pour apprécier la criticité industrielle d'un médicament ;

Souhaite que la Commission propose que la plateforme prévue par le règlement (UE) n° 2022/123 serve au signalement, par les autorités compétentes nationales et les titulaires d'autorisation de mise sur le marché, des ruptures d'approvisionnement des médicaments critiques qu'ils constatent ou anticipent, en dehors des périodes d'urgence de santé publique ;

Recommande à la Commission de travailler à simplifier le renouvellement des autorisations de mise sur le marché des médicaments critiques lorsque la demande de renouvellement concerne les modalités de production et que celles-ci n'ont pas d'impact sur la santé des patients ;

Soutient la possibilité de délivrer des médicaments critiques pour lesquels les informations figurant sur le conditionnement secondaire et la notice ne sont pas dans la langue de l'État où le médicament est délivré, à condition que toutes ces informations aient pu être fournies au patient par le pharmacien sous format électronique ou format papier ;

Appelle les autorités compétentes des États membres en matière d'autorisation de mise sur le marché des médicaments à adapter certains critères relatifs à ces autorisations pour permettre, en cas de pénurie, l'importation de médicaments destinés à un autre État membre, à condition que cela ne remette pas en cause la sécurité des patients ;

Souhaite que les entreprises du médicament élaborent des plans de continuité d'activité en vue de la mise en place de procédures d'analyse du risque de production permettant de pallier les défauts de production ou le défaut d'un fournisseur ;

Demande à la Commission de renforcer les contrôles relatifs aux installations et aux normes de fabrication des médicaments ;

Soutient l'introduction d'une obligation pour les titulaires d'autorisation de mise sur le marché de constituer des stocks de médicaments critiques à l'échelle de l'Union ;

Recommande que les titulaires d'autorisation de mise sur le marché établissent des plans de gestion des pénuries pour les médicaments critiques dont le contenu sera défini par l'Agence européenne des médicaments ;

Pour assurer la souveraineté sanitaire de l'Union

Considérant le transfert progressivement intervenu ces dernières années de la production de médicaments et de substances actives de l'Union vers des États tiers ;

Considérant que la pandémie de COVID-19 a mis en lumière la dépendance de l'Union européenne vis-à-vis des États tiers dans le secteur de la santé et que cette dépendance risque de renforcer les situations de pénurie et de causer un préjudice aux patients de l'Union ;

Considérant que la Commission européenne a d'ores et déjà fait des propositions pour réduire cette dépendance en cas d'urgence de santé publique ;

Considérant que la production de médicaments est fragmentée alors que la production de certaines substances actives est particulièrement concentrée entre les mains de fournisseurs établis dans des États tiers ;

Considérant qu'il n'est pas possible de produire au sein de l'Union européenne l'ensemble de la pharmacopée et qu'aucun État membre ne peut prétendre à lui seul à l'autonomie dans le domaine sanitaire ;

Considérant l'appui de la Commission à l'objectif d'autonomie stratégique ouverte de l'Union européenne ;

Considérant l'importance d'une main d'oeuvre qualifiée pour le développement d'une industrie ;

Se félicite que la Commission ait fait des propositions pour permettre à l'Union européenne de disposer des outils nécessaires pour faire face à une future crise sanitaire ;

Souhaite que la Commission encourage le développement de projets importants d'intérêt européen commun dans le domaine de la santé ;

Appelle la Commission à développer une véritable politique industrielle dans le domaine de la santé, par analogie avec l'action menée pour réduire la dépendance de l'Union en matière de semi-conducteurs ;

Estime que l'action de l'Union et des États membres doit se concentrer sur les médicaments présentant une criticité clinique liée à l'intérêt thérapeutique et aux alternatives possibles, et à la criticité industrielle du médicament liée à une chaîne de production dépendant d'États tiers ;

Souhaite que la Commission facilite la mise en place de mesures financières et fiscales pour favoriser le maintien des sites de production de médicaments au sein de l'Union et y encourager l'investissement ;

Rappelle que les aides publiques octroyées dans ce cadre doivent permettre de garantir avant tout l'approvisionnement en médicaments critiques pour les patients, ce qui implique qu'elles bénéficient aussi bien à la production de médicaments anciens que de médicaments innovants ;

Salue les propositions de la Commission visant à favoriser la formation d'une main-d'oeuvre qualifiée pour l'industrie pharmaceutique ;

Soutient, sous réserve du droit de la propriété intellectuelle et du secret des affaires, le développement d'un pilotage public de la production de médicaments, éventuellement dans le cadre de partenariats public-privé, lorsque les industriels délaissent des marchés et que les médicaments manquants de ce fait sont considérés comme critiques pour les patients de l'Union ;

Sur les marchés publics et l'achat conjoint de médicaments

Considérant le rôle essentiel des marchés publics dans la commande publique ;

Considérant la nécessité pour les États membres de limiter la dépense publique ;

Considérant les enjeux de santé publique liés aux médicaments ;

Considérant que, compte tenu de leur taille, certains marchés de l'Union peuvent ne pas intéresser les titulaires d'autorisation de mise sur le marché ;

Recommande, pour l'acquisition de médicaments matures, de ne pas encourager le recours à des marchés publics de plus en plus conséquents pour lesquels le critère d'attribution principal serait le prix mais recommande plutôt d'inclure parmi les critères d'attribution la sécurité des approvisionnements, l'impact écologique et l'impact industriel au sein de l'Union ;

Appelle la Commission à soutenir les initiatives volontaires des États membres visant à mener conjointement les négociations pour l'achat de médicaments, notamment les plus innovants ;

Sur le prix des médicaments

Considérant que la détermination du prix des médicaments et des conditions de leur remboursement relève de la compétence des États membres ;

Considérant qu'un prix trop faible n'est pas de nature à garantir la sécurité des approvisionnements et la souveraineté sanitaire de l'Union ;

Considérant que les prix particulièrement élevés des produits innovants les plus récents peuvent limiter l'accès aux soins au sein de l'Union européenne ;

Considérant l'impact sur les prix des médicaments de la mise sur le marché des médicaments génériques ;

Considérant la nécessité de garantir une concurrence équitable entre les fabricants de médicaments princeps et les fabricants de médicaments génériques ;

Considérant l'investissement massif des autorités publiques dans le domaine de la recherche médicale ;

