C. DES FLUX DE MIGRANTS GLOBALEMENT EN HAUSSE DEPUIS L'ÉTÉ 2019
La Grèce est confrontée à des difficultés croissantes sur le dossier migratoire.
En effet, l'année 2019 a été marquée par une hausse significative des arrivées de migrants par mer, depuis la Turquie, dans les îles grecques , soit, selon les chiffres du HCR, 59 726 arrivées , après 32 494 en 2018 (+ 83,8 %) et 29 718 en 2017 (+ 101,0 %), dont plus d'un tiers de mineurs, 60 % d'entre eux ayant moins de 12 ans. Un tiers de ces migrants sont des hommes de 18 à 39 ans. Cet afflux est surtout notable à partir du mois de juin et a connu un pic en septembre (10 551 arrivées en septembre 2019, contre 3 960 un an plus tôt) avant de diminuer légèrement en fin d'année.
Sur le seul mois de janvier 2020, 3 136 arrivées par mer ont été enregistrées (et 850 sur le continent), soit nettement plus qu'au cours des deux années précédentes (1 633 en janvier 2018 et 1 851 en janvier 2019). Les Afghans en constituaient la moitié, les Syriens 21 %, et les ressortissants de la République démocratique du Congo 6 %. Les îles sont les principaux points d'entrée : Lesbos (59 %, dont 73 % viennent d'Afghanistan), Samos (18 %, dont 36 % sont Syriens) et les îles du Dodécanèse (18 % également, dont 31 % sont Syriens). Les migrants arrivant dans l'île de Chios (5 % du total) sont majoritairement Syriens (43 %), et aussi Somaliens (29 %).
Or, comme l'a noté l'ensemble des interlocuteurs du rapporteur au cours de sa mission à Athènes, la situation dans les îles grecques devient intenable , marquée à la fois par la colère et par la « fatigue », notée par le représentant de la Commission européenne en Grèce, que le rapporteur a rencontré. Les cinq hotspots qui y ont été installés, à Lesbos, Chios, Leros, Samos et Kos, connaissent un taux de surpopulation très élevé . Par exemple, à Samos, île comptant peu d'habitants, le camp a été conçu pour accueillir 800 personnes, mais en compte 7 000 ! Celui de Leros reçoit 3 000 personnes, pour 400 places. Au total, les cinq hotspots grecs, prévus pour recevoir 8 000 personnes, en accueillent effectivement 42 000, soit un niveau de surpopulation inédit . Ces conditions se traduisent par des problèmes d'insécurité et d'insalubrité . Le maire de Leros s'est d'ailleurs opposé au transfert vers ce hotspot de migrants depuis le hotspot de Samos.
Le dossier migratoire fait l'objet d'une nouvelle approche de la part du gouvernement de M. Kyriakos Mitsotakis. Celui-ci est en effet décidé à transférer davantage de migrants des hotspots surchargés vers la Grèce continentale, les plus vulnérables en priorité, et à accroître le nombre de retours - l'objectif du gouvernement est de parvenir à 10 000 retours au titre du seul accord de mars 2016 . Il s'agit de désengorger les hotspots actuels, que les autorités grecques ont présentés comme transitoires. Le nouveau gouvernement a ainsi soumis au vote de la Vouli , en urgence en décembre 2019, un projet de loi sur l'asile, mais sa mise en oeuvre est rendue difficile par l'hostilité d'une partie de la population - qui, dans certains cas, prend la forme de véritables échauffourées avec la police -, de l'industrie touristique et des élus locaux et par les défaillances de l'administration grecque.
Les autorités sont d'ailleurs bien conscientes que la procédure sera longue puisqu'elle requiert à la fois une instruction des demandes d'asile et l'épuisement des différentes voies de recours éventuels. D'ailleurs, si la nouvelle loi a permis d'accélérer le délai d'instruction d'une demande d'asile en première instance, qui est passé de 183 jours en 2019 à 24 depuis l'entrée en vigueur de cette loi, elle n'a pas permis de désengorger le service de l'asile qui a encore enregistré plus de 21 000 demandes en janvier et février 2020. La Grèce est le quatrième État membre le plus sollicité , après l'Espagne, l'Allemagne et la France, mais le premier par rapport à sa population . En mars 2020, 120 000 dossiers restaient pendants en première instance, et près de 10 500 en appel.
Les interlocuteurs du rapporteur ont insisté sur les limites du système d'accueil grec , qui seraient atteintes en raison des flux de migrants de nouveau à la hausse, et sur le besoin de solidarité européenne , celle-ci étant encore insuffisante, même si les efforts sont indéniables, par exemple grâce au travail des experts nationaux employés par le Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO), qui préfigure la future Agence européenne de l'asile, tant sur le continent que dans les îles. À ce titre, ils ont appelé de leurs voeux une réforme des règles européennes de la migration et de l'asile , ainsi que de la gouvernance de l'espace Schengen. Cette réforme devrait également faciliter les retours . Il est pour le moins paradoxal que des États membres plus prospères que la Grèce exigent de cette dernière qu'elle améliore ses taux de retour, alors que cet objectif leur reste inatteignable .
Il est logique que les mesures prises pour faire face à la pandémie de Covid-19 se traduisent par une diminution très sensible des flux de migrants. Au cours des quatre premiers mois de 2020, ces flux ont reculé de 20 % par rapport à la même période de 2019. 8 986 entrées illégales (7 246 à la frontière maritime et 1 740 à la frontière terrestre) sur le territoire grec ont été enregistrées depuis le 1 er janvier 2020, soit une baisse de 18 % par rapport à la même période de l'année précédente - même si cette baisse n'est que de 1 % sur la seule frontière maritime compte tenu de l'importance des arrivées en janvier et février. Il est d'ailleurs fort probable que l'arrêt des flux migratoires ne soit que temporaire.