B. L'OUVERTURE PROGRESSIVE À LA CONCURRENCE DEVRAIT PROGRESSIVEMENT DÉGRADER LE RATIO DÉMOGRAPHIQUE ET POSER LA QUESTION DE LA FERMETURE DU RÉGIME
1. Une ouverture à la concurrence progressivement mise en oeuvre à compter de 2025
a) L'ouverture à la concurrence du mode Bus dès 2025 devrait se traduire par d'importants transferts de personnels
En application du règlement n° 1370/2007/CE du 23 octobre 2007 du Parlement européen et du Conseil relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports a prévu la mise en concurrence de l'exploitation des réseaux de la RATP à compter du :
- 31 décembre 2024 pour les services réguliers de transport routier (mode Bus) ;
- 31 décembre 2029 pour les services réguliers de transport par tramway ;
- 2040 pour les autres services réguliers de transport guidé (Métro et Réseau express régional - RER).
Les nouvelles lignes de transport parisien sont, quant à elles, d'ores et déjà ouvertes à la concurrence, à l'image des tramways T9, T10 ou des futures lignes de métro du grand Paris 11 ( * ) . La gestion de l'infrastructure continue, de son côté, à relever du monopole de la RATP, sans limite de temps.
Contrairement à la SNCF, l'ouverture à la concurrence n'est pas doublée d'une fermeture du recrutement sous statut.
S'agissant du mode Bus , la RATP devra donc assurer le service jusqu'au 31 décembre 2024, et transférer dans les entreprises ayant gagné les lots les effectifs nécessaires à la continuité du service. Ainsi, tous les salariés concourant à l'activité Bus (directement ou indirectement soit environ 19 000 salariés) seront transférés dans les sociétés ayant remporté les appels d'offres. L'activité Bus de la RATP sera de son côté transférée au sein de sa filiale Cap Ile-de-France. À l'issue de ce transfert, le renouvellement des effectifs sera assuré par les repreneurs.
b) La mise en place d'un « sac à dos social »
Les agents concernés par l'ouverture à la concurrence devraient donc voir leur contrat de travail automatiquement transféré vers la filiale de la RATP ou une autre entreprise, ceux qui refuseraient ce transfert devant être licenciés par le repreneur. Les salariés concernés ne seront par conséquent plus sous contrat avec l'EPIC RATP, et ne bénéficieront plus du statut du personnel et de l'ensemble des dispositions de l'EPIC. La progression de carrière - passage des conducteurs du mode Bus vers le mode métro puis le mode RER - est également interrompue par ces transferts.
Le « sac à dos social », mis en place par la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM), prévoit cependant que les agents RATP transférés au sein des entreprises concurrentes ou de la filiale Cap-Ile-de-France, ainsi que leurs nouveaux employeurs, restent contributeurs du régime de retraite de la RATP.
En revanche, les personnels nouvellement embauchés, au sein de la filiale Cap Ile-de-France ou des entreprises concurrentes, seront couverts par la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs du 11 avril 1986 ou la Convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950. Il s'agit donc d'une première étape en vue d'une fermeture de fait du régime.
Les conséquences en termes de collecte n'ont pas encore été détaillées, la CRP RATP restant dans l'attente du contenu du décret d'application d e l'article L. 3111-16-9 du code des transports introduit par la loi LOM, relatif au maintien du régime spécial de retraite RATP pour les salariés statutaires RATP transférés à un nouvel employeur.
Les travaux d'instruction de ce décret dit « sac à dos social » ont débuté en décembre 2021 avec les ministères concernés (direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités, direction du budget, direction de la sécurité sociale), la caisse des retraites de la RATP et l'EPIC RATP. Dans ce cadre, des travaux actuariels sur la portabilité du régime spécial (détermination des taux, assiette et périodes de cotisations, du salaire de référence pris en compte, pension de réforme, correspondances entre catégories d'emploi etc.) Ces travaux techniques et juridiques seront suivis de concertations avec les deux branches professionnelles concernées (organisations patronales et salariales). La publication de ce décret est prévue à la fin du second semestre 2022.
Pour l'heure, seuls les tableaux des métiers ont été rapprochés via le décret n° 2021-1027 du 30 juillet 2021 relatif à l'information, à l'accompagnement et au transfert des salariés de l'EPIC RATP en cas de changement d'exploitant d'un service régulier de transport public par autobus ou autocar en Ile-de-France.
