II. AU NIVEAU DES INDIVIDUS, DES FRACTURES ET DES FACTEURS DE FRAGILISATION DES PARCOURS

Au-delà de la pauvreté réelle ou ressentie, une partie des Français est fragilisée par la précarité de leur situation, qui les fragilise et peut les faire basculer dans la pauvreté face à un imprévu. Les principaux facteurs de précarité concernent le travail, la structure familiale et le poids de certaines dépenses contraintes, en particulier le logement et l'énergie.

Certains territoires apparaissent également comme fragiles et moins en capacité d'offrir à leurs habitants la capacité de rebondir en cas de survenue de difficultés.

A. LA PRÉCARISATION DU TRAVAIL

1. Des spécificités françaises : le recours aux contrats courts, la montée relative du travail indépendant, une « préférence pour le chômage »
a) Le CDI, une norme à relativiser

L'Insee regroupe dans la catégorie des formes particulières d'emploi l'ensemble des statuts d'emploi qui ne sont pas des contrats à durée indéterminée (CDI). Il s'agit de l'intérim, des contrats à durée déterminée (CDD), y compris les contrats saisonniers, des contrats d'apprentissage et des contrats aidés.

La part des CDD et intérimaires dans l'emploi total a nettement augmenté en France au cours des années 1980-1990 pour atteindre un taux relativement élevé et stable ( cf . graphique ci-dessous). Au-delà des fluctuations conjoncturelles, cette tendance traduit des changements structurels de l'organisation du travail, qui tend à se fonder davantage sur la flexibilité du travail pour répondre aux variations de la demande.

Source : Insee

En matière de taux d'emplois à durée limitée, la France se situait en 2019 un peu au-dessus de la moyenne de l'Union européenne à 27 pays (11,7 %). Elle figure au 9 e rang européen pour le recours à des formes temporaires d'emploi ( cf . graphique ci-après).

Source : Eurostat

D'après l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la part de l'emploi « temporaire » dans l'emploi salarié en France en 2019 (16,3 %) était nettement supérieure à la moyenne des pays du G7 (9,1 %) et de l'OCDE (12,1 %).

Si l'emploi salarié en CDI reste la norme et le modèle très majoritaire (près de 75 % du total des personnes en emploi en 2019), il existe en France un volant de salariés qui peinent à accéder à un emploi stable et restent durablement en emploi précaire . Selon l'Insee, seuls 47 % des salariés employés en CDD en 2008 étaient ainsi employés en CDI sept ans plus tard 22 ( * ) .

De plus, la rotation des emplois, qui mesure le flux total des embauches et des débauches au cours d'une année, a quintuplé entre 1980 et 2010, de 38 à 177 %. Pour Claude Picart, de l'Insee, « les CDD et l'intérim sont de moins en moins des tremplins vers un emploi plus stable, et de plus en plus une "trappe" » 23 ( * ) .

En 2017, selon la Dares, 87 % des embauches se sont faites en CDD , contre 79 % en 1997.

Ces données illustrent le dualisme qui caractérise le marché du travail français, lequel peut avoir des conséquences sociales importantes. D'une part, les individus n'obtenant que des CDD et des contrats d'intérim subissent des périodes de chômage fréquentes. D'autre part, les conséquences se font sentir au-delà de l'emploi du fait des difficultés que les personnes concernées peuvent rencontrer, par exemple pour obtenir un logement ou un crédit.

b) Un taux élevé de contrats courts

La France se distingue particulièrement en ce qui concerne la part des emplois en contrat court . En moyenne, en 2017, 1,2 million de salariés, soit 4,5 % des personnes en emploi, occupaient un emploi en intérim ou en CDD de moins de trois mois, et près de 75 % des embauches se sont faites en contrat court , les mêmes salariés pouvant être embauchés plusieurs fois en CDD dans l'année 24 ( * ) .

Cette part des contrats courts a fortement augmenté en trente ans : elle était de 1 % en 1982 ( cf . graphique ci-après).

En 2017, elle était beaucoup plus élevée pour les ouvriers (10,6 %) que pour les cadres (1,5 %). Les contrats courts sont particulièrement répandus parmi les ouvriers non qualifiés de type industriel (22,4 %), l'intérim étant fréquent dans l'industrie, et parmi les ouvriers agricoles (15,6 %), ces derniers étant plus souvent en contrat saisonnier. Les contrats courts sont également fréquents parmi les personnes travaillant dans les secteurs pouvant recruter en CDD d'usage (spectacle, hôtellerie, restauration, etc .).

