TROISIÈME PARTIE
LES NOUVELLES ORDONNANCES PRISES
DEPUIS LE 1ER AVRIL 2020

I. L'ADAPTATION DES PROCÉDURES CIVILES ET ADMINISTRATIVES

> Ordonnance n° 2020-405 du 8 avril 2020 portant diverses adaptations des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif

Lors du conseil des ministres du 8 avril 2020, le Gouvernement a adopté une ordonnance, comportant un article unique, pour préciser et compléter six articles de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

I. L'apport majeur : un raccourcissement possible des délais de l'instruction (article 16 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020)

Le Conseil d'État a considéré 113 ( * ) que les délais fixés aux parties pour produire leurs mémoires au cours d'une procédure administrative devaient être regardés comme des délais impartis dans le cadre d'une mesure d'instruction . À ce titre, ces délais sont soumis à l'article 3 de l'ordonnance n° 2020-306 « Délais » 114 ( * ) , et sont ainsi prorogés de plein droit de trois mois après la cessation de l'état d'urgence sanitaire (deux mois après l'expiration d'un mois après la cessation de l'état d'urgence sanitaire). Pour éviter la paralysie des procédures, la présente ordonnance autorise le juge administratif, lorsque l'affaire est en état d'être jugée ou que l'urgence le justifie, à fixer un délai plus bref 115 ( * ) .

Elle permet également au juge administratif de déroger au report de plein droit de la clôture de l'instruction prévu par l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 116 ( * ) et de fixer une date de clôture d'instruction antérieure, là encore, lorsque l'urgence ou l'état de l'affaire le justifie.

II. Deux dispositions facilitant l'organisation et le fonctionnement des juridictions (articles 7 et 13 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020)

L'article 7 est complété pour préciser que le rôle des audiences peut être publié sur le site internet de la juridiction, au lieu d'être affiché à la porte de la salle d'audience ; ce rôle doit évidemment mentionner les audiences tenues par visioconférence ou tout moyen de communication électronique (y compris téléphonique) autorisées dans le cadre de ce même article.

L'article 13 est complété pour préciser que la notification d'une décision peut être valablement accomplie « par tout moyen de nature à en attester la date de réception » lorsqu'une partie n'est pas représentée par un avocat et n'utilise ni l'application Télérecours, ni l'application Télérecours citoyen. L'envoi par mail avec demande d'accusé de réception est ainsi rendu possible.

III. Des précisions ou corrections rédactionnelles (articles 1 er , 15 et 17 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020)

La rédaction de l'article 1 er est rectifiée pour enlever toute éventuelle ambiguïté sur le fait que les dispositions de cette ordonnance s'appliquent, sauf si elles en disposent autrement, à l'ensemble des juridictions de l'ordre administratif.

L'article 15 relatif à la prorogation des délais de recours et de procédure est corrigé d'une erreur matérielle, mais reste inchangé sur le fond.

La rédaction de l'article 17 relatif aux reports des délais de jugement est modifiée pour limiter son application aux seuls délais qui courent ou ont couru en tout ou partie durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la fin de l'état d'urgence sanitaire.

> Ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de covid-19

Lors du conseil des ministres du 15 avril 2020, le Gouvernement a adopté une nouvelle ordonnance, comportant 11 articles, précisant et complétant sept articles de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période et y ajoutant un titre II bis. La présente ordonnance modifie également à nouveau un article de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

I. Dispositions générales sur la prorogation des délais et mesures administratives et juridictionnelles

Le titre I er de l'ordonnance n° 2020-306 reporte , de manière générale, le terme des délais prescrits par la loi ou le règlement à peine de sanction et la validité de certaines mesures administratives ou juridictionnelles qui arrivent à échéance entre le 12 mars 2020 et la fin du mois suivant la cessation de l'état d'urgence sanitaire (articles 1 er à 3). Il prive aussi d'effet les astreintes et certaines clauses contractuelles (articles 4 et 5). Ses articles 1 er à 4 sont modifiés par la présente ordonnance .

A) Le rapport au Président de la République précise le caractère provisoire du terme de la période juridiquement protégée

À l'occasion de l'ordonnance n° 2020-427, le Gouvernement précise dans son rapport au Président de la République 117 ( * ) que la date d'achèvement de ce régime dérogatoire « n'est fixée qu'à titre provisoire » . Compte tenu de « la fin du confinement [qui] devrait s'organiser à compter du 11 mai 2020 », le rapport indique qu'il conviendra d'adapter la période juridiquement protégée pour « accompagner, le cas échéant plus rapidement qu'il était initialement prévu, la reprise de l'activité économique et le retour aux règles de droit commun de computation des délais ». Il en découle donc que le Gouvernement envisage qu'il pourrait être mis un terme anticipé à la période juridiquement protégée, ou à ses effets à l'égard de certaines situations juridiques, avant qu'elle arrive à l'échéance « théorique » prévue par l'ordonnance n° 2020-305.

S'il est exact que le Gouvernement dispose pendant toute la durée d'habilitation du loisir de modifier les ordonnances déjà prises, il n'avait pas encore annoncé son intention d'éventuellement anticiper la fin de la période juridiquement protégée.

Sans préjudice d'une éventuelle prorogation de l'état d'urgence sanitaire, la commission des lois estime qu'il conviendra de concilier cet éventuel retour anticipé aux règles de droit commun de computation des délais avec les impératifs de sécurité et de prévisibilité juridique , puisque les acteurs économiques et sociaux ont déjà intégré la durée actuelle du moratoire.