Celui-ci a créé l'article R. 3111-36-2 du code des transports, aux termes duquel sont identifiés trois groupements d'emplois afin de rassembler les différentes catégories d'emploi existantes :
- les emplois d'exploitation, de maintenance et les fonctions transverses concourant directement à la production, soit les activités opérationnelles nécessaires au service transféré ;
- les emplois relevant de spécialités techniques concourant indirectement à la production du service transféré, c'est-à-dire les emplois d'activités d'appui technique à la production du service transféré ;
- les emplois concourant indirectement aux activités du service transféré, soit les fonctions support.
S'agissant de l'organisme de recouvrement, il n'est pas prévu à ce stade que l'Urssaf Caisse nationale (ex-ACOSS) joue le rôle de « passerelle ». La CRP RATP souhaiterait, de son côté, pouvoir accéder, d'ici 2025, au répertoire de gestion des carrières unique (RGCU), qui regroupe les données élémentaires de carrière disponibles de tous les régimes, de base et complémentaires. Dans le même ordre d'idée, la caisse souhaiterait également utiliser la déclaration sociale nominative (DSN) afin d'intégrer au mieux les données transmises par les nouveaux employeurs.
c) La prise en compte de la pénibilité
Le travail en cours sur le décret d'application devrait aborder la question du calcul de la retraite, la prise en compte des primes et des points, les départs anticipés et les dispositifs de fin de carrière, l'éventuelle création d'un taux d'abattement, les modalités de réforme et la composition de la commission statuant sur ces situations ainsi que la prise en compte de la pénibilité.
Le transfert des agents de la RATP affectés au mode bus met en effet en lumière la question de la pénibilité. L'existence de contraintes spécifiques d'exploitation a conduit à la mise en place d'un cadre social territorialisé (CST), commun à tous les conducteurs opérant sur les lignes RATP appelées à être ouvertes à la concurrence. Le CST recense les règles propres, en matière de temps de travail et de repos (amplitude horaire, durée maximum de travail...), mais également les garanties offertes aux salariés (repos et congés).
Le CST peut se justifier compte tenu des particularités d'exploitation au regard de la densité de population exceptionnelle sur ce périmètre (20 641 habitants par km² à Paris, soit la sixième ville la plus dense au monde) et du rôle central de Paris dans la vie économique et sociale (60 % de l'ensemble des événements dits d'ordre public - manifestations, grands événements, voyages officiels - se déroulent sur le seul territoire de Paris). Ce rôle justifie notamment un fonctionnement continu du réseau.
Une étude comparative menée par la RATP et transmise à la rapporteure spéciale met en avant plusieurs spécificités du réseau parisien par rapport à celles des principales agglomérations de province :
- une fréquentation annuelle par ligne de bus trois fois supérieure à la moyenne et une fréquentation annuelle des bus ramenée à chaque agent roulant deux fois plus élevée ;
- deux tiers de l'ensemble des vols et agressions enregistrés dans les transports en commun ont lieu en Île-de-France ;
- le temps moyen passé par un conducteur dans les embouteillages est plus de deux fois plus élevé à Paris (65,3 heures) que dans toutes les autres villes françaises. Il est ainsi observé une variabilité des temps de parcours à Paris de plus de 50 % compte-tenu du trafic, soit plus de dix fois celle constatée en moyenne en province. Il n'est pas étonnant dans ces conditions qu'en moyenne, les réseaux de transport public de province présentent une vitesse commerciale un quart supérieure ;
- les intervalles entre deux passages de bus sont supérieurs de plus de 50 % sur les principaux réseaux de province aux heures de pointes du matin et du soir.
La rapporteure spéciale ne mésestime pas la spécificité du transport parisien et appuie la mise en oeuvre d'un cadre commun à tous les conducteurs de bus destiné à tenir compte des contraintes propres au métier. Elle souhaite cependant remettre en perspective les contraintes inhérentes au transport urbain à Paris et au sein de la petite couronne en rappelant les difficultés rencontrées par chauffeurs de transports de personnes, en particulier scolaires , dans les territoires , qu'il s'agisse de la faiblesse des salaires versés ou de l'amplitude horaire importante entre les trajets.
La rapporteure spéciale note, en outre, que la durée moyenne de versement des pensions directes servies aux conducteurs est relativement élevée : 26,1 années en 2020. Compte-tenu notamment d'un âge de départ relativement faible - 56,03 ans pour les pensions liquidées en 2021 - elle apparaît en phase avec l'espérance de vie constatée à 60 ans en 2021 par l'INSEE pour l'ensemble de la population française (23 ans pour les hommes).
De fait, au regard des données disponibles en matière d'espérance de vie des retraités de la RATP et des conditions de travail des agents d'autres sociétés de transports collectifs, la question de la pénibilité ne peut constituer la raison d'un maintien du régime spécial de la RATP.