Considérant que le prix conditionne généralement la mise sur le marché effective du médicament par le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché ;

Considérant que les prix doivent être en cohérence avec le niveau de vie au sein de l'État membre où sont commercialisés les médicaments ;

Considérant la difficulté, pour les autorités compétentes des États membres en charge de la fixation du prix des médicaments, à déterminer les coûts de la recherche ;

Appelle la Commission à soutenir les États membres dans l'évaluation de médicaments particulièrement innovants pour déterminer notamment s'ils apportent une véritable valeur ajoutée par rapport aux autres médicaments sur le marché ;

Estime que la Commission devrait encourager la coordination volontaire et le partage d'informations, dans le respect du secret des affaires, entre les autorités compétentes des États membres en charge de la détermination du prix des médicaments ;

Demande à la Commission de renforcer la transparence des coûts de recherche afin de fournir aux autorités compétentes des États membres des informations essentielles pour négocier avec les titulaires d'autorisation de mise sur le marché ;

Demande à la Commission de proposer des lignes directrices pour aider les autorités compétentes des États membres à définir un prix juste et équitable des médicaments récents ;

Souhaite que la Commission réfléchisse à la mise en place d'un fonds de solidarité destiné à permettre à certains États membres d'acquérir des médicaments récents dont le prix serait élevé au regard de leurs ressources, à condition que ce prix soit juste et équitable ;

Encourage les organismes publics participant à la recherche à prendre des participations minoritaires dans des structures de droit privé permettant la commercialisation d'un médicament au développement duquel ces organismes ont participé ;

Appelle la Commission à garantir le respect des règles européennes de concurrence dans le secteur pharmaceutique pour notamment éviter toute entrave à la mise sur le marché de médicaments génériques ;

Demande à la Commission de prendre les mesures nécessaires pour encadrer les exportations parallèles de médicaments ;

Sur la propriété intellectuelle

Considérant que la recherche dans le domaine médical est un processus à la fois long, coûteux et risqué ;

Considérant que la protection de la propriété intellectuelle est indispensable pour favoriser la recherche ;

Considérant que le certificat complémentaire de protection a vocation à limiter l'impact de délais trop longs entre le dépôt de la demande de brevet et l'autorisation de mise sur le marché ;

Considérant que certains traitements comme ceux destinés à soigner des maladies rares ou des maladies pédiatriques ne présentent pas le même potentiel commercial que d'autres traitements ;

Considérant que la mise sur le marché des médicaments génériques doit se faire dans le respect des droits conférés au titulaire du brevet relatif au médicament princeps ;

Demande que la durée de l'exclusivité commerciale conférée aux titulaires d'une autorisation de mise sur le marché relative à un médicament orphelin, conformément au règlement (CE) n° 141/2000, soit allongée pour les maladies les plus graves et lorsque la rentabilité estimée du médicament est jugée insuffisante, en favorisant les médicaments qui n'ont pas fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché pour une autre pathologie ;

Demande que la durée de prorogation du certificat complémentaire de protection accordée dans le cadre du règlement (CE) n° 1901/2006 soit augmentée lorsque le médicament a pour seule indication thérapeutique des maladies infantiles et que cette durée soit allongée lorsque le chiffre d'affaires réalisé par les laboratoires pharmaceutiques est jugé insuffisant ou que les délais nécessaires pour obtenir l'autorisation de mise sur le marché ont été plus longs ;

Souhaite que la Commission engage au plus vite une réflexion visant à déterminer le meilleur moyen d'unifier les conditions de délivrance des certificats complémentaires de protection ;

Appelle la Commission à aider les États membres à anticiper les évolutions du système de soins résultant de la mise sur le marché de traitements innovants ;

Recommande à la Commission de clarifier les conditions dans lesquelles les fabricants de médicaments génériques pourront conduire des essais sur des produits brevetés et disposer des études menées par le titulaire du brevet, sans remettre en cause les droits de ce dernier ;

Demande à la Commission d'envisager la possibilité de contraindre le titulaire d'une autorisation de mise sur le marché, produisant un médicament princeps et qui ne souhaite pas distribuer ce produit sur un marché spécifique, à accorder à un organisme public ou à un fabricant de générique le droit de le commercialiser, dans des conditions de licence équitables et raisonnables ;

Garantir une mise sur le marché effective des médicaments dans des délais raisonnables

Considérant que la directive 2001/83/CE n'impose pas d'obligations suffisantes aux titulaires d'autorisation de mise sur le marché concernant la mise sur le marché effective ou le retrait d'un médicament ;

Considérant les délais inégaux pour l'accès aux médicaments innovants d'un État membre à l'autre ;

Considérant que les délais inhérents à la détermination du prix des médicaments et des conditions de leur remboursement relèvent de la compétence des États membres ;

Demande à la Commission d'introduire, dans le cadre de l'autorisation de mise sur le marché, des mesures pour inciter les futurs titulaires d'autorisation de mise sur le marché à commercialiser leurs médicaments dans l'ensemble des États membres ;

Demande à la Commission d'encadrer davantage les conditions de retrait des médicaments du marché d'un État membre par le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché pour des raisons autres que la sécurité et l'efficacité insuffisante du médicament ;

Souhaite que la Commission favorise la coopération volontaire entre États membres pour aboutir à des évaluations communes des technologies de la santé.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le 29 septembre 2021 pour l'examen du présent rapport.

M. Jean-François Rapin , président . - Je vous propose de passer au second point de notre ordre du jour, qui concerne la stratégie pharmaceutique pour l'Europe.

Cette stratégie a été présentée il y a deux ans par la Commission, alors que l'Union européenne était submergée par la pandémie de covid-19. L'objectif était à la fois de répondre à court terme aux failles qui étaient alors apparues au grand jour - je pense aux pénuries de médicaments et aux dépendances constatées envers les pays fournisseurs -, et à des enjeux de plus long terme : garantir l'accès aux médicaments à un prix abordable, couvrir les besoins médicaux non satisfaits et assurer l'autonomie stratégique ouverte et la durabilité de nos systèmes de santé.

Cette stratégie annonçait une révision des actes législatifs de base relatifs aux médicaments pour la fin de l'année 2022. C'est pourquoi il est important que notre commission se penche maintenant sur le sujet. Je remercie Pascale Gruny et Laurence Harribey qui y travaillent depuis plusieurs mois.

