B. LES DÉFIS PERSISTANTS AUXQUELS LA GRÈCE RESTE CONFRONTÉE
Selon des informations fournies par le représentant du HCR en Grèce, environ 115 600 étrangers arrivés de Turquie à l'été 2015 , surtout des Pakistanais et des Albanais, sont restés dans le pays , dont 74 400 sur le continent et 41 200 dans les îles. Beaucoup d'entre eux se sont bien intégrés et établis dans certains quartiers de la capitale, en particulier des Syriens et des Afghans qui sont hébergés en appartement. Quant aux 700 000 Albanais présents en Grèce du fait de l'émigration, ils sont devenus indispensables à l'économie du pays (hôtellerie, restauration, construction ou encore travaux agricoles).
Entre avril 2016 et fin janvier 2020, 2 054 demandeurs d'asile , dont 36 % de Pakistanais et 18 % de Syriens, des hommes à 91 %, provenant de Turquie sont retournés dans ce pays . Cette tendance diminue toutefois régulièrement avec le temps (801 retours en 2016, 683 en 2017, 322 en 2018 et 195 en 2019). Il convient de rappeler que la Turquie interprète de façon restrictive l'accord avec l'Union européenne de mars 2016, estimant que toute entrée sur le territoire grec continental vaut renonciation au retour en Turquie.
Depuis avril 2017, 166 600 demandeurs d'asile et réfugiés ont reçu une aide en espèces ( cash assistance ) du HCR. Depuis janvier 2015, 64 600 personnes ont bénéficié de l'hébergement en appartements du HCR. Ces différentes aides sont financées en totalité par l'Union européenne. Au total, depuis la crise de 2015, la Commission a déboursé 2,8 milliards d'euros au titre de l'aide européenne à la Grèce pour les migrants et réfugiés.
Les autorités grecques sont critiques envers la déclaration UE-Turquie de mars 2016. Selon plusieurs interlocuteurs rencontrés par le rapporteur, cette déclaration serait responsable du fait que les demandeurs d'asile sont « pris au piège » dans les îles grecques. La Turquie est en effet contrainte de réadmettre les demandeurs d'asile déboutés et les migrants en situation irrégulière, à la fois en application de l'accord bilatéral de réadmission Grèce-Turquie et de la déclaration UE-Turquie. Les autorités grecques sont contraintes de prendre en charge les conditions d'hébergement des demandeurs d'asile dans les îles et en Grèce continentale et de traiter leurs demandes rapidement afin d'éviter qu'ils soient confinés dans des camps dans des conditions précaires.
Même après le pic de la crise, en mars 2016, la Grèce connaît des difficultés pour tenir ses engagements européens.
Le gouvernement grec est en effet confronté à un triple défi :
- le respect de la procédure d'asile - le taux de reconnaissance du statut de réfugié en Grèce est élevé, soit 72 % en moyenne, dont plus de 90 % pour les Syriens -, avec la création d'un service d'asile efficace capable d'instruire de très nombreuses demandes. Environ 54 600 demandes d'asile ont été déposées en 2019, mais 700 personnes seulement sont affectées en permanence au traitement des demandes. Les difficultés demeurent, malgré les aides européennes et internationales reçues : l'examen d'une demande d'asile dure en moyenne un an, et bien plus dans certains cas 14 ( * ) , tandis que les autorités peinent à recruter des interprètes ou des médecins du fait de délais administratifs généralement très longs dans le pays ;
- l'accueil des demandeurs d'asile - le pays disposait de 1 000 places d'accueil avant mars 2016.... L'effort a été important puisqu'il a porté sur 25 500 places dans des appartements, auxquelles il convient d'ajouter 23 000 places dans les îles. Il convient toutefois de relever que la gestion de ces places d'hébergements est essentiellement assurée par le HCR dont l'objectif est d'en transférer la responsabilité à l'État grec d'ici la fin de cette année ;
- l'intégration des réfugiés. L'agriculture étant un secteur délaissé par les Grecs, le nouveau gouvernement a annoncé une réforme de l'emploi saisonnier agricole, qui pourrait favoriser l'activité des réfugiés, et donc leur intégration.
Selon les personnalités rencontrées par le rapporteur, le nouveau gouvernement grec chercherait à parvenir à un équilibre entre la protection légitime des réfugiés et le retour des migrants motivés par des considérations économiques. En 2018, seules 21 % des décisions de retour étaient exécutées, la majorité concernant des ressortissants albanais.
Néanmoins, la situation est plus préoccupante aujourd'hui qu'avant les élections de juillet 2019, en raison de la position moins lisible de la Turquie et de la reprise des flux de migrants.
* 14 Parmi les 58 800 dossiers examinés en 2018, seuls 20 % ont fait l'objet d'un premier entretien.