II. MME GABRIELLA BATTAINI-DRAGONI, SECRÉTAIRE GÉNÉRALE ADJOINTE DU CONSEIL DE L'EUROPE
Monsieur le Président du Sénat, Mesdames et Messieurs les sénateurs et députés, Messieurs et Mesdames les ambassadeurs, Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi avant tout de remercier la délégation française de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe d'avoir organisé ce colloque, et vous remercier, Monsieur le Président du Sénat, de nous accueillir aujourd'hui.
La France préside actuellement, de façon particulièrement ambitieuse et féconde, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe. Cette présidence intervient au moment où notre institution célèbre son 70 ème anniversaire ; 70 ans au cours desquels nous avons relevé ensemble, avec nos 47 États membres, de nombreux défis, avec pour mandat de renforcer les droits de l'Homme, la démocratie et l'État de droit.
Parmi ces défis, le développement du numérique n'est pas des moindres. Les questions identifiées pour examen au cours de ce colloque en font évidemment partie et je suis dès lors particulièrement heureuse que le Conseil de l'Europe y soit associé car nous sommes des partenaires naturels.
La protection de la vie privée et des données personnelles est un droit fondamental, consacré par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'Homme, mais aussi par la convention 108 du Conseil de l'Europe, seul instrument international contraignant en la matière, que nous avons modernisé l'année passée. Le respect du droit à la protection des données personnelles est plus important que jamais, à l'heure où nos vies se digitalisent de plus en plus et que la production des données à caractère personnel est exponentielle.
Internet et la digitalisation permettent une mondialisation sans précédent des services, des transferts et des interactions, mais entraînent la disparition totale des frontières nationales, ce qui cause des difficultés réelles aux États : comment assurer une protection appropriée aux individus si leurs données sont ailleurs ? Monsieur Jean-Philippe Walter, Commissaire à la protection des données du Conseil de l'Europe, participe à ce colloque et présentera plus avant la protection offerte par la convention 108 modernisée.
La diffusion des discours de haine, fruits des préjugés et de l'intolérance, amplifiés par les médias sociaux, devient une menace pour l'intégrité personnelle, les droits de l'Homme, la dignité humaine, ainsi que pour la cohésion de nos sociétés et la solidité de nos institutions démocratiques. Son éradication nécessite de la détermination, de l'exemplarité et une prise de responsabilité politique. La France l'a parfaitement compris et fait figure de précurseur en la matière, comme vous venez de l'évoquer, Monsieur le Président.
Le projet de loi sur l'obligation renforcée de retrait des contenus haineux en ligne est un pas important dans la bonne direction. Il cherche à trouver un équilibre entre la protection de la liberté d'expression et la restriction des formes d'expression qui visent à inciter à la violence, à l'hostilité et à la discrimination. Bien sûr, l'impact de cette future loi devra être évalué régulièrement et soigneusement.
Dans ce domaine également, le premier point de référence pour nos États est la convention européenne des droits de l'Homme et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, et je salue la présence parmi nous du juge élu au titre de la France, Monsieur André Potocki. La Cour bénéficie d'ailleurs d'un soutien sans faille de la France, et notamment du Président de la République, ce dont nous sommes très reconnaissants.
Sur cette base, le Conseil de l'Europe a développé, ces dernières années, des normes et une expertise considérable en matière de lutte contre les discours de haine, dont je vous invite à faire plein usage. Le Conseil de l'Europe est votre institution, prête à fournir un soutien et des avis formels concernant l'application des standards. Il travaille d'ailleurs actuellement, avec ses États membres, à l'élaboration d'une stratégie cohérente de lutte contre les discours de haine, conjuguant les efforts des législateurs, de la justice, des forces de l'ordre, des organisations de défense des droits et des institutions d'éducation formelle et non formelle, suivant les principes définis par la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI), dont nous venons de fêter le 25 ème anniversaire.
Pour aider les États à mettre en place de telles stratégies globales, le Comité des Ministres est en train d'examiner la création d'un comité intergouvernemental qui guiderait les travaux non gouvernementaux sur la non-discrimination, la diversité et l'inclusion.
S'agissant enfin de la désinformation, phénomène complexe et préoccupant, auquel nous sommes très attentifs, les plateformes technologiques sur lesquelles elles prospèrent ne sont pas des vecteurs de communication neutres et elles ne peuvent pas l'être, car elles sont animées par des milliards d'humains. Aussi le phénomène de la désinformation doit-il être appréhendé dans le cadre d'un nouvel écosystème des médias.
Nous l'observons : les médias deviennent de plus en plus partisans et cherchent l'audience au travers de flux dérivés d'algorithmes auprès du public, qui, pour gérer les flux d'informations qui se présentent à lui, se contentent de survoler les gros titres. Cette réalité nous préoccupe et nous étudions la pertinence d'une approche réglementaire, tout en étant conscients de la complexité d'une telle démarche. Au-delà de la régulation, c'est l'éducation qui est la plus forte contre la désinformation. C'est pour cette raison que nous aidons les États membres à concevoir des programmes d'initiation à l'information dans le cadre des programmes scolaires.
Mesdames et Messieurs, je voudrais, avant de conclure, dire encore quelques mots sur une matière qui impacte toutes les problématiques dont vous débattrez aujourd'hui : je veux parler de l'intelligence artificielle. Pour le Conseil de l'Europe comme pour nos États et d'autres organisations, il s'agit d'un thème brûlant, compte tenu de son impact sur nos sociétés. La France est à l'initiative du lancement d'un global partnership on artificial intelligence et soutient également fortement nos travaux dans ce domaine. Sous sa présidence, le Conseil de l'Europe vient de créer un comité sur l'intelligence artificielle chargé d'examiner la faisabilité et les éléments potentiels d'un cadre juridique pour le développement, la conception et l'application de l'intelligence artificielle dans le respect des normes du Conseil de l'Europe en matière de droits de l'Homme, de démocratie et d'État de droit. Ce comité débutera ses travaux lundi prochain. Je ne peux que vous inviter à les suivre de près. Ses travaux seront menés dans une approche multipartite, avec d'autres organisations internationales, la société civile, les entreprises et le secteur académique. Le soutien des élus que vous êtes nous sera indispensable dans cette démarche, ainsi que dans tous nos efforts constants pour faire en sorte que l'ère numérique soit au service des droits humains et de la démocratie, et non pas un facteur de leur déclin.
Je vous remercie de votre attention et de votre soutien et vous souhaite un excellent colloque.