B) L'ajout de douze exceptions au moratoire sur les délais

L'article 1 er de l'ordonnance 2020-427 complète de douze nouvelles catégories la liste des délais, mesures et obligations exclus du moratoire . Ces délais reprennent donc leur cours à compter de l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2020-427 , soit le 17 avril 2020.

En matière d' enseignement, d'examen et de concours , les délais applicables aux procédures d'inscription à un examen permettant la délivrance d'un diplôme reprennent leur cours . Cette exclusion est cohérente avec celle déjà prévue des délais d'inscription dans un établissement de l'enseignement supérieur.

Les délais relatifs à la mobilité dans la fonction publique (mutations, détachements, mises à disposition ou affectation) reprennent également leurs cours . Ceux régissant ses voies d'accès étaient déjà exclus, mais le pouvoir législatif délégué a jugé utile de préciser qu'il s'agit de l'accès aux corps, cadre d'emplois, emplois ou grades de la fonction publique. La commission observe toutefois que le décret n° 2020-437 du 16 avril 2020 pris pour l'application des articles 5 et 6 de l'ordonnance n° 2020-351 du 27 mars 2020 relative à l'organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19 permet de reporter, par arrêté ou décision de l'autorité organisatrice, la date limite des inscriptions ou le dépôt de pièces ou de dossiers pour les examens et concours de la fonction publique.

En matière familiale , les délais de restitution à sa famille d'origine d'un enfant déclaré pupille de l'État à titre provisoire reprennent également leur cours 118 ( * ) . La reprise du cours normal de ces délais est en effet de nature à garantir l'intérêt supérieur de l'enfant. Les demandeurs pourront toujours saisir le tribunal judiciaire au-delà de ce délai en cas de refus de restitution de l'enfant.

La présente ordonnance exclut également du moratoire quatre séries d'obligations en matière de police, de sécurité et de surveillance financière relatives :

- aux déclarations et informations imposées par le code monétaire et financier relatives à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme (signalements auprès de Tracfin 119 ( * ) et mise en oeuvre de décisions de gel des fonds et ressources économiques) ;

- aux déclarations à l'organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance (Orias), qui répertorie l'ensemble des intermédiaires en banque-assurance afin d'éviter les fraudes ;

- aux déclarations et notifications imposées par le code monétaire et financier en matière de produits, marchés, prestataires de services financiers, supervision et surveillance financière , ainsi qu'aux obligations déclaratives en cas de franchissement de seuils de participation au sein des sociétés commerciales ;

- aux déclarations auprès de l'administration des douanes pour chaque transfert physique de capitaux en provenance ou à destination d'un État membre de l'Union européenne.

En matière économique et sociale , sont également expressément exclus les délais relatifs aux demandes :

- d'aides ainsi qu'aux déclarations et formalités nécessaires pour bénéficier des différents régimes d'aides relevant de la politique agricole commune ;

- d'attribution de logements étudiants gérés par les CROUS 120 ( * ) ;

- et d' appels à projets publics ouvrant droit au bénéfice d'aides publiques .

Enfin, pour des raisons de sécurité et de santé publiques, sont formellement exclues du moratoire les obligations déclaratives relatives aux produits dangereux ou stratégiques , en particulier toutes les déclarations d'accident ou d'indicent nucléaire ou toute autre procédure destinée à assurer la sécurité nucléaire.

La commission a estimé que la reprise du cours normal de ces délais était justifiée .

C) L'exclusion du moratoire des délais de réflexion, de rétractation, de renonciation et de remboursement des sommes d'argent

L' article 2 de l'ordonnance initiale n° 2020-306 reporte le terme des actes prescrits par la loi ou le règlement à peine de sanction ou de déchéance d'un droit quelconque, dont le délai expire pendant la période juridiquement protégée , soit entre le 12 mars 2020 et la fin du mois suivant la cessation de l'état d'urgence sanitaire. Il en est de même pour tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de la conservation d'un droit. Le cours de ces délais reprend à compter de la fin du moratoire, pour la totalité du délai légalement imparti, dans la limite de deux mois.

La présente ordonnance modificative n° 2020-427 ( article 2 ) vient rendre ces dispositions inapplicables aux délais de réflexion , de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement 121 ( * ) , ainsi qu'aux délais prévus pour le remboursement de sommes d'argents en cas d'exercice de ces droits 122 ( * ) et que cette modification a un caractère interprétatif , ce qui signifie qu'elle s'applique rétroactivement depuis le 27 mars 2020 123 ( * ) . En conséquence, comme l'indique la circulaire d'application de la Chancellerie 124 ( * ) , les délais concernés ne sont pas prorogés et s'achèvent dans les conditions du droit commun , même s'ils ont expiré ou expirent durant la période juridiquement protégée , soit du 12 mars 2020 à la fin du mois suivant la cessation de l'état d'urgence sanitaire.

Les notions de délai de réflexion ou de rétractation sont définies par l' article 1122 du code civil qui dispose que « la loi ou le contrat peuvent prévoir un délai de réflexion , qui est le délai avant l'expiration duquel le destinataire de l'offre ne peut manifester son acceptation ou un délai de rétractation , qui est le délai avant l'expiration duquel son bénéficiaire peut rétracter son consentement ». La faculté de renonciation, équivalente à la rétractation , est employée dans d'autres textes notamment en droit des assurances.

De tels délais sont prévus par de nombreux textes. À titre d'illustration, les délais de dix jours dont bénéficie un acquéreur immobilier pour se rétracter d'une promesse de vente, ou le récipiendaire d'une offre de crédit immobilier pour réfléchir à son acceptation ne sont donc pas reportés. Le tableau ci-dessous retrace les principaux exemples cités par la Chancellerie dans sa circulaire d'application.

