PARTIE 1 : DES SERVICES DE L'ÉTAT CONFRONTÉS
À UN
NOMBRE TOUJOURS PLUS ÉLEVÉ DE DEMANDES
DE TITRES DE
SÉJOUR ET À DES PROCÉDURES
TOUJOURS PLUS COMPLEXES
I. DES SERVICES CONFRONTÉS À UN NOMBRE TOUJOURS PLUS ÉLEVÉ DE DEMANDES DE TITRES DE SÉJOUR
A. FACE À UNE DEMANDE EN PERPÉTUELLE CROISSANCE ET À DES MOYENS INSUFFISANTS, DES SERVICES « SÉJOUR » SATURÉS
1. La difficile réduction des délais de traitement des premières demandes d'admission au séjour
Le dépôt d'une demande de titre de séjour auprès du service en charge des étrangers de la préfecture de département, et plus précisément auprès du service chargé du séjour, constitue la première étape de la procédure d'obtention d'un titre de séjour, hormis le cas des demandes au séjour au titre du regroupement familial et des demandes de titres « étranger malade ». Premiers interlocuteurs des étrangers au cours de cette démarche, ces services sont également responsables de l'instruction de la demande, qui conduit à l'acceptation ou au rejet de celle-ci.
L'OFII comme guichet unique à la place des préfectures : le regroupement familial et les demandes de titres « étranger malade »
Deux types de demandes de titres de séjour ne sont pas instruits par les préfectures, mais par l'Office français de l'immigration et d'intégration (l'OFII) : le regroupement familial, d'une part, et les demandes de titre « étranger malade », d'autre part.
Depuis l'arrêté du 9 novembre 2011 15 ( * ) , l'OFII est le guichet unique national de dépôt des dossiers de regroupement familial. Aux termes des dispositions des articles R. 434-12 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), l'OFII s'assure que le dossier est complet. Après avoir reçu l'avis motivé du maire, l'OFII vérifie, le cas échéant, le respect des conditions de ressources et de logement prescrites aux articles R. 434-4 et R. 434-5 du code ; il procède, si besoin, à un complément d'instruction et, s'il n'a pas déjà été saisi par le maire, à des vérifications sur place. L'OFII transmet ensuite le dossier au préfet pour décision ; enfin, il envoie la décision de la préfecture aux consulats en vue de l'étude de la demande de visa. En 2020, 25 954 demandes de regroupement familial ont été déposées auprès de l'OFII.
Par ailleurs, les services médicaux de l'OFII sont chargés de recevoir les dossiers médicaux relatifs aux demandes de titres de séjour pour soins déposés en préfecture, puis d'instruire les demandes et de donner aux préfectures un avis médical. En 2021, l'OFII a reçu 27 702 demandes sur ce fondement, réparties comme suit : 25 266 demandes de la part d'adultes (9 912 premières demandes et 15 354 demandes de renouvellement), et 2 436 demandes de mineurs.
Si le nombre de demandes de titres de séjour déposées auprès de ces services n'est pas connu en tant que tel 16 ( * ) , comme l'a rappelé le ministère de l'intérieur, le nombre de titres de séjour délivrés pour la première fois constitue un indicateur de suivi approchant.
Ainsi, entre 2017 et 2019, le nombre de titres de séjour délivrés pour la première fois a fortement augmenté (+12 %), notamment sous l'effet de la hausse du nombre de titres délivrés pour des raisons économiques (+42 %). La crise sanitaire a porté un coup d'arrêt à cette dynamique (-24 % au total), avant un phénomène de rattrapage en 2021 (+21,9 % par rapport à 2020). Ainsi, avec un nombre de 271 675 titres, le nombre de titres de séjour délivrés pour la première fois en 2021 atteint presque celui observé en 2019 .
Si les deux parts les plus importantes du flux migratoires demeurent l'immigration familiale et estudiantine, les motifs professionnels 17 ( * ) , humanitaires ou autres sont ceux qui progressent le plus en 2021.
