B. UNE DÉRIVE POTENTIELLE : LE TRANSFERT D'ACTIVITÉ DES ÉTABLISSEMENTS PARTIES EN FAVEUR DE L'ÉTABLISSEMENT SUPPORT
En effet, cette ambiguïté n'a pas manqué d'alimenter plusieurs inquiétudes , qu'ont notamment exprimées nombre de nos collègues au cours de l'examen de la loi OTSS. Si l'intégralité des acteurs adhère au principe d'une mutualisation territoriale des moyens de santé, afin d'en garantir l'usage efficient dans un contexte de croissance contrainte de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam), ils sont aussi nombreux à craindre qu'un groupement d'établissements ne favorise à terme l'attrition - voire la disparition - des structures territoriales de proximité en faveur des « établissements support » .
Aussi les détracteurs des GHT, loin d'être
foncièrement hostiles à leur principe, se montrent-ils
davantage méfiants quant aux
effets
délétères de la tarification à l'activité
(T2A)
, qui inciterait les « établissements
support » à concentrer en leur faveur les activités les
plus cotées, entraînant la spécialisation des
« établissements parties » dans des activités
moins valorisées qui, à terme, menaceraient leur
pérennité financière.
Au cours des débats
relatifs à la loi OTSS, notre collègue Laurence Cohen
s'était faite l'écho de cette appréhension, en estimant
qu'«
une hiérarchie est souvent instaurée entre les
établissements membres d'un même GHT, ce qui justifie des
suppressions de postes. Les personnels de santé ou administratifs ne
travaillant pas dans l'établissement support ont d'ailleurs très
souvent l'impression d'être sous sa tutelle et éloignés de
la prise de décisions
»
1
(
*
)
.
En conséquence, dans son courrier du 13 septembre 2019 au Premier président de la Cour des comptes, votre rapporteur avait souhaité orienter la saisine de la commission des affaires sociales sur la « crainte que les GHT ne conduisent à vider certains établissements de leur substance au profit de l'établissement support et au détriment d'une répartition équilibrée de l'offre de soins sur un territoire donné ».
C. LA RÉPONSE DE LA COUR : DES DONNÉES QUI CONCLUENT À LA PRÉSERVATION DE L'ACTIVITÉ DES ÉTABLISSEMENTS PARTIES, MAIS UNE INTERPRÉTATION RESTRICTIVE
C'est d'une double interrogation que la Cour des comptes s'est donc trouvée saisie, à la fois quantitative - les possibilités ouvertes par les GHT engendrent-elles un transfert d'activité de l'établissement partie vers l'établissement support ? - et qualitative - le GHT appauvrit-il l'offre de soins de l'établissement partie en le spécialisant dans des activités faiblement tarifées ?
À ces deux questions, la Cour apporte une réponse d'apparence univoque. Concernant les transferts d'activité, la Cour déduit des données du PMSI que « les établissements supports n'ont pas été favorisés en termes d'évolution de l'activité depuis la mise en oeuvre des GHT » 2 ( * ) ; pour ce qui est de la recomposition qualitative de l'offre de soins intra-GHT, ces mêmes données indiquent qu'à rebours de l'idée reçue, « l'évolution 2014-2019 de la valorisation moyenne par séjour montre qu' un tiers des établissements parties ont connu une hausse de cette valeur, contre 22,4 % des établissements support. A contrario , la part des établissements ayant connu une baisse de la valorisation moyenne des séjours est proportionnellement plus forte dans la catégorie des établissements support (68 % contre 57,8 % dans les établissements parties) » 3 ( * ) .
Les chiffres consolidés ne feraient donc pas apparaître de phénomène de concentration excessive de l'activité (que ce soit en volume ou en valeur) des GHT au profit de l'établissement support . Tout au contraire , la Cour affirme qu'un « effet centrifuge » - à savoir d'éloignement du centre - serait à l'oeuvre au sein des GHT, favorisant un renforcement de l'offre de soins dans les établissements parties 4 ( * ) .
Elle souligne néanmoins qu'aucune des conclusions qu'elle apporte, issues de l'examen des moyennes de son échantillon, ne saurait être interprétée comme de portée générale, tant la pratique des GHT connaît de variations. Elle indique ainsi que, si la captation de l'activité par l'établissement support n'apparaît bel et bien pas comme un phénomène généralisé, il demeure néanmoins observé, à divers degrés, dans une grande majorité de GHT (près de 60 % d'entre eux entraînent une croissance de l'activité de l'établissement support plus importante que celle des établissements parties) et va jusqu'à connaître des niveaux particulièrement importants pour une trentaine d'entre eux . C'est au caractère nettement prononcé de ces quelques cas (remarquables sans être majoritaires) que la Cour semble attribuer le ressenti des professionnels et des élus précédemment décrit, qui a motivé sa saisine par votre commission.
Votre commission des affaires sociales, bien que reconnaissant la robustesse des analyses menées par la Cour, n'adhère que partiellement à ses conclusions . En effet, déduire une absence de concentration de l'activité au profit des établissements support des seules données disponibles issues de la pratique des GHT fait courir le risque de négliger les possibles stratégies de contournement mises en oeuvre par les signataires de GHT, sur lesquelles la Cour ne paraît pas s'être penchée.
Si l'adhésion à un GHT pour tout établissement public de santé revêt un caractère obligatoire, les formes de cette adhésion restent à l'entière discrétion des parties . Or la Cour indique que les groupements, dont l'assise territoriale reste très majoritairement départementale ou infra-départementale, semblent surtout attentifs au faible nombre et à l' homogénéité de leurs membres (le GHT médian comporte quatre centres hospitaliers et seulement un hôpital de proximité), potentiellement dans le souci préventif de maintenir un équilibre entre ces derniers .
Autrement dit, votre commission des affaires sociales n'écarte pas l'hypothèse selon laquelle les chiffres constatés par la Cour des comptes pourraient illustrer, davantage que l'innocuité du modèle pour les établissements parties, la précaution ex ante que ces derniers ont mise dans la conclusion des conventions constitutives à laquelle la loi les contraint .
* 1 Compte-rendu intégral des débats de la séance du 6 juin 2019.
* 2 Annexe 11.
* 3 Annexe 14.
* 4 La Cour prend néanmoins soin de préciser que cet « effet centrifuge » ne se déduit que de l'examen des données du PMSI, au sein desquelles ne figurent pas les activités et consultations externes (ACE) des établissements, qui restent l'un des principaux recours de l'activité intra-GHT (ne peuvent ainsi être appréciés les déports d'activité d'examen d'un praticien de l'établissement partie vers l'établissement support, par exemple).