IV. L'APPLICATION IMMÉDIATE D'UNE SÉCURITÉ SOCIALE ÉCOLOGIQUE : CONCRÉTISER LE DROIT À UNE ALIMENTATION SAINE

A. LE REGRETTABLE OUBLI D'HIPPOCRATE

1. Les effets bénéfiques sur la santé d'une alimentation diversifiée et les méfaits d'une alimentation trop pauvre ou trop riche
a) Une nourriture saine fait progresser l'espérance de vie de dix ans

La conscience que l'alimentation est un déterminant essentiel de la santé a des racines historiques profondes 273 ( * ) . On prête ainsi à Hippocrate la formule « Que ton alimentation soit ta meilleure médecine », même si cette attribution reste controversée et ne figure pas dans le corpus hippocratique avec cette clarté proverbiale 274 ( * ) . À défaut d'un auteur identifié, cette idée selon laquelle des choix alimentaires pertinents font office de « première médecine » est largement répandue.

De nombreuses études établissent les effets bénéfiques sur la santé d'une alimentation diversifiée et des apports alimentaires répondant aux besoins de l'organisme. Le Professeur Franck Chauvin, président du Haut Conseil de la santé publique, a indiqué à la mission d'information 275 ( * ) que le HCSP s'est prononcé à de nombreuses reprises, à travers plus de 15 avis ou rapports, pour souligner le rôle majeur d'une alimentation équilibrée comme déterminant d'une bonne santé (repères nutritionnels, politique nutritionnelle, etc. ). Sans entrer dans une littérature scientifique foisonnante, citons la récente contribution de l'université de Bergen (Norvège) qui a démontré qu'en optant à l'âge de 20 ans pour un régime riche en légumineuses, céréales complètes, fruits à coque, poissons, fruits et légumes, le gain potentiel d'espérance de vie est de plus de dix ans pour un individu âgé d'une vingtaine d'années au régime alimentaire occidental moyen : en moyenne 10,7 ans pour une femme, 13 ans pour un homme 276 ( * ) .

A contrario , les méfaits de la malnutrition sont étayés par un vaste corpus scientifique. Citons à titre d'exemple l'étude menée en 2019 par 130 chercheurs réunis au sein du Global Burden of Disease , qui a mis en évidence que 11 millions de personnes meurent chaque année dans le monde du fait d'une mauvaise alimentation, soit 22 % des décès constatés parmi la population adulte ! Avec plus de 9 millions de morts, les maladies cardiovasculaires apparaissent comme la principale cause de décès attribuables à une alimentation déséquilibrée, suivies par les cancers (913 000 décès) et le diabète de type 2 (338 000 morts) 277 ( * ) . Cette même étude a par ailleurs montré que la quasi-totalité des aliments et nutriments sains sont sous-consommés à travers le monde. Dans le même temps, les auteurs relèvent une surconsommation de produits aux effets néfastes sur la santé par rapport aux niveaux recommandés, à l'instar des boissons sucrées, du sel ou de la charcuterie.

Il est désormais incontestable qu'un des canaux de l'amélioration de l'état de santé globale de la population passe par la réduction des inégalités alimentaires et la généralisation de l'accès à une alimentation saine . Le consensus relatif à cette question dépasse d'ailleurs le seul cadre national ou européen : une société d'assurance santé américaine, Geisinger Health System , propose même à une partie de ses assurés diabétiques le programme « Fresh Food Pharmacy », dans le but de favoriser l'accès à des produits sains et variés, principalement des fruits et des légumes, ayant un effet notable sur l'amélioration de la santé des bénéficiaires 278 ( * ) .

b) La qualité de l'alimentation, un Objectif de développement durable

Dans le cadre de l'Agenda 2030, les politiques publiques en faveur de l'alimentation ont par ailleurs été érigées en Objectif de développement durable (ODD), dans le but d'« éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l'agriculture durable » (ODD 2).

