II. FACE À CES ÉVOLUTIONS DU COMMERCE, LA FRANCE, EN RETARD, OSCILLE ENTRE CONTRAINTES CONTREPRODUCTIVES ET ACCOMPAGNEMENT TIMORÉ
Il ressort des auditions menées par le rapporteur que les dispositifs publics, qu'il s'agisse des réglementations ou des aides incitatives, sont en constant décalage avec les réalités, mouvantes, du commerce.
La France semble réduite à légiférer et réglementer en réaction aux innovations commerciales et technologiques (grande distribution et commerce en ligne en tête), en raison de leurs effets immédiatement visibles - ou supposés - sur les positions établies. Par conséquent, elle ne fait jamais la course en tête en la matière et agit avec un coup de retard. Elle ne modernise pas ses règles, en amont, dès l'apparition des nouvelles formes de commerce, afin d'y adapter l'économie.
Trop souvent les mutations du commerce sont vues comme des initiatives américaines, qui ne pourraient correspondre qu'à la culture des États-Unis, qui signeraient la fin d'une façon française de commercer et qu'il faudrait à ce titre combattre. C'est - gravement - oublier qu'aucune initiative dans ce secteur, qu'elle soit française ou non, ne peut prospérer sans l'adhésion des consommateurs. S'il est juste de réguler, d'encadrer, de limiter les excès et autres effets de bord induits par telle ou telle évolution, il est vain et contreproductif de penser étouffer ou freiner les nouvelles formes du commerce qui correspondent aux exigences de millions de consommateurs.
Or le temps passé à élaborer un ensemble de réglementations qui se révèleront peu efficaces serait plus utile s'il était utilisé pour accompagner et inciter les entreprises françaises à s'adapter à ces mutations du commerce.
A. UN EMPILEMENT DE LOIS ET DE DISPOSITIFS À L'EFFICACITÉ MITIGÉE
Ainsi que l'illustre le graphique ci-dessous, produit par la Commission européenne, la France est le pays européen dont les réglementations sur le commerce sont les plus lourdes. Si cet état de fait n'a, longtemps, pas empêché le développement de ce secteur, le rapporteur rappelle que la situation est désormais totalement différente depuis l'émergence du commerce en ligne qui met en concurrence chaque commerçant français avec l'intégralité de la planète et donc les différents arsenaux législatifs.
Les restrictions au commerce dans l'Union européenne
Source : Commission européenne, A European retail sector fit for the 21 st century.
Lecture : « les restrictions concernant les horaires d'ouverture » en bleu foncé, « les restrictions concernant les canaux de distribution » en rouge, « les restrictions concernant les promotions » en vert, « la fiscalité du secteur commercial » en violet, « les restrictions concernant l'approvisionnement » en bleu ciel.
En effet, quel que soit le niveau de restriction, le consommateur peut toujours procéder à ses achats à n'importe quel moment de la journée, sur n'importe quel site, et se faire livrer depuis l'étranger si nécessaire : les contraintes traditionnelles (horaires d'ouverture du magasin, disponibilité du produit en stock, etc .) sont en effet levées par le commerce en ligne. La variable d'ajustement est donc le commerçant : en cas de restriction excessive du secteur commercial, les magasins français perdent des ventes, au profit de leurs concurrents notamment étrangers, mais le consommateur, lui, peut toujours réaliser son achat. Il ignore bien souvent, au demeurant, la provenance du produit qu'il a acheté en ligne. Durant le premier confinement, lorsque des restrictions extrêmes étaient imposées aux commerçants, les consommateurs ont ainsi pu continuer d'acquérir l'intégralité des produits qu'ils désiraient, grâce au commerce en ligne.
1. Un exemple symbolique : les tentatives successives - et inefficaces - de limitation des implantations
a) Une crainte que les grandes surfaces de périphérie ne dégradent le dynamisme des centres-villes...
À partir des années 1960, les commerces de centres-villes rencontrent un nombre croissant de difficultés pendant que les grandes surfaces de périphérie se multiplient.
Les pouvoirs publics, établissant un lien direct entre ce qui n'était pas encore considéré comme un phénomène massif de vacance commerciale dans le coeur des villes et cette nouvelle forme de distribution, ont tenté de limiter à plusieurs reprises ces implantations :
• la loi Royer 65 ( * ) de 1973 constitue le premier encadrement légal de l'urbanisme commercial. Les seuils en dessous desquels il est possible d'ouvrir un commerce sans autorisation préalable dépendent désormais du lieu d'implantation :
o 1 000 m² de surface de vente pour les projets envisagés dans les communes de moins de 40 000 habitants ;
o 1 500 m² de surface de vente pour les projets envisagés dans les communes de plus de 40 000 habitants.