Source : Insee

Selon les données fournies par la Dares, la durée moyenne d'un CDD était de 46 jours en 2017 contre 113 jours en 2001. La moitié des CDD duraient moins de 5 jours en 2017 alors que la durée médiane était de 22 jours en 2001. En 2017, près d'un tiers des CDD ne duraient qu'une journée.

Dans l'Union européenne à 27, la France est l'un des pays où la part des contrats courts dans l'emploi salarié est la plus élevée ( cf . graphique ci-dessous).

Source : Eurostat

Cette situation s'accompagne souvent d'une forte précarité des intéressés. Un quart des salariés en contrat court n'a plus d'emploi trois mois plus tard, selon l'Insee. Environ 17 % des salariés en contrat court fin 2016 vivaient dans un ménage en situation de pauvreté monétaire , contre 8 % pour l'ensemble des personnes occupant un emploi. Lors des crises, ces contrats courts sont naturellement ceux qui disparaissent les premiers.

c) Un rebond du travail indépendant

Fin 2019, selon l'Insee, 3,5 millions de personnes exercent une activité non salariée en France , dont 0,4 million dans le secteur agricole.

Si la part de l'emploi indépendant dans l'emploi total a fortement diminué au cours de la seconde moitié du XX e siècle, sous l'effet des évolutions socio-économiques et notamment du déclin de l'emploi agricole, elle a connu un léger rebond depuis 2000 pour atteindre 12,4 % en 2020 ( cf . graphique ci-dessous).

Source : Insee

Ce regain du travail indépendant a notamment été porté, depuis 2009, par la création du statut d'autoentrepreneur , devenu le régime de la micro-entreprise. L'Insee comptabilise ainsi, entre 2008 et 2017, une hausse de 33 % du nombre de travailleurs non salariés 25 ( * ) . Fin 2019, les micro-entrepreneurs économiquement actifs représentent 41 % des indépendants.

La part du salariat a dans le même temps progressé dans la plupart des pays de l'OCDE, sauf dans ceux qui, à l'image des Pays-Bas, ont également mis en place un régime favorisant le recours au statut d'indépendant.

Entre ces travailleurs non salariés, il existe des situations extrêmement disparates. Selon l'Insee, le revenu moyen des indépendants classiques était, en 2017, près de 8 fois supérieur à celui des micro-entrepreneurs. Toutefois, le micro-entrepreneuriat correspond souvent à une activité d'appoint : fin 2019, 29 % des micro-entrepreneurs cumulent cette activité avec un emploi salarié, contre 9 % des non-salariés classiques 26 ( * ) .

Les indépendants ne disposent pas de la même couverture sociale que les salariés, même si certains droits sont universels (prestations familiales, couverture maladie de base). En particulier, ils ne bénéficient pas de l'assurance chômage, de l'assurance accidents du travail - maladies professionnelles, ni de la prise en charge de leur complémentaire santé. Cette protection lacunaire peut s'avérer problématique dans le cas de travailleurs ayant de faibles revenus.

En particulier, une nouvelle population de travailleurs indépendants s'est développée avec l'apparition de plateformes numériques de mise en relation , avec lesquelles les travailleurs peuvent entretenir une relation de dépendance économique ou de parasubordination. Ces travailleurs relèvent parfois d'une grande précarité. Selon l'Insee, le revenu mensuel moyen des travailleurs indépendants était ainsi de 330 euros en 2017 dans le secteur de la livraison à domicile. Quant aux revenus d'activité non salariée des chauffeurs de VTC 27 ( * ) , ils sont de moitié inférieurs à ceux des chauffeurs de taxi. Si la part de ces travailleurs de plateformes dans l'emploi total reste modeste 28 ( * ) , cette population se caractérisant par une rotation importante, leur particulière vulnérabilité incite à la vigilance et à la recherche de solutions pour mieux protéger ces travailleurs 29 ( * ) .

d) La persistance d'un haut niveau de chômage

Au-delà des formes d'emploi considérées comme précaires, l'absence d'emploi reste un facteur majeur de précarisation et de paupérisation.

La France se caractérise par la persistance d'un niveau élevé de chômage . Depuis 35 ans, le taux de chômage fluctue autour de 8 %, avec des pics supérieurs à 10 % et un point bas, enregistré début 2008, à 6,8 %.

Dans ce domaine, les comparaisons européennes ne sont pas favorables à la France, seules la Grèce, l'Espagne et l'Italie enregistrant des taux de chômage supérieurs en 2019 ( cf . graphique ci-dessous). Sur les 36 pays de l'OCDE, seuls 4 pays avaient un taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) 30 ( * ) supérieur à celui de la France.

