III. PLUSIEURS PROPOSITIONS PEUVENT ÊTRE FORMULÉES POUR CONSOLIDER LE RÔLE STRATÉGIQUE DE L'ÉNAP POUR L'AVENIR DE L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

Au terme de ses auditions et déplacements réalisés entre 2020 et le début de l'année 2022, le rapporteur spécial a acquis la conviction que l'Énap est un opérateur efficace et stratégique dans la formation des agents du service public pénitentiaire . Dans un contexte marqué par un élargissement de ses missions, une grande diversité des profils à former, et une augmentation significative de son plan de charge dans les prochaines années, l'école a fait preuve d'adaptabilité et de réactivité .

Elle a connu un tournant majeur en 2016, avec les évolutions réglementaires qui ont permis d'actualiser son statut et de renforcer son autonomie. Après la mise en oeuvre du plan d'action de lutte anti-terroriste (PLAT), le déploiement du plan de construction de 15 000 places supplémentaires constitue le nouvel horizon de l'école pour assurer sa montée en charge.

Dans cette perspective, plusieurs recommandations peuvent être formulées afin de garantir que l'école franchisse cette étape avec sérénité .

A. AMÉLIORER L'ATTRACTIVITÉ DE L'ÉNAP ET, PLUS LARGEMENT, CONCOURIR À CELLE DE L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

Force est de constater que la question de l'attractivité des métiers de l'administration pénitentiaire est au coeur des difficultés de gestion de l'école . Au-delà du désamour généralisé des jeunes diplômés pour les métiers de la fonction publique, l'administration pénitentiaire est particulièrement concernée par cette problématique en raison de sa concurrence avec d'autres métiers liés à la sécurité publique, comme la police nationale ou la gendarmerie nationale.

Ainsi, lors d'un échange avec de jeunes surveillants rencontrés lors de son déplacement à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, le rapporteur spécial a constaté qu'un certain nombre d'entre eux s'étaient tournés vers l'administration pénitentiaire, faute d'avoir réussi à intégrer d'autres corps « en tenue » . La vocation familiale et l'importance du service public pénitentiaire au sein d'un bassin d'emplois local restent des déterminants forts de la motivation des candidats, davantage que la diversité des métiers et des parcours offerts par l'administration pénitentiaire.

Outre des campagnes de communication pour les différents concours, l'administration pénitentiaire a mis en place, à compter de 2020, des concours nationaux à affectation locale (CNAL) pour les surveillants, permettant d'affecter dès la phase de sélection des candidats sur des ressorts territoriaux faisant face à des besoins importants en termes d'effectifs. Pour les candidats, connaître en amont le territoire dans lequel ils seront affectés en cas de réussite permet de sécuriser leurs projets de vie. Cette pré-affectation est accompagnée d'une incitation pécuniaire : une prime de fidélisation est en effet attribuée, pour un montant total de 8 000 euros, et versée en plusieurs fois au cours des six années d'activité dans l'établissement choisi. Si cette initiative est intéressante, il est néanmoins encore trop tôt pour évaluer ses effets sur le recrutement.

En outre, la politique de revalorisation du traitement des agents de l'administration pénitentiaire, menée depuis plusieurs exercices par le ministère de la justice 30 ( * ) , constitue également un levier incontournable, mais non suffisant, du renforcement de l'attractivité.

Les craintes et stéréotypes associés au milieu carcéral constituent des freins à l'émergence de vocation. La garantie d'une formation adaptée aux exigences du terrain permet d'y apporter une réponse concrète . Si les personnes auditionnées ont témoigné du bon niveau de la formation des élèves, il convient de rester vigilant à ce que les enseignements transmis n'apparaissent pas trop en décalage avec les risques et attentes que rencontreront les élèves lors de leur prise de poste. Certains élèves rencontrés ont d'ailleurs regretté le caractère « hors sol » de certains enseignements.

Cette question se pose avec d'autant plus d'acuité que la crise sanitaire a réduit le temps de formation en présentiel , alertant ainsi les agents sur l'acquisition des pratiques professionnelles nécessaires à la prise de poste à l'issue de la formation initiale.

Dans cette perspective, la question du statut des formateurs est centrale . Alors que depuis 2016, la durée maximale d'affectation des formateurs à l'école est fixée à sept ans ( cf. supra ), cette disposition réglementaire n'est pas appliquée , faute de consignes et d'indications de la direction de l'administration pénitentiaire sur la mobilité ultérieure de ces formateurs après leur passage à l'école. Par conséquent, il conviendrait de prendre dans les meilleurs délais des mesures permettant l'effectivité de cette disposition, afin de garantir une formation initiale au plus proche du terrain.