Détail des deux premières cibles de l'ODD 2

Titre de la cible

Description de la cible

Faim

2.1 : d'ici à 2030, éliminer la faim et faire en sorte que chacun, en particulier les pauvres et les personnes en situation vulnérable, y compris les nourrissons, ait accès tout au long de l'année à une alimentation saine, nutritive et suffisante

Malnutrition

2.2 : d'ici à 2030, mettre fin à toutes les formes de malnutrition , y compris en réalisant d'ici à 2025 les objectifs arrêtés à l'échelle internationale relatifs aux retards de croissance et à l'émaciation parmi les enfants de moins de 5 ans, et répondre aux besoins nutritionnels des adolescentes, des femmes enceintes ou allaitantes et des personnes âgées.

Source : ONU, Agenda 2030.

Des résultats aussi univoques concernant les effets de l'alimentation sur la santé plaident pour des politiques publiques volontaristes et ambitieuses en matière d'éducation alimentaire , avec des efforts renouvelés en matière de santé publique et d'éducation nutritionnelle. Les risques liés à une mauvaise hygiène alimentaire et aux déséquilibres nutritionnels sont largement évitables, en agissant notamment sur la connaissance et les comportements, dès le plus jeune âge. Au-delà de l'influence déterminante des parents, l'école a en effet un rôle important à jouer pour apprendre aux élèves ce qu'est un régime alimentaire sain et varié, tout en les sensibilisant aux effets de l'alimentation sur la santé. Une éducation alimentaire précoce démultiplie les effets et accroît les bénéfices pour la santé publique.

Cependant, pour permettre aux politiques publiques et aux acteurs de converger vers des mesures et des recommandations opérationnelles, un effort sémantique préalable est nécessaire. Les travaux du Conseil national de l'alimentation ont ainsi permis de dégager en 2017 une définition de l' alimentation favorable à la santé comme une « alimentation qui contribue de manière durable au bien-être physique, mental et social de chacun. Elle doit assurer la sécurité alimentaire et ainsi préserver la santé de la population dans son environnement et son contexte culturel. Accessible à tous, elle exige un engagement responsable de tous les acteurs de la chaîne alimentaire et un dialogue permanent au sein de la société » .

Au cours de ses travaux, la mission d'information a fait sienne cette définition qui prend en compte l'ensemble des enjeux, notamment nutritionnels, sociaux et environnementaux, pour dégager ses constats et ses recommandations.

2. La France, le pays de la gastronomie et d'une agriculture de qualité, voit progresser les pratiques alimentaires malsaines
a) 80 % des dépenses alimentaires consacrées aux produits transformés

Selon la troisième étude individuelle nationale des consommations alimentaires (Inca 3) coordonnée par l'Anses en 2017 279 ( * ) , on observe une évolution globale des modes de consommation en France, avec une tendance nette à l'augmentation de la part des produits transformés qui concernent près de 80 % des dépenses alimentaires des ménages , une prise plus fréquente de repas hors foyer et une évolution de la structuration des repas vers la simplification, la déstructuration et l'individualisation. On trouve dans l'assiette des Français toujours plus de produits transformés, une nette augmentation des compléments alimentaires depuis 2007, encore trop de sel et surtout pas assez de fibres. En outre, on note une augmentation préoccupation de pratiques à risque : une consommation croissante de denrées animales crues, des températures relevées dans les réfrigérateurs qui ne sont pas toujours adaptées et des dépassements plus fréquents des dates limites de consommation.

Devant la mission d'information 280 ( * ) , Daniel Nizri, président de la Ligue nationale contre le cancer et du comité de suivi du programme national nutrition santé 2019-2023, a souligné la prégnance de ces évolutions alimentaires, qui affectent toutes les classes sociales : « La malbouffe concerne toutes les populations, qu'elles aient les moyens ou non. [...] Simplement, pour une partie de la population, c'est un choix, alors que, pour une autre, c'est une contrainte ».