Source : Insee

Au-delà des chômeurs au sens du BIT, l'Insee dénombre les personnes sans emploi qui soit recherchent un emploi mais ne sont pas immédiatement disponibles pour travailler, soit ne recherchent pas d'emploi mais souhaitent travailler et sont disponibles pour travailler, soit souhaitent travailler mais ne sont pas disponibles et ne recherchent pas d'emploi : il s'agit du halo autour du chômage , qui est moins lié aux fluctuations de l'activité économique que le nombre de chômeurs. Il regroupait 1,6 million de personnes en 2019.

En outre, 1,5 million de personnes étaient en situation de sous-emploi en 2019, soit 5,4 % des personnes en emploi selon l'Insee. Le sous-emploi inclut essentiellement des personnes à temps partiel, souhaitant travailler davantage et étant disponibles pour le faire, mais aussi des personnes en activité partielle.

Le chômage, comme le halo autour du chômage et les situations de sous-emploi, concernent davantage les jeunes et les personnes peu ou pas diplômées.

Les chômeurs sont particulièrement exposés à la pauvreté. Selon l'Insee, 37,8 % des chômeurs vivaient sous le seuil de pauvreté en 2018 , soit un taux plus de cinq fois plus élevé que pour les salariés. Le taux de pauvreté des chômeurs a augmenté entre le milieu des années 2000 et 2011 d'environ 5 points, avant de diminuer. Le taux de pauvreté des inactifs, hors retraités, est également très élevé (32,7 % en 2018). Il a fortement augmenté depuis 2004 après avoir fluctué de 21 % à 24 % entre 1996 et 2004.

L'incapacité française à combattre efficacement le chômage de masse a donc un coût social important qui compromet tous les efforts pouvant être consentis par ailleurs en matière de lutte contre la pauvreté.

2. La fragilité particulière de certains travailleurs
a) Les spécificités des revenus des agriculteurs

La pauvreté en zone rurale reste difficile à caractériser et elle est d'autant moins visible que l'emploi agricole a reculé. Pour le sociologue Alexandre Pagès, il se produit toutefois des mécanismes de reproduction sociale parmi les personnes situées au plus bas de l'échelle des revenus.

Le niveau de vie des ménages d'agriculteurs est très disparate mais souvent plus faible que celui de l'ensemble de la population . Ainsi, le niveau de vie médian des ménages agricoles d'Auvergne-Rhône-Alpes est inférieur de 14 % à celui de l'ensemble des ménages actifs 31 ( * ) . L'Insee relève que c'est dans les territoires spécialisés dans l'élevage de bovins que le niveau de vie des ménages agricoles est le plus faible.

Selon la CCMSA, le taux de pauvreté des adhérents au régime agricole est supérieur à celui de l'ensemble de la population et serait de l'ordre de 25 % . Les populations rurales sont aussi plus âgées et moins diplômées que la moyenne. Pour autant, les agriculteurs ont souvent un patrimoine relativement élevé, correspondant à leur patrimoine professionnel : 90 % d'entre eux possèdent ainsi un patrimoine immobilier, contre une moyenne de seulement 60 % pour l'ensemble de la population.

Fin 2019, en France, 432 000 personnes exercent une activité non salariée dans l'agriculture . Leurs revenus sont très disparates : les non-salariés imposés au régime réel retirent 1 970 euros en moyenne par mois de leur activité 32 ( * ) , mais 16 % d'entre eux déclarent un revenu nul ou déficitaire. De plus, ils varient fortement d'une année sur l'autre, en raison des fluctuations des prix, des aléas climatiques qui pèsent sur les récoltes et des aléas épizootiques qui pèsent sur les cheptels 33 ( * ) .

Les salariés agricoles sous contrat à durée limitée (CDD, saisonniers) assurent la moitié du volume de travail salarié et représentent 80 % des travailleurs directement salariés par les exploitations (608 400 salariés sur 756 000 personnes au total) 34 ( * ) . En 2016, 70 % des salariés permanents travaillaient à temps plein, 20 % à temps partiel supérieur ou égal à un mi-temps et 10 % moins d'un mi-temps.

Une proportion croissante des travailleurs agricoles est salariée par des entités juridiques externes (prestataires de services, agences d'intérim, groupements d'employeurs). En outre, le secteur agricole a de plus en plus recours au travail détaché.

