II. PREMIERS ENSEIGNEMENTS ET PISTES DE RÉFLEXION

A. POUR UNE CHAÎNE DE COMMANDEMENT UNIQUE : METTRE EN COHÉRENCE LES RÉPONSES TERRITORIALES À LA CRISE

1. La réponse énergique des services déconcentrés de l'État à la crise

Dans les quatre départements examinés, la réponse des préfectures à la crise s'est appuyée sur l'établissement d'un canal de communication avec les élus des territoires concernés.

Les préfets auditionnés ont tous indiqué maintenir un contact permanent avec les élus locaux , via des réunions en visioconférence tenues sur un rythme au moins hebdomadaire, permettant d'expliquer l'action des services déconcentrés de l'État et de faire remonter d'éventuelles difficultés. Lorsque des décisions locales pouvaient poser des problèmes de légalité, ils ont privilégié le dialogue avec les maires plutôt que de déférer systématiquement ces actes au tribunal administratif.

La gestion de la crise sanitaire par les préfets auditionnés, reposant sur une adaptation permanente à un contexte rapidement évolutif, a semblé pour l'essentiel satisfaisante aux acteurs locaux. Les autres interlocuteurs auditionnés (associations de maires notamment) ont souligné la réactivité et la disponibilité des préfectures. Le contact entre les préfets et les élus n'est toutefois pas de la même intensité sur l'ensemble du territoire, de même que l'association des élus aux décisions prises.

Riche d'enseignements, l'organisation choisie par la préfecture du Morbihan, en particulier, a pour objet de traiter de manière globale et simultanée l'ensemble des problématiques sanitaires, économiques et sociales, que ce soit avant, pendant ou après le confinement .

La gestion de la crise dans le Morbihan : un exemple à suivre

Le Morbihan a connu des foyers épidémiques (« clusters ») avant l'adoption de mesures nationales de confinement et constitue à ce titre un exemple original de réponse de l'État territorial à la crise.

Le 1 er mars, un premier arrêté préfectoral est pris aux fins de délimiter le premier foyer épidémique identifié et de premières mesures (interdiction de rassemblements collectifs jusqu'au 14 mars, etc .) sont adoptées. Le 4 mars, un autre foyer épidémique est confirmé. Un nouvel arrêté préfectoral permet alors d'établir la méthode de lutte contre l'épidémie, fondée sur la définition de trois cercles concentriques :

- les communes appartenant aux « clusters » : dans cette zone, les interdictions précédemment évoquées sont appliquées ;

- une zone de « cordon sanitaire » autour de chaque cluster : dans cette zone, les interdictions et autorisations sont modulées;

- le reste du département : aucune mesure particulière liée à l'épidémie n'y est adoptée.

Un suivi épidémiologique , fondé sur les données fournies par l'agence régionale de santé (ARS) est réalisé, afin de faire évoluer, au besoin, le périmètre de ces trois zones. Sans être à même de fournir une évaluation précise de ces premières mesures, le préfet du Morbihan a estimé devant les rapporteurs qu'elles expliquaient sans doute qu'un « plateau » ait rapidement été atteint dans la courbe de propagation de l'épidémie dans le département. Le dépistage soulève des difficultés, notamment en vue de déconfinement : la semaine du 14 avril, le département disposait d'une capacité limitée à 30 tests par jour.

La préfecture s'est également entièrement réorganisée pour faire face à la crise . Un plan de continuité de l'activité (PCA) a été mis en place dès le 17 mars 2020, puis a évolué au fil de la crise. 30 % des agents travaillent en présentiel, 30 % en télétravail, 20 % sont en autorisation spéciale d'absence (ASA) et 10 % sont en congé.

Un référent et responsable unique a été désigné pour chaque domaine d'intervention , chargé de sollicitations et informations. Le secrétaire général a été chargé de la gestion des PCA pour l'ensemble des services déconcentrés de l'État et du suivi de la filière agricole ; le sous-préfet de Pontivy a été désigné référent pour la gestion de l'hébergement et de l'accompagnement des familles de soignants ou d'autres personnels jugés indispensables ainsi que des problématiques sociales ; le sous-préfet de Lorient a été chargé du soutien au tissu économique dans le département.

La préfecture a également renforcé ses capacités d'expertise pour faire face à la crise ; deux préfets en retraite, ainsi qu'un magistrat de la chambre régionale des comptes ont apporté leur aide, à titre bénévole, dans la communication et la lutte contre les conséquences économiques de l'épidémie.

Cette logique, selon laquelle un domaine correspond à un interlocuteur unique, chargé d'apporter une réponse rapide , permet de simplifier et de fluidifier les procédures, dans un contexte où la réactivité est essentielle.

L'action de la préfecture s'est adaptée à l'évolution de la crise . À titre d'exemple, elle a apporté une réponse rapide aux pêcheurs, dont l'activité s'était arrêtée au moment du confinement. Différentes mesures, et notamment l'organisation d'un réseau de vente à domicile, ont permis de reprendre l'activité : les ventes s'établissent aujourd'hui à 65 % de la moyenne annuelle, avec un objectif d'accroître ce chiffre dans les semaines à venir.

De manière complémentaire, la direction générale des collectivités locales (DGCL) a agi de manière très réactive afin de rendre lisibles les ajustements règlementaires exigés par l'évolution de la situation.

2. Mettre en cohérence les services déconcentrés de l'État pour apporter une réponse globale à la crise : la nécessité d'une task force au niveau départemental

Néanmoins, des marges d'amélioration existent.

Se pose, en particulier, la question des relations des préfectures avec les services de l'État qui ne sont pas placés sous l'autorité directe du préfet , notamment les agences régionales de santé (ARS), leurs délégations départementales ainsi que les directions académiques des services de l'Éducation nationale (DASEN). La plupart des personnes auditionnées ont relevé la difficulté, pour ces structures ne disposant pas d'une culture de gestion de crise, de rompre avec leur fonctionnement habituel pour dialoguer avec les acteurs ne relevant pas directement de leur champ de compétence.

Faute d'une chaîne de commandement unifiée, la coopération de ces services « satellites » avec les préfectures de département semble donc excessivement tributaire de la bonne volonté des intéressés ou de leur bonne entente personnelle ; dans bien des cas, elle semble avoir été insuffisante pour répondre efficacement à la crise.

Cette organisation verticale, « en silos », ainsi que la multiplication des agences et des services indépendants fragilisent la cohérence de l'action publique .

Il devient urgent de « réunifier » l'État territorial , en particulier en temps de crise, tout en adaptant les réponses apportées aux spécificités de chaque territoire. Cela seul garantirait la cohérence de l'action publique sous l'égide du préfet de département, ainsi que la fiabilité et la lisibilité de l'information délivrée aux acteurs de terrain et à la population, en évitant les communications répétitives, voire contradictoires. Une telle réunification permettrait, d'une part, de garantir une réponse uniforme et coordonnée par le préfet des services de l'État dans le département et, d'autre part, d'associer pleinement et efficacement les acteurs de terrain, notamment les élus, aux décisions prises.

Comme le montre en effet l'exemple du Morbihan, les réponses les plus efficaces à la crise sont pensées simultanément, dans un écosystème global, et se déploient sur l'ensemble du champ d'intervention, sanitaire mais également social et économique.

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