L'Insee relève également une baisse tendancielle de la part de l'alimentation dans le budget des ménages 281 ( * ) . En 40 ans, en France métropolitaine, la part de l'alimentation dans la consommation des ménages converge selon les différentes catégories de ménages : en 1979, les 20 % des ménages les plus modestes consacraient 35 % de leur budget à l'alimentation et les 20 % les plus aisés 18 %, soit une différence de 17 points. En 2017, l'écart n'est plus que de 4 points, confirmant l'intuition portée par la loi d'Engel 282 ( * ) . La part des dépenses consacrées à l'alimentation ne peut plus être, comme auparavant, considérée comme un bon indicateur du niveau de vie d'un ménage. Malgré ces évolutions profondes, la prévalence de la sous-alimentation reste inférieure à 2,5 % de la population française pour la période 2017-2020 et la prévalence de l'insécurité alimentaire modérée ou grave serait de l'ordre de 6 % selon France Stratégie.

Les Français et l'alimentation : la fin d'une exception ?

Le goût des Français pour la bonne chère a été internationalement reconnu au travers de l'inscription en 2010 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité du repas gastronomique des Français qui met l'accent, selon l'UNESCO, sur le « fait d'être bien ensemble, le plaisir du goût, l'harmonie entre l'être humain et les productions de la nature » . Malgré un certain nombre de marqueurs qui indiquent des convergences dues à la mondialisation, la France parvient à maintenir son régime alimentaire propre, même si un repas sur sept est désormais pris en restauration collective.

En France, 39,8 décès pour 100 000 habitants sont imputables à l'alimentation en 2019, ce qui est un meilleur résultat que la moyenne mondiale (101) ou des pays de l'OCDE (58), mais une performance inférieure à celle du Japon (31,7) ou de l'Espagne (37,4). En termes de santé publique, la France est relativement moins confrontée au surpoids et à l'obésité que la plupart de ses voisins européens.

La France n'échappe cependant pas aux grandes évolutions observées au niveau mondial, avec une alimentation de plus en plus grasse, sucrée et salée, une part croissante d'aliments transformés et une consommation d'alcool toujours trop élevée (33,8 décès imputables à l'alcool pour 100 000 habitants). La hausse des apports caloriques et la place croissante des aliments transformés, combinées aux effets de la sédentarité, rendent fragiles les bonnes performances relatives de notre alimentation sur la santé, phénomène qui doit inciter à ne pas baisser la garde, voire à accentuer les efforts en matière de santé publique.

En la matière, les pouvoirs publics ne doivent pas se résoudre au fatalisme et les comportements alimentaires évoluent : les résultats de l'enquête « Comportements et consommations alimentaires en France » (CCAF) mettent en lumière en 2019 un regain d'appétence pour les fruits et légumes, chez les enfants comme chez les adultes, après plusieurs années de baisse.

b) Au moins 20 milliards : le coût social de l'obésité

Ces problèmes doivent appeler l'attention des pouvoirs publics, au-delà de la nécessaire amélioration continue de l'état de santé des Français, en raison des charges qu'ils font peser sur les finances publiques. La Direction générale du Trésor a par exemple évalué le coût social de l'obésité et du surpoids (dépenses de santé, absentéisme, etc. ) à 20,4 milliards d'euros en 2012, soit 56 millions par jour, un montant comparable à celui du tabac et de l'alcool 283 ( * ) . Ces montants sont encore supérieurs aujourd'hui, avec une prévalence accrue de l'obésité parmi la population française (plus de 14 % de la population adulte, soit plus de 9 millions de personnes).

Malgré l'importance de ces chiffres concernant la prévalence de l'obésité et du surpoids, la France s'en sort relativement mieux que les autres pays européens, ainsi que l'illustre le tableau ci-dessous. Les problèmes sont globaux, largement répandus dans les pays industrialisés et des solutions volontaristes doivent être imaginées, en tenant compte des contextes économiques, sociaux et culturels, afin d'agir sur les bons déterminants.

3. Des pratiques alimentaires fortement teintées d'inégalité sociale
a) La distinction alimentaire, première des distinctions sociales

On sait, depuis les travaux de Bourdieu 284 ( * ) , que les consommations alimentaires des individus ne sont pas uniquement une affaire de goût et de préférences personnelles, mais déterminées socialement, au travers du concept d'habitus alimentaire. Au-delà des différences de revenus et de la corrélation entre précarité alimentaire et taux de pauvreté, les inégalités nutritionnelles s'expliquent également par des facteurs sociaux . Toutes les personnes en situation d'insécurité alimentaire ne souffrent pas de la faim, mais subissent des restrictions quantitatives ou qualitatives qui affectent à la fois leur alimentation, leur qualité de vie, leur bien-être et leur santé.

