B. UNE FRAGILITÉ MAJEURE POUR SA DURABILITÉ : SA DÉPENDANCE ACCRUE AUX IMPORTATIONS DE DENRÉES AGRICOLES ET ALIMENTAIRES

Comme l'évoquait, dès 2018, le rapport de Laurent Duplomb, « en parallèle d'une perte de parts de marché à l'exportation, la France a recours massivement à l'importation de produits agricoles et alimentaires, dont une partie importante pourrait être produite sur son territoire . »

Les chiffres en la matière sont implacables . Si les taux d'auto-approvisionnements peuvent paraître peu alarmants dans la mesure où une partie de la production est exportée, il n'en demeure pas moins qu'une part significative de la consommation française est aujourd'hui couverte par des importations . Ce fait avéré témoigne de la difficulté pour l'agriculture française d'exister sur certains segments de marché importants en volume, notamment dans la restauration hors domicile ou l'industrie agro-alimentaire, où la contrainte prix est plus forte.

Rien qu'en retenant les chiffres de l'élevage, la situation est préoccupante :

Ø 56 % de la viande ovine consommée en France est d'origine importée, en provenance des pays anglo-saxons 10 ( * ) ;

Ø 22 % de la consommation française en viande bovine est couverte par les importations, notamment pour les approvisionnements des préparations de viandes et des conserves 11 ( * ) ;

Ø 45 % de notre consommation de poulet en 2019 est importée , contre 25 % en 2000, en raison de la hausse des importations de volailles d'Europe de l'Est, en lien avec la croissance de la consommation hors domicile dont l'approvisionnement repose sur l'importation de découpes de volaille 12 ( * ) ;

Ø 26 % de notre consommation de porc, notamment ses jambons, majoritairement d'Espagne ou d'Allemagne, principalement comme matière première destinée à l'industrie de transformation 13 ( * ) ;

Ø 30 % de notre consommation de produits laitiers , en provenance de l'Union européenne, à la fois sur les achats de fromages mais surtout en matières grasses laitières (beurres et autres matières grasses solides), à destination de l'industrie agroalimentaire et de la restauration hors domicile 14 ( * ) ;

Ø entre 70 et 80 % de nos besoins de miel pour répondre à la demande des consommateurs selon les données de FranceAgrimer, les trois principaux fournisseurs de la France étant l'Ukraine, l'Espagne et la Chine 15 ( * ) .

Mais le phénomène concerne également les cultures végétales :

Ø 28 % de notre consommation de légumes et 71 % de sa consommation de fruits 16 ( * ) ;

Ø Près de 63 % des protéines que nous consommons issues d'oléagineux à destination des élevages 17 ( * )18 ( * ) .

En outre, cette photographie pourrait évoluer si les tendances à l'oeuvre depuis 2000 venaient à se poursuivre : en effet, entre 2000 et 2018, les importations françaises de produits agricoles et alimentaires ont enregistré un bond de + 96 %, soit un quasi-doublement 19 ( * ) .

Cette part accrue des produits importés dans la consommation des ménages français pose plusieurs difficultés en matière de souveraineté , de sécurité sanitaire et d'environnement .

En matière de souveraineté, une dépendance accrue en matière d'importations alimentaires crée des fragilités pour ce qui concerne l'approvisionnement en cas d'événement géopolitique majeur, comme cela a pu être le cas lors de la crise Covid-19.

En matière de sécurité sanitaire, aucun système de contrôle actuel ne permettant de garantir le respect des normes de production minimales requises en France par les denrées importées , les risques sanitaires sont accrus.

En matière d'environnement enfin, les importations alimentaires ont un bilan négatif sur l'environnement par rapport à des productions locales.

Cela s'explique, d'une part, par un effet transport . Selon un rapport de janvier 2019 intitulé l'empreinte énergétique et carbone de l'alimentation en France de la production à la consommation 20 ( * ) , en matière de transport de marchandises, « les importations sont à l'origine de la majorité du trafic et des émissions de GES ».

