C. LA CRISE DE LA COVID-19, UN RÉVÉLATEUR DU BESOIN DE SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE ET D'UNE TERRITORIALISATION PLUS IMPORTANTE DE LA POLITIQUE ALIMENTAIRE
À court terme, l'enjeu de la durabilité du modèle alimentaire français réside tout entier dans le défi de la souveraineté alimentaire.
Certes, la crise de la Covid-19 a démontré que les acteurs de la chaîne agricole et alimentaire avaient la capacité de nourrir la population . Grâce à une mobilisation à tous les niveaux, les ruptures d'approvisionnements ont été contenues aux seules difficultés d'acheminement de produits concernés par une surconsommation ponctuelle (comme la farine par exemple). La réactivité des filières est une source de résilience très forte : ainsi, la filière oeuf a par exemple su mobiliser les oeufs destinés à la fabrication d'ovoproduits, dont une partie des débouchés étaient inexistants en temps de confinement avec la fermeture de la restauration hors domicile, pour répondre à la demande très forte des consommateurs en grandes surfaces.
Toutefois, la crise a rappelé combien il était essentiel que la France consolide sa souveraineté alimentaire , notamment au regard de deux facteurs de fragilités liés à sa dépendance accrue aux denrées importées et au recours important à de la main-d'oeuvre saisonnière venue d'autres pays.
Reconquérir sa souveraineté alimentaire revient à dessiner un plan agissant en deux volets :
- d'une part, il importe de consolider l'amont de la chaîne en s'assurant de nos capacités de production nationales . À cet égard, la réduction des dépendances de l'amont agricole est essentielle, que cela soit en matière protéique pour l'alimentation animale ou s'agissant du recours à de la main-d'oeuvre saisonnière étrangère. De même, la crise a démontré que la résilience des exploitations devait être renforcée, notamment face au changement climatique et aux risques sanitaires ;
- d'autre part, le combat à mener à l'aval doit viser une reconquête de l'assiette des consommateurs français afin de réduire la dépendance aux importations.
La souveraineté de notre modèle alimentaire ne peut être possible qu'avec une agriculture et une industrie agroalimentaires fortes , présentes sur toutes les gammes , localement et garantissant une alimentation saine , sûre et accessible à tous.
Cette caractéristique a fait la force du modèle alimentaire français depuis des décennies : elle doit être préservée. À cet égard, le mirage du tout haut de gamme est un leurre , sauf à imaginer un modèle binaire, permettant à certains Français un accès à une alimentation de grande qualité produite en France tandis que les plus démunis n'auraient accès qu'à de la nourriture provenant de pays étrangers, sans aucune garantie sur les normes de production qui y sont pratiquées.
La consommation des Français durant le confinement a, au reste, prouvé qu'une plus grande souveraineté alimentaire passait par une présence sur toutes les gammes et par des approvisionnements plus locaux des consommateurs.
Les Français ont par exemple, durant les huit premières semaines de confinement du mois de mai, augmenté leur consommation de produits sous marques de distributeurs bien plus fortement que les autres produits (+15 % de croissance du chiffre d'affaires par rapport à l'année précédente, contre +9 % pour tous les produits) 24 ( * ) , de même que les parts de marché des enseignes hard discount 25 ( * ) . Cette tendance pourrait se poursuivre dans les mois à venir, les effets de la crise liée à la Covid-19 étant, sans doute, durables.
Une autre leçon de la période que la France traverse a été le besoin exprimé par les consommateurs de s'alimenter plus localement.
Un sondage réalisé par l'Institut IRI en 2020 enseigne que les consommateurs français comptent prioriser avant tout, dans leurs achats d'après crise, un approvisionnement en produits français et en produits locaux. À la question « lorsque vous ferez vos courses dans les mois à venir et par rapport à avant la crise, pensez-vous que vous achèterez plus souvent des produits... ? », 40 % des consommateurs ont répondu vouloir consommer des produits « Made in France », 39 % des produits locaux et 26 % des produits bio .
Comme le rappelle le rapport du CGAAER , « les produits alimentaires locaux font l'objet d'une attention en hausse de la part des consommateurs, des acteurs économiques et associatifs et des pouvoirs publics. Ils apparaissent comme une réponse sous forme d'un gage de confiance face à une distanciation croissante entre le “mangeur” et son alimentation. Les périodes de crise, telle la crise du Covid-19, accentuent cette demande . ».
Une étude du CREDOC 26 ( * ) a, par exemple, mis en exergue le souhait accru du consommateur d'acheter des produits locaux issus de sa région, mouvement continuellement renforcé depuis la crise de 2008 et que la crise de la Covid-19 devrait encore consolider. Ainsi, 21 % des consommateurs privilégient des produits qu'ils considèrent comme fabriqués à proximité pour leurs achats alimentaires, contre 9 % en 2009 .
Cela s'est traduit, tout au long de la crise, par un succès des ventes directes des producteurs et des distributions par circuits courts sur tout le territoire français.
Toutefois, et bien que cet engouement perdure, ce type de consommation demeure marginal aujourd'hui, la part de la vente directe dans la consommation oscillant entre 0,5 % et 4,7 % selon les produits 27 ( * ) .
* 24 Source : IRI Insights, Consommation en GSA durant les 8 semaines de confinement (20 mai 2020)
* 25 Source : IRI Le Scan de l'info, 2021
* 26 CREDOC, Enquêtes « Tendances de la consommation », 2000 et 2020
* 27 Source : CGAEER, Les produits locaux (janvier 2021)