• la loi Raffarin 66 ( * ) de 1996 abaisse le seuil d'autorisation de la loi Royer à 300 m² de surface de vente. Au-dessus de ce seuil, une autorisation d'exploitation commerciale est obligatoire. L'objectif était de renforcer encore la capacité des pouvoirs publics d'influer sur l'implantation des grandes surfaces ;
• la loi de modernisation de l'économie 67 ( * ) de 2008 relève ce seuil de 300 à 1 000 m² (elle revient en cela au droit en vigueur entre 1973 et 1996).
b) alors que la vacance commerciale est le fruit d'une multitude de facteurs...
S'il est légitime que les pouvoirs publics promeuvent et défendent les petits commerces de proximité, éléments essentiels du dynamisme et de la vitalité des centres-villes, il convient d'identifier l'ensemble des causes de la désertification de ces derniers, sous peine de contraindre inutilement une évolution « attendue » 68 ( * ) du commerce (le développement de la grande distribution) sans résoudre la problématique initiale.
La vacance commerciale est un phénomène réel et en croissance : son taux dépassait déjà, en moyenne, les 10 % dans les centres des villes moyennes en 2015 69 ( * ) . En outre, dans 80 % des villes de taille intermédiaire, les effectifs salariés du commerce de proximité en centre-ville ont baissé entre 2009 et 2015 70 ( * ) .
Une vacance commerciale qui s'est encore aggravée ces dernières années
Une analyse 71 ( * ) menée par l'institut Procos présente des conclusions plus alarmantes encore :
- en 2017, le taux moyen de vacance commerciale dans les centres-villes s'est établi à 11,1 % (hors Île-de-France) contre 7,2 % en 2012 et 62 % des villes enregistrent un taux supérieur à 10 %, contre seulement 10 % en 2001 ;
- les villes de moins de 200 000 habitants connaissent un taux moyen de vacance de 12,2 %, contre 8,7 % pour celles de plus de 500 000 habitants. En outre, sur 54 zones étudiées, 17 centres-villes comprenant entre 200 000 et 500 000 habitants présentaient un taux de vacance de plus de 15 %.
Mais les facteurs associés à la vacance commerciale sont bien plus nombreux que ceux retenus dans le débat public. Le rapporteur rappelle ainsi, en suivant l'analyse du Commissariat général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), qu'une analyse complète doit intégrer, outre le développement des surfaces commerciales en périphérie, les facteurs suivants :
• des causes économiques, comme le taux de chômage de la population, le revenu médian, le taux de vacance des logements, la diminution du logement résidentiel ;
• des causes liés à l'attractivité de la ville, notamment son classement en zone littorale ou comme station touristique ainsi que la pression fiscale ou encore l'existence d'une offre de soins et d'équipements suffisante.
L'ensemble de ces facteurs sont susceptibles d'agir, à la hausse ou à la baisse, sur l'implantation de commerces au centre-ville 72 ( * ) .
Surtout, le rapporteur rappelle que la dévitalisation commerciale n'est pas tant la cause de la perte du dynamisme des villes que le symptôme . Elle intervient souvent en raison d'années de politiques locales insuffisamment tournées vers le commerce et ne l'ayant pas placé au coeur de ses priorités (fluidité de la circulation, simplicité du stationnement, piétonisation, sentiment de sécurité, caractère abordable ou non des fonds de commerce, etc .).
c) ...en conséquence, un ensemble de réglementations qui se sont révélées inefficaces et sources d'effets pervers
(1) Une réglementation contreproductive
Force est de constater que la mauvaise identification des divers facteurs de dévitalisation des centres-villes n'a donc pas permis à la succession de réglementation des implantations commerciales d'atteindre ses objectifs, au contraire. La France compte en effet 2 000 hypermarchés, le premier étant apparu en 1963 à Sainte-Geneviève-des-Bois, 6 000 supermarchés, 3 500 « supermarchés à dominante marque propre » 73 ( * ) , 5 000 drives et nombre de magasins spécialisés.
