C. L'EXEMPLE ALLEMAND : ANTICIPER LA TRANSITION DÉMOGRAPHIQUE POUR LIMITER LES COÛTS STRUCTURELS ET AMÉLIORER LE TAUX D'ENCADREMENT
1. Une dépense d'éducation par élève plus faible en Allemagne, malgré le niveau plus élevé de rémunération des professeurs
a) La dépense d'éducation allemande par rapport au PIB est largement inférieure à la moyenne européenne
La dépense d'éducation allemande en valeur absolue est plus élevée que la moyenne européenne. En 2018, les dépenses cumulées par élève s'établissaient à 115 747 dollars en Allemagne, contre 103 579 dollars en moyenne dans l'Union européenne et 104 300 dollars en France . La dépense totale au titre d'établissements d'enseignement par élève était de 12 774,2 dollars contre 10 670,9 dollars en moyenne dans l'Union européenne à 22 et 11 201,1 dollars en France la même année 39 ( * ) .
Toutefois, et c'est là un élément que souligne le rapporteur spécial, la dépense publique d'éducation allemande, lorsqu'elle est rapportée au PIB, est inférieure à la moyenne européenne et bien plus encore à la dépense publique d'éducation française . En 2018, les dépenses publiques d'éducation s'établissaient à 2,6 % du PIB, contre 2,93 % du PIB en moyenne dans l'Union européenne et 3,4 % du PIB en France.
Ce constat vient en outre à l'issue d'une période de dynamisme de la dépense d'éducation en Allemagne. Entre 2012 et 2018, les dépenses totales dans l'éducation augmentent de 0,9 % en Allemagne et les dépenses par élève augmentent de 1,6 % . En moyenne dans l'Union européenne, les dépenses ont augmenté sur la même période de 1,4 %, soit une évolution proche de celle de l'Allemagne.
Par ailleurs, la dépense par élève croît avec le niveau d'éducation , en Allemagne comme en France. En 2018, les dépenses au titre des établissements du primaire équivalaient à 0,7 % du PIB et les dépenses au titre des établissements du secondaire équivalaient à 2,1 % du PIB en Allemagne.
Enfin, on observe que l'étendue des dépenses entre établissements au niveau des Länder est d'environ 4 000 dollars en Allemagne . Cette étendue est relativement faible comparée aux autres systèmes décentralisés de l'OCDE.
b) Les enseignements de l'analyse de la dépense d'éducation allemande pour le système scolaire français
La dépense totale par élève au titre des établissements du primaire et du collège en pourcentage du PIB est moins élevée en Allemagne qu'en France , ce qui peut sembler paradoxal dans la mesure où les enseignants allemands sont bien mieux rémunérés qu'en France .
Dépenses totales par élève au
titre des établissements d'enseignement
en 2018
(en dollars)
Source : commission des finances d'après l'OCDE
La dépense par élève en valeur absolue est proche entre la France et l'Allemagne : l'écart moyen de la dépense totale par élève confondu est inférieur à 1 000 dollars. Les dépenses par élève sont également largement inférieures aux moyennes européennes pour chaque niveau d'enseignement en France et en Allemagne.
La dépense éducative (publique et privée) rapportée au PIB est largement supérieure en France : la France consacre 5,18 % de son PIB aux dépenses des établissements d'enseignement contre 4,40 % en Allemagne et 4,25 % en moyenne dans l'Union européenne. Comme indiqué plus haut, la France investit notamment plus que ses voisins européens dans les lycées.
Dépenses totales au titre des
établissements d'enseignement
en pourcentage du PIB en 2018
(en %)
Source : commission des finances d'après l'OCDE
Les écarts de dépenses ne sont pas principalement liés au nombre d'élèves par classe ni au temps d'activité des enseignants. La taille moyenne des classes dans l'enseignement public est en effet de 20,9 élèves en Allemagne, contre 22,3 élèves en France en 2019 40 ( * ) et le temps d'instruction et d'enseignement est en moyenne inférieur à tous les niveaux d'éducation en Allemagne.
Influence de différents facteurs sur le
coût salarial des enseignants par élève dans l'enseignement
élémentaire
et dans le premier cycle du secondaire
(en dollar en parité de pouvoir d'achat)
Taille moyenne des classe Temps d'instruction statutaire
Salaire effectif des enseignants Temps d'enseignement statutaire
Source : DEPP d'après l'OCDE, Regards sur l'éducation 2021
Les différences de niveau dans la dépense d'éducation en Allemagne sont davantage dues aux coûts de structures, aux dépenses administratives ainsi qu'aux coûts auxiliaires, plus élevés en France qu'en Allemagne .
