B. LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DU PACTE

1. L'introduction de procédures à la frontière
a) Le « filtrage » des ressortissants de pays tiers ne remplissant pas les conditions d'entrée

Le Pacte prévoit d'abord une procédure de filtrage (« screening ») inédite des ressortissants de pays tiers se présentant aux frontières extérieures de l'Union européenne sans remplir les conditions d'entrée.

Les services compétents des États membres d'arrivée auront ce filtrage en charge mais pourront être épaulés, dans le respect de leurs mandats respectifs, par des experts de l'agence Frontex et de la future agence européenne de l'asile.

Cette procédure, qui doit permettre une identification et l'orientation rapides des migrants vers la procédure adéquate, est essentielle pour mieux contrôler les flux de migrants entrant dans l'Union européenne et pour maîtriser les mouvements secondaires.

Seraient plus particulièrement visées :

- les personnes qui, bien que ne remplissant pas les conditions d'entrée dans l'Union européenne, demandent une protection internationale lors des vérifications aux frontières ;

- les personnes amenées à terre à la suite d'opérations de recherche et de sauvetage en mer ;

- les personnes appréhendées sur le territoire de l'Union européenne si elles ont tout d'abord échappé aux contrôles aux frontières extérieures.

Pour les deux premières catégories, ces opérations devraient être réalisées « en des lieux situés aux frontières extérieures ou à proximité de celles-ci » et, dans le second, « en tout lieu approprié situé à l'intérieur du territoire de l'État membre compétent », dans un délai maximal de cinq jours.

En pratique, les ressortissants de pays tiers concernés feraient l'objet de trois contrôles successifs :

- un contrôle sanitaire « visant à détecter tout besoin de soins immédiats ou d'isolement pour raisons de santé publique » et un contrôle de vulnérabilité, visant à vérifier si un soutien approprié de la personne examinée par des personnels qualifiés n'est pas nécessaire « au regard de sa santé physique et mentale » ;

- une vérification de leur identité, à la fois par l'examen de leurs documents de voyage, par les données fournies par la personne, et par le relevé de ses données biométriques ;

- enfin, un contrôle de sécurité, qui peut porter sur la personne concernée et sur les objets en sa possession, destiné à s'assurer que l'intéressé ne représente pas une menace pour la sécurité intérieure. Dans les faits, les services en charge du contrôle interrogeraient les bases de données nationale, européennes 45 ( * ) et internationale 46 ( * ) pertinentes.

Les personnes soumises au filtrage seraient informées du déroulement et des objectifs de ce dernier, ainsi que sur leurs droits et obligations. Le cas échéant, elles pourraient aussi être informées des règles applicables aux conditions d'entrée et de séjour et de l'obligation de retour des migrants en situation irrégulière. En cas de demande de la protection internationale, elles pourraient bénéficier d'une information leur rappelant leur obligation d'effectuer cette demande dans l'État membre de première entrée ou de séjour régulier.

Toutefois, ce dispositif suscite des questions de principe et des craintes sur ses modalités pratiques.

Ainsi, dans un avis adopté le 7 mai dernier, le Conseil national des barreaux (CNB) a émis une critique de principe du dispositif, car il priverait de facto certains migrants de leur droit de demander l'asile.

En outre, le CNB s'étonne de l'absence de mention, dans le règlement « filtrage » du Pacte, de certaines garanties procédurales au profit des personnes « filtrées » : absence d'obligation de décision écrite ; absence de notification obligatoire ; absence de recours effectif contre la décision issue du filtrage ; absence d'assistance juridique... Il souligne également qu'un regard extérieur devrait être imposé aux services en charge du « filtrage » par la possibilité laissée aux parlementaires et aux autorités administratives indépendantes en charge de la défense des droits fondamentaux, d'y pénétrer. Les représentantes du CNB auditionnées ont indiqué aux rapporteurs que, l'application du règlement « filtrage » à la France comporte un risque de remise en cause des procédures nationales de l'asile aux frontières, très protectrices des individus.