Quant au problème du pouvoir d'achat des retraités agricoles, il est partiellement traité par l'entrée en vigueur prochaine de la garantie de retraite minimale à 85 % du Smic 35 ( * ) pour les anciens chefs d'exploitants agricoles 36 ( * ) . Toutefois, les personnes qui ont exercé leur activité agricole essentiellement en qualité d'aide familial , de conjoint participant aux travaux ou de collaborateur d'exploitation ou d'entreprise agricole, et qui, pour certaines, ne sont devenues chefs qu'à la fin de leur carrière professionnelle, perçoivent les pensions de retraite les moins élevées et sont potentiellement les plus à risque d'être en situation de pauvreté.

b) Le phénomène des travailleurs pauvres et « l'insécurité sociale »

Comme l'a souligné la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail (Dares), la définition de la pauvreté laborieuse ne va pas de soi : on peut définir le travailleur pauvre comme une personne en emploi mais vivant au sein d'un ménage dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté. Toutefois, l'emploi étant une caractéristique individuelle, une mesure individuelle pourrait sembler préférable : or, du fait des difficultés méthodologiques liées aux sources de données, un tel indicateur n'existe pas actuellement et cette notion n'est donc pas suivie au même titre que les autres mesures de la pauvreté.

En outre, le phénomène des travailleurs pauvres ne se réduit pas au niveau des salaires : il est surtout la conséquence d'un temps de travail insuffisant , en raison d'un travail à temps partiel subi ou d'une activité instable dans l'année. En 2020, selon l'enquête Emploi de l'Insee, 4,1 millions de salariés travaillent à temps partiel en France, dont 79 % de femmes . 9 salariés à temps partiel sur 10 travaillent dans le secteur tertiaire, notamment dans des activités de nettoyage, dans l'hébergement-restauration, l'éducation, la santé et l'action sociale.

Près de quatre salariés à temps partiel sur dix le sont parce qu'ils ne peuvent pas travailler davantage dans leur emploi actuel. Après avoir fortement progressé depuis les années 1980, la part du travail à temps partiel dans l'emploi total s'est légèrement repliée depuis 2014 ( cf . graphique ci-dessous).

Source : Insee

Outre qu'elles ont des effets négatifs sur le marché du travail, les augmentations du Smic sont donc peu efficaces pour réduire ce phénomène de pauvreté laborieuse. La prime d'activité , créée en 2016 et revalorisée au 1 er janvier 2019 en réponse à la crise des « gilets jaunes », permet d'y répondre plus efficacement et de suivre son évolution.

La prime d'activité

La loi « Rebsamen » du 17 août 2015 37 ( * ) a institué à compter du 1 er janvier 2016, en lieu et place du volet « activité » du RSA et de la prime pour l'emploi, la prime d'activité, une prestation qui se donne simultanément pour missions de lutter contre la pauvreté et de fournir une incitation financière à l'accès ou au retour à l'emploi. Elle est intégralement financée par l'État 38 ( * ) et versée par les caisses d'allocations familiales.

Tout en s'inscrivant dans la continuité du RSA « activité », la prime d'activité s'est adressée à de nouveaux publics, notamment aux jeunes de 18 à 24 ans, et a intégré le principe de bonifications individuelles pour chaque membre du foyer exerçant une activité professionnelle.

Empruntant simultanément à la logique familiale et à la logique individuelle, la formule de la prime d'activité s'établit schématiquement comme suit :

Prime d'activité = montant forfaitaire + 61 % des revenus professionnels du foyer + bonification(s) individuelle(s) - ressources du foyer (réputées au moins égales au montant forfaitaire)

Elle est initialement fondée sur un montant forfaitaire , égal à 553,71 euros pour une personne seule au 1 er avril 2021 39 ( * ) , augmenté d'une proportion des revenus professionnels du foyer, fixée par décret à 61 % . Les ressources du foyer sont soustraites à ce total et donnent ainsi le montant de la part familialisée de la prime d'activité .

S'y ajoute le montant de la bonification individuelle , versée à partir d'un revenu professionnel net égal à 50 % du Smic et croissant proportionnellement à ce revenu jusqu'à atteindre un plafond de 161,14 euros à hauteur du Smic. Elle est constante au-delà.

Ce dernier montant a fait l'objet, au 1 er janvier 2019, d'une revalorisation exceptionnelle de 90 euros afin de soutenir le pouvoir d'achat des travailleurs rémunérés au niveau du Smic. Cette réforme a eu pour effet d'élargir mécaniquement le public éligible à la prime d'activité en rehaussant le plafond de ressources pour y prétendre, mais aussi d'améliorer le taux de recours à la prestation.