Rappelons que l'industrie pharmaceutique revêt une importance capitale pour l'économie de l'Union européenne puisque plus de 37 milliards d'euros ont été investis en recherche et développement à ce titre, et que ce secteur engendre 800 000 emplois directs et un excédent commercial avoisinant les 110 milliards d'euros en 2019.

Par ailleurs, l'Union européenne est le deuxième marché mondial des produits pharmaceutiques : elle en a acheté pour 190 milliards d'euros en 2018.

Au-delà de l'enjeu économique, c'est un sujet prioritaire dans la mesure où c'est la santé des citoyens qui est en cause. Ce sujet a d'ailleurs été largement abordé dans le cadre de la Conférence sur l'avenir de l'Europe.

Mme Pascale Gruny , rapporteur . - En novembre 2020, la Commission européenne a présenté sa stratégie pharmaceutique pour l'Europe. Cette présentation a été suivie d'une large consultation visant à permettre une réforme de la législation pharmaceutique. La Commission doit effectivement présenter ses propositions à la fin de cette année. Il nous a donc paru opportun de proposer que notre commission des affaires européennes se positionne sur ce sujet stratégique en amont de cette prochaine étape.

Les innovations majeures en cours, le nombre croissant de ruptures d'approvisionnement, la nécessité d'assurer la souveraineté sanitaire de l'Union et les prix de plus en plus élevés des thérapies innovantes sont autant de faits qui nous invitent aujourd'hui à réfléchir aux moyens de rendre plus résolue l'action européenne sur le marché du médicament, dans l'intérêt des patients.

Dans cette optique, nous avons analysé la stratégie pharmaceutique proposée par la Commission et vous soumettons aujourd'hui un certain nombre de propositions.

Nous avons organisé notre analyse et nos propositions autour de trois thèmes : la recherche, sans laquelle les médicaments n'existeraient pas ; la production industrielle, qui doit assurer des quantités suffisantes ; et enfin le prix du médicament, qui doit être abordable pour que tous les Européens puissent y accéder.

Je commencerai par évoquer la recherche et la nécessité de favoriser le développement des médicaments de demain.

Il faut tout d'abord se rappeler qu'en matière de recherche, l'Union européenne dispose de compétences propres qui ont permis le développement du programme Horizon Europe, doté d'un budget de 95,5 milliards d'euros pour la période 2021-2027. La Commission prévoit de consacrer 8,2 milliards à la recherche médicale, dont 2 milliards pour la recherche contre le cancer.

Sur ce point, il paraît essentiel d'orienter la recherche vers les besoins médicaux non satisfaits, le préalable étant que la Commission définisse cette notion. Selon nous, les fonds doivent être prioritairement orientés vers des domaines où les options de traitement sont restreintes, où le taux de survie des patients est faible et où l'intérêt commercial est limité pour les entreprises.

Dans notre rapport, nous citons notamment la situation en matière de lutte contre le cancer où le financement de certaines recherches n'est pas pris en charge par le secteur privé, telles que les recherches portant sur la désescalade thérapeutique ou l'association de traitements produits par des laboratoires concurrents, la résistance aux antimicrobiens, en articulant la nécessité de protéger à la fois la santé humaine et la santé animale, et le traitement des maladies rares et des maladies pédiatriques.

Aujourd'hui, la recherche s'appuie sur les technologies du numérique. C'est l'un des objets du programme « L'Union pour la santé » de la Commission européenne : doté d'un budget de 5,1 milliards d'euros pour la période 2021-2027, soit dix fois plus que pour la période 2014-2020, il doit permettre de financer la création de bases de données telles que « 1+million de génomes ». Il doit également permettre de financer le déploiement de nouvelles technologies telles que l'intelligence artificielle et le calcul à haute performance pour soutenir la recherche.

Une difficulté en matière de recherche pharmaceutique tient au manque d'harmonisation des processus de soumission, d'évaluation et de surveillance des essais cliniques menés au sein de l'Union européenne. Le règlement (UE) n° 536/2014 est entré en vigueur le 31 janvier 2022 afin d'harmoniser ces processus.

Il prévoit que les demandes d'autorisation d'essais cliniques soient évaluées en deux temps. L'évaluation médicale des bénéfices et des risques de l'essai incombe à l'État membre rapporteur désigné par le promoteur, puis il revient à chaque État membre concerné par la demande d'autorisation d'évaluer les enjeux éthiques de l'essai. Un avis défavorable lors de l'évaluation éthique permet à un État membre de refuser la demande d'autorisation sur son territoire.

S'il est trop tôt pour mesurer l'impact de ce règlement, il ne résout pas l'ensemble des difficultés auxquelles se heurtent les promoteurs de programmes de recherche développés dans plusieurs États membres. Dans notre rapport, nous citons de nombreux exemples, notamment l'absence de cadre commun régissant les recherches non interventionnelles pour lesquelles une certaine harmonisation paraît nécessaire.

La recherche médicale n'a d'intérêt que si elle profite au patient. Pour cela, il est également nécessaire d'accélérer la procédure de délivrance des autorisations de mise sur le marché pour les médicaments visant à traiter des besoins médicaux non satisfaits.

Nous préconisons dans ce cadre d'institutionnaliser les programmes en faveur des médicaments prioritaires qui sont aujourd'hui développés par l'Agence européenne des médicaments. Ces programmes permettent en effet au développeur de bénéficier de conseils scientifiques en amont puis d'une procédure d'évaluation accélérée.

De même, la révision en continu des données scientifiques, qui a été mise en oeuvre pour accélérer l'évaluation des vaccins contre la covid-19, mériterait d'être étendue à d'autres traitements.

De telles mesures destinées à accélérer la délivrance des autorisations de mise sur le marché doivent concerner les traitements potentiels visant des besoins médicaux non satisfaits et pouvant apporter un bénéfice substantiel au patient.

En parallèle, il faut également permettre d'accélérer la mise sur le marché effective du médicament. En effet, une fois l'autorisation de mise sur le marché obtenue, les États membres doivent encore évaluer l'efficacité relative de ce médicament, puis en fixer le prix et les conditions de remboursement. Cela engendre des délais supplémentaires qu'il convient de raccourcir.

