II. LE SOUS-ÉQUIPEMENT STRUCTUREL DE LA JUSTICE EN NOUVELLES TECHNOLOGIES NUIT GRAVEMENT À SON BON FONCTIONNEMENT PENDANT CETTE CRISE

Le sous-équipement structurel de la justice en nouvelles technologies est connu et documenté depuis longtemps 38 ( * ) . La crise sanitaire du covid-19 intervient malheureusement alors que le plan de transformation numérique 2018-2022 est en cours d'exécution et que la dématérialisation intégrale des chaînes civile et pénale n'est pas achevée.

Lors de son audition devant la commission des lois le 9 avril 2020, la garde des sceaux a reconnu la « dette technologique très importante » de son ministère, tout en assurant être en train de la « rattraper à vive allure ». Selon ses déclarations, des moyens matériels importants ont pu être mobilisés rapidement dès le début de la crise pour faire face aux besoins du télétravail :

- accroissement des capacités de traitement des serveurs nationaux, le nombre quotidien de connexions sur le réseau sécurisé étant passé de 2 500 avant la crise à 30 000 ;

- distribution de plus de 3 000 ordinateurs ultraportables, à raison de 500 par semaine ;

- installation de 2 000 matériels de visioconférence.

Toutefois, ce déploiement se heurte à des insuffisances de fond auxquelles il n'a pas été possible de remédier en urgence.

A. LES MAGISTRATS SONT GLOBALEMENT ÉQUIPÉS POUR TRAVAILLER À DOMICILE

Les magistrats semblent suffisamment équipés en ordinateurs portables. Au parquet de Nanterre, leur taux d'équipement est par exemple de 80 %.

Toutefois, si les magistrats peuvent travailler à domicile, il ne s'agit pas toujours de télétravail à proprement parler, comme l'a précisé aux rapporteurs la conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires. Les magistrats judiciaires n'ont pas accès à distance à leur environnement informatique habituel . Il s'agit donc pour eux de travailler à la maison sur des stocks de dossiers papier qu'ils ont emportés avec eux et de répondre aux mails.

Par ailleurs, les assistants de justice et juristes assistants qui viennent en soutien des magistrats ne sont que rarement équipés.

B. LES AGENTS DE GREFFE SONT SOUS-ÉQUIPÉS EN ORDINATEURS PORTABLES ET NE PEUVENT ACCÉDER À DISTANCE AUX APPLICATIONS INDISPENSABLES À LA CHAÎNE CIVILE

Les greffiers et agents de greffe judiciaires sont confrontés à deux difficultés :

- à la différence des magistrats, ils ne sont pas assez dotés en matériels informatiques leur permettant de travailler chez eux . Sur 10 000 personnes travaillant dans les greffes judiciaires, seules 2 000 sont présentes en juridictions. Les besoins en équipement portables sont donc importants. Ainsi au tribunal judiciaire de Nanterre, sur 261 personnels de greffe, 40 travaillent physiquement dans les locaux judiciaires et seuls 30 ont pu être équipés d'ultraportables. La conférence nationale des procureurs de la République a reconnu que malgré de gros efforts fournis pour équiper les agents de greffe de la chaîne pénale d'ordinateurs portables, il manque encore des moyens et que certains travaillent avec leurs moyens personnels ;

- ils n'ont pas accès, en matière civile, à leurs applications à distance ce qui crée un véritable « goulot d'étranglement » : les avocats continuent à alimenter les dossiers via le Réseau privé virtuel des avocats (RPVA), mais les greffiers n'ayant pas accès au Réseau privé virtuel justice (RPVJ), ils ne peuvent relever les boîtes et transférer les écritures et pièces côté juridiction.

La conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires a également précisé que le réseau n'a pas la capacité suffisante pour pouvoir recevoir l'intégralité des dossiers des avocats (pièces y compris) de manière dématérialisée. D'autre part, le logiciel « Winci », qui permet de procéder à la mise en état des dossiers, n'est pas accessible à distance , ce qui bloque toute la chaîne civile, hors présence physique d'un agent de greffe au tribunal. La fixation d'audience d'orientation étant impossible, il devient aussi impossible de procéder à des dépôts de dossier dans le cadre d'une procédure sans audience. La notification des décisions est également rendue très difficile.

La présidente du tribunal judiciaire de Nanterre a indiqué aux rapporteurs que depuis le 16 mars 2020, environ 2 400 décisions avaient été rédigées par des magistrats travaillant à domicile. Toutefois, faute d'accès à leurs applications métiers, les agents du greffe n'ont pu mettre en forme ces décisions et procéder à leur notification.

Pour fluidifier le processus jusqu'au bout, magistrats et avocats reconnaissent par ailleurs l'importance de mettre en place la signature électronique des décisions rendues par les tribunaux judiciaires comme cela existe déjà pour les décisions de la Cour de cassation 39 ( * ) et des tribunaux de commerce 40 ( * ) . La crise met en lumière l'urgence d'achever ce projet.


* 38 Notamment, rapport d'information n° 495 (2016-2017), « Cinq ans pour sauver la justice ! », de M. Philippe Bas, Mme Esther Benbassa, MM. Jacques Bigot, François-Noël Buffet, Mme Cécile Cukierman, MM. Jacques Mézard et François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois, déposé le 4 avril 2017, accessible à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/notice-rapport/2016/r16-495-notice.html .

* 39 Arrêté du 18 octobre 2013 relatif à la signature électronique des décisions de justice rendues en matière civile par la Cour de cassation.

* 40 Arrêté du 9 avril 2019 relatif à la signature électronique des décisions rendues par les tribunaux de commerce.

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