Pour l'ensemble des Français, l'alimentation est le troisième poste budgétaire après le logement et les transports, mais c'est le deuxième poste budgétaire pour les 17,2 % de la population la plus défavorisée. Les inégalités sont à la fois quantitatives et qualitatives : un enfant d'ouvrier a 4 fois plus de chance d'être obèse ou en surpoids qu'un enfant de cadre .

En matière de comportements alimentaires, l'Anses relève notamment que les individus ayant un niveau d'étude supérieur ou égal à bac + 4 consomment davantage de fruits et deux fois moins de boissons rafraîchissantes sans alcool. Elle établit un profil-type de rapport à l'alimentation 285 ( * ) : « lorsque la personne de référence du ménage est âgée de 65 à 79 ans, est cadre ou a un niveau d'étude bac + 4 ou plus, les critères de qualité des produits (origine, mode de production, signes de qualité ou composition nutritionnelle) sont deux fois plus fréquemment cités, au détriment du prix (- 15 à - 20 points), que lorsque la personne de référence du ménage est âgée de 18 à 44 ans, est ouvrier, employé ou a un niveau d'étude primaire ou collège. De plus, les premiers privilégient davantage l'approvisionnement via les marchés, circuits courts ou commerces de proximité (+ 20 points) que les seconds, au détriment des grandes surfaces (- 20 points) ».

Le Conseil national de l'alimentation 286 ( * ) (CNA) a publié en septembre 2018 son avis n° 81 intitulé « Alimentation favorable à la santé », qui souligne que « les dépenses alimentaires pèsent particulièrement lourd sur les ménages les plus pauvres ». Prises ensemble, les dépenses pour le logement et l'alimentation occupent en 2016 presque la moitié du budget mensuel d'un senior isolé pauvre (25 % logement et 21 % alimentation) ou modeste (26 % et 20 % respectivement), alors qu'elles représentent une part bien moindre du budget des ménages aisés (16 % et 11 % respectivement). Parmi les mesures nécessaires pour assurer une alimentation favorable à la santé pour tous, le CNA préconise la définition d'une feuille de route interministérielle de lutte contre la précarité alimentaire et la conduite d'une étude sur les processus menant à la précarité alimentaire , ainsi que sur l'alimentation des personnes en situation de précarité et l'impact de celle-ci sur leur état de santé.

L'étude Abena 287 ( * ) sur l'état nutritionnel des bénéficiaires de l'aide alimentaire de 2013 a pour sa part montré que « l'état de santé des usagers de l'aide alimentaire demeurait préoccupant avec des prévalences des pathologies liées à la nutrition (obésité, hypertension artérielle, diabète, certains déficits vitaminiques) particulièrement élevées. » L'étude souligne en outre écart important entre les consommations de certains groupes alimentaires et les recommandations nutritionnelles, en particulier pour les fruits et légumes et les produits laitiers. Laurence Champier, directrice fédérale de la Fédération française des banques alimentaires, a indiqué à la mission d'information 288 ( * ) que les résultats de cette étude étaient précieux pour les organismes de distribution d'aide alimentaire et avaient conduit à des changements d'approche et de pratique, pour répondre aux problématiques de santé publique propres aux bénéficiaires. Le fait de savoir par exemple que 16 % des publics en précarité alimentaire souffraient du diabète a conduit les banques alimentaires à être plus vigilantes quant aux apports glycémiques des produits qu'elles distribuent.

b) L'accompagnement des individus à une alimentation équilibrée, angle mort des politiques publiques

Les pouvoirs publics ont pris conscience de l' importance d'une alimentation disponible et accessible à tous et partout . L'action 15 du programme national nutrition santé (PNNS 4) vise à améliorer l'accès à la santé des personnes en situation de précarité alimentaire. Elle se décline en plusieurs sous-actions : mise en place d'une offre ciblée de petits-déjeuners à l'école ; incitations pour que les communes proposent des tarifs sociaux dans les cantines scolaires ; généralisation de programmes d'accès à l'alimentation infantile ; mise à disposition des personnes travaillant auprès des populations fragiles d'outils adaptés à la lutte contre la précarité alimentaire ; mise à disposition des travailleurs sociaux et des bénévoles d'outils numériques interactifs, pour mieux accompagner les personnes en situation de précarité vers une alimentation favorable à la santé.

