B. LA RÉORGANISATION EN URGENCE DES SERVICES PUBLICS POUR FAIRE FACE À LA CRISE
1. La solidité du mode d'organisation territorial : une réorganisation interne des services durant la crise
a) Assurer la continuité des services pendant la crise
Les agents publics ont fait face à la crise : les travaux menés par les rapporteurs n'ont pas fait apparaître de difficulté particulière concernant l'exercice de leur droit de retrait. Aucune réquisition n'a été nécessaire .
La continuité de l'activité a donc pu s'organiser, selon des modalités définies dans des plans de continuité de l'activité ( PCA ), adoptés dans la fonction publique d'État comme dans la fonction publique territoriale.
Une nouvelle organisation a été mise en place : on estime que 30 % des agents de l'État ont actuellement recours au télétravail, 20 % sont présents dans leurs services et 50 % sont placés en autorisation spéciale d'absence (ASA) 76 ( * ) .
La mise en oeuvre des plans de continuité de l'activité a néanmoins montré des insuffisances et des disparités . En effet, les PCA qui s'appliquent aujourd'hui ont été généralement conçus pour des situations transitoires, souvent inspirées de catastrophes naturelles ou industrielles dont la durée maximale était de quelques semaines. Ils répondent donc imparfaitement à la situation de crise durable qui caractérise les conditions actuelles de travail des agents publics.
En ce qui concerne spécifiquement la fonction publique territoriale, les PCA recouvraient des organisations très diverses du travail : l'exemple de l'entretien des espaces verts, considéré dans certaines communes comme une mission essentielle et dans d'autres non, a été évoqué à plusieurs reprises. Les collectivités territoriales ont dû s'adapter à un fond règlementaire mouvant, voire contradictoire. Face à ces difficultés, les centres de gestion ont pu constituer une aide précieuse dans l'accompagnement des collectivités, notamment dans l'élaboration de documents d'information (foire aux questions, etc .).
L'état civil a été soumis à une forte pression. Des services d'urbanisme ont fermé, alors que l'octroi des autorisations d'urbanisme paraît essentiel pour relancer l'économie .
Une réflexion prospective est donc nécessaire afin de faire des PCA des outils pleinement efficaces pour faire face à tout type de crise. Lors de son audition, Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, a reconnu que les PCA avaient été « utiles » mais que leur mise en oeuvre était « complexe et inégale » 77 ( * ) .
Il conviendra, en outre, de mieux associer les représentants des agents à l'élaboration et à l'évolution des PCA afin de renforcer leur acceptabilité et donc leur efficacité . Malgré les réunions hebdomadaires organisées par le secrétaire d'État avec les syndicats représentatifs des agents de la fonction publique, certains ont regretté l'insuffisance du dialogue social pendant la crise.
b) Les conditions de travail des agents publics : de nombreuses incertitudes
Les conditions de travail des agents publics ont pu pâtir de la crise sanitaire. Lors de son audition, Olivier Dussopt a déclaré qu'il ne disposait pas de chiffres consolidés mais que des « premiers éléments (...) montrent qu'à l'État et dans la territoriale, il n'y a pas de prévalence particulière » du virus.
Sur le terrain, la protection des agents constitue toutefois un enjeu majeur alors que les difficultés d'approvisionnement ne se dissipent pas . D'après un syndicat, la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France (DRFiP) ne disposait que de 1 000 masques la semaine du 6 avril 2020, pour 600 agents présents. Dans un service d'aide à domicile en Haute-Garonne, les agents se voyaient distribuer un seul masque par semaine.
Les syndicats, mais également les employeurs territoriaux, demandent aujourd'hui que le covid-19 soit reconnu comme une maladie professionnelle afin de renforcer les droits des agents. S'il a satisfait cette demande pour les agents hospitaliers, le Gouvernement poursuit ses réflexions pour les agents des autres versants. Un accompagnement psychologique, en particulier pour les agents les plus exposés, pourrait également être proposé.
S'agissant du télétravail, le basculement vers ce mode d'organisation a souvent été « improvisé » , sauf pour certains employeurs publics comme le CNFPT. Il peut soulever des difficultés en termes de management, de cohérence du collectif de travail et de traitement des données sensibles.
Par ailleurs, l'inégale qualité des réseaux informatiques sur le territoire et l'insuffisance de l'équipement des agents, qui contraint ceux-ci à utiliser leur matériel personnel, peuvent rendre difficile le recours au télétravail. De même, comment concilier le télétravail avec la garde de son enfant ?
Un décret prévu par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique doit permettre de mieux encadrer le télétravail ponctuel. Il reste à ce jour en attente de publication, alors qu'il permettrait de régler bien des questionnements quotidiens dans les administrations.
2. Des difficultés dans l'accès des usagers aux services publics locaux
Les travaux de la mission ont eu pour but d'évaluer leur capacité à garantir effectivement la continuité du service public pour l'usager.
Si les services publics municipaux ont été facilement accessibles, il n'en est pas de même pour certains services de l'État. Ces derniers ont en effet continué de fonctionner, mais les administrés ont rencontré de grandes difficultés pour y accéder . Plusieurs difficultés ont été constatées dans les services d'urbanisme et du contrôle de légalité, domaines qui suscitaient pourtant de nombreuses interrogations de la part des collectivités territoriales.