Fin 2019, 4,5 millions de foyers bénéficiaient de la prime d'activité 40 ( * ) , occasionnant une dépense annuelle totale de 9,6 milliards d'euros 41 ( * ) .

Les enquêtes « Conditions de travail et risques psychosociaux » menées par la Dares permettent de documenter différents indicateurs déclaratifs d'insécurité socioéconomique des salariés, ainsi que leur évolution de 2005 à 2016 42 ( * ) . Ainsi, 24,6% des salariés ont des craintes sur l'avenir de leur emploi en 2016 , alors que cette proportion n'était que de 17,6 % en 2005. Cette crainte concerne 30,1% des ouvriers, et en particulier 34,5% des ouvriers non qualifiés. Parmi les salariés en emploi à durée limitée (CDD ou intérim), 22,9 % seulement déclarent qu'ils sont dans cette situation par choix en 2016 (contre 25 % en 2013).

Pour le sociologue Nicolas Duvoux, certaines catégories, sans être forcément objectivement en situation de pauvreté, sont particulièrement concernées par un « sentiment d'insécurité sociale » et ont du mal à se projeter dans l'avenir : c'est par exemple le cas de petits indépendants, de commerçants et d'artisans ou de retraités modestes, surtout lorsqu'ils ne sont pas propriétaires de leur logement. Ils illustrent l'idée selon laquelle la pauvreté est irréductible à sa dimension monétaire.

3. Des inégalités en matière de formation
a) La valeur de signalement du diplôme initial

80 % des jeunes d'une classe d'âge obtiennent aujourd'hui le baccalauréat. Toutefois, le diplôme du supérieur n'est pas forcément la norme dans l'ensemble de notre société : 20 % seulement de la population de plus de 25 ans dispose d'un niveau de diplôme supérieur à bac + 2, et la moitié détient au maximum le BEP 43 ( * ) . Chez les jeunes de 25 à 29 ans, on compte 30 % de personnes non-diplômées ou détenant au maximum un BEP 44 ( * ) .

Les inégalités de formation initiale induisent des inégalités devant le risque de chômage . En 2013, les deux tiers des chômeurs de longue durée 45 ( * ) avaient au plus un CAP 46 ( * ) ou un BEP, 83 % au plus le baccalauréat. Près des deux tiers étaient âgés de 40 ans et plus 47 ( * ) . En 2020, le taux de chômage atteint 13,9 % pour les actifs sans diplôme ou ayant au plus le brevet des collèges contre 5,2 % pour les diplômés du supérieur 48 ( * ) .

Comme la Haut-commissaire aux compétences Carine Seiler l'a indiqué à la mission d'information, le marché du travail accorde en effet une grande importance à la certification. Les différences d'accès et de maintien dans l'emploi entre les personnes disposant d'une certification acquise en formation initiale et celles qui sont sorties de leur cursus scolaire ou sont entrées sur le territoire national sans aucune certification ont été mises en lumière par de nombreuses études, qui concluent toutes à un risque d'exclusion plus élevé des non-diplômés, non-certifiés et non-qualifiés.

Toutefois, depuis les années 1990, être plus diplômé garantit de moins en moins l'accès à un statut social élevé. Parmi les diplômés du supérieur, la proportion de cadres diminue au fil des générations, plus particulièrement pour celles nées à partir de la fin des années 1960, la structure des diplômes s'étant déplacée plus vite vers le haut que la structure des emplois 49 ( * ) .

b) Les inégalités d'accès à la formation professionnelle

La formation professionnelle , qui devrait constituer une « seconde chance » pour les salariés les moins qualifiés, concerne davantage ceux qui sont déjà les plus qualifiés et les mieux préparés aux mutations de l'emploi : 15 % des adultes sortis de formation initiale sans diplôme ont suivi au moins une formation professionnelle au cours des douze derniers mois, contre les deux tiers de ceux qui possèdent un diplôme du supérieur long 50 ( * ) . Ce phénomène tend à accroître les inégalités au fil des parcours professionnels.

De même, la formation professionnelle concerne davantage les personnes en emploi que les chômeurs. En 2016, selon l'Insee, près d'une personne sur deux en emploi avait accédé au cours des 12 derniers mois à une formation non formelle 51 ( * ) à but professionnel (49 %) tandis que moins d'une personne au chômage sur trois (30 %) était dans ce cas.

