III. LA RÉGULATION DU SECTEUR AUTOROUTIER DOIT ENCORE ÊTRE AMÉLIORÉE
Si les pouvoirs de régulation du secteur autoroutier confiés à l'Autorité de régulation des transports ont, sans conteste, permis un rééquilibrage des relations entre l'État et les sociétés d'autoroutes , la commission d'enquête constate que celles-ci sont, aujourd'hui encore, souvent en position de force face au concédant .
Il convient à cet égard de distinguer deux situations : les avenants aux concessions existantes et la mise en concession de nouvelles autoroutes .
Sur le premier terrain, ce sont les moyens d'expertise dont disposent les services de l'État qui doivent être renforcés . Sur le second, il apparaît que l'efficacité de l'intervention de l'ART pourrait être améliorée en lui donnant accès à un plus grand nombre de données , y compris en amont des appels d'offre.
A. RENFORCER LES MOYENS DE L'ÉTAT DANS LA NÉGOCIATION DES AVENANTS AUX CONTRATS DE CONCESSION
La commission d'enquête a constaté que le rapport de force était particulièrement défavorable à l'État lors de la modification des contrats de concession existants .
Il lui semble qu'un certain nombre de mesures pourraient être prises pour réduire ce déséquilibre .
1. Une asymétrie d'information persistante
Comme le relève l'ART, les modifications des cahiers des charges prévoyant de nouveaux travaux et leur compensation par voie tarifaire ou par allongement de la durée des concessions ne résultent pas d'une mise en concurrence mais d'une négociation de gré à gré entre le concédant et le concessionnaire. Ceci place l'État dans une situation d'asymétrie d'information par rapport aux sociétés d'autoroutes : « la SCA connaît ses estimations de coûts les plus sincères, alors que l'État n'a pas d'offre concurrente à laquelle se référer pour comparaison . » 262 ( * )
La mission réalisée en 2013 par l'Inspection générale des finances et le Commissariat général de l'environnement et du développement durable relative au plan de relance autoroutier a également noté la difficulté pour les services de l'État de procéder à l'évaluation du coût des travaux « compte tenu de l'asymétrie d'information qui existe dans ce domaine entre les sociétés d'autoroutes et l'administration, a fortiori lorsque, comme c'est fréquent, les travaux sont réalisés en interne par des entreprises appartenant aux groupes concessionnaires concernés » 263 ( * ) .
Il en résulte, comme on l'a vu, que, dans la négociation des contrats de plan ou des plans de relance autoroutiers, l'État a souvent accepté des taux de rentabilité interne des investissements nettement supérieurs aux taux reflétant les données de marché .
C'est ce qui fait dire à la Cour des comptes, dans son référé de janvier 2019 relatif au plan de relance autoroutier, que « ces plans d'investissement sont l'objet de négociations difficiles dans lesquelles les pouvoirs publics sont souvent apparus en position de faiblesse » 264 ( * ) , tant pour évaluer le caractère « compensable » ou non des travaux supplémentaires que pour déterminer le niveau de compensation adéquat.
2. Des moyens d'expertise juridique et financière insuffisants
La commission d'enquête a, au cours de ses travaux, recueilli de nombreux témoignages qui corroborent les constats de la Cour des comptes .
Elle observe que l'asymétrie identifiée est aggravée par deux insuffisances principales : la dispersion des moyens de l'État et un recours trop limité à des expertises indépendantes .
Elle estime qu'il est possible de renforcer l'expertise juridique et financière de l'État et, partant, ses capacités de négociation .
a) Renforcer la coordination entre les services experts de l'État
Comme le relève le rapport d'inspection de l'IGF et du CGEDD : « on sait que, dans les négociations complexes, c'est souvent en raison de la multiplicité de sa représentation que l'État se met en situation de faiblesse » 265 ( * ) .
Si le niveau des compétences des collaborateurs de la DGITM est incontestable , la commission d'enquête constate toutefois que ceux-ci sont peu nombreux. Le bureau de la DGITM chargé de négocier les avenants et d'assurer le suivi juridique et financier des contrats de concession et des contrats de plan ne compte ainsi qu'une dizaine d'agents. De leur côté, les agents de la DGCCRF et du Trésor qui participent au suivi des concessions et de la négociation des avenants et des contrats de plan n'interviennent qu'en tant que de besoin, en plus de leurs autres missions.
Pour renforcer la coordination entre les services et améliorer l'efficacité de l'action de l'État, la directrice des affaires juridiques du ministère de l'économie et des finances, avec laquelle le rapporteur s'est entretenu, a émis l'idée de créer une task force rassemblant des juristes spécialisés dans le droit des concessions ainsi que des économistes et des experts en finance. L'intérêt et la faisabilité de cette suggestion mériteraient d'être expertisée.
b) Développer le recours à des expertises extérieures
La direction des infrastructures de transport (DIT) s'est adjoint un conseil juridique privé pour la période 2020-2024 . Toutefois, cette aide ne concerne pas les enjeux économiques et financiers des contrats, qui sont pourtant structurants.
