C. POUR LES JURIDICTIONS CONSULAIRES, LE PRINCIPAL ENJEU DU DÉCONFINEMENT EST LIÉ AU TRAITEMENT DES DIFFICULTÉS DES ENTREPRISES

Comme il a été indiqué précédemment, les juridictions consulaires paraissent avoir réagi efficacement à la crise sanitaire, en assurant la continuité de leurs activités essentielles - aidées en cela, il est vrai, par le net fléchissement du nombre de demandes nouvelles en justice. En revanche, les inquiétudes sont vives pour l'après-confinement .

Le contentieux général devrait connaître un afflux d'affaires , en raison non seulement du retard pris pendant le confinement, mais aussi de la paralysie actuelle de la vie des affaires, qui se traduit par la multiplication des retards de paiement et autres formes d'inexécution d'obligations commerciales. Les présidents de tribunaux de commerce, cependant, ont assuré aux rapporteurs que leurs juridictions seraient en mesure d'absorber cet afflux .

Les principales difficultés devraient donc être liées au traitement des difficultés des entreprises . Beaucoup de nos entreprises se trouveront, au lendemain du déconfinement, dans une situation financière très compromise. Les demandes d'ouverture de procédures préventives ou collectives pourraient donc se multiplier, au risque non pas tant d'engorger les tribunaux que de provoquer des conséquences en chaîne sur l'économie française . Il pourrait être nécessaire d' adapter les procédures prévues par le livre VI du code de commerce afin de faire face à cette situation exceptionnelle , ainsi que cela a été proposé au cours des auditions.

La procédure de « conciliation économique »
proposée par la conférence générale des juges consulaires de France

Un grand nombre d'entreprises françaises, faute de rentrées de fonds, semblent avoir actuellement cessé de payer leurs dettes exigibles afin de préserver leur trésorerie. Le médiateur des entreprises du ministère de l'économie et des finances et le médiateur du crédit de la Banque de France se sont alarmés de ces retards de paiement qui, s'ils devenaient systématiques, mettraient en péril toute la chaîne du crédit interentreprises et la survie même de nombreux acteurs économiques 50 ( * ) .

Certes, les débiteurs insolvables sont aujourd'hui relativement protégés , d'une part par le « gel » de leur situation à la date du 12 mars 2020 pour l'appréciation de l'état de cessation des paiements 51 ( * ) , d'autre part par la « panne » des voies d'exécution, en l'état actuel du fonctionnement des juridictions et des offices d'huissiers de justice. Au lendemain du déconfinement, en revanche, ils pourraient être rapidement incapables de faire face aux exigences légitimes de leurs créanciers, alors même qu'ils auront besoin d'investir pour préparer leur rebond .

Or, si la seule solution qui s'offre à ces débiteurs est de se déclarer en cessation des paiements et de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, vu le nombre des débiteurs concernés, c'est toute la chaîne des paiements qui risque de se trouver bloquée , au risque de mettre à mal le financement de l'économie , voire de provoquer des faillites en série .

Dans ces conditions, la Conférence générale des juges consulaires de France (CGJCF) a indiqué aux rapporteurs avoir formulé auprès de la Chancellerie une proposition très innovante, qui consisterait à créer une procédure de « conciliation économique » , calquée sur la procédure de conciliation actuelle, mais assortie d' une suspension des poursuites individuelles opposable à certains créanciers désignés par le tribunal , pour toute la durée de la procédure. Malgré cette suspension, le débiteur conserverait la faculté de payer ses dettes antérieures .

Certes, dans le cadre de la procédure de conciliation en vigueur, le président du tribunal de la procédure a déjà la faculté d'accorder au débiteur, mis en demeure ou poursuivi par un créancier, des délais de grâce dont la durée peut aller jusqu'à deux ans. Il en va de même au cours de l'exécution d'un accord de conciliation constaté ou homologué. Toutefois, cela exige que le juge statue au fil de l'eau , en fonction des mises en demeure ou des actes de poursuite accomplis, et cela occasionne des frais et des délais de procédure - sans compter la dégradation des relations d'affaires qui en résulte. En outre, les délais de grâce ne font pas obstacle à la compensation, même sans connexité des créances 52 ( * ) , non plus qu'aux mesures conservatoires 53 ( * ) , qui privent le débiteur de la disposition de certains de ses biens en même temps qu'elles dégradent son crédit.

D'où l'intérêt qu'il y aurait à ce que le tribunal de la procédure puisse, dès le commencement de celle-ci, suspendre les poursuites diligentées par certains créanciers, désignés en considération de leurs propres besoins. Ces créanciers seraient ainsi incités à entamer sans tarder des négociations avec le débiteur sur l'octroi de délais de paiement, voire de remises de dettes, plutôt que de s'en remettre aux aléas de poursuites individuelles, voire d'une procédure collective à venir. Dans le même temps, le débiteur conserverait la faculté de payer ses autres dettes - notamment envers ses salariés ou envers des partenaires économiques également en situation de fragilité -, voire de procéder au paiement partiel des créances frappées par la suspension des poursuites.

Une telle procédure, dont le détail doit encore être affiné (en ce qui concerne les modalités de contrôle judiciaire, notamment, ainsi que le rôle du ministère public et du conciliateur), exigerait du juge un grand discernement pour concilier la multitude des intérêts en cause, qu'ils s'attachent à la poursuite de l'activité économique, au maintien de l'emploi ou à l'apurement du passif . Mieux vaut, cependant, une procédure juridictionnelle dérogatoire, adaptée à la crise exceptionnelle que nous traversons, que la prolongation d'une fiction juridique telle que le « gel » de la situation des débiteurs, qui a pour effet de soustraire au contrôle du juge une situation qui y est normalement soumise, et qui n'offre au débiteur lui-même qu'une sécurité très imparfaite et provisoire.


* 50 Voir le communiqué du 1 er avril 2020 du comité de crise sur les délais de paiement, consultable à l'adresse suivante : https://www.economie.gouv.fr .

* 51 Article 1 er de l'ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l'urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale.

* 52 Pour mémoire, la compensation est l'extinction simultanée d'obligations réciproques, qui s'opère à la seule condition d'être invoquée dès lors les conditions légales sont réunies (article 1347 du code civil). Le délai de grâce n'y fait pas obstacle (article 1347-3 du même code). Dans le cadre des procédures collectives, l'interdiction de payer les dettes antérieures au jugement d'ouverture empêche en revanche le jeu de la compensation, sauf en cas de créances connexes (articles L. 622-7, L. 631-14 et L. 641-3 du code de commerce).

* 53 Article 513 du code de procédure civile.

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