« Le commerce accompagnant ses clients, et non l'inverse 74 ( * ) », lesquels sont 54 % aujourd'hui à habiter en périphérie contre 37 % en 1962, les grandes surfaces ont donc logiquement continué de mailler le territoire des zones périurbaines : les autorisations d'exploitation commerciale (AEC) leur ont ainsi rarement été refusées 75 ( * ) , compte tenu des aspirations des consommateurs et des effets de telles implantations sur l'emploi et les recettes fiscales.
Si depuis une dizaine d'année, le nombre de mètres carrés de surface commerciale autorisés en commission d'aménagement commercial diminue 76 ( * ) , l'observation du développement des périphéries depuis 60 ans ne peut que conduire à un constat d'échec de ces tentatives de réglementation à contre-courant des évolutions du commerce.
En 2005, le rapport 77 ( * ) du sénateur Alain Fouché sur la proposition de loi tendant à garantir l'équilibre entre les différentes formes de commerce notait déjà que la France était le pays européen comportant les surfaces commerciales les plus développées en mètres carrés par habitant (un hypermarché pour 46 000 habitants contre un pour 51 000 habitants en Allemagne et un pour 130 000 habitants en Italie).
(2) Une réglementation qui s'accompagne en outre d'effets pervers
Non seulement la restriction des implantations commerciales n'a que peu freiné le phénomène, mais elle a en outre eu plusieurs effets de bord dommageables pour l'économie, liés à la rigidification du secteur commercial qu'elle a entraînée :
• une réduction de la concurrence dans certaines zones, qui a facilité la constitution de positions dominantes pour les acteurs déjà installés. La faible implantation des magasins discount , par exemple, a réduit l'intensité concurrentielle sur les marques de distributeur (MDD) des enseignes alimentaires en place et n'a donc pas permis la baisse des prix attendue 78 ( * ) ;
• une augmentation des prix et donc une baisse du pouvoir d'achat des consommateurs. Le rapport de la commission Attali concluait déjà, il y a plus de dix ans, que « des comparaisons avec nos partenaires européens montrent que les marges dans la distribution française sont plus importantes que dans la plupart des autres pays de l'Union européenne, l'écart s'étant particulièrement accru au cours des années 1990 ». Cette hausse des marges est également le fruit du rapport de force favorable dont bénéficient, dans les négociations avec les fournisseurs, ces enseignes peu concurrencées ;
• un ralentissement du développement des grandes surfaces « maxi-discount », alors que ce format gagnait de plus en plus adeptes (ainsi, dans les années 2000, la part de marché de ce format dans la distribution alimentaire s'établissait à 13 % contre 30 % en Allemagne) ;
• le développement des formats de proximité des grandes enseignes, créant une nouvelle concurrence pour les petits commerces de centre-ville tandis qu'il était de plus en plus difficile de contester la position des acteurs de périphérie.
2. Une complexification croissante de la réglementation de l'urbanisme commercial
En dépit des promesses de stabilité de la réglementation commerciale régulièrement formulées aux acteurs du commerce, cette dernière a encore fortement évolué ces dernières années et a rendu plus contraignant l'agrandissement ou la rénovation des commerces.
L'autorisation d'exploitation commerciale
L'article L. 752-1 du code de commerce dispose qu'un certain nombre de projets commerciaux ne peuvent voir le jour qu'à la condition d'avoir bénéficié d'une autorisation d'exploitation commerciale (AEC) délivrée par une commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) 79 ( * ) . Parmi les 7 types de projets concernés, les plus importants ou fréquents sont les suivants :
- la création d'un magasin de commerce de détail d'une surface de vente supérieure à 1 000 mètres carrés, résultant soit d'une construction nouvelle, soit de la transformation d'un immeuble existant ;
- l'extension de la surface de vente d'un magasin de commerce de détail ayant déjà atteint le seuil des 1 000 mètres carrés ou devant le dépasser par la réalisation du projet ;
- la création d'un ensemble commercial dont la surface de vente totale est supérieure à 1 000 mètres carrés.
En particulier, les critères d'appréciation d'un projet commercial, repris à l'article L. 752-6 du code de commerce, ont été considérablement enrichis : treize critères doivent désormais être pris en compte par la commission départementale d'aménagement commercial lorsqu'elle étudie un projet soumis à autorisation. Parmi ces critères figurent, par exemple :
• la consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ;
• la contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation ;
• la qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique et des émissions de gaz à effet de serre, ainsi que la qualité du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés écoresponsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ;
• la variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales.
Le code de commerce prévoit par ailleurs qu'à titre accessoire, la commission peut prendre en considération la contribution du projet en matière sociale.