Pourtant, concernant le respect des droits fondamentaux, comme le rappelle le HCR, associé aux réflexions sur le Pacte, chaque État membre serait contraint, par le règlement, d'instituer un mécanisme de contrôle indépendant des procédures de filtrage.

Quant à la préservation des procédures actuelles du droit français, pendant le filtrage comme pendant la procédure d'asile à la frontière, elle constitue un impératif pour la France selon M. Pierre Regnault de la Mothe, conseiller Justice Affaires intérieures à la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne. En conséquence, une clause spécifique sera insérée dans le règlement pour préciser que la France, sur ce dispositif, appliquera le droit le plus favorable, à savoir le droit français.

Par ailleurs, les incertitudes sur la localisation des opérations de filtrage inquiètent tant le CNB que les parlementaires européens, à l'image de Mme Sylvie Guillaume, députée européenne (S/D) et rapporteur fictif de son groupe sur ce règlement, pour qui l'organisation du filtrage dans une « fiction juridique de non-entrée dans l'Union européenne » constitue une « ligne rouge ».

En effet, la Commission européenne maintient une fiction juridique de non entrée sur le territoire de l'Union européenne, qui pose la question du droit applicable à cette « procédure à la frontière ». Lors de son échange avec les rapporteurs, Mme Monique Pariat, directrice générale des affaires intérieures de la Commission européenne, a précisé qu'il ne s'agissait pas de « délocaliser » le filtrage dans des pays tiers ayant passé un accord avec l'Union européenne mais où les droits fondamentaux des personnes ne seraient pas respectés, mais qu'il revenait à chaque État membre de choisir une solution adaptée.

Pour le gouvernement français, ces opérations de filtrage, et, plus généralement, les procédures à la frontière, doivent être menées en lieu clos, sur le principe des zones d'attente, afin d'éviter toute fuite des personnes qui doivent en faire l'objet et, ce faisant, garantir le succès de la procédure.

À l'issue de la procédure de filtrage, les ressortissants de pays tiers contrôlés seraient orientés vers la procédure applicable à leur situation, à savoir :

- la procédure de retour, lorsque la personne n'a pas demandé la protection internationale ou si le filtrage a démontré qu'elle ne remplissait pas les conditions d'entrée ;

- lorsque la personne a demandé la protection internationale, la procédure d'asile, le cas échéant, menée à la frontière ;

- la relocalisation dans le cadre du mécanisme de solidarité.

b) L'instauration d'une procédure européenne d'asile à la frontière

À l'issue du filtrage aux frontières extérieures d'un ressortissant de pays tiers, si ce dernier demande l'asile et s'il n'est pas autorisé à entrer dans l'Union européenne, il devrait faire l'objet d'une procédure d'asile à la frontière.

Cette procédure recouvrirait donc plusieurs hypothèses :

- le cas d'un ressortissant d'un pays tiers présentant un faible taux de reconnaissance en matière de protection internationale 47 ( * ) . Dans les faits, seraient concernés les pays se caractérisant par un taux de reconnaissance inférieur à 20 % du taux de reconnaissance européen ;

- le cas d'une demande frauduleuse ou abusive ;

- le cas où le demandeur représente une menace pour la sécurité nationale.

Pour les autres demandeurs d'asile en revanche, c'est la procédure « normale » qui serait applicable. En particulier, les familles avec des enfants de moins de douze ans et les mineurs non accompagnés seraient exclus de la procédure d'asile à la frontière.

Cette procédure à la frontière aurait une durée maximale de douze semaines. Et, dans l'hypothèse où le demandeur serait débouté, ce délai initial serait prolongé d'un nouveau délai de douze semaines pour procéder à son retour.

Pas hostile au principe de cette procédure, le HCR souligne que dans certains États membres, elle représenterait même un réel progrès dans la défense des droits des demandeurs d'asile.

En effet, même dans la procédure à la frontière, chaque demandeur d'asile pourrait bénéficier d'une évaluation individuelle de sa demande et exercer son droit au recours contre une décision défavorable.

