Réponse de Grégoire Théry
Madame la présidente, chère Annick Billon,
Mesdames et Messieurs les membres de la délégation aux droits des femmes du Sénat,
Mesdames et Messieurs les co-lauréates et co-lauréats,
Je suis très honoré, très touché de ce prix de la délégation que vous me remettez aujourd'hui et que vous remettez aussi, à travers moi, au Mouvement du Nid .
Je suis très heureux de le recevoir pour deux raisons.
Tout d'abord, je le reçois dans le cadre d'un engagement militant bénévole de plus de quinze ans au sein d'une association remarquable, le Mouvement du Nid , qui intervient dans trente départements français avec 450 bénévoles et une trentaine de salariés, auprès d'environ 5 000 personnes prostituées, victimes de la traite des êtres humains, des femmes étrangères dans leur majorité, et des hommes aussi. Leurs situations d'extrême détresse et de précarité m'ont fortement touché lorsque j'étais étudiant. C'était en 2004, j'avais 21 ans. C'est le point de départ de mon engagement.
À travers moi, c'est aussi le Mouvement du Nid qui reçoit ce prix, et plus globalement le mouvement abolitionniste, qui m'a amené au féminisme en me conduisant à chausser les lunettes qui permettent de comprendre la société patriarcale dans laquelle nous vivons. J'ai lu hier matin avec grand plaisir, dans une enquête publiée par Le Monde et IPSOS , que 69 % des Françaises et des Français estiment vivre dans une société patriarcale. Cela m'a frappé : ce mot qui, il y a quelques années encore, semblait être presque un « gros mot » révolutionnaire, fait désormais partie du langage courant. Je l'ai vécu comme un signal très encourageant.
J'ai consacré beaucoup de temps et d'énergie à ce mouvement, à cette grande cause, à cette passion militante, notamment par la fonction de « plaidoyer ». C'est ce qui explique que je sois souvent venu au Sénat pour y être auditionné.
Je souhaite donc partager ce prix avec l'ensemble du Mouvement du Nid et notamment avec mes complices, mes mentors en abolitionnisme et en féminisme : Claire Quidet, ici présente, présidente du Mouvement du Nid , et Claudine Legardinier, journaliste, militante féministe et abolitionniste, qui m'a énormément éclairé. Enfin je pense à Rosen Hicher, survivante de la prostitution, qui avait marché 800 kilomètres, de Saintes jusqu'au Sénat, pour demander l'inscription à l'ordre du jour du Sénat du texte qui allait devenir la loi du 13 avril 2016 renforçant la lutte contre le système prostitutionnel et l'accompagnement des personnes prostituées.
La deuxième raison pour laquelle je suis heureux de recevoir ce prix, c'est précisément parce que c'est la délégation aux droits des femmes du Sénat qui me le remet. C'est une institution, à mes yeux, très précieuse, avec laquelle j'ai toujours eu énormément de plaisir à coopérer.
Cela me donne une occasion de vous exprimer ma gratitude, notre gratitude. J'ai en tête beaucoup d'images, de nombreuses auditions et réunions avec les membres de la délégation, avec Laurence Cohen, ici présente, Laurence Rossignol, Maryvonne Blondin, Michelle Meunier, Claudine Lepage, Joëlle Garriaud-Maylam ou Roland Courteau. Je pense aussi à Chantal Jouanno. Tous ces entretiens nourrissent une histoire entre la délégation et le Mouvement du Nid .
Votre engagement militant également m'a particulièrement touché. En tant que législateurs et législatrices, vous avez permis de franchir des difficultés, notamment au Sénat, pour faire avancer la loi de 2016. Je repense aux étapes de ce grand marathon parlementaire, avec trois lectures et trois rejets au Sénat. Mais à trois reprises, ce texte de loi a été défendu au Sénat par la délégation aux droits des femmes. Grâce à vous, on a entendu résonner dans l'hémicycle du Sénat ces mots qui venaient éclairer l'esprit de la loi. Cette loi a été véritablement construite dans les deux chambres.
J'ai aussi ce soir une pensée pour Dinah Derycke 10 ( * ) qui, dès l'année 2000, avait rendu un rapport sur la prostitution 11 ( * ) .
Enfin je pense également, vous l'avez nommée, à Nadia Murad, survivante yézidie de l'esclavage sexuel par Daech. En août 2014, ses six frères et sa mère avaient été assassinés devant elle, dans son village. Dès août 2015, elle avait appelé le Sénat, la France, la communauté internationale, à une action forte en soutien direct aux victimes irakiennes yézidies de Daech et avait plaidé pour une action en justice. Beaucoup de choses ont été faites en France. J'ai parlé avec Nadia hier au téléphone : elle exprime une gratitude très forte envers la France. Il reste toutefois beaucoup à faire pour que justice soit rendue aux victimes de Daech. Comment ne pas y penser, alors que se tient le procès des attaques terroristes en France ? À quelques mois d'écart, des milliers de femmes, d'enfants et d'hommes yézidis étaient assassinés ou réduits en esclavage sexuel et vendus sur de véritables marchés aux esclaves. La justice n'a pas commencé pour toutes ces femmes, ces hommes et ces enfants yézidis.
En vous exprimant à nouveau toute ma gratitude, je souhaite partager cette médaille avec celles et ceux qui m'ont ouvert la voie et avec vous toutes et tous qui avez accompagné et soutenu notre combat.
* 10 Dinah Derycke (1946-2002), sénatrice du Nord de 1997 à 2002, première présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat de 1999 à 2002.
* 11 Les politiques publiques et la prostitution , rapport d'information fait nom de la délégation aux droits des femmes par Dinah Derycke (n° 209, 2000-2001).