Il importe donc que la Commission organise un dialogue entre les différentes parties prenantes - les autorités compétentes chargées de délivrer l'autorisation de mise sur le marché, les organismes d'évaluation des technologies de la santé et les organismes payeurs - afin de déterminer le plus en amont possible les études qui seront demandées au développeur du médicament et les possibilités d'harmoniser ces demandes.

Enfin, le médicament de demain devra être plus respectueux de l'environnement. Dans ce but, la Commission devra renforcer l'investissement dans la recherche pour développer des médicaments moins nocifs pour l'environnement. Des exigences réglementaires nouvelles en matière d'évaluation des risques pour l'environnement devront être introduites dans la législation.

Mme Laurence Harribey , rapporteure . - La pénurie de médicaments est un défi auquel sont confrontés tous les États membres de l'Union. Pour 87 % d'entre eux, la situation s'est même aggravée entre 2018 et 2019. Ces pénuries affectent principalement les médicaments anciens et ont de lourdes conséquences sur la santé des patients. Elles ont de multiples causes, ce qui complique l'action publique destinée à les éviter.

Un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et du Conseil général de l'économie (CGE) sur les vulnérabilités d'approvisionnement en produits de santé, qui a été remis au Commissariat général au plan, distingue trois principales sources d'insuffisance dans la fourniture de médicaments.

La première est le défaut qualité : la production n'atteint pas les objectifs en termes de conformité technique ou de délais prévus, ce qui peut résulter de causes internes telles qu'un défaut de l'appareil de production, une erreur humaine ou de causes externes comme la défaillance d'un fournisseur.

La deuxième source d'insuffisance de médicaments consiste en des arrêts de fabrication pour cause de rentabilité insuffisante.

Enfin, la troisième cause peut tenir à une erreur de prévision de la demande ou à une restriction d'accès au marché pour des raisons réglementaires.

Cette analyse confirme qu'il faut agir dans plusieurs directions pour limiter les pénuries.

D'abord, la Commission doit en donner une définition. Il en existe une depuis cette année, dans la législation européenne, mais uniquement dans un cadre d'urgence de santé publique : c'est une situation dans laquelle l'offre d'un médicament qui est autorisé et mis sur le marché dans un État membre ne répond pas à la demande de ce médicament au niveau national, quelle qu'en soit la cause. La législation française, quant à elle, définit la rupture d'approvisionnement, cette fois dans un cadre général, comme l'incapacité pour une pharmacie de dispenser un médicament à un patient dans un délai de soixante-douze heures, après avoir effectué une demande d'approvisionnement auprès de deux entreprises exerçant une activité de distribution de médicaments. Les États membres de l'Union devront donc s'accorder sur une définition commune.

Deuxième piste : définir la notion de médicament critique. Dans leur rapport, l'IGAS et le CGE proposent une méthodologie intéressante, dont la Commission européenne pourrait s'inspirer, consistant à croiser deux catégories de données. Dans un premier temps, il s'agit d'identifier avec des cliniciens l'intérêt thérapeutique majeur et le caractère irremplaçable de certains médicaments, ce qui permet d'évaluer leur criticité sur le plan clinique. Dans un second temps, les données ainsi obtenues devraient être croisées avec les caractéristiques de vulnérabilité des chaînes de production de ces produits, en prenant en compte le nombre d'exploitants, de fournisseurs et de sites de production, ainsi que la localisation de la fabrication des principes actifs et des produits finis, analyse qui permettrait d'évaluer la criticité sur le plan industriel. Cette méthode semble correspondre à la vision de l'Agence européenne des médicaments qui, lors de son audition, a mentionné plusieurs critères à prendre en compte pour établir une liste de médicaments critiques : l'intérêt thérapeutique, les alternatives en Europe et la vulnérabilité de la chaîne d'approvisionnement. Cette liste de médicaments critiques devrait être établie sous l'autorité de l'Agence européenne des médicaments, et validée par la Commission et les États membres par le biais d'un acte d'exécution.

Troisième piste, la mise en place d'un système d'information permettant aux autorités compétentes des États membres et aux entreprises de l'industrie pharmaceutique de signaler les ruptures potentielles ou effectives. Les États membres pourront alors mettre en place les mesures nécessaires pour gérer ou anticiper les pénuries de médicaments critiques. La plateforme en cours de développement pour gérer les pénuries en cas d'urgence de santé publique trouverait ainsi une utilité dans un cadre plus général.

D'autres mesures permettraient d'anticiper et de gérer au mieux les pénuries. D'un point de vue réglementaire, il est nécessaire de simplifier les modifications d'autorisation de mise sur le marché (AMM) lorsque celles-ci concernent une question liée au processus de fabrication. Par ailleurs, en cas de rupture d'approvisionnement pour les médicaments critiques, des notices numériques pourraient être utilement établies pour ces médicaments et délivrées aux patients pour faciliter la circulation des médicaments entre États membres de l'Union européenne.

De plus, les obligations des titulaires d'AMM doivent être renforcées. Il leur appartient tout d'abord d'identifier les risques de qualité liés à leur production : d'une part, des risques de qualité internes qui concernent le processus de fabrication et les outils de production ; d'autre part les risques de qualité externes relatifs aux fournisseurs.

Face à ces risques, il incombe aux titulaires d'AMM d'élaborer des plans de continuité d'activité. La maintenance de l'outil de production et, dans la mesure du possible, la diversification des approvisionnements sont autant de moyens de limiter les risques. En parallèle, les titulaires d'autorisation de mise sur le marché devront élaborer des plans de gestion des pénuries pour les médicaments critiques.

Nous suggérons aussi une obligation de stocks à l'échelle de l'Union européenne, accompagnée d'un soutien financier aux entreprises pharmaceutiques.

Enfin, la pandémie a mis en avant les difficultés de l'Union européenne à répondre aux besoins des patients de manière autonome. L'Agence européenne des médicaments évalue à 40 % la part des médicaments finis commercialisés dans l'Union européenne provenant de pays tiers. Par ailleurs, 80 % des fabricants de substances pharmaceutiques actives utilisées pour des médicaments disponibles en Europe sont établis en dehors de l'Union, contre 20 % il y a trente ans.