Ces efforts sont louables, mais doivent être approfondis. Au vu des inégalités que la crise sanitaire a accentuées, les performances des politiques publiques en matière d'alimentation sont médiocres et ne permettent pas de réduire les égalités sociales. On souffre peu de la faim en France, mais on souffre beaucoup à cause d'une mauvaise alimentation : sur ce point, l'État-providence n'est pas parvenu à tenir ses promesses, comme l'indique la lutte contre l'obésité.

L'obésité,

un exemple de lien entre maladie chronique et inégalités sociales

L'obésité représente un enjeu de santé publique considérable. D'après la direction générale du Trésor, l'accroissement du surpoids et de l'obésité pour l'assurance maladie (scénario central) serait de 0,7 % du PIB d'ici à 2030.

Les inégalités sociales sont majeures et s'inscrivent dès le plus jeune âge. On sait que la prévention ne profite pas de la même façon aux différents groupes sociaux et cette assertion est particulièrement vraie pour l'obésité. L'obésité est presque 4 fois plus fréquente dans les populations socialement et économiquement défavorisées que pour les plus favorisés. Ces inégalités sociales se doublent d'inégalités territoriales avec une situation particulièrement préoccupante dans les territoires ultramarins, notamment en Martinique et en Guadeloupe.

La prise en charge actuelle de l'obésité est insatisfaisante, avec une multiplication d'actions ponctuelles, un éparpillement des initiatives, une absence de suivi des parcours, une forte proportion d'indications nutritionnelles non pertinentes. Nonobstant les coûts de mise en oeuvre, les analyses économiques justifient que l'on s'intéresse à la prévention de l'obésité par le système de soins.

L'analyse de la prévention et de la prise en charge de l'obésité permet de dessiner un système généralisable au-delà des problématiques nutritionnelles, car elle mobilise :

(i) l'ensemble des acteurs du système de santé et au-delà à travers la promotion de la santé,

(ii) les pratiques cliniques préventives : dépistage de l'obésité, prescription de l'activité physique, etc. ,

(iii) le soin curatif : prise en charge des conséquences métaboliques de l'obésité, etc.

Source : Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie.

Proposition n° 36 : mieux prendre en compte les difficultés socio-économiques des individus dans l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques publiques de l'alimentation.

4. Les mesures déjà prises pour favoriser une alimentation saine n'ont atteint que partiellement leurs objectifs
a) De multiples plans nationaux

Les pouvoirs publics ne sont pas restés inactifs et ont multiplié depuis une vingtaine d'années les initiatives pour inciter à l'adoption de comportements alimentaires favorables à la santé. Pour ce faire, l'outil privilégié a été un programme national, souvent pluriannuel, reconduit au terme de sa durée de vie et complété par diverses actualisations pour enrichir le spectre des actions, améliorer le pilotage et l'évaluation, pallier les carences, tenir compte de l'évolution des usages, etc.

Lancé en 2001, le Programme national nutrition santé (PNNS) est un plan de santé publique visant à améliorer l'état de santé de la population en agissant sur l'un de ses déterminants majeurs, la nutrition. Faisant figure de pionnier, ce programme en est désormais à sa quatrième déclinaison, depuis septembre 2019. Codifié à l'article L. 3231-1 du code de la santé publique, il est actualisé tous les 5 ans. Il définit les objectifs de la politique nutritionnelle du Gouvernement et prévoit les actions à mettre en oeuvre afin de favoriser « l'éducation, l'information et l'orientation de la population, notamment par le biais de recommandations en matière nutritionnelle, y compris portant sur l'activité physique ; la création d'un environnement favorable au respect des recommandations nutritionnelles ; la prévention, le dépistage et la prise en charge des troubles nutritionnels dans le système de santé ; la mise en place d'un système de surveillance de l'état nutritionnel de la population et de ses déterminants ; le développement de la formation et de la recherche en nutrition humaine ; la lutte contre la précarité alimentaire. »

