IV. LE PARADOXE DE LA PANDÉMIE DE COVID-19 EN GRÈCE : UNE CRISE SANITAIRE MAÎTRISÉE, MAIS DES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES TRÈS DOULOUREUSES
A. LE « BON ÉLÈVE EUROPÉEN »
Dans le témoignage consacré à la Grèce par la Fondation Robert Schuman au titre de sa enquête sur la gestion de la pandémie de Covid-19 par plusieurs États membres 23 ( * ) , la journaliste Alexia Kefalas évoque un « exploit hellène » et considère que la Grèce est passée du statut de « brebis galeuse » à celui de « bon élève européen » .
Alors que la Grèce a perdu le quart de sa richesse en dix ans de crise économique et que son système de santé se trouve dans un état de grande fragilité - le pays compte 6 lits en soins intensifs pour 100 000 habitants, pour une moyenne européenne de 11,5 lits -, et a subi un exode important de médecins vers l'étranger, « le pays d'Hippocrate prend sa revanche » écrit encore Alexia Kefalas, pour qui la Grèce « réunissait tous les ingrédients pour que cette crise du Covid-19 devienne une nouvelle tragédie ». Pourtant, il n'en est rien jusqu'à présent. En effet, la Grèce , qui compte environ 10,5 millions d'habitants, enregistrait, au 20 mai, 165 décès et 2 840 cas , alors que la Belgique, pareillement peuplée, comptait 9 150 décès.
Cette situation s'explique, selon Alexia Kefalas, par différentes facteurs.
D'abord, les autorités grecques , marquées par « l`électrochoc de l'Italie voisine », ont rapidement pris des mesures drastiques , mais circonscrites à la crise, sur le fondement de l'article 44 de la Constitution, qui permet au Président de la République, sous certaines conditions, d'adopter des mesures législatives. La Grèce fait néanmoins partie des neuf États membres de l'Union européenne qui n'ont pas déclaré l'état d'urgence. Les commissions du parlement grec, la Vouli , continuent de fonctionner normalement, des mesures de vote à distance ayant été introduites uniquement pour la séance publique.
Les premières mesures sanitaires et médicales ont été prises dès le 25 février. Sur la base des recommandations de l'Institut de la santé publique et du ministère de la santé, et en fonction d'indicateurs sanitaires, le gouvernement a décidé la fermeture des écoles, des crèches, des universités, le 11 mars - un projet pilote d'enseignement à distance en ligne a été lancé dès le 17 mars dans 16 régions grecques, puis progressivement étendu. Cette fermeture a été suivie par celles des musées, des sites archéologiques et des commerces non-essentiels. Un confinement général a ensuite été imposé à partir du 23 mars ; une attestation de déplacement était nécessaire, disponible aussi sous forme numérique, ainsi qu'une pièce d'identité. Tout contrevenant à ces règles était passible d'une amende de 150 euros pouvant aller jusqu'à 5 000 euros. Les frontières terrestres (avec la Macédoine du Nord et l'Albanie) ont été fermées jusqu'au 15 juin, et les liaisons maritimes avec l'Italie suspendues, sauf pour les marchandises. A également été instaurée une quatorzaine obligatoire dans des hôtels réquisitionnés pour toute personne arrivant en Grèce. Le pays a suspendu l'action de tous ses services administratifs chargés des migrants.
Ensuite, les autorités ont fait le choix d'une communication très active , en diffusant de nombreux messages de prévention dans les médias et en organisant un point de presse quotidien à 18 heures, animé par un infectiologue très réputé et ayant longtemps travaillé à l'université de Harvard, Sotiris Tsiodras, qui dirige le comité de lutte contre le Covid-19. Les autorités ont aussi porté un message insistant sur le durcissement des mesures de confinement en cas de détérioration de la situation. Une ligne téléphonique dédiée (1135) a été ouverte pour répondre à toutes les questions sur la pandémie. Les règles déontologiques ont été rappelées aux organes de presse. Toutefois, des cas isolés de désinformation ont été apportés, mais des procédures disciplinaires ont été engagées contre une chaîne de télévision ayant diffusé une publicité pour un dispositif médical minimisant le coronavirus.
Enfin, les Grecs se sont montrés très disciplinés dans cette épreuve. Selon Alexia Kefalas, « à part quelques exceptions, le pays s'est incroyablement plié aux règles, allant à l'encontre des clichés répandus pendant la crise budgétaire, du « Grec incivique, indiscipliné et insolent » ». Aucun incident de nature xénophobe, aucune agression ni attaque violente directement en lien avec la crise sanitaire n'auraient été rapportés par les autorités compétentes ou ONG. Des gestes de solidarité ont également pu être notés. Ainsi, le 27 mars, le gouvernement a alloué 2,255 millions d'euros à 98 communes pour la fourniture d'équipements médicaux à destination de la communauté Rom. À l'exception du premier décès intervenu en Grèce, le 12 mars, du fait du Covid-19, l'identité des victimes aurait été préservée par les médias.
Présenté comme réversible, le déconfinement progressif a commencé le 4 mai , avec la réouverture des entreprises de vente au détail (librairies, opticiens, équipement sportif, marchés de plein air, coiffeurs, etc.) et des plages publiques, comme tous les espaces publics dédiés à une pratique récréative individuelle. Les églises ont pu rouvrir pour l'exercice individuel du culte. Le port du masque et le respect des règles de distanciation sociale sont imposés dans les transports en commun. Les premières unités mobiles de dépistage ont été mises en place le lendemain. Les lycées ont rouvert pour les classes de terminale le 11 mai. Le 16 mai, 515 plages privées ont rouvert. Les églises ont été autorisées à reprendre la célébration publique des sacrements le 17 mai. Le lendemain, les lycées ont rouvert pour le reste des classes, ainsi que les zoos, jardins botaniques et les sites archéologiques, dont l'Acropole, dans le respect des mesures sanitaires ; les voyages interrégionaux ont été autorisés, et les tournages et répétitions ont pu reprendre. Les centres commerciaux, cafés et restaurants disposant d'une terrasse ont pu rouvrir le 25 mai, une semaine plus tôt qu'initialement annoncé, dans le respect des règles sanitaires. Le 25 mai a également marqué la reprise des rotations des ferries vers l'ensemble des îles, là aussi dans le respect des règles sanitaires. L'ensemble des hôtels devraient avoir repris leurs activités le 15 juin. Jusqu'au 31 mai, une quatorzaine était imposée à tous les voyageurs, après un test obligatoire, à l'arrivée à l'aéroport d'Athènes, seul point d'entrée international jusqu'au 30 juin. Les autres aéroports rouvriront le 1 er juillet.
L'utilisation d'applications de traçage numérique des contacts en vue de lutter contre la pandémie de Covid-19 ne serait pas à l'ordre du jour en Grèce, même de manière prospective.
* 23 Fondation Robert Schuman, « La crise sanitaire vue de... Tour d'Europe du combat contre le virus », avril 2020.