Cette perte d'indépendance risque de se matérialiser par une pénurie en cas de crise internationale. On observe une demande de médicaments de plus en plus forte en Asie du Sud-Est, alors que le prix relativement bas des médicaments dans certains États membres de l'Union, dont la France, rend ces marchés moins attractifs. En cas de pénurie conjoncturelle mondiale liée, par exemple, au défaut d'un fournisseur ou à une hausse de la demande, la logique patriotique des États producteurs de médicaments fait que l'Union ne serait pas prioritaire pour recevoir les médicaments nécessaires, surtout si les prix y sont inférieurs. Ainsi, si l'éloignement de la production du territoire de l'Union n'est pas la cause première de la pénurie, il place l'Union européenne dans une situation de dépendance vis-à-vis d'États tiers.

Différents interlocuteurs des rapporteurs ont confirmé qu'il n'est pas envisageable de produire toute la pharmacopée dans l'Union. Cependant, il demeure indispensable de sécuriser l'approvisionnement des médicaments critiques, d'où l'importance de les définir. Pour assurer l'autonomie stratégique ouverte de l'Union européenne, il faut des mesures d'incitation financière et fiscale pour le maintien ou la relocalisation des sites de production en Europe. Cela passe par la conduite d'une vraie politique industrielle, comme l'Union européenne est en train de le faire pour les semi-conducteurs. Les aides ne doivent cependant pas se concentrer sur la production de médicaments innovants : elles doivent également faciliter la relocalisation de tous médicaments exposés à des ruptures d'approvisionnement.

Toute aide publique devrait donc avoir pour objectif principal de répondre aux besoins des patients et être conditionnée à des obligations d'approvisionnement. En outre, il faudrait envisager des partenariats public-privé pour la production de médicaments critiques, dans le respect du droit des brevets. En France, c'est un partenariat de ce type qui a permis la production de curare pendant la pandémie ; aux États-Unis, le projet Civica consiste à faire produire par neuf cents hôpitaux sur l'ensemble du territoire les médicaments régulièrement exposés à des tensions d'approvisionnement.

Mme Pascale Gruny , rapporteur . - Je prends le relais pour aborder la question du prix. Le prix des médicaments diminue pour les médicaments anciens et augmente pour les médicaments les plus innovants. Dans les deux cas, une régulation est nécessaire.

Le prix des médicaments innovants les plus récents ne peut s'apprécier sans prendre en compte les coûts élevés liés à la recherche. Le développement d'un nouveau médicament est un processus à la fois long, coûteux et risqué. C'est la raison pour laquelle le droit de la propriété intellectuelle garantit aux laboratoires que leur invention sera protégée durant un certain temps, leur permettant ainsi de rentabiliser leurs investissements. Ainsi, le brevet confère à son titulaire un monopole d'exploitation pour vingt ans à compter de la date de dépôt de la demande de brevet ; le certificat complémentaire de protection permet de le prolonger à proportion de la période écoulée entre la date du dépôt de la demande de brevet et la date de première autorisation de mise sur le marché.

Concernant la propriété intellectuelle, nous faisons trois propositions principales.

La première concerne les certificats complémentaires de protection. Le régime de ces certificats est pertinent ; c'est sa mise en oeuvre par les États membres qui se traduit par un manque de transparence et de prévisibilité freinant aussi bien les innovateurs que les fabricants de génériques. Il convient donc d'engager une réflexion pour harmoniser les systèmes de délivrance des certificats complémentaires de protection au sein de l'Union européenne, et ainsi apporter une protection juridique efficace sur l'ensemble du territoire de l'Union.

De plus, face à la hausse croissante du prix des médicaments innovants, la Commission européenne s'est engagée à présenter des dispositions afin d'accroître la transparence sur les coûts de la recherche. Nous souhaiterions aller plus loin : la Commission devrait présenter des lignes directrices à l'attention des autorités compétentes des États membres et des laboratoires pharmaceutiques afin de leur permettre de déterminer un prix juste et équitable pour les médicaments innovants.

Ce prix devra prendre en compte les coûts de recherche et de production, mais aussi les avantages qu'apporte ce médicament en termes d'économies pour le système de santé et de gain pour le patient en nombre d'années de vie en bonne santé. Le prix doit aussi tenir compte du produit intérieur brut (PIB) rapporté au nombre d'habitants de l'État membre concerné et de la capacité du traitement à répondre à un besoin médical non satisfait.

En absence d'accord sur le prix, l'autorité compétente de l'État membre concerné ou le laboratoire pourront solliciter la Commission pour la conduite d'un audit, avec l'accord des deux parties, prenant en compte la situation financière de l'entreprise et les résultats du médicament en question.

Si le désaccord persiste pour la détermination du prix et que le médicament est destiné à traiter un besoin médical non satisfait, nous proposons que les entreprises produisant le médicament en question soient tenues d'accorder à un organisme public ou à un fabricant de génériques le droit de le commercialiser et de le vendre, dans des conditions de licence équitables et raisonnables. Cette disposition serait mise en oeuvre en dernier recours.

Enfin, pour les médicaments orphelins, le déposant d'un brevet bénéficie d'une exclusivité commerciale pendant dix ans, les États membres et la Commission s'engageant à ne pas délivrer d'autorisation de mise sur le marché pour un médicament similaire avec la même indication thérapeutique durant cette période.

Pour encourager le développement de médicaments pédiatriques, le certificat complémentaire de protection est prorogé de six mois lorsque le titulaire du brevet a effectué les recherches prévues dans le cadre d'un plan d'investigation pédiatrique déposé en même temps que la demande d'autorisation de mise sur le marché. Il est nécessaire de revoir la législation régissant la mise sur le marché des médicaments pédiatriques et des médicaments orphelins pour renforcer les incitations des entreprises à investir dans ce domaine. La période d'exclusivité accordée au titulaire du brevet, pour les médicaments orphelins, devrait être modulée et éventuellement portée au-delà de dix ans lorsque la commercialisation risque de ne pas engendrer un bénéfice équitable, notamment dans le cas où le médicament est uniquement destiné au traitement d'une maladie rare. De même, il est nécessaire de renforcer particulièrement les incitations au développement de traitements contre les maladies pédiatriques lorsque ces traitements sont exclusivement réservés aux enfants.