L'ensemble de ces critères sont utiles et le rapporteur rappelle l'importance de s'assurer qu'un projet commercial s'intègre avec cohérence dans son environnement, et notamment que sa contribution à la sauvegarde du tissu commercial soit mesurée. Tous les acteurs entendus ont, au demeurant, souligné ce point.
Pour autant, il est regrettable que cette inflation de critères, dont la formulation parfois vague représente un frein à la prévisibilité économique dont les entreprises ont besoin, se traduise de façon générale par un renchérissement des coûts de constitution des dossiers de présentation des projets en CDAC, réservant cette procédure aux seuls candidats disposant des capacités financières suffisantes. Dans les faits, seules certaines grandes enseignes, notamment des entreprises intégrées étrangères, détiennent des capacités d'ingénierie leur permettant de monter et conduire un tel dossier. Les commerçants indépendants, quant à eux, risquent de n'avoir pas d'autre option que le rachat de magasins existants.
Au surplus, ce surcoût s'ajoute à celui constaté depuis la fusion de la procédure de permis de construire et de l'autorisation d'exploitation commerciale, qui contraint le pétitionnaire à renseigner l'ensemble des éléments relatif au permis de construire dès le dépôt initial.
Recommandation n° 10 : confier à la commission de concertation du commerce (3C) une réflexion sur les évolutions possibles du contenu et de la formulation des critères d'appréciation d'un projet soumis à autorisation d'exploitation commerciale.
3. La réglementation des horaires d'ouverture des commerces : une rigidité à l'origine d'un désavantage compétitif
a) Le travail dominical
L'ensemble des fédérations professionnelles entendues par le rapporteur ont déploré une inadéquation de la réglementation relative à l'ouverture dominicale des commerces aux nouvelles réalités.
En principe, le repos hebdomadaire est donné le dimanche 80 ( * ) . Ce n'est que dans les cas suivants qu'un commerce peut ouvrir sans autorisation préalable :
• lorsque le commerce n'emploie aucun salarié ;
• s'il s'agit d'un commerce alimentaire, jusqu'à 13 h 81 ( * ) ;
• si l'ouverture est nécessaire pour des raisons de contrainte de production ou les besoins du public (hôtels, restaurants, entreprises de spectacle, de presse, etc .) 82 ( * ) ;
• si le dimanche en question est un « dimanche du maire » 83 ( * ) . Ce dernier peut en effet, après avis du conseil municipal, décider d'autoriser l'ouverture collective des commerces douze dimanches par an ;
• si le commerce se situe dans une zone touristique internationale 84 ( * ) , une zone touristique 85 ( * ) , une zone commerciale 86 ( * ) , une zone frontalière 87 ( * ) ou une des douze gares définies par arrêté ministériel (six à Paris et six en province).
En dehors de ces cas, un commerçant souhaitant ouvrir le dimanche doit déposer une demande auprès de la préfecture et justifier que la fermeture le dimanche serait préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal de l'entreprise 88 ( * ) .
En tout état de cause, le travail le dimanche ne peut être imposé aux salariés : ils doivent avoir donné leur accord écrit.
Il ressort des auditions menées par le rapporteur que la réglementation actuelle en matière d'ouverture dominicale relève désormais d'un « mille-feuille administratif » 89 ( * ) qu'il conviendrait de simplifier et d'assouplir, et que ces dérogations ne permettent pas aux commerçants de s'adapter correctement aux nouvelles attentes des consommateurs, qui passent désormais leurs commandes à tout moment de la journée et de la semaine, y compris tard le soir ou le dimanche. La réglementation en la matière crée donc un désavantage compétitif pour les commerçants physiques qui ne pratiquent pas ou peu le commerce en ligne. En outre, elle ne permet pas aux commerçants d'adapter les services qu'ils proposent aux nouvelles exigences des consommateurs.
Le débat relatif à cette ouverture oppose traditionnellement deux conceptions :
• la première met en avant les risques que les salariés se voient imposer de travailler le dimanche, en raison du rapport de force qui leur serait défavorable vis-à-vis de l'employeur. Par ailleurs, certains rejettent également le travail le dimanche au motif qu'il mettrait fin à des moments spécifiquement dédiés à la famille ou aux cultes ;
• la seconde se fonde sur la nécessité, pour chaque commerce, de pouvoir lutter à armes égales contre les pure players du numérique (ouverts, bien entendu, le dimanche) mais également contre les grandes surfaces présentes sur internet. Ce faisant, un surcroît de croissance est attendu de cette ouverture dominicale, bien qu'il ne soit pas aisé de définir si la consommation totale augmenterait. Le rapporteur partage cette conception et juge utile toute forme de souplesse apportée aux commerçants, leur permettant de s'adapter, selon les spécificités locales, aux exigences des consommateurs.