En revanche, si la France est favorable au principe d'une rétention administrative des demandeurs d'asile, ce principe est source de tensions entre États membres. Ainsi, l'Espagne s'y oppose fermement, tant pour des raisons de principe et d'exigence constitutionnelle (la Constitution espagnole prévoit en effet que toute personne « gardée à vue » et, par extension, privée de liberté, doit être présentée à un juge au terme d'un délai de 72 heures), que pour des raisons pratiques (elle ne dispose pas des infrastructures nécessaires).

c) La refonte de la base Eurodac

Système d'information contenant les empreintes digitales des demandeurs d'asile et de protection subsidiaire, ainsi que des migrants irréguliers se trouvant sur le territoire de l'Union européenne (2,7 millions de recensées), Eurodac contribue à déterminer l'État membre de l'Union européenne (UE) responsable de l'examen d'une demande d'asile ou de protection subsidiaire.

Depuis sa révision par le Règlement n°603/2013 du 26 juin 2013, ce traitement de données a également pour objet de permettre aux forces de sécurité intérieure, sous certaines conditions strictes, de consulter la base Eurodac à des fins d'investigation, de détection, et de prévention d'actes terroristes ou autres infractions pénales graves.

Présentée comme une réforme technique, cette proposition de règlement a en fait des objectifs ambitieux :

- permettre la comptabilisation des demandeurs d'asile plutôt que des demandes d'asile, afin d'assurer un meilleur suivi de ces personnes, de faciliter leur relocalisation et de prévenir les déplacements non autorisés au sein de l'Union européenne ;

- prendre en considération, dans une nouvelle catégorie spécifique, les personnes débarquées dans un port de l'Union européenne à la suite d'une action de sauvetage en mer ;

- rendre Eurodac interopérable avec les bases de données européennes précitées relatives à la gestion des frontières (SIS ; VIS...).

Les bases de données européennes relatives à la gestion des frontières :

Plusieurs bases de données ont été mises en place par l'Union européenne et les États membres ou vont l'être, dans le cadre des procédures de contrôle aux frontières :

- le système entrée/sortie (EES) : base de données relative aux entrées et aux sorties des ressortissants de pays tiers qui franchissent les frontières extérieures des États membres de l'Union européenne ainsi que les données relatives aux refus d'entrée les concernant. Son entrée en service est prévue courant 2022 ;

- le système d'autorisation préalable de voyage pour les ressortissants de pays tiers non soumis à visa (ETIAS) : ce système correspond à une autorisation électronique de voyage, inspirée du système ESTA américain. Dès la fin 2022, les voyageurs souhaitant voyager dans l'espace Schengen devront obtenir une autorisation de voyage ETIAS avant leur départ ;

- le système d'information Schengen (SIS II) : base de données contenant des informations sur les personnes recherchées ou disparues, les personnes sous surveillance policière, les ressortissants de pays tiers auxquels l'entrée dans l'espace Schengen est interdite, ainsi que des informations sur les véhicules et objets volés ou disparus (documents d'identité ; certificats d'immatriculation des véhicules ; plaques d'immatriculation...) ;

- le système d'information sur les visas (VIS) : système d'échange de données sur les visas applicable au sein de l'espace Schengen afin de simplifier les procédures de demandes de visas, de faciliter les contrôles aux frontières extérieures et de renforcer la sécurité.

Avec le soutien de la France, ces bases font aujourd'hui l'objet de « refontes » tant juridiques que techniques afin de permettre leur interopérabilité à échéance 2023. Comme développé ci-dessous en b), cette interopérabilité concernerait également la base Eurodac.

Pour la France, l'adoption rapide de ce règlement est considérée comme essentielle car l'interopérabilité des bases de données concernées doit permettre une amélioration de la sécurité de l'Union européenne et des demandeurs d'asile.

Cependant, comme le soulignait la députée européenne Sylvie Guillaume lors de son audition, Conseil et Parlement européen doivent être attentifs à garantir le respect scrupuleux de la protection des données personnelles dans les utilisations autorisées de cette « super base de données ».