Je rends la parole à ma co-rapporteure pour vous présenter d'autres mesures visant à rendre les médicaments plus abordables.

Mme Laurence Harribey , rapporteure . - Contrairement à ce que l'on pourrait penser, continuer à faire baisser les prix des médicaments anciens n'est pas de nature à en favoriser l'accès. La logique des États membres qui souhaitent diminuer le coût des médicaments pour limiter la dépense publique se comprend, mais la politique de recherche permanente du prix le plus bas fragilise le tissu industriel européen.

Ainsi, les marchés publics pour l'achat de gros volumes contribuent à raréfier l'offre de médicaments. En effet, le recours à des marchés publics pour l'approvisionnement en médicaments dont le brevet est tombé dans le domaine public ne favorise pas le maintien en activité des sites des producteurs concurrents qui n'obtiennent pas le marché. Le système des marchés publics génère, selon que le producteur devient titulaire du marché ou non, une hausse ou une chute brutale de sa production nécessitant une redéfinition des moyens industriels, ce qui n'est pas compatible avec un approvisionnement fluide et anticipé. En outre, les critères liés aux appels d'offres devraient désormais intégrer la sécurité des approvisionnements et de nouvelles normes écologiques, qui se traduiront nécessairement par une augmentation du prix.

Il existe d'autres moyens de diminuer le prix des médicaments. Ainsi la Commission européenne souhaite renforcer la coopération entre États membres pour la négociation du prix des médicaments. BeNeLuxA est une initiative conjointe associant la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l'Autriche et l'Irlande dans le but de conduire des évaluations communes des technologies de la santé et de négocier en commun le prix de certains médicaments, notamment les plus innovants. Ces initiatives, quand elles sont volontaires, doivent être soutenues.

La deuxième piste consiste à poser les bases d'une solidarité européenne dans le domaine de la santé. La Commission devra réfléchir à un mécanisme de solidarité permettant la mise sur le marché de médicaments destinés à des besoins médicaux non satisfaits lorsque, malgré un prix juste et équitable proposé par le laboratoire, les ressources de l'État membre, évaluées notamment au regard de son PIB par habitant, paraissent insuffisantes pour en permettre l'achat. À cette fin, un fonds de solidarité européen pourrait être activé sous le contrôle de la Commission et des États membres pour financer une quote-part à déterminer du prix. Pour éviter tout effet d'aubaine, cette mesure devra naturellement s'accompagner d'un renforcement de l'encadrement des exportations parallèles.

Enfin, les médicaments génériques et biosimilaires jouent un rôle essentiel pour favoriser l'accès aux médicaments. Aujourd'hui, 40 % des médicaments consommés en France sont des génériques. Or les fabricants ont mentionné, lors de leur audition, des pratiques déloyales mises en oeuvre par les fabricants de princeps pour retarder l'accès aux marchés des médicaments génériques. Il appartient donc à la Commission de garantir une concurrence équitable sur le marché.

Voilà nos remarques et propositions à la suite de la publication par la Commission européenne de sa stratégie pharmaceutique pour l'Europe. Pascale Gruny le disait, notre objectif est de mettre le patient au coeur de cette stratégie pour permettre l'accès au médicament, sans parti pris dogmatique et sans prisme uniquement économique.

M. Jean-François Rapin , président . - Merci pour cet excellent travail, entamé en mai dernier. Ce que j'avais dit dans le cadre de la Conférence sur l'avenir de l'Europe en mars et en avril derniers cadrait parfaitement avec vos préconisations qui sont bien plus précises.

Pour ce qui concerne la production, je vous suis entièrement : nous devons tâcher de produire à nouveau des substances actives en Europe, mais le plus important réside dans la reconstitution de nos stocks stratégiques. Ne nous leurrons pas, nous n'arriverons pas à re-produire rapidement des médicaments sur notre sol. Recréer un stock stratégique doit donc être la priorité, comme nous l'avons vu avec les masques.

Mme Laurence Harribey , rapporteure . - Il y a des aberrations, telles que l'abandon de l'instauration d'un soutien à la production des entreprises dès que les besoins ont été satisfaits. Nous étudions la question du soutien à la production industrielle dans notre rapport.

M. Jean-François Rapin , président . - C'est vrai pour l'industrie dans son ensemble. Il faut être réaliste : notre outil industriel doit satisfaire, autant que possible, nos besoins, mais nous devrons aussi créer des stocks stratégiques.

M. André Reichardt . - J'aurai deux observations.

Premièrement, cette thématique est essentielle pour la population européenne ; nous avons tous rencontré des personnes recherchant, sans succès, tel ou tel médicament. Ce n'est pas le premier rapport du Sénat sur le sujet, mais les choses ne semblent pas s'améliorer. Or le fait de résoudre les problèmes de pénurie et d'accès au médicament renforcerait la crédibilité des institutions européennes auprès des citoyens. L'Union européenne apporterait une véritable plus-value sur cette question.

Deuxièmement, nous ne regagnerons probablement pas immédiatement notre souveraineté en matière de production de médicaments en Europe, mais je crains que la solution intermédiaire des stocks ne constitue qu'un cataplasme sur une jambe de bois. La seule solution pérenne consiste à retrouver une souveraineté aussi rapidement que possible en Europe. C'est un travail de long terme, mais cette action doit être prioritaire parmi celles menées par l'Union européenne.

M. Jean-François Rapin , président . - En ce qui concerne les thérapeutiques innovantes, comme les médicaments biosimilaires ou les immunothérapies, l'Europe a une carte à jouer pour produire sur son territoire des médicaments issus, pour partie, de sa propre recherche. En effet, ce sont de nouvelles chaînes à créer, non des productions à relocaliser. Or l'avenir est là. Par exemple, les laboratoires n'investissent plus dans les médicaments antihypertenseurs - on a fait le tour de la question -, mais ils investissent dans des recherches sur un traitement amont, afin d'empêcher l'apparition de ces maladies.

Mme Amel Gacquerre . - Ce rapport peut être relié à celui portant sur la souveraineté économique publié en juillet dernier au Sénat, qui a mis en lumière les pénuries de médicaments. Le phénomène est ancien puisque dès 2019, 530 médicaments « essentiels » manquaient déjà. Ce rapport soulignait également notre grande dépendance vis-à-vis de la Chine et de l'Inde. À courte échéance, il faut recréer des stocks, mais également diversifier nos sources d'approvisionnement, notamment de principes actifs. À terme, il conviendra de relocaliser leur production.

