C. MIEUX ÉVALUER LES DISPOSITIF DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ ET EN TIRER LES CONSÉQUENCES
Le suivi des phénomènes de paupérisation et de précarisation va de pair avec celui de l'efficacité des politiques publiques destinées à les enrayer.
Or, à cet égard, le rapporteur ne peut que s'étonner de l'insuffisance des efforts d'évaluation des dispositifs mis en place, pourtant nombreux et coûteux pour les finances publiques . Les plans et les stratégies se succèdent sans que leur évaluation rigoureuse n'ait été pleinement conduite.
La stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté 2018-2022
Annoncée en septembre 2018 par le Président de la République, la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté a été construite autour de deux piliers , la lutte contre les inégalités dès le plus jeune âge et l'aide à la réinsertion vers l'emploi.
Elle répond à cinq engagements :
- la lutte contre les inégalités dès le plus jeune âge ;
- la garantie des droits fondamentaux des enfants ;
- la garantie d'un parcours de formation pour les jeunes ;
- l'accès aux droits ;
- l'accompagnement de tous vers l'emploi.
Source : réponses au questionnaire du rapporteur
Si le fait d'avoir confié une mission globale d'évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté lancée en 2018 à un comité placé sous l'égide de France Stratégie va dans le bon sens, encore faut-il lui donner les moyens techniques de le faire en associant à chaque action de la stratégie pauvreté des indicateurs de performance et en s'assurant systématiquement de la disponibilité des données 92 ( * ) . Sur le fond, le comité préconise que ces indicateurs fassent davantage de place à la mesure des résultats des dispositifs sur les publics qu'ils ciblent et moins à l'activité de l'administration chargée de les mettre en oeuvre, qui ne saurait être assimilée à une réelle mesure de l'efficacité des dispositifs.
Cette exigence doit également s'appliquer aux dispositifs lancés en dehors du cadre de la stratégie pauvreté . À titre d'exemple, comme l'a relevé le rapporteur général de la commission des finances lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021 les actions du « Plan de relance » relevant de la politique de l'emploi et de la solidarité 93 ( * ) ne sont adossés à presque aucun indicateur de performance. Est notamment pointée « l'absence de la moindre tentative de prévision quant à l'impact de ces différents dispositifs sur l'emploi créé ou sauvegardé » ou de « mesure des effets d'aubaine (...), alors même que celle-ci serait susceptible de fournir de précieux renseignements pour assurer, dans le futur, un meilleur calibrage des politiques de l'emploi en temps de crise » 94 ( * ) . Dans un rapport récent, la Cour des comptes a d'ailleurs également préconisé la définition, sous l'égide de France stratégie, d'un travail partagé d'évaluation des mesures prises dans le domaine du travail et de l'emploi en réponse à la crise 95 ( * ) .
Enfin, il semblerait opportun, dans une logique de performance et un souci d'amélioration continue de l'efficacité de l'action publique, que le Gouvernement communique davantage sur les suites qu'il entend donner aux différentes évaluations. Les ministres pourraient, en pratique, « répondre » de façon formelle aux rapports des comités d'évaluation comme ils sont déjà tenus de le faire suite aux rapports de la Cour des comptes.
À titre d'exemple, si la pluralité d'évaluations contrastées de l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » a été positive en ce qu'elle a permis d'alimenter le débat public et parlementaire autour de ce dispositif, le Gouvernement aurait pu communiquer plus clairement sur les éléments qu'il retenait de ces différents travaux.
L'expérimentation « Territoire
zéro chômeur de longue durée » (TZCLD)
et son
évaluation
Issue d'une proposition de députés du groupe socialiste adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale et au Sénat, la loi n° 2016-231 du 29 février 2016 d'expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée a permis l'expérimentation d'un dispositif promu notamment par l'association ATD-Quart Monde. Ses modalités d'application ont été précisées par un décret publié en juillet 2016 96 ( * ) .
Cette expérimentation repose sur la triple hypothèse que personne n'est inemployable pour peu qu'on parvienne à proposer des modalités de travail adaptées à chacun, que le travail ne manque pas dans la mesure où il existe des activités utiles à la société qui ne sont pas assez rentables pour être effectuées par des entreprises privées et que l'argent ne manque pas car les coûts directs et indirects de la privation durable d'emploi (prestations sociales et externalités en termes de santé, de délinquance, d'échec scolaire, etc .) ne sont pas supérieurs au coût d'un emploi rémunéré au niveau du Smic.
Elle consiste à permettre, sur les territoires expérimentateurs, l'embauche en contrat à durée indéterminée (CDI) de personnes durablement privées d'emploi (PPDE) par des structures de l'économie sociale et solidaire (entreprises à but d'emploi, EBE), pour des activités n'entrant pas en concurrence avec des activités économiques déjà présentes sur le territoire. Ces EBE bénéficient au titre de chaque personne embauchée - et rémunérée au moins au niveau du Smic - d'une aide au poste intitulée « contribution au développement de l'emploi » (CDE) versée par un fonds d'expérimentation. Ce fonds est géré par une association (ETCLD). L'État, les collectivités territoriales et les personnes publiques et privées intéressées peuvent participent à son financement.
Au niveau de chaque territoire expérimentateur, des comités locaux d'expérimentation (CLE), constitués par les collectivités locales concernées et au sein desquels sont notamment représentés l'administration et Pôle emploi, sont chargés du pilotage de l'expérimentation.
Le dispositif a donné lieu à trois rapports d'évaluations, aux conclusions contrastées :
- un rapport du comité d'évaluation institué lors du lancement du dispositif 97 ( * ) ;
- un rapport, demandé par le Gouvernement, à l'inspection générale des finances (IGF) et à l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), portant spécifiquement sur la question des coûts évités et les gains générés par la reprise d'un emploi par un chômeur de longue durée 98 ( * ) , et qui tend à démontrer que ceux-ci sont nettement moindres que ceux anticipés lors du lancement de l'expérimentation ;
- un rapport de l'association porteuse du projet 99 ( * ) , qui conteste vivement les résultats des travaux de la mission IGF-IGAS.
Enfin, la loi n° 2020-1577 du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l'inclusion dans l'emploi par l'activité économique et à l'expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée » a prolongé et étendu l'expérimentation à de nouveaux territoires.
Proposition n° 6 : Prévoir, pour chaque nouveau dispositif de prévention et de lutte contre la pauvreté, la définition d'une maquette de performance crédible et centrée sur l'analyse de son efficacité, les modalités de son évaluation, et les conditions dans lesquelles le Gouvernement rend compte des enseignements qu'il tire de ces travaux d'évaluation et expose les suites qu'il entend leur donner.
* 92 Rapport 2021 du comité d'évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, mars 2021.
* 93 Ces actions sont celles financées sur le programmes 364 « Cohésion » de la mission « Plan de relance ».
* 94 Annexe n° 22 au Rapport général n° 138 (2020-2021) de M. Jean-François Husson, fait au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 19 novembre 2020.
* 95 Cour des comptes, « Préserver l'emploi : le ministère du travail face à la crise sanitaire », rapport public thématique, juillet 2021.
* 96 Décret n° 2016-1027 du 27 juillet 2016 relatif à l'expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée.
* 97 Rapport intermédiaire du comité scientifique en charge de l'évaluation de l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée », 25 novembre 2019.
* 98 Inspection générale des finances et inspection générale des affaires sociales, «L'évaluation économique de l'expérimentation visant à résorber le chômage de longue durée », octobre 2019.
* 99 Association Territoires zéro chômeur de longue durée, Rapport d'analyse, 25 novembre 2019.