En outre, l'ouverture le dimanche serait créatrice d'emplois. La situation actuelle est en effet paradoxale : l'ouverture le dimanche n'est possible qu'à la condition qu'aucun salarié ne soit mobilisé, ce qui pousse les commerçants qui le peuvent à développer des outils comme les caisses automatiques. Or compte tenu du coût de ces installations, un commerçant qui souhaite les rentabiliser peut avoir, in fine , intérêt à réduire le temps de travail des agent(e)s de caisse aux heures creuses 90 ( * ) .
Une réglementation qui manque de souplesse et qui empile les normes peut donc se révéler contreproductive. Dans le même temps, tous les secteurs d'activité ne requièrent pas la possibilité d'ouvrir le dimanche.
Le rapporteur recommande donc que le ministre chargé de l'économie puisse, par arrêté pris après consultation des fédérations professionnelles et des organisations syndicales, autoriser les commerçants des secteurs d'activité qui en font la demande à ouvrir le dimanche. Ce faisant, les secteurs jugeant que la réglementation actuelle les empêche de rivaliser à armes égales avec les acteurs du numérique disposeraient d'un outil pour atténuer la distorsion de concurrence. De telles ouvertures s'accompagneraient, bien entendu, de l'octroi de repos compensateur et de compensation salariale.
Le rapporteur appelle également les pouvoirs publics à clarifier et simplifier la réglementation actuelle en la matière. Le schéma de clarification suivant pourrait être retenu :
• certains secteurs (d'activité ou géographiques) bénéficieraient de dérogations permanentes pour ouvrir le dimanche, comme aujourd'hui. Ces dérogations intègreraient les zones touristiques internationales actuelles mais également les zones touristiques définies jusqu'à présent par les préfets ;
• un dispositif ad hoc relevant du préfet, permettant temporairement l'ouverture dominicale en cas de besoin soudain (par exemple en temps de crise) ;
• les douze dimanches du maire.
Recommandation n° 7 : simplifier la réglementation relative à l'ouverture dominicale en :
- prévoyant la possibilité, par arrêté du ministre chargé de l'économie pris après consultation des fédérations professionnelles et des organisations syndicales, d'autoriser les secteurs d'activité qui le souhaitent à ouvrir le dimanche ;
- clarifiant le « mille-feuille administratif » de la réglementation, notamment en ne conservant que le schéma suivant :
o une dérogation permanente pour certains secteurs (d'activité et géographique), prise par arrêté du ministre chargé de l'économie, qui intègrerait notamment les zones touristiques qui ont jusqu'à présent été définies par arrêté préfectoral ;
o une dérogation temporaire et exceptionnelle, à la main du préfet, en cas de crise ou de besoin ponctuel ;
o les « douze dimanches du maire ».
b) Le travail en soirée dans les commerces alimentaires
Plusieurs acteurs économiques ont également mis en avant la nécessité de faire évoluer les règles relatives au travail en soirée, alors que 30 % seulement des périodes d'ouverture des commerces correspondraient au temps effectivement disponible des actifs pour consommer 91 ( * ) . Le Code du travail considère aujourd'hui comme travail de nuit « tout travail effectué au cours d'une période d'au moins neuf heures consécutives comprenant l'intervalle entre minuit et 5 heures 92 ( * ) ». La période de travail de nuit commence au plus tôt à 21 heures et s'achève au plus tard à 7 heures. En contrepartie, le salarié bénéficie de droits liés à la durée du travail, au repos obligatoire, à l'accès prioritaire au travail de jour, ainsi qu'un suivi médical adapté et des compensations salariales.
Les entreprises de radio, de télévision, de presse, de spectacle vivant, les discothèques, bénéficient d'une dérogation, puisque la période de travail de nuit est raccourcie à sept heures consécutives (comprenant l'intervalle entre minuit et 5 heures) 93 ( * ) .