Autre sujet important, celui des compétences. Nous avions évoqué dans un autre rapport la question des besoins d'emplois industriels à horizon 2030, notamment dans l'industrie pharmaceutique. Nous avions souligné une particularité française : l'image dégradée de l'emploi pharmaceutique par rapport à l'emploi dans le secteur numérique. Or cette question est clef.

Mme Patricia Schillinger . - La commission des affaires sociales alerte depuis des années sur les risques de pénurie et les enjeux d'approvisionnement, y compris en vaccins.

Je veux évoquer la question des médicaments expérimentaux, qui ne sont pas encore sur le marché, comme pour le traitement du cancer des enfants. Nous n'arrivons pas, en Europe, à y accéder, parce que les grands groupes mènent plutôt leurs expérimentations aux États-Unis. Serait-il possible et pertinent de créer un fonds pour accéder à certains de ces médicaments, quitte à se faire traiter chez nos voisins ? J'ai tenté plusieurs fois d'intervenir en faveur d'enfants malades, mais sans succès.

M. Jean-Michel Houllegatte . - L'industrie du médicament générique est en grande difficulté du fait de la crise énergétique. Un appel au secours a été lancé pour rendre les industriels éligibles au fonds de soutien mis en place par le Gouvernement, car le gaz reste indispensable pour la fabrication de médicaments. On évoque même un risque de pénurie de médicaments dès cet hiver.

M. Jean-François Rapin , président . - Effectivement, madame Schillinger, c'est une question à laquelle nous sommes fréquemment confrontés. Je le constate en tant que médecin, notamment lorsqu'il existe, aux États-Unis ou en Suisse, un médicament expérimental permettant de soigner telle ou telle maladie rare. Dès lors que l'autorisation de mise sur le marché n'a pas été délivrée en France, les gens se trouvent démunis. On organise alors des levées de fonds, mais, une fois la somme réunie, il est parfois trop tard.

Il convient donc de mener une réflexion à l'échelle européenne sur le sujet, via un fonds ou au travers d'une mise en commun des moyens, sans pour autant abandonner notre prédominance intellectuelle sur le sujet et sans renoncer à n'accorder une AMM qu'aux médicaments apportant un réel bénéfice thérapeutique. Cela prend du temps en France, mais les erreurs y sont rarissimes.

Mme Pascale Gruny , rapporteur . - Merci de votre intérêt pour ce rapport.

Nous sommes tous concernés par la question. Ce que nous avons constaté, pendant la crise sanitaire, c'est que les Français et nombre d'Européens demandaient plus d'Europe, d'autant que les frontaliers savent souvent comment les choses se passent dans les pays voisins et ne comprennent pas toujours pourquoi c'est différent en France. Je le rappelle, la santé n'est pas une compétence exclusive de l'Union européenne, c'est une compétence partagée.

Oui, monsieur Reichardt, ce sujet, c'est l'Europe concrète, par opposition aux sujets très complexes, y compris pour des sachants, que l'on aborde souvent quand il s'agit d'Union européenne.

L'enjeu de souveraineté est effectivement premier. Chacun a pu mesurer l'ampleur de notre perte de souveraineté. La recherche permettra de reconstruire celle-ci au sein de l'Union européenne, mais cela coûte cher, cela dure longtemps et il arrive que des projets lancés n'aient plus de financements après une certaine durée. Donc, un effort important doit être engagé en faveur de la recherche avec davantage de coopération entre les États membres.

Je souscris aux propos sur les pénuries, mais également sur les médicaments innovants et les besoins médicaux non satisfaits en cas de maladie rare.

Oui, nous devons reconstituer nos stocks stratégiques, mais les entreprises ne sont pas des organismes à but non lucratif. Or les stocks coûtent cher. Nous avons donc proposé un accompagnement financier ou fiscal des entreprises.

Pour ce qui concerne l'emploi, la question de la formation est abordée dans le rapport et dans l'avis politique (point 116). Le problème relatif à l'attrait du numérique est général, il ne concerne pas que la pharmacopée. Nous souffrons d'une concurrence très forte, non seulement au sein de l'Union européenne - on retrouve beaucoup de Français au Danemark, par exemple -, mais également avec les États-Unis, où les salaires de nos jeunes sont colossaux.

Mme Laurence Harribey , rapporteure . - Nous avons les compétences, mais, étant donné que le secteur est extrêmement mondialisé, elles ne se trouvent pas sur des sites français. Nous sommes à la croisée des chemins : il existe une crise du recrutement, car la génération qui arrive cherche du sens. Les industries pharmaceutiques le ressentent, je vous renvoie à un article récent du journal Le Monde à ce sujet.

Le problème de l'Europe dans le domaine de la santé est que ses compétences sont limitées. Elles se sont développées dans deux domaines : le marché unique, ce qui explique le prisme dominant de la libre circulation des médicaments, et la recherche, financée sans continuité du fait du système des appels d'offres et à projets. La crise l'a montré, il va falloir faire évoluer ces compétences ; le domaine de la sécurité sociale est, pour lors, du ressort des États membres, et dépend de ce fait de systèmes complexes.

Mme Patricia Schillinger . - L'absence d'accords bilatéraux dans le domaine de la santé est inquiétante pour les transfrontaliers.