2. Un ratio démographique appelé à se dégrader avant même la prise en compte des effets de l'ouverture à la concurrence
Le nombre total de cotisants au régime des retraites au sein de chacun des tableaux s'établissait à 40 182 au 1 er janvier 2022. Pour mémoire, le nombre de cotisants atteignait 42 803 en 2020, avant la mise en place d'un plan de départs volontaires.
La diminution du nombre de cotisants enregistrée au cours des derniers exercices tient également à une progression du nombre de licenciements et des ruptures conventionnelles au cours des derniers exercices.
Licenciements et ruptures conventionnelles mis en oeuvre au sein de l'EPIC RATP depuis 2010
Source : commission des finances du Sénat d'après les données transmises par la RATP
Ces départs peuvent interroger au regard du recours depuis le début de l'année 2022 à des retraités du régime pour assurer la conduite de bus (8 retraités depuis le début de l'exercice).
Cotisants à la CRP RATP au 1 er janvier 2022
Catégorie |
Effectifs |
S |
6 458 |
A1 |
464 |
A2 |
3 877 |
B |
29 383 |
Total |
40 182 |
Source : commission des finances du Sénat d'après les données transmises par la RATP
Il convient de rappeler à ce stade que seuls les salariés de l'établissement public RATP qui remplissent la condition d'âge à l'embauche (moins de 35 ans) bénéficient du statut du personnel RATP et sont affiliés au régime des retraites. Ainsi, au sein de l'EPIC, sur 46 826 salariés au 31 décembre 2020, seuls 41 908 disposaient du statut.
Les salariés des filiales de la RATP 12 ( * ) - 23 541 employés au 31 décembre 2021 - ne cotisent donc pas au régime spécial.
Le ratio démographique peut être calculé de deux manières :
- il peut représenter le nombre de cotisants par rapport au nombre de pensions directes et de pensions de réversion (ratio 1) ;
- il peut résulter du rapport entre nombre de cotisants et nombre de pensions directes auquel est ajouté la moitié du nombre de pensions de réversion (ratio 2).
La CRP RATP table sur une diminution des deux ratios démographiques à partir de 2035.
Évolution du ratio démographique de la CRP-RATP entre 2025 et 2050
Source : commission des finances du Sénat d'après les données transmises par la CRP RATP
Les études actuarielles sur les perspectives du régime spécial reposent cependant sur une hypothèse de stabilité du nombre de cotisants , ce qui devrait s'avérer inexact compte-tenu de l'ouverture à la concurrence d'une partie des activités de la RATP. Une telle option ne permet pas de disposer d'une évaluation fiable des incidences de cette ouverture sur l'avenir du régime et de son financement.
La RATP juge aujourd'hui prématurée d'évaluer le nombre de personnels transférés vers les entreprises concurrentes. Reste que le nombre d'employés du réseau Bus est d'ores et déjà connu et peut servir d'hypothèse de départ pour estimer une diminution à terme du nombre de cotisants.
La rapporteure spéciale relève en outre que les perspectives de recrutement à court terme renforcent l'impression de cette attrition. La RATP prévoyait de recruter 4 100 personnes en France en 2022, dont près de 3 400 en Ile-de-France et 500 en province dans les réseaux gérés par la filiale RATP Dev. La moitié des recrutements franciliens consisteraient en des contrats d'insertion et d'apprentissage. S'agissant du réseau bus, compte-tenu de l'incertitude entourant l'ouverture à la concurrence, l'EPIC n'a retenu qu'un chiffre de 400 contrats à durée indéterminée, qui contraste avec les 1 600 offres formulées en 2020 et les 1 400 offres présentées en 2019.
Recommandation n° 2 ( RATP, Caisse des retraites du personnel de la RATP ) : Présenter une évaluation des effets potentiels de l'ouverture à la concurrence sur le financement du régime des retraites de la RATP et son ratio démographique, en proposant plusieurs hypothèses d'évolution du marché des transports urbains à Paris et dans la petite couronne. |
* 11 L'organisation des transports terrestres de voyageurs en dehors de l'Île-de-France est déjà ouverte à la
concurrence depuis la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation du transport intérieur (LOTI).
* 12 RATP Participations et RATP Coopération ne disposent pas de salariés, RATP Cap Ile-de-France en comptabilise 1 128, RATP Développement 21 837 dont 4 973 en France. RATP Smart Systems emploie 351 personnes. Les autres filiales comptabilisent au total 225 salariés.