Dans les zones touristiques internationales (ZTI), toutefois, les établissements de vente au détail peuvent employer des salariés en soirée, c'est-à-dire entre 21 h et minuit (si un accord collectif ou territorial le prévoit), sans que cela ne soit considéré comme du travail de nuit 94 ( * ) (mais sous réserve de contreparties et de garanties pour le salarié).
Fin 2019, le Gouvernement a envisagé de permettre aux commerces alimentaires, situés en-dehors d'une ZTI, d'ouvrir également de 21 h à minuit, comme les secteurs listés ci-dessus bénéficiant d'une dérogation. L'objectif était de reprendre, dans un projet de loi porté par la ministre du travail, l'article 19 de la loi Pacte censuré par le Conseil constitutionnel au titre de l'article 45 de la Constitution.
L'article du projet de loi a finalement été retiré avant son passage en Conseil des ministres et une concertation a été lancée avec les partenaires sociaux, sans que ses conclusions ne soient connues à la date de publication de ce rapport.
Le rapporteur recommande donc que les commerces situés hors-ZTI, y compris les commerces non-alimentaires, puissent bénéficier de la même dérogation que les discothèques et entreprises de radio ou de presse, et que la période de travail de nuit soit égale à sept heures consécutives, comprenant l'intervalle entre minuit et 5 heures. Le bénéfice de cette dérogation serait soumis à la condition que les commerces en question soient couverts par un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord collectif de branche, qui détermine les contreparties accordées aux salariés qui travaillent entre 21 heures et le début de la période de travail de nuit.
Recommandation n° 8 : faire bénéficier les commerces situés hors-ZTI de la dérogation au travail de nuit prévue à l'article L. 3122-3 du code du travail, sous réserve qu'ils soient couverts par un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord collectif de branche qui détermine les contreparties accordées aux salariés travaillant entre 21 heures et le début de la période de travail de nuit.
4. Un empilement de dispositifs épars en faveur de la numérisation des PME qui nuit à leur lisibilité
a) Un foisonnement d'aides et une multitude d'intervenants
Alors que seule une PME sur trois a déployé ou s'apprête à déployer une transformation numérique 95 ( * ) et qu'environ 500 000 sociétés n'ont aucune présence sur internet 96 ( * ) , l'urgence est à la numérisation des entreprises françaises.
Face à cette situation, l'État a développé un ensemble d'aides afin de renforcer la sensibilisation et la formation des dirigeants d'entreprise et de les accompagner dans les méandres du développement informatique. Le réseau consulaire (chambres de commerce et d'industrie ainsi que chambres des métiers et de l'artisanat) joue un rôle important dans cette mission.
Pour autant, il ressort de l'ensemble des auditions menées par le rapporteur que les dispositifs publics sont soit insuffisants par rapport aux besoins, soit trop nombreux, peu accessibles et manquant de notoriété. Ainsi que le note CCI France dans sa contribution écrite : « c'est d'ailleurs l'un des principaux obstacles à leur efficacité : des dispositifs trop nombreux pour être lisibles, créés sans cohérence ni stratégie globale par différents acteurs et qui sont souvent spécifiques à une thématique particulière dans un secteur donné ».
Initiative France Num de mise en relation des dirigeants cherchant à numériser leur entreprise et de professionnels du numérique, aide de 500 euros à l'acquisition d'un site internet, formations et diagnostics menés par le réseau consulaire, chèque numérique accordé par certaines régions (selon des critères variables d'un territoire à l'autre) 97 ( * ) , prêts financiers, etc ., sont quelques-uns des dispositifs publics ouverts aux entrepreneurs souhaitant prendre le virage du numérique, sans que ne soit définie de stratégie d'ensemble.
En outre, les acteurs intervenants en la matière sont multiples, ce qui ne facilite pas la compréhension et l'accessibilité des aides : réseau consulaire, ministères, Bpifrance, France Num, experts-comptables, développeurs web, organismes de crédit, Caisse des dépôts, etc .