Exemples de délais exclus du moratoire
par la nouvelle rédaction interprétative

(liste non exhaustive)

Délais de rétractation ou de renonciation

Objet

Source

Délai de rétractation de 14 jours prévu dans les contrats conclus à distance, à la suite d'un démarchage téléphonique ou hors établissement par un consommateur

Article L. 221-18
du code de la consommation

Délai de rétractation ou de renonciation de 14 jours prévu en matière de contrat d'assurance ou de services bancaires et financiers conclus à distance par un consommateur

Articles L. 112-2-1 du code des assurances, L. 222-7 et suivants du code de la consommation, L. 221-18 du code de la mutualité et L. 932-15-1 du code de la sécurité sociale

Faculté de renonciation pendant 14 jours pour les contrats d'assurance conclus suite à un démarchage physique

Articles L. 112-9 du code des assurances ; L. 221-18-1 du code de la mutualité,
L. 932-15-2 du code de la sécurité sociale

Délai de renonciation de 30 jours en matière de contrat d'assurance-vie conclu à distance

Article L. 112-2-1
du code des assurances

Délai de rétractation de 14 jours pour les contrats de jouissance d'immeuble à temps partagé

Article L. 224-79
du code de la consommation

Délai de rétractation de 7 jours pour le contrat de courtage matrimonial

Article L. 224-91
du code de la consommation

Délai de rétractation de 14 jours en matière de crédit à la consommation

Article L. 312-19
du code de la consommation

Délai de rétractation de 10 jours en cas

d'acquisition par un non-professionnel d'un immeuble d'habitation lorsqu'il est précédé d'un avant-contrat

Article L. 271-1
du code de la construction et de l'habitation

Délais de réflexion

Objet

Source

Contrat de crédit immobilier

Article L. 313-34
du code de la consommation

Renégociation d'un contrat de crédit immobilier

Article L. 313-39
du code de la consommation

Prêt viager hypothécaire

Article L. 315-11
du code de la consommation

Contrat relatif à l'enseignement à distance

Article L. 444-8
du code de l'éducation

Contrat d'acquisition par un non-professionnel d'un immeuble d'habitation lorsqu'il n'est pas précédé d'un avant-contrat

Article L. 271-1
du code de la construction

et de l'habitation

Convention de divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d'un notaire

Article 229-4
du code civil

Source : circulaire d'application de la garde des sceaux du 17 avril 2020.

Les conséquences de l'échéance du terme de ces délais sont sensiblement différentes . À l'expiration du délai de rétractation ou de renonciation, le titulaire du droit qui ne l'exerce pas est définitivement engagé dans un contrat auquel il a consenti, alors que l'expiration du délai de réflexion fait seulement naître le droit de consentir.

Cette modification de l'ordonnance a notamment pour objet de ne pas paralyser les transactions immobilières pendant la période juridiquement protégée 125 ( * ) . Les professionnels de ce secteur , très inquiets, s'en étaient fait l'écho, ayant interprété les dispositions de l'ordonnance n° 2020-305 comme reportant ces délais pendant la période juridiquement protégée.

La doctrine elle-même avait émis des doutes sur le périmètre des délais concernés par le moratoire , en particulier concernant les délais de rétractation ou de renonciation . Il est vrai que la fin d'un tel délai n'entraîne pas la nullité, la caducité ou la forclusion. Pour autant, la rétractation ou la renonciation sont bien des actes juridiques au sens de l'article 1100 du code civil, dont il est possible de considérer qu'ils sont prévus à peine de sanction, c'est-à-dire de la perte de ce droit de rétractation ou de renonciation. La perte de ce droit peut d'ailleurs être entendue comme la « déchéance d'un droit quelconque », expressément inclus dans le moratoire. De surcroît, l' intention du législateur délégué d'englober le plus grand nombre de situations allait dans le même sens .

Des hésitations s'étaient aussi faites jour sur les délais de réflexion, même si la doctrine allait plutôt dans le sens de leur exclusion du moratoire , compte tenu de la lettre et de l'esprit du texte. Le terme de ce délai ouvre à son bénéficiaire le droit d'agir ou de consentir, il est donc plus aisé de considérer qu'il ne s'agit ni d'une sanction, ni de la perte d'un droit.

Compte tenu de ces doutes et de l' enjeu de poursuite de l'activité économique et sociale , la commission des lois est favorable sur le principe à l'exclusion des délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation du moratoire sur les délais . Cette évolution va permettre de conclure des actes et de leur donner un caractère définitif malgré l'état d'urgence sanitaire. Il faudra toutefois que les parties s'assurent que la crise sanitaire n'empêche pas le bénéficiaire du délai de se manifester pour se rétracter, faute par exemple de pouvoir adresser une lettre recommandée avec avis de réception lorsqu'elle est imposée par les textes. Le décret n° 2020-395 du 3 avril 2020 autorisant l'acte notarié à distance pendant la période d'urgence sanitaire , sur support électronique et en dehors de la présence des personnes signataires jusqu'au 25 juin 2020 126 ( * ) devrait aussi faciliter les transactions.

En outre, la commission n'estime pas anormal de devoir ajuster le dispositif « balai » du moratoire sur les délais élaboré dans l'urgence , même si le nombre et l'importance des modifications apportée témoignent, dans une certaine mesure, de la précipitation dans laquelle les dispositions de l'ordonnance du 25 mars 2020 ont été adoptées.