Le Haut Conseil de santé publique a souligné les limites des trois précédents programmes, fondés exclusivement sur les déterminants individuels des comportements alimentaires et d'activité physique. Ces stratégies s'appuyaient principalement sur la communication nutritionnelle et des approches purement incitatives qui n'ont atteint que partiellement les objectifs fixés, les inégalités sociales de santé s'étant aggravées dans le domaine de la nutrition. Le HCSP a notamment recommandé une politique nutritionnelle de santé publique s'appuyant sur des mesures visant la population générale avec une intensité graduée selon le degré de désavantage .

Fruit de ces recommandations et du bilan des trois volets précédents, le PNNS 4 se donne pour objectif (1) d'améliorer pour tous l'environnement alimentaire et physique pour le rendre plus favorable à la santé, (2) d'encourager les comportements favorables à la santé, (3) de mieux prendre en charge les personnes en surpoids, dénutries ou atteintes de maladies chroniques, (4) d'impulser une dynamique territoriale et (5) de développer la recherche, l'expertise et la surveillance en appui de la politique nutritionnelle. Il se structure en 22 objectifs et 56 actions et souhaite impulser une place prioritaire à la prévention à tous les stades de la vie.

Un bilan d'évaluation à mi-étape a été réalisé en mai 2021 289 ( * ) , qui a notamment pointé les difficultés d'application de certaines mesures dans un contexte de crise sanitaire et le fait que « 40 % des personnes décédées [de la Covid-19] étaient en surpoids ou obèses et deux tiers des co-morbidités retrouvées chez les personnes admises en réanimation sont en lien avec les conséquences d'une alimentation non favorable à la santé et d'une insuffisance d'activité physique » .

Lancé en 2010, le programme national pour l'alimentation (PNA) organise quant à lui la sécurité alimentaire dans le cadre d'une agriculture durable, étant structuré autour des objectifs de justice sociale, d'éducation alimentaire de la jeunesse et de lutte contre le gaspillage alimentaire. Ce plan en est aujourd'hui à sa troisième déclinaison, pour la période 2019-2023.

Codifié à l'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime, le PNA définit la politique publique de l'alimentation : celle-ci a pour finalité « l'accès à une alimentation sûre, saine, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante, produite dans des conditions économiquement et socialement acceptables par tous, favorisant l'emploi, la protection de l'environnement et des paysages et contribuant à l'atténuation et à l'adaptation aux effets du changement climatique. » Le PNA encourage le développement des circuits courts et de la proximité géographique entre producteurs agricoles, transformateurs et consommateurs. Il prévoit notamment des actions à mettre en oeuvre pour l'approvisionnement de la restauration collective, publique comme privée, en produits agricoles de saison ou en produits sous signes d'identification de la qualité et de l'origine, notamment issus de l'agriculture biologique. Il est enfin chargé par la loi de « proposer des catégories d'actions dans les domaines de l'éducation et de l'information pour promouvoir l'équilibre et la diversité alimentaires, les produits locaux et de saison ainsi que la qualité nutritionnelle et organoleptique de l'offre alimentaire ».

Le Programme national de l'alimentation et de la nutrition (PNAN) est issu d'une concertation entre le ministère des solidarités et le ministère de l'agriculture et de l'alimentation. Le PNAN est un programme établi pour cinq ans (2019-2023) qui organise la complémentarité entre le PNNS et le PNA autour d'objectifs communs. Parmi les objectifs, on peut citer la réduction de 30 % de la consommation de sel, la promotion du Nutri-Score en visant à le rendre obligatoire au niveau européen ou encore l'extension de l'éducation à l'alimentation de la maternelle au lycée. Ce programme, doté d'un budget de 40 millions d'euros essentiellement abondé par des fonds européens, finance principalement des actions éducatives.