Or, les sociétés concessionnaires d'autoroutes, pour leur part, sont accompagnées de nombreux conseils juridiques et financiers lorsqu'elles négocient avec l'État.
La commission d'enquête estime par conséquent qu'il est indispensable de renforcer les capacités d'expertise juridique et financière de l'État en matière de concessions autoroutières .
Ce besoin a d'ailleurs été souligné par Alexis Kohler lors de son audition : « il me semble indispensable que l'État se dote de cette expertise, et, lorsqu'il n'en dispose pas, qu'il n'hésite pas à recourir à des conseils extérieurs - même si je suis le premier à dire qu'il est important qu'il en dispose lui-même ». 266 ( * )
De son côté, l'Autorité de régulation des transports considère qu'« il pourrait être opportun d'envisager de recourir à [des conseils extérieurs] dans les situations de négociation d'avenants de gré à gré avec les SCA historiques , dont les enjeux juridiques, financiers et techniques peuvent être majeurs et où le concédant est exposé à un risque d'asymétrie d'information et de déséquilibre des moyens particulièrement élevé . »
Dans son référé de 2019, la Cour des compte est allée plus loin en préconisant de confier à un organisme expert indépendant la détermination « des hypothèses économiques fondant les compensations accordées aux sociétés concessionnaires d'autoroutes pour l'exécution de travaux non prévus par leur convention de concession » afin qu'il puisse « l'objectiver ».
Lors de son audition par la commission d'enquête, la présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, a indiqué, s'agissant du choix de l'expert indépendant : « nous pensions éventuellement à l'Insee . Il s'agit de faire appel à une structure qui dispose de cette expertise . Il faudrait instaurer une gouvernance plus interministérielle qu'aujourd'hui, avec un renforcement des compétences juridiques et surtout financières . » 267 ( * )
La commission d'enquête estime qu'il n'est pas nécessaire de confier à un organisme expert extérieur le soin de déterminer les hypothèses sous-tendant l'équilibre des contrats de plan, qui s'inscrit dans le rôle du concédant. Elle considère qu'il convient plutôt de s'assurer que celui-ci ait à sa disposition une expertise interne et extérieure suffisante .
Proposition n° 8 : renforcer les capacités d'expertise financière de l'État dans le cadre de la négociation des avenants aux contrats de concession et de leur suivi financier en recourant, en tant que de besoin, à des conseils privés. |
3. Clarifier le périmètre des opérations compensables
Les travaux en matière d'entretien et d'exploitation du réseau ne sauraient ouvrir droit à compensation dans la mesure où ils relèvent des obligations du concessionnaire. Il en est de même pour les travaux déjà prévus par le contrat de concession ou ses avenants dont le coût est compensé par les augmentations tarifaires déjà décidées .
L'ART est particulièrement vigilante sur ce point, ce qui a permis de ne pas retenir plusieurs opérations dans le cadre du PIA.
Par ailleurs, comme on l'a rappelé plus haut 268 ( * ) , aux termes de l'article L. 122-4 du code de la voirie routière, les opérations nouvelles ne peuvent être retenues dans les contrats de plan et les avenants, et donc compensées, que « sous condition stricte de leur nécessité ou de leur utilité, impliquant l'amélioration du service autoroutier sur le périmètre concédé, une meilleure articulation avec les réseaux situés au droit de la concession afin de sécuriser et fluidifier les flux de trafic depuis et vers les réseaux adjacents à la concession et une connexion renforcée avec les ouvrages permettant de desservir les territoires, ainsi que de leur caractère accessoire par rapport au réseau concédé ».
Là encore, l'ART vérifie que les opérations figurant dans un projet d'avenant négocié par la DGITM répondent à ces exigences et ce contrôle l'a conduit à écarter certaines opérations.
Dans la perspective de la négociation prochaine des nouveaux contrats de plan (et a fortiori de tout nouveau plan de relance ), la portée des conditions de nécessité et d'utilité pourrait être utilement clarifiée afin de définir le périmètre des opérations compensables.
Cette démarche pourrait être conduite par l'ART , qui exerce précisément un contrôle sur le caractère effectivement compensable des opérations, dans le cadre d'un pouvoir réglementaire supplétif .
Proposition n° 9 : élaborer une doctrine sur le périmètre des opérations compensables, qui précise en particulier les critères de nécessité et d'utilité prévus par l'article L. 122-4 du code de la voirie routière. |
* 262 Autorité de régulation des transports, Rapport sur l'économie des concessions autoroutières , juillet 2020 .
* 263 Inspection générale des finances et Conseil général de l'environnement et du développement durable, Validation des hypothèses sous-jacentes du plan autoroutier , juin 2013.
* 264 Cour des comptes, Référé S. 2018-4023, Le plan de relance autoroutier, 23 janvier 2019 .
* 265 Ibid.
* 266 Audition de M. Alexis Kohler, directeur du cabinet du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique de 2014 à 2016, le 15 juillet 2020.
* 267 Audition de Mme Annie Podeur, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, le 2 juillet 2020.
* 268 Voir Deuxième partie.