2. L'instauration d'un régime d'asile européen

« Je peux annoncer que nous allons abolir le règlement de Dublin et le remplacer par un nouveau système européen de gouvernance de la migration [...]. Il y aura un nouveau mécanisme fort de solidarité » annonçait la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula Von der Leyen, le 16 septembre 2020, devant le Parlement européen.

En fait, les ambitions du Pacte sont plutôt de « toiletter » les dispositions du règlement Dublin III sur la détermination de l'État membre devant prendre en charge les demandeurs d'asile, d'instaurer un mécanisme de solidarité obligatoire pour leur relocalisation, et d'harmoniser, autant que faire se peut, les règles de l'asile dans l'Union européenne.

a. Le « toilettage » du règlement Dublin III

Avec le renforcement des contrôles aux frontières extérieures et l'institution d'un mécanisme de solidarité, la refonte des règles de détermination de l'État membre devant prendre en charge un demandeur d'asile à son arrivée dans l'Union européenne est l'une des dispositions les plus importantes du Pacte.

Dans ce dernier (plus exactement, dans le règlement relatif à la gestion de l'asile et de la migration), l'objectif premier est de permettre la détermination de la responsabilité d'un seul État membre, tout d'abord, pour que le demandeur d'asile puisse bénéficier d'un accès plus rapide à la procédure d'asile mais également pour éviter les mouvements secondaires de demandeurs d'asile au sein de l'Union européenne.

La France est particulièrement attachée à la restriction de ces mouvements secondaires, qui sont à l'origine de la majorité des demandes d'asile sur son territoire.

Alors que la responsabilité de l'État membre de première entrée est aujourd'hui la norme pour l'essentiel des migrants irréguliers demandant l'asile, le Pacte prévoit l'application de cinq critères de détermination de l'État membre responsable, dans l'ordre ci-dessous :

a) l'État membre justifié par l'intérêt supérieur de l'enfant ;

b) l'État membre dans lequel un membre de la famille a obtenu une protection internationale ou continue d'avoir la qualité de demandeur ;

c) à défaut, l'État membre qui a délivré un titre de séjour ou un visa ;

d) l'État membre dans lequel un établissement d'enseignement a délivré un diplôme ou un titre de qualification ;

e) enfin, l'État membre de première entrée.

Le Pacte prévoit des délais plus courts pour accélérer la détermination de l'État membre responsable (délai de saisine et délai de réponse) et définit en revanche des délais plus longs pour la prise en charge des demandeurs d'asile : de 1 à 3 ans après un franchissement irrégulier d'une frontière extérieure de l'Union européenne ; de 6 mois à 3 ans après l'expiration d'un visa ; de 2 à 3 ans après l'expiration d'un titre de séjour.

Ces règles de détermination et de prise en charge seraient valables « en temps normal ». Mais en cas de « pression migratoire » ou de « crise migratoire », la solidarité entre États membres deviendrait obligatoire (voir b) et les délais seraient adaptés.

Le Pacte préciserait également les obligations des demandeurs d'asile, en particulier, leur obligation de présence dans l'État membre désigné responsable de sa prise en charge. S'il ne respectait pas cette obligation, le demandeur d'asile concerné ne pourrait plus bénéficier de conditions matérielles d'accueil.

b. Un mécanisme de solidarité pour la relocalisation des demandeurs d'asile

Le Pacte (projets de règlement de gestion de l'asile et de la migration, et de règlement sur la réponse aux situations de crise et de force majeure dans le champ de l'asile et de la migration) confie un rôle de coordination à la Commission européenne et définit quatre niveaux de solidarité entre État membres :

- en temps normal , un État membre pourrait contribuer volontairement à un effort de solidarité au profit d'un ou d'autres États membres. Cette solidarité volontaire pourrait prendre la forme de contributions variées (opérations de relocalisation ; parrainages en matière de retour, c'est-à-dire prise en charge par un État membre, au nom de l'État membre aidé, d'une opération de retour de migrants en situation irrégulière dans leur pays d'origine ; mesures de soutien sous forme de renforcement logistique des capacités d'accueil ou d'aide financière...) ;