Nombre de titres de séjour délivrés pour la première fois par motif d'admission
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021* |
2021/2020 |
|
Économique |
27 467 |
33 675 |
39 131 |
26 768 |
36 560 |
+ 36,6 % |
Familial |
88 737 |
91 017 |
90 502 |
75 945 |
88 225 |
+16,2 % |
Étudiant |
80 339 |
83 700 |
90 336 |
73 030 |
85 080 |
+16,5 % |
Humanitaire |
36 429 |
34 979 |
37 851 |
32 965 |
43 200 |
+31,0 % |
Divers |
14 464 |
15 558 |
19 586 |
14 220 |
18 610 |
+30,9 % |
Total** |
247 436 |
258 929 |
277 406 |
222 928 |
271 675 |
+21,9 % |
* Estimation ** Hors britanniques 18 ( * )
Source : DGEF
Face à de tels volumes, le respect de délais raisonnables de traitement des premières demandes d'admission au séjour constitue un enjeu de taille. Depuis 2016, ce délai a fluctué ; après une forte augmentation, il a nettement diminué entre 2017 et 2019. La mise en oeuvre du Guide de préconisations pour l'organisation et le fonctionnement des services du séjour en préfecture a ensuite été contrecarrée par la crise sanitaire, qui a entraîné la fermeture des services, provoquant l'augmentation du stock de demandes et donc celle des délais de traitement. En 2021, avec 99 jours, le délai moyen de traitement des premières demandes d'admission au séjour a toutefois presque retrouvé le niveau de 2019 ; il n'en demeure pas moins supérieur à la valeur cible de 90 jours définie par le ministère de l'intérieur .
Délais de traitement des premières demandes d'admission au séjour
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
|
Délais constatés (en jours) |
103 |
118 |
115 |
98 |
123 |
99 |
Source : DGEF
2. Des services en charge des étrangers en tension dans les préfectures
Fin décembre 2021, les services « étrangers » des préfectures comptaient 3 967 équivalents temps plein (ETP), dont 3 234 fonctionnaires (soit 87,5 %), 41 contractuels (soit 11,1 %) et 692 vacataires (soit 18,7 %).
Les services en charge du séjour représentent plus de la moitié des effectifs de l'ensemble de ces services (2 148 ETP), tandis qu'un tiers des effectifs est constitué par les services en charge respectivement de l'éloignement, de la naturalisation et du contentieux.
Répartition des effectifs des services étrangers dans les préfectures
Nombre d'ETP |
Ratio |
|
Séjour |
2 148 |
54,1 % |
Éloignement |
498 |
12,5 % |
Naturalisation |
461 |
11,6 % |
Contentieux |
331,5 |
8,3 % |
Demandeurs d'asile hors GUDA |
299 |
7,5 % |
Demandeurs d'asile en GUDA |
139,5 |
3,5 % |
Instruction des demandes d'autorisation de travail |
90 |
2,2 % |
Total services étrangers |
3 967 |
100 % |
Source : DGEF / ANAPREF
Si l'augmentation des effectifs des services en charge des étrangers au sein des préfectures est réelle - quoique par à-coups - depuis 2016, elle demeure néanmoins inférieure à l'augmentation des demandes de titres de séjour à traiter , si bien que ces services sont soumis à une tension importante.
Entre 2016 et 2019, les effectifs de ces services ont en effet augmenté de 375 équivalents temps plein (ETP) dans le cadre du plan « préfectures nouvelle génération », alors que, dans le même intervalle, les effectifs globaux des préfectures connaissaient une réduction de 1 100 ETP 19 ( * ) . Par ailleurs, le renforcement des effectifs permanents de ces services s'est accompagné du recrutement ponctuel de vacataires , dans le cadre de plans successifs : le plan « 1 000 mois vacataires » en 2017, puis le plan « 1 200 mois vacataires » en 2018, avant deux plans en 2019 comprenant « 3 014 mois vacataires », et deux nouveaux plans en 2020 totalisant « 7 320 mois vacataires ».
Si elle n'est pas négligeable, étant de l'ordre de 11 %, la croissance des effectifs des services en charge des étrangers reste toutefois en-deçà de l'augmentation du nombre de titres de séjour délivrés sur la même période 20 ( * ) . Bien plus, la répartition de ces moyens supplémentaires n'a en fait bénéficié que marginalement aux services chargés en particulier du séjour (accueil des étrangers en guichet et instruction de leur demandes de titres), la Cour des comptes estimant à seulement 28 ETP les renforts alloués à ces services 21 ( * ) .