Elle émet néanmoins des réserves sur le caractère interprétatif donné à cette modification . Le rapport au Président de la République précité justifie le caractère rétroactif donné à cette mesure car « elle ne modifie pas la portée » de l'article 2 de l'ordonnance initiale n° 2020-306 et ne fait qu'expliciter que depuis l'origine, celui-ci ne s'applique pas aux délais de réflexion, de rétractation et de renonciation.

La commission estime à l'inverse qu'il s'agit d'une évolution de fond de de la portée de la norme , en particulier s'agissant du délai de rétractation ou de renonciation, alors que la lettre et l'esprit du texte permettaient d'inclure le report de ces délais dans le champ de la période juridiquement protégée .

Une telle rétroactivité n'est pas problématique pour les délais de réflexion, car leurs bénéficiaires pourront dès lors agir et consentir. En revanche, elle risque de soulever des difficultés s'agissant des délais de rétractation ou de renonciation échus entre la publication de la première ordonnance le 26 mars 2020 et celle de la deuxième ordonnance le 16 avril 2020 : une partie pourrait, de bonne foi, ne pas s'être rétractée à temps dans cette période pensant que leur délai était reporté.

La rétroactivité prive ces personnes du droit de se rétracter qu'elles pensaient légitimement acquis et les conséquences ne sont pas neutres . En matière immobilière, l'acquéreur putatif qui pouvait se rétracter d'un avant-contrat de vente et qui ne l'a pas fait est tenu d'acquérir, faute de perdre son indemnité d'immobilisation. En outre, s'il refuse de formaliser la vente chez le notaire, il peut être poursuivi par le vendeur en exécution forcée de la vente, sans préjudice du versement d'éventuels dommages et intérêts.

La commission des lois regrette donc l'insécurité juridique qui résulte du caractère interprétatif de ces dispositions.

D) La confirmation du caractère supplétif de la prorogation de certaines mesures administratives et juridictionnelles

La présente ordonnance ( article 3 ) modifie également l'article 3 de l'ordonnance n° 2020-306 pour expliciter le caractère supplétif de la prorogation de droit de certaines mesures administratives ou juridictionnelles arrivant à échéance pendant la période juridiquement protégée.

L'ordonnance n° 2020-306 précisait déjà que cette prorogation ne faisait pas obstacle à l'exercice par le juge ou l'autorité compétente de ses prérogatives pour modifier ces mesures ou y mettre fin . Elle limitait le champ des mesures concernées à celles prononcées avant le 12 mars 2020, borne temporelle que supprime utilement l'ordonnance rectificative pour éviter toute ambiguïté.

La nouvelle rédaction ajoute que le juge ou l'autorité compétente peut prescrire l'application de ces mesures ou en ordonner de nouvelles en fixant un délai qu'il détermine, « si les intérêts dont il a la charge le justifient » et que, dans cette hypothèse, il doit prendre en considération les difficultés résultant de la crise sanitaire , ce qui pouvait se déduire de la rédaction antérieure .

Comme l'indique la circulaire d'application de la Chancellerie, il s'agit d'une modification « à vocation principalement interprétative » 127 ( * ) , bien que l'ordonnance n° 2020-427 ne lui attribue pas ce caractère, ce qui est surprenant . Tout en estimant qu'il aurait été préférable de consacrer le caractère interprétatif des dispositions de l'article 3 plutôt que celles de l'article 2 de la présente ordonnance, la commission a jugé que cette clarification, en droite ligne de la lettre et de l'esprit de l'ordonnance initiale, ne soulevait aucune difficulté.

II. Privation d'effet des astreintes et de certaines clauses contractuelles

L'article 4 de l'ordonnance n° 2020-427 modifie et complète l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 128 ( * ) qui tend à priver d'effet les astreintes prononcées par une juridiction ou une autorité administrative ainsi que les clauses contractuelles - clauses pénales, clauses résolutoires, clauses prévoyant une déchéance - qui ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé .

A) Ajustement du report de délai en cas d'astreintes, de clauses pénales, résolutoires et de déchéance qui doivent prendre effet durant la période juridiquement protégée

Les astreintes et clauses pénales, clauses résolutoires ou clauses prévoyant une déchéance qui ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé sont réputées ne pas avoir pris cours ou produit d'effet , si ce délai a expiré pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et le mois suivant la cessation de l'état d'urgence sanitaire (la « période juridiquement protégée ») 129 ( * ) .

Selon le texte initial de l'ordonnance n° 2020-306, l'effet de ces astreintes et clauses était en toutes situations reporté d'un mois après la période juridiquement protégée - soit un report de deux mois à compter de la fin de l'état d'urgence sanitaire -, si le débiteur n'avait pas exécuté son obligation avant ce terme.

La présente ordonnance n° 2020-427 vient affiner la manière de reporter les délais, en prenant en compte la durée d'exécution du contrat qui a été réellement impactée par les mesures résultant de l'état d'urgence sanitaire pour éviter les effets d'aubaine. Ainsi, l'effet des astreintes et clauses n'est plus automatiquement reporté d'un mois à l'issue de la période juridiquement protégée, mais du temps qui s'est écoulé pendant cette période.

La Chancellerie donne l'exemple d'un contrat conclu le 1 er février 2020 avec une date d'exécution au 20 mars 2020 sanctionnée par une clause résolutoire.

Sous l'empire de l'ancien mécanisme, les effets de la clause résolutoire étaient reportés d'un mois après la fin de la période juridiquement protégée.