Parmi les actions mises en oeuvre pour modifier les habitudes nutritionnelles des Français, les campagnes nationales « manger bouger » ou « manger cinq fruits et légumes par jour » ont permis de toucher un grand nombre de Français, grâce à des actions de communication ciblées, déployées à la fois sur les médias traditionnels et les réseaux sociaux, avec des recommandations pratiques, un site internet et des recettes pour manger plus sain. Organisés de juillet à décembre 2017, les États-généraux de l'alimentation ont eu le mérite de mettre à l'ordre du jour l'importance des choix de consommation privilégiant une alimentation saine, sûre et durable. Plusieurs ateliers ont été organisés à cette fin, pour faciliter l'adoption par tous d'une alimentation favorable à la santé (atelier 9), réussir la transition écologique et solidaire de notre agriculture en promouvant une alimentation durable (atelier 11), lutter contre l'insécurité alimentaire, s'assurer que chacun puisse avoir accès à une alimentation suffisante et de qualité en France et dans le monde (atelier 12).

b) Un outil simple et accessible : le Nutri-score

Dans le cadre du Programme national nutrition santé (PNNS), des outils ont été déployés pour encourager l'accès à une alimentation saine pour tous, en agissant à la fois sur les comportements alimentaires et l'environnement alimentaire. Parmi eux, le plus emblématique est sans nul doute le Nutri-score , adopté par les pouvoirs publics en 2017, en se fondant sur les travaux de l'équipe du professeur Serge Hercberg.

Outil simple et accessible à tous, il a vocation à aider les consommateurs à choisir des denrées de meilleure qualité nutritionnelle et à inciter les industriels agroalimentaires à améliorer la composition nutritionnelle de leurs produits. Il permet de comparer deux produits transformés entre eux de manière efficace, sans avoir à se pencher sur la composition des ingrédients et la qualité nutritionnelle du produit final. Ainsi que l'a résumé Daniel Nizri, président de la Ligue nationale contre le cancer et du comité de suivi du programme national nutrition santé 2019-2023, « le Nutri-score est un soutien pour aider les personnes, en fonction de leurs revenus, à remplir leurs caddies de la façon la plus intéressante possible, du point de vue de l'accessibilité financière, bien sûr, mais aussi du point de vue du plaisir ».

Les déterminants des actes d'achat du consommateur sont cependant complexes et les recommandations nutritionnelles si diverses que le consommateur est bien souvent désemparé face à la multiplicité des choix qu'impliquent les achats alimentaires. Le Nutri-score a fait l'objet de critiques et des incohérences de notation ont été relevées à de nombreuses reprises : il ne présente pas le réel profil nutritionnel de l'aliment. S'il peut contribuer à l'évolution les pratiques d'achat, il n'est pas suffisant pour modifier les pratiques alimentaires dans leur ensemble , et notamment la capacité à concevoir des menus équilibrés et adaptés aux besoins. Ce n'est pas parce qu'un ménage ne compose ses menus avec uniquement de produits notés « A » que le régime sera équilibré pour la santé.

En définitive, cet indicateur peut constituer le support d'une politique d'éducation à l'alimentation et permet de contrebalancer certaines pratiques de marketing alimentaire. Dominique Nizri a reconnu lors de son audition du 2 mars 2022 que le Nutri-score devait être amélioré : « il lui manque un certain nombre d'éléments qui n'étaient pas accessibles quand il a été mis en place, notamment tout ce qui se rapporte à la filière de production : les intrants , pour ce qui concerne l'agriculture ; les additifs , pour ce qui concerne les produits transformés et ultra-transformés ; les origines , car la question des circuits courts est importante ; enfin, les portions , car il faut indiquer la quantité, d'ailleurs variable selon l'âge, qui peut être mangée. »

Une enquête du CRÉDOC 290 ( * ) a montré que si l'étiquetage énergétique était largement connu et utilisé, le Nutri-Score, plus récent et non obligatoire, a une notoriété beaucoup plus faible : seuls 4 Français sur 10 le connaissent et il n'est présent que sur environ 30 % des produits alimentaires. Pour l'instant, ce sont les catégories les plus éduquées et les classes sociales les plus élevées qui le connaissent et l'apprécient. La mission d'information plaide donc pour l' approfondissement du travail de pédagogie et de communication autour du Nutri-score en direction du grand public.