Les rapporteurs ont mené une audition conjointe du directeur de la direction interministérielle au numérique (DINUM) et du directeur général de l'agence nationale de cohésion des territoires (ANCT).
Il s'avère que les maisons France services, dont le déploiement est encore en cours sur le territoire, n'ont pas entièrement cessé d'accueillir le public : 84 % d'entre elles sont ainsi restées en activité même si l'accueil se fait désormais par téléphone ou courriel. Néanmoins, 59 maisons France services ont cessé toute activité , sans concertation préalable avec les acteurs locaux.
Les mesures de police sanitaire adoptées pour lutter contre l'épidémie modifient également les conditions d'accès des usagers aux services publics. Les maisons France services ont ainsi fait face à une chute drastique des sollicitations depuis le début du confinement : la plupart des usagers ont reporté leurs démarches à une période ultérieure. Seul 10 % du flux habituel est aujourd'hui observé. Ces structures doivent donc se préparer à une augmentation massive des sollicitations une fois le confinement levé.
Alors qu'ils voient leurs déplacements considérablement réduits, les usagers sont tributaires pour leurs démarches d' outils numériques dont la fiabilité est variable. La DINUM a ainsi déployé, en collaboration avec le réseau France services, la plateforme « Solidarité numérique » destinée, via une ligne téléphonique animée par des bénévoles et un site internet, à accompagner dans leurs démarches administratives les publics les plus éloignés du numérique.
Si les initiatives de ce type doivent être saluées, elles ne sauraient apporter de réponse satisfaisante aux 13 millions de Français qui rencontrent des difficultés dans l'approche du numérique avec les services publics .
La situation est d'autant plus problématique que, depuis la mise en place des mesures nationales de confinement, les travaux de déploiement de la fibre optique (plan « France très haut débit ») sont à l'arrêt, de même que les travaux de généralisation de la 4G .
Par ailleurs, la mission s'est intéressée à la question de l' interruption générale sur le territoire de la continuité des services postaux , en partant des difficultés opérationnelles rencontrées par les délégués territoriaux des départements. Cette difficulté a été signalée par l'ensemble des élus locaux et des préfets, entraînant une réponse progressive de La Poste.
Au niveau national, La Poste a fait le choix, à l'annonce des mesures de confinement, de ne maintenir ouverts que les bureaux de poste dont la surface permettait de garantir le respect des gestes barrières. Le groupe a également dû faire face à un fort taux d'absentéisme qui, à titre d'exemple, a dépassé 30 % dans les Vosges. En conséquence, le nombre de points de contact s'est effondré : la première semaine du confinement, seuls 1 600 bureaux de poste étaient ouverts sur 6 500. Au contraire, la plupart des relais commerçants ont pu maintenir leur activité car les magasins offrant ce service (bureaux de tabac, magasins alimentaires et commerces multi-services, etc .) n'ont pas systématiquement été soumis à l'obligation de fermeture de leur commerce . Ces nombreuses fermetures de bureaux de poste ont souvent été effectuées sans concertation préalable des élus des territoires concernés, notamment des maires.
Il semble que les distributeurs automatiques de billets et guichets automatiques de banques, dont l'approvisionnement en liquidités dépend non seulement d'entreprises de convoi de fond (qui auraient connu des ruptures momentanées de service) et d'agents de la Poste (parfois absents) aient constitué une difficulté particulière. Dans certains départements comme la Martinique ou les Vosges, près du quart des distributeurs automatiques de billets n'ont pas été alimentés durant la première semaine de confinement.
Certains territoires font face à des contraintes spécifiques. En Martinique, la distribution du courrier est perturbée par la réduction drastique du nombre de vols commerciaux hebdomadaires en provenance de l'hexagone, qui a contraint La Poste à recourir au transport des colis et des courriers par la mise en place de liaisons maritimes et de vols charters, générant des arrivées massives mais ponctuelles de courriers.
La situation s'est progressivement améliorée grâce à la distribution de matériel de protection, ce qui a globalement permis de faire face à l'afflux de clients provoqué par le versement des prestations sociales le 4 avril, identifié comme un enjeu majeur par l'ensemble des acteurs auditionnés.
Une attention particulière a donc été portée à cette question : les allocataires clients de la Banque postale ont été informés par SMS du versement anticipé des allocations et invités à utiliser les distributeurs automatiques de billets plutôt que le retrait au guichet. Dans certains départements comme la Seine-Saint-Denis, La Poste a pu compter sur le concours des forces de l'ordre pour assurer la sécurité aux abords des bureaux de poste.
La Poste a également déployé, en collaboration avec les collectivités territoriales, de nouveaux services comme la plateforme « Ma ville mon shopping » qui permet de soutenir l'activité des commerçants locaux ou la distribution gratuite de communications des collectivités territoriales sur les gestes barrières, tout en maintenant ses activités de livraisons de repas et de visites à domicile, devenues essentielles en période de confinement.
Cependant, à l'heure actuelle, seuls 54 % des bureaux de poste sont ouverts sur le territoire national, ce qui est loin de permettre au groupe d'assurer pleinement sa mission de service public de proximité, d'autant que 15 % des distributeurs automatiques de billets des agences de la Banque Postale connaissent encore des difficultés d'approvisionnement .
La crise sanitaire illustre ainsi la précarité des réseaux de services au public, en particulier dans les territoires ruraux.
* 76 Source : direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP).
* 77 Audition devant la commission des lois du Sénat du 23 avril 2020.