En application du nouveau dispositif, ils seront reportés de huit jours après la fin de la période juridiquement protégée, soit la durée égale au temps écoulé entre le 12 et le 20 mars.

B) Ajout d'un dispositif prévoyant un report de délai en cas d'astreintes, de clauses pénales, résolutoires et de déchéance sanctionnant l'exécution d'une obligation de faire qui doivent prendre effet après la période juridiquement protégée

L'article 4 de l'ordonnance n° 2020-427 complète également l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 sur les astreintes et clauses contractuelles sanctionnant l'inexécution d'une obligation, autre que de somme d'argent , prévue à une date postérieure à la fin de la période juridiquement protégée. Il est en effet apparu que ces obligations de faire pouvaient être difficilement exécutées dans les délais initialement prévus compte tenu des contraintes imposées par le confinement. Le cas typique est celui d'un chantier de construction.

Pour prendre en compte les difficultés rencontrées par les entrepreneurs, la présente ordonnance prévoit un report du terme également calculé, après la fin de la période juridiquement protégée, en fonction de la durée d'exécution du contrat affectée par les contraintes du confinement.

L es clauses et astreintes sanctionnant les obligations de payer des sommes d'argent ne bénéficient pas de ce dispositif car le Gouvernement a considéré que les obligations de payer ne sont pas directement empêchées par les mesures résultant de l'état d'urgence sanitaire, comme peuvent l'être les obligations de faire. En dehors de la période juridiquement protégée, les difficultés des débiteurs à exécuter des obligations de payer ont plutôt vocation à être prises en compte par les règles de droit commun (délais de grâce, procédure collective, surendettement) ou à faire l'objet d'une négociation entre cocontractants.

Enfin, le rapport au Président de la République rappelle le caractère supplétif de ces dispositions , précisant que « les parties au contrat restent libres d'écarter l'application de cet article par des clauses expresses notamment si elles décident de prendre en compte différemment l'impact de la crise sanitaire sur les conditions d'exécution du contrat ». Elles peuvent également, postérieurement à la signature du contrat, renoncer à se prévaloir de ces dispositions.

III. Mesures relatives aux délais applicables aux administrations et à leurs usagers

Les articles 5 à 8 de la présente ordonnance rectificative du 15 avril puis l'article 23 de l'ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 130 ( * ) ont apporté des corrections et des ajouts aux dispositions relatives aux délais administratifs prévues par l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période.

A) L'adaptation de divers délais administratifs

L'article 5 de l'ordonnance rectificative du 15 avril vient modifier l'article 7 de l'ordonnance n° 2020-306 prévoyant un gel global des délais opposables aux administrations s'agissant des décisions, accords ou avis qu'elles sont amenées à produire explicitement ou implicitement 131 ( * ) .

1. L'application du gel des délais à la rupture conventionnelle dans la fonction publique

L'article 5 précité rend opposable le gel prévu par l'article 7 « au délai de rétractation fixé au titre de la procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique » . Ce délai prévu à l'article 6 du décret n° 2019-1593 du 31 décembre 2019 relatif à la procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique est normalement de 15 jours.

2. Un gel spécial des délais prévus pour la consultation ou la participation du public

Dans sa version initiale, l'ordonnance n° 2020-306 prévoyait que le gel des délais administratifs fixé par l'article 7 s'appliquait aux « délais prévus pour la consultation ou la participation du public » , sous réserve des dispositions de l'article 12 trouvant spécialement à s'appliquer, « lorsque le retard résultant de l'interruption [d'une] enquête publique ou de l'impossibilité de l'accomplir en raison de l'état d'urgence sanitaire est susceptible d'entraîner des conséquences difficilement réparables dans la réalisation de projets présentant un intérêt national et un caractère urgent » .

L'ordonnance rectificative du 15 avril 2020 conserve les dispositions spéciales prévues à l'article 12 mais limite le gel des délais prévus pour la consultation ou la participation du public . Alors qu'ils étaient figés jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, au même titre que l'ensemble des délais administratifs, ils sont maintenant « suspendus jusqu'à l'expiration d'une période de sept jours suivant la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 » .

Le Gouvernement justifie cette modification par le souhait de ne pas « retarder davantage l'organisation et la tenue de procédures de consultation et de participation du public qui avaient été engagées ou programmées avant la déclaration de l'état d'urgence, ce qui contribuera à favoriser la relance économique » 132 ( * ) .

B) Des tempéraments apportés au gel des délais imposés par l'administration « à toute personne pour réaliser des contrôles et des travaux ou pour se conformer à des prescriptions de toute nature »

L'article 6 de l'ordonnance rectificative du 15 avril vient modifier l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-306 qui étend le bénéfice du gel prévu à l'article 7 à « toute personne pour réaliser des contrôles et des travaux ou pour se conformer à des prescriptions de toute nature » 133 ( * ) . Ainsi, l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-306 modifiée prévoit toujours le gel initial des délais, mais rend une certaine marge de manoeuvre à l'administration qui a prescrit les mesures .

L'autorité administrative peut ainsi :

- modifier ou mettre fin aux obligations qu'elle avait imposées ;

- ordonner de nouvelles obligations ou « prescrire leur application » , dans le délai qu'elle détermine, « lorsque les intérêts dont elle a la charge le justifie [sic] » .

Dans sa nouvelle rédaction, l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-306 précise également que, « dans tous les cas, l'autorité administrative tient compte, dans la détermination des obligations ou des délais à respecter, des contraintes liées à l'état d'urgence sanitaire » . Cette disposition n'est pas véritablement normative puisqu'aucun critère objectif ne permettra de savoir si elle sera ou non respectée.