Proposition n° 37 : approfondir le Nutri-score en intégrant l'impact sur l'environnement des produits, tenant compte de la santé environnementale et opérant une distinction entre produits bruts ou peu transformés et aliments ultra-transformés.

L'évaluation à 3 ans du logo nutritionnel Nutri-score, réalisée par Santé publique France en février 2021 291 ( * ) , a établi que 94 % des Français étaient favorables à son apposition sur les emballages et que plus d'un Français sur deux déclare avoir changé au moins une habitude d'achat grâce à cet affichage.

Source : Santé publique France.

Cette évaluation relève notamment que « plusieurs études ont permis de mettre en évidence l'efficacité du Nutri-Score pour guider les consommateurs vers des choix alimentaires plus favorables à la santé. Des études épidémiologiques ont observé que des personnes consommant des aliments mieux notés par le Nutri-Score avaient un risque plus faible de maladies chroniques liées à la nutrition ». D'autres pays ont par ailleurs adopté ce système d'information nutritionnelle, à l'instar de la Belgique, l'Espagne, l'Allemagne, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Suisse.


* 273 On consultera avec profit l'ouvrage dirigé par Jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari, Histoire de l'alimentation (1996) qui réunit les contributions d'une cinquantaine d'historiens.

* 274 Boudon-Millot Véronique, “ Que ton alimentation soit ta meilleure médecine ! ” ou la fortune exceptionnelle d'un adage pseudo-hippocratique ( De alimento 19). In : Revue des Études Grecques, tome 129, fascicule 2, 2016. pp. 329-34.

* 275 Lors de son audition du 13 janvier 2022.

* 276 Fadnes LT, Økland J-M, Haaland ØA, Johansson KA (2022) Estimating impact of food choices on life expectancy : A modeling study. PLoS Med 19(2).

* 277 Health effects of dietary risks in 195 countries, 1990-2017 : a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2017 . The Lancet, Volume 393, ISSUE 10 184, P1958-1972, May 11, 2019.

* 278 The food pharmacy : Theory, implementation, and opportunities, J. A. Donohuea, T. Severson, L. Park Martin American Journal of Preventive Cardiology Volume 5, March 2021.

* 279 Accessible au bout de ce lien https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT2014SA0234Ra.pdf .

* 280 Lors de son audition du 2 mars 2022.

* 281 Les ménages les plus modestes dépensent davantage pour leur logement et les plus aisés pour les transports, Insee Focus n° 203, Elvire Demoly et Camille Schweitzer (division Conditions de vie des ménages), 15 septembre 2020.

* 282 Selon laquelle la part du revenu allouée aux dépenses alimentaires est d'autant plus faible que le revenu est élevé.

* 283 Obésité : quelles conséquences pour l'économie et comment les limiter ? , Lettre Trésor-Eco n° 179, septembre 2016.

* 284 Pierre Bourdieu, La Distinction, critique sociale du jugement, 1979.

* 285 Dans sa troisième étude sur les consommations et les habitudes alimentaires de la population française, INCA 3.

* 286 Instance consultative indépendante placée auprès des ministres chargés de l'agriculture, de la consommation, de la santé et de la transition écologique - souvent présentée comme le « Parlement de l'alimentation ».

* 287 Alimentation et état nutritionnel des bénéficiaires de l'aide alimentaire - Étude Abena 2011-2012 et évolutions depuis 2004-2005, D. Grange, K. Castetbon, G. Guibert, M. Vernay, H. Escalon, A. Delannoy, V. Féron, C. Vincelet.

* 288 Lors de son audition le 17 mars 2022.

* 289 https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/pnns_4_bilan_mai2021.pdf

* 290 Surtout connu des classes aisées, Nutri-Score souffre de n'être apposé que sur 30 % des produits alimentaires, CRÉDOC, P. HEBEL, T. MATHE, n° CMV311

* 291 https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/nutriscorebilan3ans.pdf

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