Pour Carine Seiler, la France investissait en moyenne, en 2018, 1 800 euros par chômeur en matière de formation professionnelle, ce qui représentait un niveau bien inférieur à celui de certains pays européens (6 200 euros en Autriche, 4 500 euros au Danemark, 4 400 euros en Finlande, 3 800 euros en Allemagne).

Un virage a cependant été engagé en 2019 avec le lancement du plan d'investissement dans les compétences (PIC) 52 ( * ) .


* 22 Insee Références, édition 2019 - Dossier « Les contrats à durée limitée : trappes à précarité ou tremplins pour une carrière ? »

* 23 « Une rotation de la main d'oeuvre presque quintuplée en 30 ans : plus qu'un essor des formes particulières d'emploi, un profond changement de leur usage. », Claude Picart, document de travail Insee, 2014.

* 24 « Les salariés en contrat court : des allers-retours plus fréquents entre emploi, chômage et inactivité », Insee Première n° 1736, février 2019.

* 25 Insee Références, Emploi et revenus des indépendants, éd. 2020.

* 26 Insee Première, « En 2019, le revenu d'activité moyen des non-salariés baisse après plusieurs années de hausse », n° 1870, juillet 2021.

* 27 Véhicule de transport avec chauffeur.

* 28 Selon l'enquête Emploi de l'Insee de 2017, environ 100 000 travailleurs indépendants, soit 0,4 % des personnes en emploi, déclaraient avoir comme principal mode d'entrée en contact avec leur clientèle une plateforme et autre entreprise intermédiaire.

* 29 Cf. Travailleurs des plateformes : au-delà de la question du statut, quelles protections ? Rapport d'information Sénat n° 452 (2019-2020) déposé le 20 mai 2020 par Michel Forissier, Catherine Fournier et Frédérique Puissat.

* 30 Le chômage au sens du BIT concerne les personnes de 15 ans et plus qui sont sans emploi durant une semaine donnée, sont disponibles pour travailler dans les deux semaines et ont effectué, au cours des quatre dernières semaines, une démarche active de recherche d'emploi ou ont trouvé un emploi qui commence dans les trois mois.

* 31 « Des revenus agricoles modestes dans une région aux revenus élevés », Insee Analyses Auvergne-Rhône-Alpes n° 97, février 2020.

* 32 En considérant que leur revenu est nul lorsque l'exercice est déficitaire.

* 33 Insee Première, « En 2019, le revenu d'activité moyen des non-salariés baisse après plusieurs années de hausse », n° 1870, juillet 2021

* 34 « Actif'Agri : transformations des emplois et des activités en agriculture », Analyse n° 145, ministère de l'agriculture et de l'alimentation, novembre 2019.

* 35 Salaire minimum interprofessionnel de croissance.

* 36 Loi n° 2020-839 du 3 juillet 2020 visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer.

* 37 Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi.

* 38 Son financement est porté par la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » de la loi de finances.

* 39 Comme pour le RSA, ce montant peut être temporairement majoré dans le cas d'un parent isolé.

* 40 Source : Drees.

* 41 La loi de finances pour 2021 a ouvert au titre de la prime d'activité 9,7 milliards d'euros de crédits de paiement pour cette année.

* 42 Dares, « Reconnaissance, insécurité et changements dans le travail », Synthèse stat' n° 29, avril 2019.

* 43 Le brevet d'études professionnelles (BEP) est un diplôme de l'enseignement professionnel de niveau V qui s'obtient en fin de classe de première professionnelle. Il sera supprimé à compter de la rentrée 2021.

* 44 Centre d'observation de la société, note, 11 janvier 2021 : http://www.observationsociete.fr/education/donnees-generales/population-par-diplome.html

* 45 C'est-à-dire des personnes au chômage depuis au moins un an.

* 46 Certificat d'aptitude professionnelle.

* 47 Observatoire des inégalités, « Qui sont les chômeurs de longue durée ? », 15 juillet 2020 : https://www.inegalites.fr/Qui-sont-les-chomeurs-de-longue-duree?id_theme=16

* 48 Insee Références, Emploi, chômage et revenus du travail, éd. 2021.

* 49 Insee, « Les inégalités entre générations depuis le baby-boom », L'économie française, éd. 2011.

* 50 Insee Références, « La moitié des personnes en emploi ont suivi une formation professionnelle au cours de l'année », éd. 2018.

* 51 Il s'agit des formations ne conduisant pas à un diplôme ou à un titre reconnu.

* 52 Cf. infra, A du II de la deuxième partie du présent rapport.

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