C) L'exclusion du gel des délais dans des domaines supplémentaires

L'article 9 de l'ordonnance n° 2020-306 initiale prévoyait de soumettre les règles de report prévues aux articles 7 et 8 ( cf. supra ) à certaines exceptions. Ainsi, des actes de procédures et des obligations listés par décret sont écartés « pour des motifs de protection des intérêts fondamentaux de la Nation, de sécurité, de protection de la santé, de la salubrité publique, de préservation de l'environnement et de protection de l'enfance et de la jeunesse » 134 ( * ) .

L'article 7 de l'ordonnance rectificative du 15 avril vient élargir cette liste aux motifs « de sauvegarde de l'emploi et de l'activité, de sécurisation des relations de travail et de la négociation collective » . Cet ajout devrait prochainement entraîner la modification du décret n° 2020-383 du 1 er avril 2020 135 ( * ) qui est déjà venu établir la liste des champs exclus par divers renvois au du code de l'environnement, du code minier, code de l'énergie et au code de la santé publique.

D) La création d'un régime d'exception propre à l'urbanisme, l'aménagement et à la construction

L'ordonnance rectificative du 15 avril 2020 vient créer, au sein de l'ordonnance n° 2020-306, un nouveau titre spécialement applicable aux enquêtes publiques, à l'urbanisme et à l'aménagement . Ce nouveau titre inclut les dispositions préexistantes de l'article 12 relatives à certaines enquêtes publiques ainsi que quatre nouveaux articles portant sur les délais applicables en matière de recours contre les autorisations d'urbanisme (nouvel article 12 bis ), sur les délais d'instruction des demandes d'autorisation et de certificats d'urbanisme et des déclarations préalables (nouvel article 12 ter ), sur les délais relatifs aux procédures de préemption (nouvel article 12 quater ) et sur les délais applicables en matière de consultation du publique pour les projets nécessaires à la préparation, à l'organisation ou au déroulement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (article 12 quinquies ).

Seulement une semaine après leur entrée en vigueur, ces dispositions ont été modifiées par l'article 23 de l'ordonnance du 22 avril 2020 précité. Ainsi, les aménagements prévus à l'article 12 ter ont été étendus à certaines demandes d'autorisation prévues par le code de la construction et de l'habitation. En outre, une possibilité de dérogation aux dispositions des articles 12 ter et 12 quater a été ouverte par décret pour les motifs permettant déjà de déroger aux règles générales d'aménagement des délais administratifs prévues aux articles 7 et 8 de l'ordonnance n° 2020-306 précitée, en application de l'article 9 de cette même ordonnance.

Les modifications apportées son retranscrites dans le tableau ci-dessous. Les apports de l'ordonnance du 22 avril 2020 précitée sont soulignés.

Nouveaux articles de l'ordonnance n° 2020-306

Délais concernés

Nouveaux aménagements
prévus par l'ordonnance
modifiée

Anciens aménagements prévus par l'ordonnance initiale

12 bis

Délais applicables aux recours et aux déférés préfectoraux à l'encontre d'une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d'un permis de construire, d'aménager ou de démolir .

- Les délais qui n'ont pas expiré avant le 12 mars 2020 recommencent à courir à compter de la cessation de l'état d'urgence pour la durée restant à courir le 12 mars 2020, sans que cette durée puisse être inférieure à sept jours ;

- Le point de départ des délais qui auraient dû commencer à courir durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'urgence sanitaire est reporté à l'achèvement de celle-ci.

En application de l'article 2, ceux de ces délais échus entre le 12 mars 2020 et la fin de l'état d'urgence sanitaire étaient remplacés par un nouveau délai de trois mois débutant à la fin de l'état d'urgence sanitaire 136 ( * ) .

12 ter

Délais d'instruction des demandes d'autorisation et de certificats d'urbanisme et des déclarations préalables prévus par le livre IV du code de l'urbanisme ainsi que les procédures de récolement prévues à l'article L. 462-2 du même code ;

Délais d'instruction des demandes d'autorisation de division prévues par le livre I er du code de la construction et de l'habitation ainsi qu'aux demandes d'autorisation d'ouverture, de réouverture, d'occupation et de travaux concernant des établissements recevant du public et des immeubles de moyenne ou de grande hauteur prévues par le même livre, lorsque ces opérations ou travaux ne requièrent pas d'autorisation d'urbanisme ;

Délais impartis aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, aux services, autorités ou commissions, pour émettre un avis ou donner un accord dans le cadre de l'instruction de ces demandes ou déclarations 137 ( * ) .

Dérogations possibles par décret.

- Les délais qui n'ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus et reprennent leur cours à compter de la cessation de l'état d'urgence sanitaire ;

- Le point de départ des délais qui auraient dû commencer à courir pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'urgence sanitaire est reporté à l'achèvement de celle-ci.

En application de l'article 7 :

- ceux de ces délais échus postérieurement au 12 mars 2020 étaient prorogés jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire ;

- le point de départ des délais qui auraient dû commencer à courir pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire était reporté jusqu'à l'achèvement de cette période.

12 quater

Délais relatifs aux procédures de préemption , prévues au titre I er du livre II du code de l'urbanisme et au chapitre III du titre IV du livre Ier du code rural et de la pêche maritime, à l'issue desquels une décision, un accord ou un avis de l'administration 138 ( * ) peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement.

Dérogations possibles par décret.