Recommandation n° 1 : afin de garantir une formation initiale au plus proche du terrain, appliquer le décret n° 2016-547 du 3 mai 2016 limitant à sept ans la durée maximale d'affectation d'un formateur à l'Énap ( direction de l'administration pénitentiaire et Énap ).

Certes, cette obligation de mobilité peut s'avérer contraignante pour les formateurs, dans la mesure où leur mobilité géographique est d'une durée déterminée, ce qui peut être contreproductif pour attirer des formateurs sur les postes proposés à l'Énap. Par conséquent, l'une des priorités pour valoriser l'offre pédagogique est le renforcement de l'attractivité du statut de formateurs à l'Énap, en contrepartie d'une obligation de mobilité . Passer quelques années à former de jeunes agents du service public pénitentiaire doit pouvoir être valorisé et pleinement reconnu dans le parcours professionnel d'un formateur.

Dans cette perspective, deux leviers peuvent être envisagés. D'une part, l'Énap pourrait être habilitée à certifier les compétences acquises par ces formateurs , leur permettant ainsi de les faire valoir dans le cadre d'une mobilité ultérieure. Même si l'Énap est aujourd'hui reconnue comme organisme de formation, elle ne peut pas procéder à ces certifications. D'autre part, une réflexion pourrait être conduite sur la valorisation de cette étape de carrière dans le cadre d'une mobilité au sein d'une autre direction du ministère de la justice, ou d'un autre ministère en lien avec les missions de sécurité, afin d'élargir l'horizon professionnel des formateurs .

Recommandation n° 2 : renforcer l'attractivité du statut de formateur à l'Énap en valorisant ces fonctions ultérieurement dans le parcours professionnel de celui-ci, notamment en habilitant l'Énap à certifier ses compétences acquises en tant que formateur, lui permettant ainsi de les faire valoir dans le cadre d'une mobilité ultérieure, y compris au sein d'une autre direction du ministère de la justice, ou d'un autre ministère en lien avec des missions de sécurité ( direction de l'administration pénitentiaire ).

Enfin, l'attractivité des métiers de l'administration pénitentiaire se heurtent aux difficultés matérielles rencontrées pour exercer ces fonctions, et en particulier celles liées au logement .

En effet, les établissements pénitentiaires étant situés dans des zones où le coût de la vie est élevé, comme en Île-de-France, et qui sont souvent mal desservies par les transports en commun, la recherche d'un logement est particulièrement difficile lors de la première prise de poste, d'autant qu'un peu moins d'un tiers des personnels de surveillance sont originaires d'outre-mer. Si des dispositifs d'action sociale peuvent être ponctuellement proposés, ainsi que des programmes associatifs, les auditions ont fait état d'un problème chronique de difficultés à se loger qui reste difficile à résorber, en particulier pour les célibataires sans enfant .

Dans cette perspective, l'exemple de la mise en place d'un « référent local logement » au sein de l'administration de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis constitue une initiative intéressante . Grâce à un partenariat avec le bailleur « RLF » (Résidences le Logement des Fonctionnaires), la maison d'arrêt dispose de 273 chambres à proximité pour accueillir ses agents au début de leur prise de poste. Par la suite, le référent local logement les accompagne individuellement dans leur recherche de logement, facilitant ainsi leur installation.

L'amélioration des conditions d'hébergement des agents de l'administration pénitentiaire constitue un axe de réflexion de longue date du secrétariat général du ministère de la justice . Toutefois, les observations du rapporteur spécial, qui recoupent largement celles de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les dysfonctionnements de l'administration pénitentiaire 31 ( * ) , appellent à la mise en oeuvre de dispositifs concrets et à plus grande échelle, qui dépassent la seule compétence de l'Énap.

Recommandation n° 3 : améliorer les conditions de prise de poste des agents pénitentiaires, en généralisant le déploiement d'un « référent local logement », en partenariat avec le secrétariat général du ministère de la justice ( direction de l'administration pénitentiaire et secrétariat général du ministère de la justice ).


* 30 Cf. rapport budgétaire sur le projet de loi pour 2022.

* 31 Rapport n° 4906 du 12 janvier 2022 fait au nom de la commission d'enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française, présidée par M. Philippe Benassaya et rapporté par Mme Caroline Abadie, p. 80.

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