Enfin, l'effort de recrutement accompli au bénéfice des services en charge du séjour repose principalement sur l'appui de vacataires et de contractuels recrutés pour une courte durée. Les services en charge du séjour sont en effet caractérisés par une forte proportion d'agents non titulaires , avec 438 ETP occupés par des vacataires fin décembre 2021 (soit 20,4 % des ETP) et 19 ETP occupés par des contractuels (soit 0,9 %) 22 ( * ) . Dans ces services, les vacataires sont donc en moyenne encore plus nombreux que dans les services « étrangers » au global. Lors de son déplacement à la préfecture d'Angers, la mission d'information a d'ailleurs eu l'occasion de constater que la part des fonctionnaires dans les effectifs de la direction de l'immigration et des relations avec les usagers y était encore inférieure à la moyenne nationale (75 % contre 78,7 %).
De manière générale, les contractuels occupent des postes très spécifiques, ou bien des postes pérennes non pourvus par des titulaires, tandis que les vacataires sont recrutés pour renforcer les effectifs habituels afin de faire face aux pics d'activité.
Or cette structuration des effectifs, marquée par le poids important des contrats d'une durée maximale de douze mois , constitue à tout le moins un « facteur de fragilité » 23 ( * ) , voire de moindre efficacité pour les services chargés du séjour, et de moindre qualité pour les usagers, en occasionnant un taux de rotation élevé des vacataires , en rendant nécessaire l'organisation de nombreux entretiens de recrutement, et en limitant le bénéfice de l'investissement dans la formation donnée au vacataire ou au contractuel.
Le renforcement de l'attractivité des services en charge des étrangers mériterait assurément une réflexion à part entière - le bilan de la politique menée en la matière semblant pour l'heure assez mesuré 24 ( * ) ; dans le champ d'étude de la présente mission d'information, il pourrait être toutefois envisagé, afin d'optimiser le fonctionnement des services « étrangers » à moyens constants et de soulager les services saturés , de mutualiser entre plusieurs préfectures le recueil et l'instruction des demandes de titres de séjour. Citées en exemple par le directeur général des étrangers en France lors de son audition, les plateformes interrégionales de la main d'oeuvre étrangère , expérimentées depuis le 1 er avril 2021 25 ( * ) , pourraient à cet égard constituer un modèle : regroupant les inspections du travail, ainsi que les préfectures d'une zone définie couvrant plusieurs régions, ces plateformes visent à simplifier les procédures de demande d'autorisation de travail , à rendre plus homogène le traitement des demandes d'autorisation de travail sur le territoire, ainsi qu'à réduire les délais d'instruction des dossier.
Recommandation n° 1 : En fonction des situations territoriales, mutualiser entre plusieurs préfectures le recueil et l'instruction des demandes de titres de séjour.
* 15 Arrêté du 9 novembre 2011 relatif au dépôt des demandes de regroupement familial dans les services de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
* 16 À la différence des premières demandes d'asile, enregistrées en guichets uniques de demande d'asile (GUDA).
* 17 Les titres professionnels étant tirés à la hausse par les titres saisonniers ou temporaires.
* 18 La catégorie appelée par abus de langage « britanniques » regroupe à la fois les ressortissants britanniques et les ressortissants non-britanniques titulaires d'un titre de séjour « Brexit ». Depuis le 1 er octobre 2021, les Britanniques ont en effet l'obligation de détenir un titre de séjour pour résider en France.
* 19 Voir le rapport précité de la Cour des comptes, L'entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères, mai 2020.
* 20 Comme le souligne le rapport n°4195 de l'Assemblée nationale fait au nom de la commission des finances sur le règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2020, dans son annexe n°28 « Immigration, asile et intégration », pp. 57-58.
* 21 Voir le rapport de la Cour des comptes précité, p. 68.
* 22 Source : ministère de l'intérieur.
* 23 Comme souligné par la Cour des comptes dans son rapport précité, p. 68.
* 24 L'instruction n°18-001369 du 27 décembre 2018 relative au renforcement de l'attractivité des services « étrangers » en préfecture a prévu de revaloriser l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertises pour un gain annuel de 80 euros pour un agent de catégorie C, 120 euros pour un agent de catégorie B et 150 euros pour un agent de catégorie A (d'après l'estimation de la fédération syndicale du ministère de l'intérieur-Force ouvrière).
* 25 Au nombre de six.