Tout se passe donc comme si les pouvoirs publics accordaient encore une insuffisante importance à la numérisation des PME, singulièrement celles des commerçants, et ce y compris depuis le déclenchement de la crise sanitaire de la covid-19 (cf. infra ). L'enveloppe réellement allouée à cette politique publique nécessaire aux commerces, dans le plan de relance, est ainsi comprise entre 20 et 30 millions d'euros pour 2021. Or l'accompagnement des commerçants dans la transition numérique pourrait être considéré comme une mission prioritaire, tant un retard en la matière peut être préjudiciable en termes de compétitivité, de fiscalité, d'emploi et d'innovation.
b) L'initiative France Num : une initiative louable mais peu connue, qui doit mieux cibler son public
Créée en octobre 2018, l'initiative France Num a pour ambition de jouer un rôle d'intermédiaire entre des dirigeants de PME souhaitant prendre le virage du numérique et des « activateurs », c'est-à-dire des professionnels du domaine, proposant leurs services en la matière. Si l'intention est bonne, l'initiative présente toutefois plusieurs lacunes qui minent son efficacité et son intérêt. Le rapporteur, par ailleurs rapporteur pour avis des crédits du commerce de la mission « Économie » du budget dans laquelle figurent les crédits de l'initiative France Num et à laquelle il a consacré une partie de son rapport sur le PLF 2021 98 ( * ) , déplore ainsi les points suivants :
• France Num n'opère qu'un contrôle formel des « activateurs » qui rejoignent la plateforme (identité, adresse, etc.), sans s'assurer de leur sérieux ou de leur fiabilité (respect des engagements, des délais, tarification, clauses abusives, maintenance, etc .). Cet aspect est d'autant plus regrettable que « les petites entreprises non numérisées sont loin de maîtriser, dans leur ensemble, les concepts et le vocabulaire d'un secteur d'activité particulièrement technique et disposant d'un "jargon" propre. Ce faisant, une asymétrie peut se créer entre la TPE et l'activateur, renforcée par le fait que l'utilisateur considère que ce dernier est "validé" par l'État du fait de sa présence sur un site de l'administration » 99 ( * ) . À ce sujet, le Gouvernement a indiqué au rapporteur avoir engagé une réflexion sur la mise en place d'un système de labellisation des « activateurs » ;
• les utilisateurs de France Num ne peuvent pas noter, d'une façon ou d'une autre, la qualité des prestations qu'ils ont reçues des activateurs inscrits sur la plateforme ;
• France Num ne réalise quasiment aucun suivi des actions de numérisation mises en oeuvre grâce à son entremise. Par conséquent, sans retour d'expérience, il lui est impossible d'identifier les manques, lacunes et axes d'amélioration tant que les utilisateurs ne les lui signalent pas. Le Gouvernement a toutefois indiqué au rapporteur qu'un « double suivi [était] mis en place dans le cadre du plan de relance et des réformes prioritaires », mais sans en préciser les contours ;
• France Num manque cruellement de notoriété auprès des acteurs économiques 100 ( * ) . Surtout, sa communication emprunte des canaux de diffusion qui ne touchent que les entrepreneurs les plus familiers du sujet (radios spécialisées, salons de professionnels, etc .). Autrement dit, France Num communique essentiellement à destination de ceux qui en ont le moins besoin. Le Gouvernement a toutefois indiqué au rapporteur qu'une campagne de communication était actuellement en préparation, prenant la forme de spots télévisuels diffués sur les chaînes RMC Découverte et sur BFM. Le rapporteur salue cette intensification de la communication, et notamment le choix de recourir à des canaux destinés à un plus large public ; il appelle à réitérer régulièrement l'opération et à emprunter des canaux encore plus connus (grandes chaînes TV et radio généralistes, presse locale, etc .).
En outre, alors que France Num se contente de répertorier les offres proposées par les activateurs, il apparaît préférable de procéder à un séquençage chronologique de l'accompagnement à la transition numérique, sous forme d'étapes (sensibilisation, formation, création de site internet, paiement en ligne, maintenance, etc .). Ce faisant, l'utilisateur serait davantage à même de comparer les offres et d'identifier les solutions qui correspondent à son besoin ainsi que les aides publiques existantes pour chaque étape.
Recommandation n° 5 : renforcer le contrôle de la fiabilité des « activateurs » s'inscrivant sur l'initiative France Num et expérimenter au plus vite leur labellisation ; mettre en place un suivi régulier des actions de numérisation effectivement mises en oeuvre grâce au rôle d'intermédiaire de France Num (type d'actions, efficacité, satisfaction de l'entrepreneur, etc .) ; préparer une vaste campagne de communication nationale, via des canaux « grand public » (radio, télévision, presse locale), sur un temps long.
Recommandation n° 6 : améliorer la précision des offres proposées par les activateurs sur l'initiative France Num et les présenter selon les étapes de la transition numérique auxquelles elles se rapportent. À partir du même séquençage, préciser quelles sont les aides publiques idoines.
* 65 Loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat.
* 66 Loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat.
