PARTIE III : LA DIRECTIVE ÉTABLIT UN CADRE JURIDIQUE NÉCESSAIRE MAIS QUI PEUT ÊTRE AMÉLIORÉ

Les rapporteurs considèrent que le cadre juridique que la Commission propose d'établir par la directive - bien qu'imparfait - est nécessaire pour réguler le développement des plateformes et encadrer les conditions de travail des travailleurs en relevant.

Elles n'ignorent pas la difficulté de légiférer sur un tel sujet. La Commission européenne, tout comme chaque législateur national, est face à une équation complexe : il s'agit d'encadrer juridiquement un modèle économique innovant, sans en freiner le développement. Il faut effectivement encadrer ses dérives sans empêcher l'expansion d'une économie numérique qui répond à une demande et qui a des atouts, notamment en termes d'accès au marché du travail des publics les plus éloignés de l'emploi.

Les rapporteurs saluent donc le principe de cette proposition de directive, mais y voient aussi certains axes d'amélioration possibles.

I. LE TEXTE RÉPOND À LA NÉCESSITÉ D'ÉTABLIR UN CADRE JURIDIQUE EUROPÉEN FACE AUX RISQUES DE « L'UBÉRISATION » ET À LA MULTIPLICATION DES CONTENTIEUX EN EUROPE

A. FIXER UN CADRE EUROPÉEN POUR UNE MEILLEURE SECURITÉ JURIDIQUE : UN OBJECTIF LOUABLE ET NÉCESSAIRE

La question du statut et des conditions de travail des travailleurs de plateforme concerne - comme indiqué précédemment - tous les pays de l'Union européenne, et même au-delà, toutes les économies occidentales.

Au vu de la multiplication et de la diversité de la jurisprudence et des législations sur le sujet, établir un cadre européen s'impose comme une nécessité.

Jusqu'ici, seul un petit nombre d'États membres de l'Union ont adopté une législation nationale visant à améliorer les conditions de travail et/ou l'accès à la protection sociale dans le cadre du travail via une plateforme. Le plus souvent, la législation nationale ne s'est attaquée qu'indirectement aux difficultés soulevées par le travail via une plateforme, ou s'est concentrée uniquement sur certains secteurs, en particulier les services de VTC et de livraison.

Cette proposition de directive européenne vise justement à apporter une meilleure sécurité juridique aux différents acteurs. Bien que les rapporteurs s'interrogent sur la réalité de la baisse du contentieux qui en résulterait, du moins à court terme, elles soutiennent et jugent nécessaire le cadre juridique apporté par cette directive. À cet égard, la Commission européenne a reconnu qu'il pourrait y avoir une croissance des procédures devant les juridictions à court terme, mais que le nombre de litiges devrait décroître à long terme, à la faveur d'une clarification et d'une stabilisation de l'ordre juridique.

Les rapporteurs saluent le choix de la Commission de ne pas avoir établi un troisième statut dans son texte. Les exemples européens comme l'Italie, l'Espagne ou le Royaume-Uni prouvent, en effet, que la création d'un tel tiers-statut n'est pas la panacée, puisqu'elle n'a pas empêché ces pays de connaître de nombreuses actions en requalification. Pire, il semblerait que ce troisième statut ajoute de la complexité juridique et tende à fragiliser les travailleurs précaires.

Par ailleurs, les rapporteurs ne peuvent que saluer l'objectif de cette directive de créer des conditions de concurrence équitables entre les plateformes et les entreprises traditionnelles qui emploient des travailleurs salariés. Le but est que les plateformes ne puissent plus disposer d'un avantage concurrentiel indu par rapport aux entreprises traditionnelles, en qualifiant abusivement de non-salariés les travailleurs des plateformes pour ne pas avoir à assurer l'exercice des droits et verser les prestations sociales dont ces travailleurs devraient légitimement bénéficier et ainsi réduire leurs coûts.

Les rapporteurs soulignent aussi un autre effet collatéral positif susceptible de découler de la directive : la Commission européenne estime que les États membres recevront entre 1,6 et 4 milliards d'euros de recettes annuelles supplémentaires (cotisation sociales et impôts), dont 328 à 780 millions pour la France.36(*)


* 36 Toutefois la DGE estime, s'agissant de la France, que cette estimation prend insuffisamment en compte les effets d'abattements de cotisations sociales patronales pour les rémunérations proches du SMIC. Elle considère que les effets de la directive en matière de cotisations sociales et impôts perçus devraient probablement être plus faibles, voire neutres: les hausses de taux de cotisation et de rendement de TVA étant plus ou moins compensées par l'effet des allègements généraux, les recettes publiques seraient relativement stables en cas de passage au salariat de ces travailleurs.