IV. OUBLIER L'AGRICULTURE DANS LE PLAN DE RELANCE SERAIT UNE ERREUR MAJEURE : AU MOINS UN MILLIARD D'EUROS SONT À DÉBLOQUER D'URGENCE
A. AXE 1 : ACCOMPAGNER LA SORTIE DE CRISE DES AGRICULTEURS ET DE L'INDUSTRIE AGROALIMENTAIRE
Mesure 1 : Création d'un mécanisme de compensation des pertes de production similaires aux autres pays pour les filières les plus touchées et mise en oeuvre des aides au stockage quand cela est nécessaire |
À défaut de soutiens aux filières ayant été exposées au phénomène de pertes de production, ce sont des milliers de producteurs qui sont menacés d'arrêter leur activité et des savoir-faire qui pourraient ne plus se retrouver dans nos campagnes. Abandonner ces filières serait une erreur majeure.
Est-il compréhensible de laisser de nombreux producteurs horticoles cesser leur activité faute de revenus suffisants pour couvrir leurs charges à l'heure où le végétal est appelé à revenir au coeur de nos modes de vie ? Alors que ces productions permettent de lutter contre le réchauffement climatique et la pollution, contribuent à la biodiversité dans son ensemble, notamment en favorisant la pollinisation, renforcent le bien-être des citoyens en améliorant le cadre de vie des Français, devrait-on les laisser disparaître ?
À l'heure où l'Europe s'engage dans son Pacte Vert, il serait paradoxal de laisser les professionnels du végétal sans solution.
De même, alors que les performances de la France à l'export se tassent dans le domaine alimentaire, doit - on sacrifier nos secteurs excédentaires comme la viticulture ou les pommes de terre de transformation ?
Enfin, certaines filières incarnent des savoir-faire ancestraux et produisent des denrées qui sont enviées dans le monde entier. Ces produits, le plus souvent à la source de la gastronomie française, pourraient, faute de soutien, ne plus être élevés ou cultivés en France. Cette perte serait irrémédiable.
Pour venir en aides aux producteurs exposés à des pertes de rentabilité massives, seules des subventions directes, comme cela est déjà pratiqué dans le monde, sont envisageables.
À défaut, une concurrence déloyale au détriment de nos producteurs s'exercerait. Si leurs voisins, confrontés aux mêmes difficultés, ont bénéficié d'aides, pourquoi les producteurs français en seraient exclus ?
Un mécanisme similaire à celui mis en place aux Pays-Bas pourrait être envisagé. Ainsi, si la perte de chiffre d'affaires est supérieure de 30 % sur la période en comparaison à la moyenne de l'année précédente (ou un triennal), l'agriculteur dans une filière en difficulté pourrait obtenir une compensation financière à hauteur de 50 % de la perte, déduction faite des autres aides reçues.
Pour d'autres filières, des mécanismes de soutien au stockage privé, des aides à la destruction de la production ou des aides incitant à valoriser de nouveaux débouchés sont à envisager.
Rien qu'en additionnant les pertes de production des filières détaillées ci-avant, environ un milliard d'euros sont à couvrir par de tels mécanismes .
Mesure 2 : Défiscaliser les dons des entreprises agroalimentaires en prévoyant un crédit d'impôts avec un plafond adapté aux volumes des dons réalisés |
De nombreux agriculteurs et industriels ont réalisé des dons en nature de produits à des associations caritatives durant la crise, plutôt que de détruire leurs productions.
Selon l'ANIA, sur le seul volet agroalimentaire, les entreprises alimentaires auraient donné 23 millions de tonnes de produits alimentaires valorisables à hauteur de 135 millions d'euros.
Or ces dons n'ouvrent droit qu'à une réduction d'impôt égale à 60 % de leur montant aux termes de l'article 238 bis du code général des impôts, alors que les entreprises ne paieront sans doute pas d'impôt cette année compte tenu de leurs pertes.
La réduction d'impôt pourrait être exceptionnellement transformée en crédit d'impôt et le plafond actuel de 10 000 € ou de 5/1000 du chiffre d'affaires selon les cas pourrait être exceptionnellement relevé.
Mesure 3 : Contrôler la non-application de pénalités à l'encontre des industriels par la GMS, enclenchant la négociation de contreparties |
Compte tenu de la brutale hausse de la demande par la grande distribution, les taux de service des transformateurs sont en-deçà des seuils requis dans les contrats, ce qui les expose à un risque de pénalités élevées.
S'il est inconcevable de les appliquer à la période de crise, il est nécessaire de prévoir une période de transition pour les industriels, même après la date de fin du confinement, dans la mesure où la demande alimentaire en grandes surfaces demeure conjoncturellement élevée.
Mesure 4 : Exonérer partiellement de charges sociales pendant la durée de la crise les industries agroalimentaires et exploitations qui ont accusé les pertes d'activités et de marges les plus élevées, notamment en raison de la fermeture de la restauration hors domicile |
Le manque de débouchés pour les exploitations comme pour les industriels agroalimentaires aboutira à des fermetures, à un recul probable de l'emploi et à un repli de l'investissement.
Pour les exploitants, s'ils ne sont pas éligibles à des fonds de soutien spécifiques, des exonérations de cotisations sociales seront utiles (notamment dans le secteur viticole).
Les industriels de l'agro-alimentaire anticipent déjà un recul de leur investissement de 3 % en 2020, qui viendrait s'ajouter au désinvestissement de - 6 % constaté en 2019 91 ( * ) . Cela signifie que les entreprises vont prolonger l'usage de leurs équipements sur la totalité de l'année 2020, au détriment de leur compétitivité et de leur innovation.
Ils n'auront pas le choix s'ils veulent couvrir leurs coûts fixes et charges inéluctables.
Seule une aide fiscale de l'État est de nature à leur permettre de ne pas réduire leurs capacités productives.
Comme cela a été mis en place pour le secteur touristique, des exonérations de charges sociales pendant une durée adaptée à la longueur de la crise doivent être envisagées, surtout pour les entreprises de l'agroalimentaire ayant leurs principaux débouchés dans la restauration.
* 91 INSEE, Informations rapides n° 2020-116, Enquête sur les investissements dans l'industrie - 7 mai 2020