77 % du trafic généré par l'alimentation des ménages français serait induit par les importations, ce qui représente 155 giga-tonnes-kilomètres. À titre de comparaison, le trafic induit par les denrées alimentaires importées en France représente, à unité comparable, plus de la moitié de l'ensemble du trafic réalisé en France chaque année 21 ( * ) .

Au total, malgré le recours plus important à du transport maritime, pourtant moins émetteur de GES que le transport routier, il n'en demeure pas moins que 53 % des émissions de gaz à effet de serre résultant du transport de denrées alimentaires chaque année proviennent des denrées importées, soit 12 Mt de CO 2 chaque année .

D'autre part, il convient de prendre en compte, dans une perspective globale, l'impact des divergences des pratiques agricoles, du type de production . Si les denrées importées ont été produites dans des conditions moins-disantes à l'étranger avant d'être transportées et consommées en France, le bilan environnemental en ressort dégradé. Ce phénomène peut se mesurer en comparant la quantité de pesticides épandue en kilogrammes à l'hectare dans les principaux pays fournisseurs de la France par rapport à la quantité émise en France, à savoir environ 3,6 kg/hectare, ce qui la place dans la moyenne européenne. Or les données disponibles font état de quantités épandues plus fortes dans les principaux fournisseurs de denrées végétales importées , à savoir les fournisseurs de fruits et légumes : Espagne (équivalent à la France avec 3,6 kg/ha,). Allemagne (4 kg/ha), Italie (6,1 kg/ha), Pays-Bas (9,9 kg/ha) 22 ( * ) . Il en va de même avec le Brésil, principal fournisseur de tourteaux de soja, dont le ratio est de 6 kg/ha et où près de la moitié des substances actives autorisées sont interdites dans l'Union européenne.

Il convient d'ajouter que les dynamiques d'utilisation des pesticides dans ces pays diffèrent des pratiques françaises : alors que la vente de pesticides en France a reculé de 29 % depuis 1990, selon les mêmes données de la FAO 23 ( * ) , ce taux a crû de 86 % en Espagne et 60 % en Allemagne.


* 10 Source : Les chiffres clés du GEB -- ovins 2019 -- production lait et viande ; Agreste n° 349, juin 2020, La consommation de viande en France en 2019

* 11 Source : Les chiffres clés du GEV -- bovins 2020 -- productions lait et viande ; Agreste n° 349, juin 2020, La consommation de viande en France en 2019

* 12 Source : ANVOL, chiffres clés (site web) ; Agreste n° 349, juin 2020, La consommation de viande en France en 2019

* 13 Source : INAPORC, les échanges internationaux (site web) ; Agreste n° 349, juin 2020, La consommation de viande en France en 2019

* 14 Sources : Vincent Chatellier, Le commerce extérieur de la France en produits laitiers : entre impasses et opportunités (décembre 2018) ; Franceagrimer, Les échanges français de produits laitiers avec l'Union européenne 2000-2019, octobre 2020

* 15 Source : FranceAgrimer, Apiculture, fiche filière 2020

* 16 Source : selon les données de FranceAgrimer

* 17 Source : Franceagrimer, groupe de travail sur la réduction de la dépendance de la France en protéines végétales à destination de l'élevage

* 18 Bien que l'APCA signale que les importations de soja ont reculé de près de 25 % depuis 2000

* 19 Source : contribution écrite de l'APCA

* 20 Projet CECAM, Cired et al, 2019, L'empreinte énergétique et carbone de l'alimentation en France -- de la production à la consommation

* 21 Le trafic intérieur, toutes marchandises confondues, était de 282 Gt.km en France en 2013, hors transit (selon la même étude)

* 22 Source : données de la FAO sur l'année 2017, l'année 2018 ayant été impactée en France par des achats d'anticipation des exploitants en raison de l'interdiction des remises, rabais et ristournes de la loi Egalim, phénomène démontré par la baisse de 44 % des ventes en 2019

* 23 La France partait, certes, d'un niveau relativement élevé par rapport à l'Espagne ou l'Allemagne Toutefois, dans le même temps, les Pays-Bas, qui partaient d'un niveau très élevé, ont vu reculer leur consommation de seulement 8 %.

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