En Allemagne, les dépenses d'éducation par établissement dépendent pour 96 % des salaires et des coûts de gestion des infrastructures et pour 4 % des coûts auxiliaires, contre respectivement 87 % et 13 % en France 41 ( * ) . Les salaires ne représentent en France que 51 % du coût de l'éducation par élève 42 ( * ) .
La faible densité d'élèves par établissement scolaire constitue un autre facteur de coûts de structure supplémentaires en France . La France compte 61 000 établissements scolaires pour 12 millions d'élèves, soit 197 élèves par établissement en moyenne, contre 32 238 établissements scolaires pour 8,38 millions d'élèves en Allemagne, soit 257 élèves par établissement en moyenne 43 ( * ) . Cette faible densité d'élèves par établissement entraîne pour la France des coûts d'entretien, de maintenance, de personnel et de gardiennage plus élevés. Les dépenses administratives par établissement sont également plus élevées en France, puisqu'une équipe est dédiée à la direction de l'établissement tandis que l'équipe éducative consacre en Allemagne une partie de son activité à la gestion de l'établissement 44 ( * ) . Les coûts auxiliaires sont également moins élevés en Allemagne car les activités de vie scolaire ou de surveillance sont assurées par les professeurs.
L'institut Thomas More a réalisé en 2012 des simulations d'économies budgétaires pour le système éducatif français à partir des données de dépenses du système allemand 45 ( * ) , et montre que la France pourrait réaliser jusqu'à 20 milliards d'euros d'économies annuelles sur les coûts de structure et de l'administration. Ces données sont toutefois à considérer avec précaution du fait de leur relative ancienneté et des rapides évolutions démographiques et économiques intervenues sur la dernière décennie.
2. La gestion de la transition démographique, une problématique partagée avec l'Allemagne
L'Allemagne est confrontée depuis près de 50 ans à une baisse démographique continue , conduisant à une diminution constante de la population scolarisée .
Évolution de la part des moins de 15 ans dans la population
(en %)
Source : commission des finances d'après l'OCDE
En Allemagne, la population scolarisée représente 19,7 % de la population totale, soit une proportion très proche de la moyenne européenne (contre 23,3 % de la population totale en France). Cette proportion est en outre stable en Allemagne comme en Europe depuis 2015, alors que la population scolarisée a augmenté de 0,3 point en France sur la même période.
La France devra cependant faire face au cours des prochaines années à des difficultés similaires à celles auxquelles l'Allemagne est d'ores et déjà confrontée . On constate sur la décennie précédente une chute brutale du nombre de naissances, le pic ayant été atteint en 2010 avec 832 000 enfants, désormais entrés dans le second degré. La population des 6-10 ans, en grande partie scolarisés dans le premier degré, devrait connaître des baisses très marquées de 2021 à 2024 (jusqu'à - 60 200 enfants en 2024). Ainsi, le premier degré aura perdu près d'un sixième de ses élèves en cinq ans. Cette tendance concernera le second degré à partir de 2025.
Cette situation a nécessairement, en France comme en Allemagne, des conséquences sur l'organisation du système éducatif. Comme il l'a indiqué dans ses précédents rapports budgétaires 46 ( * ) , le rapporteur spécial considère qu'il est désormais impératif de tenir compte des évolutions démographiques à venir.
Il renouvelle le constat d'une nécessaire adaptation du nombre d'élèves par classe dans le premier degré et le premier cycle du secondaire. Au collège, la France compte en moyenne 25 élèves par classe contre 21 en moyenne en Europe. Cet écart est plus faible en primaire mais demeure néanmoins significatif : 22 élèves en France contre 20 en moyenne dans l'Union européenne. Cette adaptation conduirait également à aligner les taux d'encadrement sur ceux qui prévalent en Allemagne.
En Allemagne, la baisse démographique a entraîné une forte tension sur l'offre scolaire . Selon le chercheur Werner Zettelmeier 47 ( * ) , « les conséquences de l'évolution démographique se font déjà nettement sentir depuis les années 1980 et 1990, et l'évolution pendant la décennie 2006-2015 confirme, voire accentue encore l'évolution de l'offre scolaire vers une refonte progressive, mais irréversible, du paysage scolaire qui caractérisait l'Allemagne ».