La commission autorise la publication du rapport d'information et adopte, à l'unanimité, l'avis politique disponible en ligne sur le site du Sénat qui sera adressé à la Commission européenne.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

• Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

Guillaume FUSAI, responsable Affaires Européennes

Hélène ESPEROU, responsable du pôle Recherche Clinique

Anne-Sophie ETZOL , chargée des affaires institutionnelles

• Association pour la recherche de thérapeutiques innovantes en cancérologie (ARTIC)

Magdalena KAMINSKA, responsable administrative

Salma KOTTI , directrice de la transformation stratégique et opérationnelle

• Audition portant sur le rapport intitulé « les vulnérabilités en approvisionnement en produits de santé » rédigé à la demande du Haut-Commissariat au Plan

Dominique GIORGI, auteur du rapport et membre l'Inspection générale des affaires sociales

Thierry de MAZANCOURT, auteur du rapport et membre du Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies

Robert PICARD, auteur du rapport et membre du Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies

Philippe LOGAK, rapport général au Haut-commissariat au plan

Baptiste PETITJEAN , conseiller au Haut-commissariat au plan

• Haute Autorité de santé (HAS)

Lise ALTER, directrice de la direction de l'évaluation et de l'accès à l'innovation

• Comité économique des produits de santé (CEPS)

Philippe BOUYOUX, président

Jean-Patrick SALES, vice-président

• CEVA Santé animale

Marc PRIKAZSKY , président directeur général

• Association Mieux prescrire

Pierre CHIRAC , responsable de rubrique au sein de la revue Prescrire

Rita KESSLER, chargée des affaires européennes

• Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)

Christelle RATIGNIER-CARBONNEIL, directrice générale

Carole LE SAULNIER , directrice des affaires juridiques et réglementaires

Mélanie CACHET, directrice adjointe de la direction de l'inspection

• Institut national du cancer

Norbert IFRAH , président

Thierry BRETON , directeur général

• Gemme (Générique, même médicament)

Catherine BOURRIENNE-BAUTISTA, déléguée générale

Michael BISMUTH, délégué générale adjoint

Jean-Louis ANSPACH, vice-président biosimilaires

Sébastien MICHEL, vice-président affaires publiques et juridiques

Julie MARECHAL-JAMIL, membre de Medecines for Europe (association européenne dont fait partie Gemme)

• Agence européenne des médicaments (EMA)

Alexis NOLTE , chef de la division des médicaments humains

• Commission européenne

Andrzej RYS , directeur des systèmes de santé, des produits médicaux et de l'innovation

• Les entreprises du médicament (LEEM)

Philippe LAMOUREUX, directeur général

Laurent GAINZA, directeur des Affaires publiques

Fabrice MEILLIER, responsables Affaires publiques Europe-International

Loick LANDOUZY, chargé de mission affaires publiques

A répondu à un questionnaire écrit : Mme Carine Wolf-Thal, présidente de l'Ordre national des pharmaciens


* 1 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020DC0761&from=EN - COM(2020) 761 final

* 2 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020DC0761&from=EN - COM(2020) 761 final

* 3 COM(2020) 725, COM(2020) 726 et COM(2020) 727 final, et COM(2021) 577 final

* 4 http://www.senat.fr/leg/tas20-067.html , http://www.senat.fr/leg/tas20-068.html http://www.senat.fr/leg/tas20-069.html et http://www.senat.fr/leg/tas21-062.html

* 5 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32021R0695&from=FR

* 6 https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0470_FR.pdf

* 7 https://health.ec.europa.eu/system/files/2021-02/eu_cancer-plan_fr_0.pdf - COM(2021) 44 final

* 8 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:02000R0141-20190726&from=LV

* 9 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:02006R1901-20190128&from=EN

* 10 https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:e9a9fff0-dbd9-11ea-adf7-01aa75ed71a1.0001.02/DOC_1&format=PDF - document SWD(2020) 163

* 11 https://health.ec.europa.eu/system/files/2016-11/reg_2014_536_fr_0.pdf

* 12 En France, la loi Jardé du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine distingue, d'une part, les recherches interventionnelles impliquant les patients parmi lesquelles celles qui comportent des risques et contraintes minimes (catégorie 2) et celles qui passent par des interventions sur la personne non justifiées par leur prise en charge habituelle et qui nécessitent l'administration d'un médicament expérimental (catégorie 1), et d'autre part, les recherches non interventionnelles (catégorie 3) qui concernent les recherches qui ne comportent aucun risque ni contrainte et qui ne modifient pas la prise en charge des patients.

* 13 Le terme « pénurie » est une traduction du mot anglais « shortage » qui figure dans les textes européens. Il s'agit en réalité d'une « rupture d'approvisionnement » qui est le terme utilisé par les textes réglementaires français.

* 14 https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:9ac56db8-24e6-11eb-9d7e-01aa75ed71a1.0019.02/DOC_1&format=PDF

* 15 Dans l'attente de cette adoption, la notion d'urgence de santé publique est définie par la décision n° 1082/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 relative aux menaces transfrontières graves sur la santé.

* 16 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32022R0123&from=FR

* 17 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000032958454

* 18 https://www.pgeu.eu/wp-content/uploads/2019/03/PGEU-Medicine-Shortages-Survey-Results-2019.pdf

* 19 https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-penuries-de-medicaments-devant-la-responsabilite-criante-des-laboratoires-les-pouvoirs-publics-doivent-sortir-de-leur-complaisance-n84943/?dl=64659

* 20 Sanofi a évoqué des difficultés de production pour justifier sa décision.

* 21 https://igas.gouv.fr/IMG/pdf/2021-058r-rapport-d.pdf

* 22 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32001L0083

* 23 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32004R0726&from=FR

* 24 Rapport du Sénat n° 737 (2017-2018) de M. Jean-Pierre Decool

* 25 COM(2021) 577 final

* 26 https://eur -lex.europa.eu/summary/chapter/competition.html?root_default=SUM_1_CODED%3D08&locale=fr

* 27 https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/legal_f.htm

* 28 http://www.senat.fr/commission/missions/penurie_de_medicaments_et_de_vaccins/index.html

* 29 https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/31142_dicom_pe_nurie_de_me_dicamentsv8.pdf

* 30 https://civicarx.org/

* 31 https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:152:0001:0010:FR:PDF

* 32 SWD (2020) 293 final

* 33 https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:e9a9fff0-dbd9-11ea-adf7-01aa75ed71a1.0001.02/DOC_1&format=PDF - document SWD(2020) 163

* 34 https://www.leem.org/sites/default/files/2021-10/BilanEco2021.pdf

* 35 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32021R2282&from=FR

* 36 http://www.senat.fr/leg/tas17-087.html

* 37 https://beneluxa.org/statements

* 38 Rapport n° 737 (2017-2018) de M. Jean-Pierre Decool, fait au nom de la mission d'information sur la pénurie de médicaments et de vaccins du Sénat

* 39 https://jamanetwork.com/journals/jamainternalmedicine/fullarticle/2653012

* 40 https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2004:136:0034:0057:FR:PDF

* 41 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52019DC0017&qid=1548956127051&from=FR

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