- à la suite d'un débarquement de migrants suivant un sauvetage en mer , les États membres devraient offrir des contributions obligatoires à une réserve permanente de mesures de solidarité, actualisée chaque année, sous la forme d'engagements pris pour réaliser des relocalisations ou des mesures de soutien. Puis, à la suite de débarquements, toutes les deux semaines, la Commission européenne solliciterait les États membres, afin qu'ils mettent en oeuvre leurs engagements. Dans l'hypothèse où le nombre de relocalisations effectives ne serait pas assez important, la Commission pourrait d'abord les inviter à un « forum des solidarités », afin qu'ils augmentent leurs contributions, ou, à défaut, aurait la possibilité de fixer le nombre de demandeurs d'asile à répartir et la part à prendre par chaque État membre ;

- en période de pression migratoire , il reviendrait à la Commission européenne d'évaluer et de déterminer si un État membre se retrouve en situation effective de pression migratoire, en prenant en compte sa situation au cours des six derniers mois. En cas de constat de pression migratoire, la solidarité des autres États membres deviendrait obligatoire. Cette solidarité s'exprimerait sous trois formes : relocalisations ; parrainage en matière de retour ; mesures de soutien. De nouveau cependant, si la Commission européenne constatait un « déficit » de prise en charge de relocalisations et de parrainages de retour, elle serait en mesure de réunir le « forum des solidarités », et, à défaut d'accord, de répartir elle-même les actions de solidarité à effectuer par chaque État membre ;

- en situation de crise migratoire , définie comme un afflux massif de ressortissants de pays tiers franchissant irrégulièrement les frontières d'un État membre, au risque de remettre en cause le fonctionnement des règles de l'asile en Europe, la solidarité serait également obligatoire. Les dispositifs de répartition des actions de solidarité décrits pour la situation de pression migratoire seraient là encore prévus, mais les États membres ne pourraient plus proposer des mesures de soutien, et devraient effectuer des relocalisations et des parrainages en matière de retour.

En outre, dans de telles circonstances, des délais spécifiques (prolongation pour une durée de quinze jours maximum du délai de filtrage ; allongement à huit semaines pour la procédure de retour à la frontière ; réduction de huit à quatre mois du délai de transfert d'un demandeur d'asile vers l'État membre devant le prendre en charge) et des procédures dérogatoires au droit commun seraient applicables (possibilité d'appliquer la procédure d'asile à la frontière pour un demandeur d'asile ayant une nationalité dont le taux de reconnaissance est inférieur ou égal à 75 % du taux moyen de l'Union européenne ).

En pratique, les contributions de solidarité de chaque État membre seraient calculées sur la base d'une clé de répartition fondée sur le produit intérieur brut (PIB) et la démographie de cet État.

Ce faisant, le mécanisme proposé est très proche de celui qui était prévu dans le « paquet asile », mais précisé par la définition de quatre niveaux de solidarité distincts et complété par la possibilité offerte aux États membres de proposer des mesures de soutien dans certains cas.

En outre, la Commission européenne, en cas de débarquements, de pression migratoire ou de crise, aurait un rôle pivot dans la mise en oeuvre des actions de solidarité, puisqu'elle définirait seule les situations nécessitant une solidarité obligatoire. Et elle serait en mesure de déterminer la contribution de chaque État membre, si des dissensions se révélaient alors entre eux sur l'importance de l'effort de solidarité à fournir.

Pour les diplomates des États membres rencontrés par les rapporteurs, les doutes subsistent sur sa mise en oeuvre. En l'état des négociations, peu avancé, les États membres du groupe de Visegrad demeurent opposés à toute relocalisation obligatoire de demandeurs d'asile pendant que les États membres de première entrée estiment que ce mécanisme traduit une solidarité trop faible.

Il est probable que l'ampleur des prérogatives accordées à la Commission européenne par le Pacte et la restriction du pouvoir des États membres d'accorder l'asile aux personnes de leur choix, va être source de blocage entre les États membres. Pour la France, par exemple, c'est au Conseil qu'il revient de préciser si un État membre est en situation de pression migratoire.

c. Les garanties fondamentales des demandeurs d'asile

Le Pacte, concernant l'asile, est fondé sur la recherche d'un équilibre entre responsabilité des États membres et des demandeurs d'asile, et garanties renforcées pour le respect des droits fondamentaux des personnes jugées les plus vulnérables.