- Les délais qui n'ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus et reprennent leur cours à compter de la cessation de l'état d'urgence sanitaire ;

- Le point de départ des délais qui auraient dû commencer à courir pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'urgence sanitaire est reporté à l'achèvement de celle-ci.

En application de l'article 7 :

- ceux de ces délais échus postérieurement au 12 mars 2020 étaient prorogés jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire ;

- le point de départ des délais qui auraient dû commencer à courir pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire était reporté jusqu'à l'achèvement de cette période.

12 quinquies

Délais relatifs à la participation par voie électronique prévues à l'article 9 de la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 .

Reprise du cours du délai au 17 avril 2020 (date d'entrée en vigueur de l'ordonnance rectificative du 15 avril).

Les modalités sui generis de participation du public spécialement prévues pour les Jeux Olympiques ne semblaient pas entrer dans le champ d'application de l'article 12 de l'ordonnance relatif aux seules enquêtes publiques et devaient a priori subir le gel prévu à l'article 7 ( cf. supra ).

Les modifications apportées appellent quatre observations.

L'article 12 bis raccourcit très significativement les délais de forclusion applicables aux recours et aux déférés préfectoraux à l'encontre d'autorisations d'urbanisme ( cf. supra ) et s'écarte ainsi notablement des règles générales de forclusion fixées par l'article 15 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif qui a également été modifié par l'article 9 de l'ordonnance rectificative du 15 avril.

Par ailleurs, la création de ce nouvel article ne semble pas concourir à une bonne lisibilité du droit applicable puisque l'article 15 précité comporte lui-même une liste d'exceptions au principe général qu'il pose. À sa lecture, il n'est donc pas aisé de prévoir que d'autres exceptions sont prévues ailleurs, au sein d'une autre ordonnance.

Le problème d'éparpillement des dispositions se pose également en matière de consultation du public dont les règles sont désormais établies par trois articles distincts de l'ordonnance n° 2020-306 modifiée. En effet, les articles 12 et 12 quinquies prévoient des exceptions aux règles générales de l'article 7 qui sont elles-mêmes prévues par exceptions aux modalités applicables autres délais administratifs.

D'abord soumis au droit commun de l'ordonnance n° 2020-306 puis à des dispositions spéciales avant de se voir finalement appliquer certaines exceptions, les délais désormais régis par les articles 12 ter et 12 quater de cette ordonnance ont changé trois fois de régime en moins d'un mois . La très forte instabilité du droit applicable nuit ainsi lourdement à son accessibilité.

IV. Règles particulières de prorogation des délais de recours relatifs au contentieux des étrangers

L'article 9 de la présente ordonnance précise, une nouvelle fois, les règles particulières de prorogation des délais de recours applicables au contentieux des étrangers pendant l'état d'urgence sanitaire.

Pour mémoire, l'article 15 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif a instauré des règles de prorogation de délais de recours plus stricts en matière de droit des étrangers que celles prévues pour le reste du contentieux administratif 139 ( * ) :

- soit en prévoyant une prorogation plus limitée des délais de recours ; à ce titre, voient le point de départ des délais de recours reporté au lendemain de la cessation de l'état d'urgence sanitaire les recours contre les obligations de quitter le territoire français (OQTF) non assorties de placement en rétention, contre les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ou contre les décisions de transfert « Dublin », ainsi que les demandes d'aide juridictionnelle devant la CNDA ;

- soit en excluant toute prorogation de délai ; à ce titre, les délais applicables aux recours contre les décisions de refus d'entrée sur le territoire français et les recours formés par les étrangers placés en rétention, notamment contre les obligations de quitter le territoire français, ne font l'objet d'aucune adaptation (ces délais de recours, très brefs - 48 heures -, sont donc maintenus pendant la période d'urgence sanitaire) ;

L'article 9 de la présente ordonnance modificative vient reporter, selon le même mécanisme, le délai de recours de toutes les décisions dont l'OQTF peut être assortie (décision fixant un délai de départ volontaire, décision fixant le pays de renvoi, interdiction de retour ou interdiction de circulation sur le territoire français, assignation à résidence). La rédaction de l'article 15 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 est donc modifiée pour ne plus viser seulement « les recours contre les obligations de quitter le territoire français », mais bien tous les « recours prévus » dans le cadre de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à l'exception de ceux de l'alinéa premier du III (en cas de placement en rétention).

Il s'agit, selon le Gouvernement, de simplifier la procédure et ne pas contraindre les juridictions, à la fin de l'état d'urgence sanitaire, d'organiser plusieurs audiences successives pour statuer sur ces différents recours connexes.

Par ailleurs, le même article 9 apporte une précision rédactionnelle destinée à sécuriser la procédure de recours devant le juge des libertés et de la détention en cas de placement en rétention de personnes faisant l'objet d'un arrêté de transfert en application du Règlement dit « Dublin III» . Il inclut désormais expressément cette procédure parmi celles dont les délais ne font pas l'objet d'adaptations.

> Ordonnance n° 2020-464 du 23 avril 2020 modifiant l'ordonnance n° 2020-331 du 25 mars 2020 relative au prolongement de la trêve hivernale pour son application à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon

Lors de son conseil des ministres du 22 avril 2020, le Gouvernement a adopté une nouvelle ordonnance, comportant 2 articles, complétant l'application outre-mer de l'ordonnance n° 2020-331 du 25 mars 2020 relative au prolongement de la trêve hivernale.