* 67 Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, dite loi « LME ».
* 68 Les grandes surfaces de périphérie, s'adressant majoritairement aux familles, lesquelles vivent davantage hors des centres-villes, ont répondu à des exigences alors nouvelles des consommateurs.
* 69 Échos CGEDD, « Réconcilier ville et commerce : pourquoi, comment ? », juillet 2017.
* 70 Insee première n° 1782, « La déprise du commerce de proximité dans les centres-villes des villes de taille intermédiaire », novembre 2019.
* 71 Procos, Palmarès Procos 2018 des centres-villes commerçants les plus dynamiques, 2 e édition.
* 72 Rapport d'information n° 676 (2016-2017) de MM. Rémy POINTEREAU et Martial BOURQUIN, fait au nom de la Délégation aux entreprises et de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 20 juillet 2017.
* 73 Ce qualificatif regroupe les enseignes spécialisées dans le hard discount, à l'image de Lidl ou d'Aldi.
* 74 Contribution écrite de la Fédération du commerce et de la distribution transmise au groupe de travail.
* 75 Il convient toutefois de noter qu'entre 1995 et 2003 (suite à la loi Raffarin), 162 grandes surfaces ont ouvert en moyenne chaque année, contre 379 entre 1986 et 1994.
* 76 1,33 million de mètres carrés de surfaces commerciales ont été autorisés en 2018 (dont 61 % dans le secteur alimentaire), soit une baisse de 6,5 % par rapport à 2017 et de 65 % par rapport à 2008 (3,8 millions de mètres carrés autorisés). En 2019, le nombre de projets de plus de 20 000 mètres carrés s'élevait à 4 (106 390 m²), dont 3 refusés par la Commission nationale d'aménagement commerciale, contre 7 en 2017 (220 765 m²).
* 77 Rapport n° 382 (2004-2005) de M. Alain Fouché, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 8 juin 2005.
* 78 Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, 2008.
* 79 Un refus d'une CDAC peut toutefois être réétudié en appel par la Commission nationale d'aménagement commercial.
* 80 Art. L. 3132-3 du Code du travail.
* 81 Art. L. 3132-13 du Code du travail.
* 82 Art. 3132-12 du Code du travail.
* 83 Art. L. 3132-26 code du travail.
* 84 Il existe aujourd'hui dix zones touristiques internationales à Paris et huit en région Antibes, Cagnes-sur-Mer, Cannes, Deauville, La Baule-Escoublac, Nice, Saint-Laurent-du-Var, Val-d'Europe.
* 85 La zone touristique est définie par arrêté du préfet de région.
* 86 Il s'agit d'une zone ayant plus de 20 000 m² de surface de vente avec plus de deux millions de clients par an et située dans une zone urbaine de plus de 100 000 habitants.
* 87 Il s'agit des zones situées à moins de 30 kilomètres d'une offre concurrente étrangère. Elles doivent avoir une surface de vente de plus de 2 000 m² et un nombre annuel de clients supérieur à 200 000.
* 88 Art. L. 3132-20 du Code du travail.
* 89 Il est par exemple peu aisé d'observer la plus-value qu'a apportée la mise en place des zones touristiques internationales par rapport aux simples zones touristiques.
* 90 Audition de la Fédération de l'épicerie et du commerce de proximité, 15 janvier 2020.
* 91 Rapport précité de la Fédération des SCOT. Cette donnée explique par ailleurs le fort impact que le couvre-feu à 18h, instauré depuis mi-décembre 2020, a sur l'activité commerciale.
* 92 Art. L 3122-2 du Code du travail.
* 93 Art. L. 3122-3 du Code du travail.
* 94 Art. L. 3122-4 du Code du travail.
* 95 Sage, CPME, « La transformation digitale des TPE », août 2019.
* 96 Audition des représentants de l'Alliance du commerce, 17 décembre 2019.
* 97 Dans un récent rapport de Mme la sénatrice Pascale Gruny fait au nom de la délégation aux entreprises du Sénat, il est recommandé que l'État mette en place un chéquier numérique valable sur tout le territoire, unifiant les critères d'attribution des aides régionales à la transition numérique.
* 98 Avis n° 139 (2020-2021) de M. Serge Babary, Mme Anne-Catherine Loisier et M. Franck Montaugé, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 19 novembre 2020.
* 99 Ibid.
* 100 Un baromètre France Num est par ailleurs en cours de déploiement, dont l'objectif est de mesurer cette notoriété.