D'abord, dans les décisions concernant les mineurs non accompagnés, « l'intérêt supérieur de l'enfant » devrait primer sur tout autre impératif.

De plus, comme indiqué supra , les familles avec des enfants de moins de douze ans et les mineurs non accompagnés seraient exclus de la procédure d'asile à la frontière.

Enfin, le Pacte élargirait la notion de famille prise en compte pour les décisions de regroupement familial, souhaitant y intégrer les fratries et les liens familiaux noués par les demandeurs d'asile entre leur départ du pays d'origine et leur arrivée aux frontières de l'Union européenne.

d. Les autres dispositions issues du « paquet asile » de 2016

Enfin, le Pacte reprend les dispositions du « paquet asile » qui avaient fait l'objet d'accords politiques partiels.

Il propose tout d'abord de transformer le bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO) en agence européenne de l'asile, afin que cette dernière puisse évaluer la mise en oeuvre du régime d'asile européen commun par les États membres et leur apporter un soutien opérationnel. Cette évolution, qui avait fait l'objet d'un premier accord politique en juin 2017, a été validée par le Conseil en juin dernier. Pour l'accomplissement de ses missions, l'agence bénéficierait d'une réserve d'experts abondée par les États membres, sur le modèle de l'agence Frontex. À la demande de plusieurs États, dont la France, c'est le Conseil et non la Commission, qui déciderait des interventions de l'agence dans un État en crise.

La France compte sur les évaluations de l'agence pour harmoniser davantage les conditions d'accueil des demandeurs d'asile entre États membres de l'Union européenne.

Cette harmonisation est également l'objectif premier de la refonte de la directive « Accueil », qui vise à améliorer les conditions d'accueil des demandeurs d'asile (santé, accès à la nourriture et au logement, éducation pour les mineurs...), à réduire les mouvements secondaires (par la possibilité d'imposer un lieu de résidence aux demandeurs d'asile sous peine de rétention), et à renforcer les perspectives d'intégration (via un accès au marché du travail au plus tard six mois après l'introduction de la demande d'asile).

La proposition de règlement « Qualification », relative aux conditions que doivent remplir les demandeurs d'asile, précise les modalités de la protection octroyée (durée de validité des titres de séjour et droits des bénéficiaires en termes d'accès à l'emploi, à l'éducation, à la sécurité sociale, aux soins de santé, au logement et aux mesures d'intégration), prévoit que les bénéficiaires d'une protection internationale jouissent d'un droit de séjour limité à l'État membre qui leur a octroyé la protection, et vise une plus grande convergence des taux de reconnaissance des demandeurs d'asile entre États membres.

Sur ces deux textes, le Conseil a obtenu un mandat de négociation en 2019, mais, depuis, les discussions ont cessé en raison du blocage des États membres souhaitant une négociation en « paquet » (États membres de première entrée et groupe de Visegrad).

Enfin, alors que la proposition de règlement relative à la réinstallation et à l'admission humanitaire a été, elle aussi, bloquée au Conseil, le Pacte comprend une recommandation de la Commission européenne sur ce dossier. Cette recommandation, pour l'essentiel, tend à inciter les États membres à participer aux programmes de réinstallation (29 500 engagements de réinstallation pris par les États membres en 2020 ; 30 000 visés en 2021), à augmenter les objectifs de réinstallation de personnes ayant besoin d'une protection, à veiller à la qualité des programmes et à promouvoir des voies légales d'accès à l'Union européenne liées à l'éducation et au travail des personnes ayant besoin d'une protection internationale.

3. La volonté d'améliorer les retours de migrants irréguliers dans leur pays d'origine

Fort du constat unanime des institutions européennes et des États membres sur la nécessité d'améliorer le nombre de retours de migrants irréguliers dans leur pays d'origine, ce qui implique une plus grande harmonisation des pratiques, le Pacte comprend plusieurs dispositions devant répondre à cet objectif.

