B. LES CONSÉQUENCES SOCIALES ET ÉCONOMIQUES DE L'ÉVOLUTION DES STRUCTURES FAMILIALES

1. La monoparentalité et ses conséquences sociales

L'évolution des structures familiales a également un impact sur les chiffres de la pauvreté . L'économiste Laurent Davezies remarque ainsi qu'entre 1999 et 2016, le nombre de ménages a davantage augmenté (+ 20 %) que le nombre d'emplois (+ 12 %), alors que la population n'a augmenté que de 10 % sur la même période. Cette multiplication des « petits ménages », notamment monoparentaux, suggère que la paupérisation d'une partie de la population tient en partie à « un bouleversement de nature sociologique » 53 ( * ) .

Plus concrètement, les divorces et les séparations induisent un appauvrissement de la cellule familiale, du fait notamment de la perte des économies d'échelle générées par la vie en couple, voire du non-paiement des pensions alimentaires. Pour une femme sans diplôme et éloignée de l'emploi, une séparation peut ainsi se traduire par une entrée durable dans la pauvreté.

380 000 enfants sont concernés chaque année par la séparation de leurs parents 54 ( * ) . Il faut cependant relativiser le constat d'une multiplication des ruptures de couples avec enfants : 75 % des enfants mineurs vivent en permanence avec leurs deux parents, 18 % avec un seul parent et 7 % avec un parent et un beau parent. Pour l'Union nationale des associations familiales (Unaf), si le fait familial est loin d'être indifférent à la question de la pauvreté, il ne se réduit pas aux familles monoparentales : plus généralement, trois personnes pauvres sur cinq vivent au sein d'une famille avec enfants.

Il n'en reste pas moins que la pauvreté touche particulièrement les familles monoparentales . Selon l'Insee, 33,6 % d'entre elles vivaient sous le seuil de pauvreté en 2017. Ces familles, composées à 85 % de mères seules avec enfants, sont en effet celles qui connaissent le plus de difficultés à concilier vie familiale et vie professionnelle. En 2014, 15 % d'entre elles étaient au chômage, près de deux fois plus que l'ensemble des femmes.

Le sentiment de précarité et de pauvreté est également plus fort chez les familles monoparentales . Selon la Drees, 62 % des familles monoparentales considèrent que leur situation actuelle est bonne, contre 85 % des parents en couple et 77 % des personnes sans enfant (personnes vivant seules, en couple ou dans une autre configuration familiale).

De plus, 55 % des parents isolés considèrent que leur situation est meilleure ou identique à celle de leurs parents, contre 71 % des parents en couple et 67 % des personnes sans enfant 55 ( * ) .

Jusqu'à présent, les dispositifs publics conçus pour aider ces familles n'ont pas fait la preuve de leur efficacité. Parmi les parents isolés, 62 % considèrent qu'ils auraient besoin d'être davantage aidés, ce qui n'est le cas que de 51 % des parents en couple selon la Drees. La forte représentation des mères isolées au sein du mouvement des « gilets jaunes » a d'ailleurs été abondamment remarquée et commentée en 2018.

2. Une solidarité distendue entre les générations ?

Les caractéristiques des réseaux familial, amical et de voisinage comptent au nombre des facteurs de précarisation et de paupérisation . La sociologue Claire Auzuret, qui a consacré une thèse à la sortie de la pauvreté, a identifié plusieurs facteurs permettant une sortie durable de cette situation : « un emploi stable, à temps complet, procurant un revenu d'activité supérieur au Smic ; la constitution d'un couple stable, composé de deux actifs ; la solidarité familiale ; le bénéfice éventuel d'aides institutionnelles ». Quand ces éléments ne sont pas réunis, on observe des allers-retours entre des situations de pauvreté et de non-pauvreté, à cause de l'existence de freins à l'emploi et de ressources relationnelles insuffisantes. C. Auzuret mentionne en particulier quatre obstacles à la sortie d'une situation de pauvreté : la maladie, la monoparentalité, un retrait progressif du marché du travail et l'isolement social.

De manière générale, l'entraide et la solidarité familiale restent fortes dans tous les milieux . Selon le Conseil supérieur du notariat, la famille reste un vecteur majeur de soutien des individus : la naissance d'un enfant, les difficultés à s'insérer sur le marché de l'emploi et à trouver un logement, le handicap, la maladie, la dépendance des personnes âgées ou la perte d'un proche sont autant de situations qui mettent en jeu la solidarité familiale. Il suffit à cet égard d'évoquer le rôle des aidants familiaux : une étude de la Drees 56 ( * ) indique que neuf aidants sur dix estiment « tout à fait normal » d'aider leur proche, que ce soit pour apporter un soutien moral ou, plus couramment, participer aux tâches de la vie quotidienne (ménage, courses, préparation des repas, etc .).

D'après l'Enquête nationale sur les ressources des jeunes menées fin 2014 par l'Insee et la Drees, les aides des parents représentent un apport essentiel pour les 18-24 ans. Sept jeunes adultes sur dix bénéficient ainsi d'un soutien financier régulier, ce soutien concernant en outre neuf jeunes en cours d'études sur dix. Lorsqu'ils ne vivent plus exclusivement chez leurs parents, les jeunes en cours d'études perçoivent en moyenne plus de 500 euros d'aide parentale. Cette aide est plus fréquente pour les jeunes dont le père est cadre ou exerce une profession libérale (88 %) mais elle est courante dans toutes les catégories socio-professionnelles (68 % pour les enfants d'employé, 61 % pour les enfants d'ouvrier) 57 ( * ) .

La solidarité intergénérationnelle résiste à l'éloignement géographique car, contrairement à une idée reçue, cet éloignement est loin d'être nouveau. Au contraire, selon l'Unaf, la proximité géographique avec les grands-parents peut constituer un enjeu économique pour les familles et ainsi expliquer une partie des formes d'immobilité géographique constatées en France.

Les crises économiques, à l'image de la crise de 2008-2009, donnent toutefois une acuité nouvelle à la question des inégalités entre les générations : depuis les années 1980 et 1990, les jeunes, notamment peu qualifiés, arrivant à l'âge actif ont subi de plein fouet les dégradations du marché du travail 58 ( * ) . Elles posent aussi le problème de la soutenabilité générationnelle de notre modèle social, c'est-à-dire de la difficulté à assurer aux nouvelles générations un statut et une protection sociale aussi favorables que ceux de leurs aînés.


* 53 L. Davezies, « L'État a toujours soutenu ses territoires », Éditions du Seuil et La République des Idées, mars 2021.

* 54 Haut-conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, « Les ruptures de couples avec enfants mineurs », dossier de janvier 2020.

* 55 Drees, « Opinion des familles monoparentales sur les politiques sociales : un sentiment de vulnérabilité et une attente forte de soutien à la parentalité », Études et Résultats, avril 2021.

* 56 Panoramas de la Drees, L'aide et l'action sociales en France, éd. 2019.

* 57 Insee-Drees, « Les principales ressources des 18-24 ans », Études et Résultats, juin 2016.

* 58 Voir notamment « Les inégalités entre générations depuis le baby-boom », Insee, L'économie française éd. 2011.

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