Le premier axe d'adaptation est la diminution globale du nombre d'établissements au niveau national . Selon l'auteur mentionné ci-dessus, en 2014-2015, on comptait environ 33 600 établissements d'enseignement général, soit une fermeture de 5 500 établissements en 10 ans (- 14 %). Cette diminution se traduit pour les écoles élémentaires par un recul d'un peu plus de 1 000 établissements.
Cette tendance a pour conséquence immédiate un desserrement du maillage scolaire et une mise en concurrence des collectivités locales pour le maintien de leurs établissements . Mais la fermeture des établissements accueillant un nombre trop limité d'élèves est aussi un moyen de limiter les coûts de structure du système éducatif, comme indiqué plus haut. Elle ne peut en tout état de cause qu'être prise en concertation avec les collectivités concernées : « Si la décision d'ouverture ou de pérennisation d'un établissement scolaire repose sur une concertation entre le niveau du Land et celui de chaque collectivité locale concernée dont les modalités sont fixées par les lois scolaires de chaque Land , les Länder ont procédé ces dernières années à des modifications importantes relatives à cette concertation pour essayer de tenir compte des évolutions démographiques ». Cette concertation a été inscrite comme une obligation législative dans le Land de Bade-Wurtemberg depuis 2015. Le rapporteur spécial souligne l'intérêt de cette méthode dans le contexte français .
Deuxième axe de recomposition, la fusion de certaines filières au sein des mêmes établissements : les filières les plus longues ( Gymnasien et Integrierte Gesamtschulen essentiellement) en profitent, au détriment des établissements proposant seulement des filières courtes, dès lors que la tendance est à un désintérêt croissant des élèves allemands pour les filières techniques et professionnelles dans le secondaire. Des établissements mixtes se sont également développés afin d'accueillir plusieurs filières dans un même établissement.
Répartition des élèves allemands
par établissements
dans le cycle secondaire
2003 |
2012 |
2021 |
|
Hauptschule |
22,4 % |
14,4 % |
6,2 % |
Realschule |
24,5 % |
22,7 % |
14,4 % |
Gymnasium |
30,1 % |
36,2 % |
41,2 % |
Integrierte Gesamtschulen |
8,7 % |
12,5 % |
30,2 % |
Source : commission des finances d'après les chiffres de la Conférence des ministres de la culture.
La proportion des élèves voie professionnelle ( Hauptschule) est passée en 10 ans de près d'un quart des élèves à seulement 6 %. En Rhénanie-Palatinat, la Hauptschule n'existe plus depuis la rentrée 2014 suite à son intégration au sein la Realschule . Cette tendance de concentration des filières de l'enseignement secondaire est à l'opposé de l'extrême modulation introduite en France par la réorganisation du lycée, dont le rapporteur spécial a plusieurs fois souligné dans ses rapports budgétaires l'absence d'efficience et le coût budgétaire.
Le rapporteur spécial souligne l'intérêt d'une observation fine des conséquences démographiques et des adaptations qui en découlent en Allemagne , afin d'anticiper au mieux les nécessaires évolutions pour le système scolaire français.
Recommandation n° 6 : conduire dès maintenant une politique proactive d'anticipation des conséquences des évolutions démographiques en cours sur le système scolaire français et le nombre d'enseignants à recruter.
* 39 OCDE, Les indicateurs de Regards sur l'éducation 2021.
* 40 Regards sur l'éducation, OCDE.
* 41 Regards sur l'éducation 2021, DEPP.
* 42 DEPP, réponses au questionnaire tranmis par le rapporteur spécial.
* 43 Statista : Statistiken zum Thema Schule | Statista .
* 44 Cf. infra.
* 45 Éducation : analyse comparative de la dépense publique en France et en Allemagne, institut Thomas More, février 2012.
* 46 Projet de loi de finances pour 2022 : Enseignement scolaire, Annexe au rapport général n° 163 (2021-2022) de M. Gérard Longuet, fait au nom de la commission des finances, novembre 2021.
* 47 Zettelmeier, W. (2016). Conséquences des mutations démographiques sur le système d'éducation et de formation en Allemagne. Allemagne d'aujourd'hui , 218, 139-155.