Au niveau opérationnel, un coordinateur de l'Union européenne chargé des retours serait nommé par la Commission européenne. En outre, l'agence Frontex, dans le cadre de son nouveau mandat, pourrait prendre une part plus importante aux opérations de retour, en soutien aux États membres.

Au niveau législatif, l'instauration de la procédure de filtrage et d'une procédure de retour à la frontière pour les ressortissants de pays tiers ayant fait l'objet d'une procédure d'asile à la frontière et dont la demande d'asile aurait été rejetée, doivent améliorer l'efficacité des opérations de retour. Les personnes dont la demande d'asile à la frontière aurait été rejetée pourraient alors être placées en rétention administrative « pendant une durée aussi courte que possible », et au maximum, n'excédant pas douze semaines, « à des endroits situés à la frontières extérieure ou à proximité de celle-ci ou dans des zones de transit », avant de faire l'objet d'une procédure de retour.

Enfin, le Pacte insiste sur la dimension extérieure de la politique de l'Union européenne en matière de retour, mais pas seulement. Plus généralement, l'Union européenne souhaite négocier, avec chaque pays tiers « cible » un partenariat renforcé « mutuellement bénéfique » dans lequel la migration devrait être intégrée en tant que question centrale ».

Ainsi, sur la base des vingt-quatre accords et arrangements européens existant en matière de réadmission, une collaboration plus étroite avec les pays d'origine et de transit serait mise en place, conjuguant soutien financier à ces pays, évaluation annuelle de leur degré de coopération en matière de réadmission (par la Commission européenne) et modulation des décisions de l'Union européenne vis-à-vis de ces pays en fonction de leur degré de coopération : ainsi, les États membres pourraient restreindre l'octroi de visas aux ressortissants de pays tiers peu coopératifs en matière de retour 48 ( * ) .

La reconfiguration des instruments européens de l'aide au développement au regard de l'enjeu migratoire

Le financement de l'Union européenne consacré aux réfugiés et aux questions de migration dans des pays tiers s'élève à plus de 9 milliards d'euros cumulés depuis 2015.

Conformément aux souhaits du Conseil en juillet 2020, la programmation stratégique du financement extérieur de de l'Union européenne prévoit :

- un instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (IVCDCI). Ce dernier, pour la période 2021-2027, est doté d'un budget de 79,5 milliards d'euros ;

- concernant les « pays du voisinage européen », une allocation de 10 % des fonds concernés pour récompenser leurs progrès dans les domaines de « la démocratie, des droits de l'Homme, de la coopération en matière de migration, de la gouvernance économique et des réformes » ;

- un objectif de 10 % des financements destinés aux actions liées à la migration.

Pour cela, le Pacte incite l'Union européenne et les États membres à coordonner leurs efforts et à valoriser les relations privilégiées de certains États membres auprès des pays tiers.

M. Fabrice Leggeri, directeur exécutif de Frontex, estime que son agence pourrait, malgré les limites du cadre juridique de la directive, pourrait « faire le pont » entre les services compétents des États membres en charge des opérations de retour (préparation des dossiers ; soutien logistique...).

En pratique, les États voisins de l'Union européenne (Balkans occidentaux ; pays du Maghreb ; Turquie), ainsi que les États d'Afrique constituent une priorité pour ces accords.

En complément, soulignant que la voie des retours volontaires demeure la plus efficace, la Commission européenne doit présenter prochainement une stratégie sur les retours volontaires et la réintégration.


* 45 Système d'information Schengen (SIS) ; système d'entrée/de sortie (EES) ; système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (ETIAS) ; système d'information sur les visas (VIS).

* 46 Base de données TDAWN (documents de voyage) d'Interpol.

* 47 Le taux de reconnaissance représente la part des décisions positives définitives (en première instance ou en appel) dans le nombre total de décisions rendues par les autorités compétentes se prononçant sur les demandes d'asile.

* 48 Cette possibilité a été autorisée dans son principe par la modification du Règlement (CE) n°810/2009 établissant un code communautaire des visas, via le Règlement (UE) 2019/1155 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019.

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