Cette ordonnance reporte du 31 mars 2020 au 31 mai 2020 la fin de la période durant laquelle il est sursis à toute mesure d'expulsion locative non exécutée, à moins que le relogement des intéressés soit assuré dans des conditions suffisantes respectant l'unité et les besoins de la famille (dérogation à l'article L. 412-6 du code des procédures civiles d'exécution).

La commission avait, dans son premier rapport sur le suivi des 10 premiers jours d'état d'urgence sanitaire, jugé ce prolongement de deux mois de la « trêve hivernale » adapté et proportionné aux circonstances exceptionnelles de la crise sanitaire .

Le sursis aux mesures d'expulsion fait l'objet de mesures spécifiques en outre-mer et notamment dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon . Le droit commun prévoit en effet que les périodes de ce sursis sont fixées localement par le représentant de l'État, dans la limite de durées maximales fixées par la loi aux articles L. 621-4 et L. 631-6 du code des procédures civiles d'exécution.

Conformément aux lois organiques statuaires qui régissent ces collectivités, la modification de ces dispositions requérait la consultation de leurs conseils territoriaux respectifs. Elle est intervenue depuis la publication de l'ordonnance n° 2020-331 du 25 mars dernier.

En conséquence, la présente ordonnance (article 1 er ) vient modifier l'article 2 de l'ordonnance initiale n° 2020-331 pour prolonger de deux mois les durées maximales du sursis aux mesures d'expulsion applicables aux collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon .

La commission approuve cette mesure qui était attendue et permet la prolongation de la trêve hivernale sur l'ensemble du territoire de la République .


* 113 Voir fiche pratique sur l'adaptation des procédures devant les juridictions administratives mise en ligne le 1 er avril 2020.

* 114 Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période

* 115 Depuis, l'ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de covid-19, est venue expliciter le caractère supplétif de la prorogation de droit de ces mesures administratives ou juridictionnelles arrivant à échéance pendant la période juridiquement protégée.

* 116 Report jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la fin de la période d'état d'urgence sanitaire.

* 117 Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de covid-19, accessible à l'adresse suivante :

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041800867&categorieLien=id

* 118 L'article L. 224-6 du code de l'action sociale et des familles dispose que « dans un délai de deux mois suivant la date à laquelle il a été déclaré pupille de l'Etat à titre provisoire, l'enfant peut être repris immédiatement et sans aucune formalité par celui de ses père ou mère qui l'avait confié au service ». Ce délai est porté à six mois pour le père ou la mère qui n'a pas confié l'enfant au service.

* 119 Traitement du renseignement et actions contre les circuits financiers clandestins.

* 120 Centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires.

* 121 Dans une fiche technique destinée aux professionnels du droit, la Chancellerie rappelle que les délais d'origine contractuelle ne sont pas concernés par ce texte. De ce fait, les conditions suspensives fréquemment prévues dans les contrats, notamment en matière de vente, et dont l'accomplissement rend l'obligation pure et simple, ne sont pas affectées, même si le délai prévu dans le contrat pour leur accomplissement expire dans le délai visé à l'article 1 er soit entre le 12 mars et l'expiration du mois suivant la fin de l'état d'urgence sanitaire.

* 122 Le rapport au Président de la République précise que les délais pour la restitution d'autres biens sont, à l'inverse, inclus dans le champ d'application du moratoire.

* 123 Date d'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, publiée le 26 mars.

* 124 Circulaire de la garde des Sceaux du 17 avril 2020 de présentation des dispositions du titre I de l'ordonnance n° 2020 427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de covid-19.

* 125 Ce raisonnement n'est pas transposable en droit de la consommation, dans lequel le report du terme des délais de rétractation ne paralyse pas les transactions.

* 126 Le Conseil d'État a jugé, dans une ordonnance de référé n° 439992 du 15 avril 2020, qu'aucune disposition législative n'imposait la comparution physique des parties devant le notaire instrumentaire.

* 127 Ibid supra .

* 128 Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période.

* 129 Le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont quant à eux suspendus pendant la période protégée, puis reprennent effet à son issue.

* 130 Ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l'épidémie de covid-19.

* 131 Pour plus de détails, consulter le rapport de la Mission de contrôle sur les mesures liées à l'épidémie de Covid-19, « 10 premiers jours d'état d'urgence sanitaire : premiers constats », page 96.

* 132 Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de covid-19.

* 133 Pour plus de détails, consulter le rapport de la Mission de contrôle sur les mesures liées à l'épidémie de Covid-19, « 10 premiers jours d'état d'urgence sanitaire : premiers constats », page 96.

* 134 Article 9 de l'ordonnance.

* 135 Décret n° 2020-383 du 1er avril 2020 portant dérogation au principe de suspension des délais pendant la période d'urgence sanitaire liée à l'épidémie de covid-19.

* 136 Calcul spécifique du délai prévu à l'article 2 pour un délai de forclusion de deux mois en application de l'article R. 600-2 du code de l'urbanisme.

* 137 Ces avis ou accords concernent également les domaines visés par le code de la construction et de l'habitation introduits par l'ordonnance n° 2020-460 précitée.

* 138 En application de l'article 6 de l'ordonnance n° 2020-306, les dispositions de l'article 12 quater s'appliquent à l'administrations de l'État, aux collectivités territoriales, à leurs établissements publics administratifs ainsi qu'aux organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d'une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité social.

* 139 Sont applicables devant les juridictions administratives les assouplissements (interruption des délais et adaptation des procédures) instaurés par l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 : est ainsi prorogé le terme de tous les délais de procédure échus pendant la période juridiquement protégée (entre le 12 mars 2020 et un mois après de la cessation de l'état d'urgence sanitaire).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page